Quelques mots d'Outre-Manche by Steamboat Willie
Summary:
Image Pixabay


Louise de Bois-Héraud a quinze ans, en 1887, quand elle part rejoindre ses parents à Londres. Jusque là, elle étudiait au pensionnat Sainte-Ursule, dans la région lyonnaise.
Elle quitte sa meilleure amie, Marguerite, qui reste à Lyon.

Durant les années suivantes, elles ne cesseront d'échanger des lettres, au fil du temps qui passe et des menus et grands événements de leurs vies.

En voici quelques-unes, extraites de leur longue correspondance.

Participation au Calendrier de l'Avent 2017, écrite en partenariat avec Dame Licorne, en réponse à son histoire Quelques mots par-delà les flots.


Categories: Historique, Société, Textes engagés, Témoignages, Biographies Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Calendrier de l'Avent du Héron 2017
Chapters: 24 Completed: Oui Word count: 15156 Read: 136929 Published: 29/11/2017 Updated: 24/12/2017

1. Premier décembre - Voyage by Steamboat Willie

2. Deux décembre - Musique by Steamboat Willie

3. Trois décembre - Jack l'Éventreur by Steamboat Willie

4. Quatre décembre - Tableau by Steamboat Willie

5. Cinq décembre - Animal by Steamboat Willie

6. Six décembre - Souvenirs by Steamboat Willie

7. Sept décembre - Écriture by Steamboat Willie

8. Huit décembre - Les folies sont les seules choses que l'on ne regrette jamais by Steamboat Willie

9. Neuf décembre - Énigme by Steamboat Willie

10. Dix décembre - Clavier by Steamboat Willie

11. Onze décembre - Ville by Steamboat Willie

12. Douze décembre - Valise by Steamboat Willie

13. Treize décembre - Santons by Steamboat Willie

14. Quatorze décembre - Aïeul by Steamboat Willie

15. Quinze décembre - L'imagination est plus importante que le savoir by Steamboat Willie

16. Seize décembre - Cérémonie by Steamboat Willie

17. Dix-sept décembre - Vieillir, c'est être vivant by Steamboat Willie

18. Dix-huit décembre - Provence by Steamboat Willie

19. Dix-neuf décembre - Tempus fugit, irreparabile by Steamboat Willie

20. Vingt décembre - Londres by Steamboat Willie

21. Vingt-et-un décembre - Mythe by Steamboat Willie

22. Vingt-deux décembre - Faire passer les personnes avant les choses by Steamboat Willie

23. Vingt-trois décembre - Téléphone by Steamboat Willie

24. Vingt-quatre décembre - Attente by Steamboat Willie

Premier décembre - Voyage by Steamboat Willie

Londres, le trente octobre 1887

Ma chère Marguerite,

Comme tu l'as deviné, ta lettre m'attendait dans ma nouvelle chambre avant même mon arrivée ! Il faut dire que nous avons pris notre temps pendant ce voyage.
Je suis bien arrivée, après trop de journées en diligence, des moments de découverte et une traversée de la Manche.

Comme tu le sais, nous sommes parties, Maman et moi, rejoindre Papa à Londres. Je flottais sur un nuage émotionnel intense... J'étais triste de te quitter et heureuse à l'idée de revoir Papa. Excitée de partir en voyage et morose de quitter Lyon. De vous quitter... Toi, Sophie, Ludivine, Marie. Ce trajet m'a semblé le plus interminable de tous ! J'avais envie de sortir et de pousser la diligence !
Tu me connais, quand je suis un peu excitée, je dois me dépenser. Je te laisse imaginer quelle torture ce fut que de rester assise une grande partie de la journée, à écouter les adultes discuter de choses sans intérêt, tandis que j'étais ballotée par les cahots de la route et que je ne pensais plus qu'à toi, à vous toutes...
Pour la première étape, nous nous sommes rendues à Vichy. Nous avons logé dans les établissements thermaux et même passé la journée du lendemain à profiter des thermes. J'ai pu me détendre un peu, principalement grâce aux installations de gymnastique et j'ai découvert un sport fabuleux !
Je suis allée voir les salles d'escrime des hommes, leurs combats sont impressionnants. Et à la fin de la journée, l'un des hommes n'avait plus d'adversaire, il m'a proposé de me montrer quelques passes d'arme, pour passer le temps.
Je me suis tellement amusée, Marguerite ! J'espère que je trouverai des gentlemen pour m'enseigner l'épée, ici...

Après quoi, nous avons rejoint Bourges pour un séjour de quatre jours. Tu t'en souviens peut-être, ma cousine Léopoldine y habite avec son mari, Alban et leur tout petit bébé, Émile. Nous sommes restées avec eux quelques jours. Maman a parlé chiffon et bébé avec Léopoldine... Moi, je dois bien dire que, même si Émile est adorablement mignon quand il dort, le reste du temps, il m'a plus déstabilisée qu'autre chose.
Maman et Léopoldine ont voulu que je le prenne dans les bras. Je crois qu'elles se disaient que je serai très mignonne avec mes propres enfants, dans quelques années. En vrai, je me suis sentie surtout très mal à l'aise.
Heureusement, mon cousin Alban est adorable. Je crois qu'il a compris que je ne suis pas faite pour avoir des enfants. Il a décrété qu'il allait m'enseigner les échecs pendant les tétées du petit monsieur. Maman passait son temps à s'extasier sur Émile et ses airs de glouton. Moi, pendant ce temps, j'ai bien progressé, Alban m'a expliqué plusieurs techniques que je ne connaissais pas. J'espère avoir maintenant une chance de te battre ! Pourvu que l'on ait vite une occasion de se revoir...
Il m'a aussi fait visiter la cathédrale... Quel monument impressionnant ! Je me demande encore comment les hommes ont réussi ce tour de force de construction !

Le reste du voyage jusqu'à Paris a été plus monotone. Nous nous sommes arrêtées deux jours chez ma grand-mère paternelle. Deux jours de trop, si tu veux mon avis ! Grand-mère n'a cessé de faire des reproches à Maman à propos de tout et de rien.
Dire que, si Maman n'avait pas été là, j'aurais été scolarisée chez elle ! Heureusement que Maman a su convaincre Papa de plutôt m'envoyer à Lyon, en pensionnat... Il faudra que je lui demande comment elle a réussi, un jour.

Après Paris... Peut-être est-ce grâce au séjour chez Grand-Mère, mais c'est à ce moment-là qu'un immense sentiment de liberté s'est emparé de moi ! Quand nous sommes arrivées à Béthunes, nous avons suivi la route inverse à celle de Milady de Winter, dans les trois Mousquetaires, lorsqu'elle revint en France sur les ordres du Cardinal... Cette idée m'a exaltée, j'ai parcouru le chemin avec l'impression que nous croiserions sous peu Athos, Porthos, Aramis ou même d'Artagnan.
Nous avons embarqué à Boulogne sur Mer et nous avons débarqué après une journée de traversée (heureusement calme) à Douvres. Dover, pour les Anglais.
De là, encore une journée de diligence a été nécessaire (France ou Angleterre, Maman n'aime toujours pas la nouveauté des trains)... Je n'ai pas vraiment regardé la campagne anglaise, tant j'ai été déboussolée par le fait que... Les anglais roulent à gauche ! On ne croirait pas, mais c'est tellement déstabilisant ! Ça fait vraiment bizarre de voir les voitures rouler en sens inverse de ce à quoi tu es habituée...

Le temps file...
Je te laisse, ma chère Marguerite, et j'espère te relire bientôt !

Ta dévouée,
Louise

Deux décembre - Musique by Steamboat Willie

Londres, le premier avril 1888

Joyeuses Pâques, Marguerite !

J'espère que les cloches sont bien passées à Sainte Ursule, cette année encore. Figure toi qu'ici, ce ne sont pas les cloches qui apportent les oeufs mais... Des lapins ! LE lapin de Pâque, même... Je trouve cela fort amusant d'imaginer un lapin avec des oeufs. Ne trouves-tu pas plus logique que ce soient les cloches de nos églises qui aillent chercher les oeufs à Rome, plutôt que d'attendre un lapin ?

Je pense très fort à vous quatre en ce moment. Ludivine, Sophie, Marie et toi. Vous me manquez terriblement. J'aimerais tellement être avec vous pour cette célébration !
Dis-moi, est-ce que vous avez commencé à prévoir quelque chose pour le dernier jour des cours, en juin ? Je me souviens de notre première année, quand nous avions convaincu toutes nos camarades de toutes se coiffer avec des couettes, plutôt qu'avec des chignons... La tête de Sœur Marie-Céline quand elle a vu toutes ces couettes s'aligner devant elle était parfaite, non ?
Et cette fois où nous avons dessiné sur les tableaux des classes des scènes plus ou moins réussies de la Bible. Sœur Marie-Euphrosine n'avait pas su si elle devait nous gronder ou nous féliciter...
J'espère vraiment que vous avez prévu quelque chose et que vous me le raconterez dans vos lettres !

Ici, mes camarades sont adorables, mais pas très enthousiastes à l'idée de faire une blague de ce genre à nos professeurs. Je me dis, quand je les écoute chercher des excuses, que tu es vraiment très forte pour encourager nos camarades à suivre mes idées. Si tu étais avec moi, je ne doute pas une minute que tu rallierais tout le monde à notre cause et que nous pourrions faire de vraies farces amusantes et intelligentes...
Et puis, le programme n'est pas des plus intéressants à mon goût. C'est là que toute la cruauté de ton absence se fait ressentir, ma chère Marguerite. Notre complicité qui faisait passer le temps pendant les plus longues heures de cours me manque tellement.
Aucune de mes nouvelles amies n'est à la hauteur de ton amitié, crois moi !

Concernant les cours, j'ai droit à de la danse, pour le maintien. C'est mon cours préféré. Ou le moins détesté, selon mon humeur. Autrement, les travaux d'aiguille sont légion, ici. Encore plus qu'à Saint Cyr aux Monts d'Or ! Moi qui ne croyais pas cela possible...
Nous avons aussi des matières comme les mathématiques, l'anglais ou les sciences, mais... Sincèrement, Marguerite. Apprendre à se servir d'un thermomètre pour vérifier la température du bain pour nos futurs bébés, je n'appelle pas ça de la science !

La matière que j'exècre le plus, dans tout ça, c'est la Musique.
Nous devons apprendre à jouer d'un instrument. Du piano pour le moment, mais j'aurai aussi droit à la harpe l'année prochaine. Ceci dit, hors de question de faire de nous des virtuoses. Si je me laisse emporter par la musique, si je cherche le bon moment pour amorcer la touche afin que la note s'envole avec les autres dans une farandole sonore, je me fais rappeler à l'ordre. Une femme doit se tenir droite devant son piano et ne pas donner l'impression qu'elle aime la musique qu'elle produit.
À quoi ça sert, dis-moi ? Apprendre quelque chose pour ne surtout pas le faire correctement ? Ça me dépasse.
Avec notre instrument que nous devons jouer avec le plus de platitude possible, nous devons également chanter. J'ai cru comprendre qu'avoir des facilités en chant permettait de mieux attirer les hommes.
Il ne nous manque plus que la queue de poisson et ce sera parfait.
Moi qui étais heureuse de venir en Angleterre pour apprendre autre chose que devenir une parfaite épouse, je suis quand même fort déçue...

J'entends Sebastian qui commence à mettre la table, dans le salon. Je cachète donc vite cette lettre, afin de la poster au plus tôt.
Je t'en raconterai plus dans une prochaine lettre.

Ta dévouée,
Louise

Trois décembre - Jack l'Éventreur by Steamboat Willie

Londres, le samedi vingt-sept octobre 1888.

Ma chère Marguerite

Je sais que je t'écris plus tôt que prévu car j'avais besoin d'en parler avec une amie chère...
Londres est en pleine effervescence depuis quelques semaines. Je ne sais pas si c'est arrivé jusqu'aux journaux lyonnais ? Ça fait un tel foin ici que je n'en serais pas surprise...
Tu me le diras dans ta réponse.

Figure-toi qu'il y a un tueur dans les rues de ma chère ville !
Bon, d'accord, il y a des tueurs dans probablement toutes les grandes villes, mais celui-ci est particulier. Tout se passe dans le quartier de Whitechapel, un quartier des bas-fonds et de l'immoralité, surtout. Il y a là-bas de plus en plus de violence, c'est vraiment le quartier que je ne visiterais sous aucun prétexte.
Ça fait un moment qu'il y a régulièrement des meurtres de femmes. Mais en ce moment, il se dit qu'ils seraient tous le fait d'un seul et même tueur ! La presse se fait l'écho de ses lettres, ce qui rend l'histoire parfaite pour les conversations de salon. En plus, ce tueur a pris un nom de scène parfait.
Jack the Ripper. De quoi effrayer toute la bonne société londonienne...

Sur un ton plus léger... De son côté, Grand-Mère a décidé que je devrais me marier. Alors que je n'ai pas encore dix-sept ans ! Papa et Maman ne s'opposent pas assez à mon goût à ses manigances. À moins qu'ils ne me fassent confiance pour la contrer moi-même ? J'ai, en tout cas, décidé d'agir comme si c'était le cas. Elle a l'air d'avoir trouvé, je ne sais comment, un carnet d'adresses des familles qui ont un fils à marier. Elle passe son temps à me les faire rencontrer. Vivement qu'elle rentre à Paris, Marguerite... Ça fait déjà trois semaines qu'elle est là et je n'ai qu'une envie... Qu'elle reparte ! Dire qu'elle est avec nous jusqu'en janvier.
Du coup, l'autre jour, elle a voulu me présenter un jeune homme tout à fait charmant – totalement soporifique, en somme. La mère de ce jeune homme nous avait invitées pour le thé, et elle recevait aussi son neveu, Hugh. Ce dernier n'est pas du tout dans les petits papiers de Grand-Mère. Sa famille est moins aisée que celle d'Arthur, ce qui fait qu'il doit déjà travailler. Et il est policeman ! Un vrai policier, en chair et en os !
J'ai passé tout mon temps à interroger Hugh sur Jack, m'attirant par là-même les regards désapprobateurs et outrés des deux femmes. Il ne m'a pas dit grand chose, principalement parce qu'il ne sait pas grand chose. Il ne travaille pas du tout vers Whitechapel, heureusement pour lui.
Grand-Mère a tellement enragé de me voir m'intéresser au cousin dont elle ne voulait pas plutôt qu'au potentiel prétendant. Quant à Arthur, il s'est plutôt grandement amusé de la discussion, donc je ne pense pas qu'il m'en veuille de l'avoir grandement ignoré au cours de cette après-midi.

En repartant, Grand-Mère m'a formellement interdit de revoir ce brave Hugh. Évidemment. Mon petit manège anti-prétendant ne pouvait guère passer inaperçu...
Je vais devoir arrêter ma lettre ici : j'entends Grand-Mère qui m'appelle... Je t'en raconterai plus la prochaine fois si tu le souhaites.
Et puis, je voudrais me rendre au commissariat où travaille Hugh avant la fin de la journée. J'ai demandé à notre cuisinier de bien vouloir préparer quelques gâteaux que je vais, de ce pas, lui porter. Cela lui fera plaisir, si Grand-Mère ne m'en empêche pas. Et si elle m'en empêche... Ma foi, je trouverai bien un moyen !

Ta dévouée,
Louise.

Quatre décembre - Tableau by Steamboat Willie

Londres, le vendredi vingt-trois novembre 1888

Ma très chère Marguerite

Cela fait déjà deux mois que les cours ont repris et je n'ai pas réellement pris le temps de te raconter, tellement le sujet m'ennuie... Comme tu le sais, je suis toujours au Green Meadows College, en demi-pension. Et les cours sont toujours aussi peu intéressants. Tu te souviens comme j'ai pu râler que nous n'allions jamais à fond dans les sujets étudiés, à Sainte Ursule ? Eh bien ici, c'est pareil, en pire.
Et mes professeurs ont le culot de dire que nous allons jusqu'au bout de ce que nous pouvons savoir ! Les pires sont nos professeurs masculins. L'un d'eux m'a même très sérieusement expliqué que les femmes ont le cerveau mou et ne sont pas capables de concevoir des concepts comme les mathématiques, la physique ou autre. Je me suis évidemment faite remarquer en disant que si personne ne nous apprend rien, forcément, nous ne saurons jamais rien. Et que s'il voulait bien essayer, il verrait que nous sommes tout autant capables que n'importe quel garçon du College d'à côté.
Il a ri et m'a donné une heure de détention. C'est l'équivalent des prières que nous recevions régulièrement à Sainte Ursule. Enfin... Surtout moi, je sais, Marguerite ! Ici, il s'agit d'une heure pendant laquelle je dois faire le travail qui m'est assigné. Évidemment, j'ai eu droit à des travaux d'aiguille. En l'occurrence repriser des chaussettes. Je le soupçonne de m'avoir donné ses propres chaussettes... Du coup, j'ai fait un travail lamentable.

Mais laissons ça de côté. Rions de ces professeurs à l'esprit étriqué. Il m'arrive quelque chose d'extraordinaire grâce à Kalyani, une de mes nouvelles amies. Tu sais que, depuis mon arrivée, j'aide de temps en temps mes camarades de classe avec les devoirs de français.
Eh bien figure-toi que le mois passé, Kalyani m'a présenté son frère, Sunder. Il voudrait faire de la politique et, pour cela, il a besoin de parler français de manière impeccable. Jusque là, il avait un répétiteur qui faisait du mauvais travail et lui coûtait trop de livres sterling à son goût. C'est donc moi qui remplace le répétiteur et je lui demande beaucoup moins d'argent que ce qu'il payait jusque là.

Cette différence de paiement s'explique par un certain compromis, qui devrait t'amuser... Imagine un peu le tableau.
Les deux enfants d'un Maharadjah indien qui viennent chez moi, deux soirs par semaine. Nous parlons beaucoup français et je les aide à corriger leurs devoirs. Quand Papa est là, il ne dédaigne pas de converser un peu avec Sunder. Ils parlent évidemment politique, tu penses bien !
Le troisième soir de travail, c'est très différent.
Kalyani joue les chaperons pour moi parce qu'il n'y a personne d'autre chez eux à ce moment-là. Le plus souvent, elle prend un travail d'aiguille quelconque, pendant que Sunder et moi pratiquons le français... de l'escrime !
Hé oui ! J'ai trouvé mon gentleman pour continuer mes entraînements à l'épée !
Kalyani ne pense pas qu'on se fera prendre de sitôt, du coup, elle estime que la façon dont son frère règle leurs cours est mon problème, pas le sien.
Et de la même façon, elle regarde ailleurs quand je consulte les cours de son frère, qui sont autrement plus passionnants que les nôtres ! Ça au moins, c'est de la vraie science ! C'est fascinant, passionnant !
D'ailleurs, en parlant de science, j'ai entendu parler d'une formation en médecine qui serait réservée aux femmes. Je vais me renseigner. Peut-être que je m'engagerai. Qui sait... ?

Autrement, mes amies anglaises sont adorables, mais aussi très réservées et très soucieuses de l'étiquette. Ce qui m'agace régulièrement. J'aimerais tant pouvoir oublier les recommandations de certains de nos professeurs, de temps en temps...
Je t'imagine en train de faire les yeux ronds, tandis que tu me lis... Ne t'en fais pas, je ne fais rien de pire que ce que je faisais à Sainte Ursule. Je me contente de dire ce que je pense et d'agir en accord avec moi-même...

À bientôt,
Louise l'escrimeuse

Cinq décembre - Animal by Steamboat Willie

Londres, le vingt-cinq janvier 1889

Ma chère Marguerite

J'ai lu et relu ta dernière lettre, où transparaissait ton amour pour les femmes de lettres et ton envie d'en devenir une toi-même.
Et je dois dire que cela t'irait tellement bien ! Comme j'ai hâte de lire tes livres ! J'espère que tu me raconteras tes idées et leurs développements dans tes prochaines lettres.

De mon côté, aujourd'hui est un grand jour...
Grand-Mère repart enfin à Paris !
Pour fêter ça, elle m'a infligé une dernière de ses rencontres avec des jeunes gens de bonnes familles, il y a deux jours.

Elle m'a demandé de l'accompagner pour une sortie entre grand-mère et petite-fille au zoo de Regent's Park où nous avons incidemment retrouvé plusieurs de ses connaissances, toutes mères des jeunes gens en question. Ma grand-mère sait imposer les choses avec une finesse rare, comme tu peux le constater...
Heureusement, en faisant aimablement connaissance avec ces jeunes gens, j'ai compris que l'un d'eux ne souhaitait pas plus que moi se marier et n'était là que sur l'insistance de sa mère. J'ai passé le plus clair de mon temps à discuter avec lui. Depuis, Grand-Mère pense avoir réussi à me trouver un fiancé. Ce qui nous fait beaucoup rire, Maxim et moi !

Regent's Park est vraiment magnifique. Il y a là-bas des animaux qui viennent d'Afrique ou d'Asie. Il y a des zèbres. As-tu déjà vu des zèbres, Marguerite ? Ce sont des petits chevaux avec des rayures verticales blanches et noires ! Vraiment, nous n'avons jamais vu de robes pareilles sur des chevaux.
Il y a aussi un hippopotame. Il paraît que ce sont des animaux impressionnants quand ils nagent, mais là, il faisait la sieste. Ça donnait une énorme montagne de chair avec quatre courtes pattes en train de se prélasser au soleil...

Mais celui qui m'a le plus intéressée est un chameau.
Les chameaux sont très grands. Peut-être aussi hauts que deux chevaux montés l'un sur l'autre ? Ils ont un cou immense, des oreilles qu'ils agitent régulièrement et leurs pattes sont tellement étranges. Je crois que je suis restée plusieurs minutes à observer leurs pattes ! Le mieux pour les décrire est de dire qu'elles se terminent sur deux doigts, chacun avec un ongle qui ressemble à un sabot de cheval.
Ils sont faits pour la vie dans le désert, nous a raconté l'un des gardiens. Ils sont capables de passer plusieurs semaines sans boire et savent courir aussi vite qu'un train à vapeur. Et ils leur donnent très peu de nourriture, contrairement aux autres animaux, car ils ont très peu de besoins. Il faut dire que la végétation est rare, dans le désert.

Mais revenons à Regent's Park.
L'un des chameaux était tout blanc. Son pelage était immaculé, tellement que je me suis demandée s'ils ne l'avaient pas peint, tout simplement, pour attirer le chaland !
Mais non... Un autre gardien m'a dit que c'était une femelle. Ils essayent de lui faire avoir des petits, en espérant en avoir d'autres blancs comme elle.
Elle était belle, vraiment.

Je suis rentrée enchantée de cette journée. Au moment de rentrer chez nous, Maxim m'a saluée et m'a chuchoté, amusé, que les animaux m'avaient davantage intéressée que les prétendants... Ce qui est bien vrai !

J'espère te lire bientôt,
Louise

Six décembre - Souvenirs by Steamboat Willie

Londres, le mardi cinq mars 1889

Ma chère Marguerite

Je viens de passer une soirée extraordinaire.
C'était une soirée où Kalyani et Sunder sont venus travailler leur français à la maison, comme tous les mardis.

Leur mère leur avait confié un curry pour nous remercier de les accueillir.
Maman a demandé à ce qu'il soit réchauffé pour le souper. Mais rapidement, nous avons eu grand mal à nous concentrer sur la leçon, tant les odeurs des épices nous rappelaient les moments vécus en Inde.
Lorsque Papa et Maman nous ont appelés pour manger, nous n'avions pas vraiment commencé à travailler : Kalyani et son frère aussi étaient nostalgiques de leurs années passées là-bas.

Tu sais, il y a plusieurs restaurants de cuisine indienne à Londres et nous en avons testé plusieurs depuis que nous sommes ici, mais nous n'avons jamais retrouvé le goût de la nourriture de là-bas. Jusque-là, mes parents pensaient que le changement de cadre rendait l'expérience différente. Manger indien en Angleterre est très différent de manger indien en Inde...
Mais en mangeant ce plat, préparé par une femme de là-bas, nous nous sommes aussi rendus compte que c'était assez différent de ce que l'on mange dans les restaurants. Kalyani nous a expliqué que les britanniques sont rentrés des Indes avec des recettes et les ont un peu adaptées. Ce qui a donné naissance à la cuisine Anglo-indienne !

Nous avons parlé de l'Inde toute la soirée. Nous de Pondichéry, où nous avons vécu, et nos invités de Delhi, où ils sont nés. De nous trois, Papa et Maman sont ceux qui ont les souvenirs les plus précis, évidemment. Je n'avais que six ans lorsque nous sommes rentrés en France, après tout. Moi, j'ai surtout gardé des sensations.
La chaleur moite sur ma peau.
L'odeur des épices. Celle des fleuves indiens. Celle des fleurs qui ne poussent que là-bas...
Les intonations des différents dialectes, aussi. Rien que ça, ça change une ambiance.


Nous avons mangé tous les cinq et beaucoup échangé sur les souvenirs que nous avions.
Sunder avait douze ans quand il est arrivé ici et Kalyani à peine neuf ans. Ils ont bien plus de souvenirs que moi, même si Kalyani a parfois du mal à exprimer ses ressentis du passé.

Au cours du repas, je me suis souvenue d'une fois où des petits lumières sont venues nous saluer. J'en garde un souvenir très doux, très poétique. J'avais une véritable fascination pour elles.
Kalyani a dit que ce devait être des lucioles. Maman a raconté que nous étions sur un bateau et dit que j'avais quatre ans. Et Papa a ajouté que j'avais voulu les attraper. Je courais d'un bout à l'autre du ponton, poussant des cris de ravissement...
Jusqu'à ce que je passe par-dessus la balustrade. Dans mon empressement à jouer avec les lumières, j'avais oublié le danger de l'eau sur laquelle nous naviguions !
L'un des marins qui dirigeait la barque a sauté à l'eau pour me récupérer ! Il paraît que j'étais choquée, mais... cinq minutes plus tard, je courais de nouveau derrière elles !

Sunder, lui, a raconté qu'il avait l'habitude de les enfermer dans des boîtes dans sa chambre et de les glisser dans sa lampe tempête éteinte pour pouvoir arpenter les couloirs, chez lui. Kalyani a surenchérit en disant qu'elle comprenait mieux, maintenant, pourquoi des gâteaux disparaissaient des cuisines, quand ils étaient enfants...

L'espace d'une soirée, nous étions tous de retour aux Indes... Cela nous a fait tellement plaisir de partager tous ces souvenirs !
D'ailleurs, j'aimerais tellement t'emmener dans mes souvenirs, Marguerite. Ils sont bien sûr très peu fiables, mais ils sont tellement beaux !

Et puis, je vais demander à la maman de Kalyani et Sunder de m'apprendre à faire un vrai curry de là-bas. Et quand je passerai te voir, je t'en cuisinerai un !

J'ai hâte de te faire découvrir cette partie de mon enfance...

À bientôt,
Louise

Sept décembre - Écriture by Steamboat Willie

Londres, le lundi deux décembre 1889

Ma chère Marguerite

Cela fait un moment que je ne t'ai pas écrit, je trouve.
J'ai beaucoup de travail en ce moment... Il faut dire que j'ai maintenant trois élèves qui me rémunèrent pour leur donner des cours de français.

Sunder et Kalyani continuent avec moi. Est-ce que je t'ai raconté qu'ils mélangent souvent l'hindi, l'anglais et le français ?... Ça donne parfois des discussions que je pourrais qualifier d'aléatoires. Je suis sûre que, si tu étais avec nous, tu rirais autant que nous... Quand Sundar est un peu fatigué, il fait le pitre et ne suit plus du tout la leçon. Je dois le reprendre constamment.
S'il avait six ans, je pourrais lui faire les gros yeux et exiger de sa part un peu de concentration et de respect. Mais il a mon âge, du coup, quand je fais les gros yeux de l'institutrice mécontente, il rit encore plus fort ! 

Et depuis quelques semaines, j'aide aussi une fille de neuf ans, Leora McFadden.
Ses parents souhaitent qu'elle apprenne le français, mais elle a à la base de grosses lacunes en anglais. C'est bien simple : elle fait des fautes étranges quand elle écrit et, quand elle lit, elle est inintelligible. Elle me dit qu'elle ne fait pas exprès et je dois bien être la seule à accepter de la croire. Ses instituteurs répètent qu'elle se moque, qu'elle est insolente. Évidemment, les punitions pleuvent. Et cela ne change rien.
Pour ma part, la première fois que je l'ai faite lire, elle a fondu en larmes après quelques mots. Je crois qu'elle avait peur que je la punisse... Soit elle est vraiment une excellente actrice, soit elle ne fait réellement pas exprès.
Je crois sincèrement qu'elle est comme ça et qu'elle n'y peut rien. Mais c'est, du coup, très compliqué de l'aider. Je n'ai pas l'ombre d'une idée pour expliquer pourquoi elle est comme ça, et encore moins pour trouver comment la faire avancer.

Pour ce que je constate, lire ou écrire sont pour elle des activités épuisantes et semées d'embûches.
Je cherche des idées pour qu'elle puisse apprendre correctement. Je l'ai déjà faite parler de ce qu'elle ressent quand elle lit, écrit, de ce qu'elle voit. Par exemple, elle lit "tac" au lieu de "cat", "dook" au lieu de "book". Quant à l'écrit, elle cumule les mêmes difficultés, avec en plus l'incapacité de suivre les lignes et de former les lettres correctement.
Par conséquent, j'ai abandonné l'idée de travailler le français avec l'écrit, nous parlons principalement et elle apprend vite notre belle langue, de cette façon.

D'un autre côté, j'aimerais tellement trouver des moyens de l'aider à contourner ses difficultés ! Malheureusement, pour le moment, je dois bien dire que l'on fait chou blanc... J'espère pouvoir l'aider à terme, même si je suis assez pessimiste.
J'ai demandé à Papa s'il avait dans ses relations des médecins qui connaîtraient ce genre de problème, qui pourraient l'aider. Je n'y crois pas tellement, mais après tout, pourquoi pas ?
Est-ce que tu pourrais demander à nos chères Sœurs des Ursulines si elles ont déjà croisé ce genre de difficulté, chez une élève ? Et si oui, qu'ont-elles fait pour l'aider ? Je me dis qu'elles pourraient être d'un meilleur recours que les médecins anglais.

Mrs McFadden, la mère de Leora, espère que ses difficultés n'empêcheront pas sa fille de trouver un bon mari. Après tout, point n'est besoin de lecture ou d'écriture pour pouponner et élever des enfants.
Et pendant que je t'écris, je me dis que je ferais peut-être mieux de lui apprendre à gérer sa vie future sans ces compétences, plutôt que de m'acharner à les lui imposer.
Je ne baisse pourtant pas les bras, je garde simplement l'idée. Je verrai avec le temps ce que j'en fais.

Ta dévouée,

Louise.

End Notes:

Ceux qui connaissent la dyslexie auront sûrement reconnu le trouble de Leora. Le terme Dyslexie a été inventé en Allemagne deux ans avant cette lettre ; pour Louise, c'est donc quelque chose de totalement inconnu qu'elle peine à comprendre.
Heureusement pour Leora, elle essaye quand même. ;)

Huit décembre - Les folies sont les seules choses que l'on ne regrette jamais by Steamboat Willie

Londres, le dimanche treize juillet 1890

Ma chère Marguerite,

Comme je comprends tes sentiments, tandis que tu faisais ta valise ! Ce sont les mêmes que j'ai ressentis lorsque j'ai, moi-même, fait ma valise avant de quitter Saint Cyr au Mont d'Or, il y a trois ans de cela... J'espère que ton arrivée chez tes parents s'est bien passée et que l'ambiance n'est pas aussi lourde que ce que tu me disais dans ta lettre. 

De mon côté, je suis sur un petit nuage... Comme tu le sais, j'ai cherché une solution pour continuer à étudier après le College Green Meadows et j'ai reçu, enfin, la réponse de la London School of Medicine for Women. Figure-toi qu'elle est positive ! Dès la rentrée prochaine, je vais apprendre la médecine, Marguerite, est-ce que tu te rends compte ?
Je suis tellement heureuse ! Je pense que les cours de Sunder, qu'il me laissait lire régulièrement, m'ont bien aidée pendant l'entretien que j'ai passé avec la directrice et deux des professeurs. Elles ont semblé satisfaites par les connaissances que j'ai déjà. J'aimerais pouvoir faire passer le temps plus vite, pour démarrer enfin les cours !

Papa et Maman sont surpris par mon choix. Ils m'ont demandé de bien y réfléchir, même si je pense qu'ils me soutiendront quand ils comprendront à quel point je suis déterminée.
Par contre... Je ne pense pas te surprendre en te disant que Grand-Mère a envoyé une lettre dans laquelle elle explique méthodiquement à quel point me laisser devenir médecin est une folie. Elle reprend quasiment point par point les argumentaires que j'ai déjà entendus tant de fois à propos de l'incapacité des femmes à apprendre ! J'ai laissé Papa lui répondre. Je refuse même de savoir ce qu'il lui a répondu.
De toute façon, il me semble qu'il existe un adage qui dit que les folies sont les seules choses que l'on ne regrette jamais, non ? Et si je ne tente pas ces études, alors là, oui, j'aurai des regrets. 

Je préfère encore te raconter ce que je vais faire ces prochaines années. Je vais d'abord étudier le corps humain pendant deux ans. J'ai déjà commencé à me procurer des livres sur la question. Je sais que concernant le matériel, il y en a à disposition à l'école et que l'ensemble de nos connaissances viendront des livres. Et puis comme ça, je peux prendre un peu d'avance pendant l'été.
Après quoi, il faudra que je trouve un médecin qui me prenne en apprentissage pour que je puisse me perfectionner. Cela pourrait sembler de prime abord rédhibitoire pour finir notre formation, la plupart des hommes refusant de croire en notre potentiel. Mais comme l'école existe depuis plus de quinze ans, la plupart des anciennes élèves deviennent Maîtresses d'apprentissage pour celles qui sortent de l'école. 

En fait, j'ai tellement de choses à te raconter sur les années qui m'attendent ! Je crois que je vais en rester là pour cette fois-ci, en attendant de savoir si l'on peut venir te voir à Lyon cet été. J'espère que ça ira, j'ai tellement hâte de te revoir et de tout te raconter !

À bientôt,
Louise.

End Notes:

La London School of Medicine for Women a été fondée en 1874, donc 16 ans avant cette lettre.
Pour le reste, l'entretien de recrutement, le déroulement des études... J'ai inventé.

Neuf décembre - Énigme by Steamboat Willie

Londres, le vendredi vingt-neuf août 1890

Ma très chère Marguerite

Je viens de découvrir quelque chose de sensationnel ! Extraordinaire ! Magistral !
Il faut que je te raconte, depuis le début... Lorsque Nancy Babington m'a invitée pour le thé la semaine dernière.

Là-bas, j'ai rencontré un médecin génial et humble. Il s'appelle John. Il est très cultivé, très fin et charmant. Il vit en colocation avec un original et je crois qu'il l'admire énormément... Il en parle tout le temps en fait. Cet original reçoit des visites de familles en difficultés, parfois même des personnalités très en vue. Il se voit confier des enquêtes, qu'il mène rapidement et discrètement. Il observe, il pose des questions, il tire des conclusions... Et il trouve toujours. Il a une capacité de déduction incroyable qui fait qu'aucune énigme ne lui résiste.
John l'accompagne partout et raconte ensuite leurs aventures dans leurs moindres détails. Il est devenu son secrétaire particulier, en quelque sorte.

Te rends-tu compte ? 

Ces deux hommes sont assurément des policiers d'un nouveau genre. Contrairement à ce que l'on connaît des méthodes de la police, ils n'ont quasiment pas besoin de parler avec les gens. Ils se contentent d'observer et juste en remarquant les petits détails qui clochent, ils trouvent le coupable.

Je trouve cela révolutionnaire ! Avec une telle méthode, les policiers n'auront plus besoin de dénouer les petites querelles de voisinage pour comprendre ce qui s'est passé et a mené à un meurtre, par exemple. Les preuves parleront d'elles-mêmes, sans aveux.
J'ai déjà lu les compte-rendus de plusieurs de leurs enquêtes, rédigées par le médecin. C'est toujours lui qui rédige. L'autre, le détective privé, est un curieux personnage, très intrigant. Il semble parfois totalement détaché de la réalité et à d'autres moments, il surprend tout le monde par la multitude de détails qu'il a repérés et par les déductions, tout à fait justes, qu'il en a faites.

Ce détective s'appelle Sherlock Holmes. Il est accompagné de son fidèle compagnon, le Dr John Watson. Et tous deux sont les héros des histoires écrites par Arthur Conan Doyle. Il a commencé à publier il y a quelques années déjà, soit directement des livres, soit à travers les journaux : chaque semaine, le Strand publie un chapitre. 

Je me demande ce que Hugh en pense, ainsi que ses collègues. Est-ce qu'ils s'inspirent de lui ? Ou est-ce qu'ils dénigrent son travail ? Est-ce que des policiers préparent de nouvelles méthodes de travail ? Oh, que tout cela est passionnant !

Je te promets de t'envoyer des livres d'Arthur Conan Doyle dès que possible, je suis sûre que tu vas beaucoup aimer, même si c'est en anglais. Ou alors, je fais comme lui, quand il publie dans le magazine du Strand, avec un chapitre de l'histoire chaque semaine... Je ferai une traduction que tu recevras petit à petit avec mes lettres. Qu'en dis-tu ?

Papa ironise en me demandant si je ne ferais pas mieux de devenir détective privé, vu mon enthousiasme pour Sherlock. Je lui ai répondu que je n'avais d'yeux que pour John et que je me préparais à suivre son exemple !
D'ailleurs, pendant l'été, j'ai lu tout ce que je pouvais à propos du corps humain. J'ai trouvé plusieurs livres mais j'ai régulièrement l'impression qu'il manque des informations. J'ai hâte de commencer pour avoir réponse à toutes les questions que je me pose !

Affectueusement,
Louise.

Dix décembre - Clavier by Steamboat Willie

LONDRES LE VENDREDI VINGT TROIS OCTOBRE MILLE HUIT CENT QUATRE VINGT ONZE

MA CHERE MARGUERITE

COMMENT VAS  TU
JE NE RESISTE PAS A T'ECRIRE AVEC CETTE MAGNIFIQUE  TYPEWRITER

C'est impressionnant, non ?
C'est une toute nouvelle machine, qui vient tout droit d'Amérique qui m'a permis de t'écrire comme ça ! Elle se trouve à l'ambassade, où Papa m'a autorisée à l'utiliser quelques minutes. Évidemment, j'ai tout de suite pensé à toi. Bien sûr, nous sommes loin des liés et déliés de l'écriture à la plume, mais au moins, nous pourrions relire certaines personnes, si tu te vois de qui je veux parler...
Tu places ta feuille dedans, tu appuies sur les touches et quand tu sors ta feuille, le texte est écrit. J'ai fait très attention à ne pas faire de faute, mais je crois que j'ai fait des espaces en trop, parfois. 

Pendant que je jouais sur cette merveilleuse machine, la discussion est passée sur l'utilité d'un pareil appareil.
Certains pensent qu'il n'a absolument aucun avenir. Ils estiment que c'est impossible de faire une lettre lisible avec cette machine, à cause des minuscules qui n'existent pas. Et des chiffres, aussi. Ça rallonge la date, comme tu as pu le voir... Et même si on les ajoutait, ils ne voient pas comment ils pourraient faire une mise en forme suffisamment formelle avec.
D'autres pensent qu'au contraire, ils pourront bientôt écrire tout leur courrier de cette façon ! Je suis un peu de leur avis, c'est tellement plus amusant que de tenir une plume ! Ne t'en fais pas, j'aime tout de même toujours autant écrire et je ne compte pas cesser de rédiger à la main les lettres que je t'envoie...
Après quoi, la discussion a roulé sur la vitesse d'écriture avec cette machine encombrante, beaucoup trop lente par rapport au maniement de la plume. C'est vrai que j'ai mis beaucoup de temps pour écrire quatre petites lignes.
Nous verrons bien à l'avenir qui a raison, n'est-ce pas ?

Autrement, j'ai commencé mon premier stage d'observation au Free Hospital. Il est situé à dix minutes de marche de l'école de médecine, donc c'est facile pour mes camarades et moi de passer de l'un à l'autre dans la même journée.
En ce moment, je passe donc mes matinées avec un médecin, le Dr Benedict Harrington. Nous allons visiter un par un les patients dont il a la charge. Quand nous arrivons auprès d'un patient, il me présente toujours et demande même au patient s'il est d'accord pour que j'assiste à la visite. Ça m'est déjà arrivé deux fois de devoir l'attendre dans le couloir parce que le patient avait refusé ma présence. Cela a choqué beaucoup de mes camarades de classe. Elles trouvent qu'on ne devrait pas laisser à un patient le loisir de congédier un médecin de son chevet. Et j'aurais sûrement pensé la même chose si le Dr Harrington ne faisait cela avec une simplicité déconcertante.

Quand le patient est d'accord, cela ne change pas grand-chose pour lui : je reste de toute façon dans un coin de la pièce et j'observe sans rien dire. Quand nous sortons, j'explique ce que j'ai compris du cas et ce que je ferais comme prescription s'il s'agissait de mon patient. Le Dr Harrington m'explique son point de vue et me pose des questions pour s'assurer que j'ai bien compris toute la pathologie du patient.

L'après-midi, je retrouve mes camarades de classe pour continuer les cours comme auparavant.
Je dois bien dire que cette nouvelle façon d'apprendre m'enthousiasme encore plus que de faire des recherches dans les livres ! Ce sera probablement difficile pour moi de revenir à des journées entièrement dédiées à l'étude théorique du corps humain, sans pouvoir rencontrer de patient, je crois. En attendant, je mets ce stage à profit du mieux que je peux.

À bientôt,
Louise.

Onze décembre - Ville by Steamboat Willie

Londres, le samedi sept novembre 1891

Ma chère Marguerite

Ce Charles semble effectivement tout droit sorti d'un conte de fées. Assurément, s'il existait un Prince Charmant, il lui ressemblerait fortement.
Dois-je réellement te croire, lorsque tu me dis que tu n'es point éprise de lui ? Je dois bien dire que j'ai quelques doutes à la lecture de ta dernière lettre... Et des précédentes.
Tu semblais d'ailleurs t'inquiéter de mon avis à son encontre. Ma foi, je dois bien dire que déjà, s'il convient à tes parents et que cela te fait grand plaisir de le voir, chaque fois qu'il passe à Lyon, ce sont de bons points pour lui. Il en marque bien d'autres au vu de ce que tu me dis. J'apprécie grandement sa façon de croire en toi et de t'écouter pour gérer ses affaires, ainsi que sa façon d'échanger avec toi à propos de littérature et autres sujets de ce genre.
Dois-je déjà préparer des cadeaux de mariage, dis-moi ?

Ici, je suis de retour à l'école de Médecine toute la journée, pour l'apprentissage théorique du corps humain. Comme je le redoutais, c'est compliqué. J'aimerais tellement être de nouveau à l'hôpital ! Pouvoir visiter des patients, échanger avec le Dr Harrington et les infirmières, en un mot, appliquer enfin la théorie ! Heureusement que je recommence un stage d'observation d'ici deux mois...

Cela ne t'étonnera point, je suppose, de savoir que, lors de la pause pendant laquelle nous déjeunons, je vais me promener du côté de l'hôpital chaque fois que le temps le permet. Nous avons un début de mois de novembre plutôt doux cette année, ce qui est fort agréable.
Je commence à connaître par coeur le quartier qui va de l'école à l'hôpital et qui forme comme une petite ville au coeur de la grande cité londonienne. Je pourrais m'y installer et ne plus jamais en sortir, vu comme j'y trouve tout ce dont j'ai besoin.
Il y a un grand parc où j'aime me promener. J'aime tout particulièrement m'asseoir sur l'un des bancs près de la rue. Il est dans un renfoncement au milieu des fleurs, ce qui fait que j'ai la sensation d'être totalement perdue en pleine nature. Mais, si je me penche un peu en avant, je peux admirer le passage des nombreuses calèches et des quelques automobiles qui sillonnent la ville. Ces dernières sont fascinantes, je suis toujours admirative quand je les vois avancer sans la moindre bête pour les tracter. Si j'avais été un homme, Marguerite, je crois bien que je serais devenue mécanicien !
Il y a aussi plusieurs petites boutiques dans les rues qui longent mon parc. Il y a principalement des magasins d'alimentation. Il y a aussi un bureau de la Royal Mail d'où partent maintenant toutes les lettres que je t'envoie et un atelier de couture qui fait de très jolies robes. Je n'y suis pas encore allée, mais je crois que le style est assez différent de celle que tu as eue pour tes dix-huit ans. Si un jour tu viens me voir ici, en Angleterre, je me ferai un plaisir de te faire visiter ce quartier et ces boutiques.

Tu me manques beaucoup en ce moment. J'aimerais que tu sois là pour te faire visiter ma ville, mais aussi pour te parler de mes doutes et de mes joies par rapport à ma formation... Parfois, je t'imagine, là-bas, à Lyon, aux côtés de ta famille. Dans ces moments-là, mon imagination m'emmène aussi auprès de nos amies de Ste Ursule. J'ai entendu dire que Ludivine allait bientôt se marier, mais je ne connais pas le nom de son fiancé.
As-tu eu des nouvelles, de ton côté ? Et en as-tu eu également de Marie et Sophie ? Cela fait longtemps que je n'ai pas reçu de lettre de leurs parts.

À bientôt,
Louise

Douze décembre - Valise by Steamboat Willie

Londres, le lundi vingt-neuf août 1892

Ma chère Marguerite,

Je viens d'avoir des nouvelles de Léopoldine et sa famille. Te souviens-tu d'elle ? C'est ma cousine de Bourges, où elle vit avec son mari et ses deux enfants.
Elle a joint une photo à sa lettre. Emile est un petit gaillard robuste, j'ai du mal à réaliser qu'il a cinq ans, déjà ! Dire qu'il était tout bébé lorsque je l'ai vu pour la première fois. Sa petite soeur, Jeanne, a deux ans. Et Léopoldine attend un troisième enfant pour l'année prochaine.

Maman leur a répondu d'autant plus longuement que Léopoldine sollicitait de sa part des renseignements et des conseils. En effet, figure-toi qu'ils vont bientôt s'installer dans la région lyonnaise !
Nous avons beaucoup discuté, Maman et moi, à propos de nos souvenirs de ces lieux et de ce qui pourrait aider Léopoldine et Alban à s'installer au mieux. Il faut dire que Maman n'est passée à Lyon que pour me déposer dans notre cher pensionnat de Sainte Ursule ou pour venir me chercher, pendant mes années à tes côtés. Quant à moi... Je connais surtout ce que tu m'as raconté de la grande ville. Je n'ai de souvenirs que de Saint Cyr au Mont d'Or, finalement.  Mais nous espérons toutes deux avoir pu leur décrire un peu la région de façon assez fidèle.
Tu te rends compte que, s'ils restent là-bas assez longtemps, Jeanne pourrait peut-être aller elle aussi à Sainte Ursule ? Oh, comme ce serait amusant ! J'imagine cette petite fille, devenue jeune fille, en train de défaire sa valise pour s'installer dans le dortoir des filles. Peut-être prendrait-elle ton lit ? Ou le mien ?

Elle irait en classe apprendre les mathématiques sous la rigide férule de sœur Marie-Céline. Ou elle répéterait les règles de la bienséance avec sœur Marie-Eugénie. Penses-tu qu'elle aurait alors également la possibilité d'apprendre le français avec sœur Marie-Joséphine ? Elle était déjà âgée lorsque j'ai quitté le pensionnat, je ne sais pas si elle s'occupe encore des élèves. Peut-être qu'elle ne s'occupera plus que du potager et des messes, comme le faisait sœur Marie-Henriette lorsque nous y étions...

J'ai parfois du mal à me dire que cela fait déjà cinq ans que je suis installée à Londres ! J'ai souvent le sentiment d'avoir toujours vécu ici. D'autres fois, j'ai plutôt l'impression d'être arrivée la semaine précédente. Peut-être que cela te fera la même chose, d'ici quelques années, puisque maintenant, tu habites en Provence. Ta nouvelle région a l'air tellement différente de celle où je t'ai connue que cela ne me surprendrais pas. J'espère, en tout cas, que tu t'y plairas aurant que je me plais dans ma grande ville britannique.

Tu sais, je suis encore enchantée par votre mariage, de la cérémonie aux célébrations qui ont suivies, tout était absolument parfait. Tu étais resplendissante et ce fut un vrai plaisir d'assister à votre union. J'en garde un souvenir très ému.
Marguerite, ma chère, je te connais. Je te vois en train de sourire en lisant ces mots. Je sais aussi ce que tu te dis. Alors que tu sais parfaitement qu'il en faudra beaucoup pour me faire sauter le pas ! Je ne me vois décidément pas en femme mariée. Je veux être médecin. Et ce serait trop compliqué avec un mari. Ou alors, il faudrait qu'il accepte, qu'il comprenne. Je ne crois pas cela possible.
Je n'ai pas ta chance, après tout : il n'y a pas de prince charmant à tous les coins de rue !

Je t'embrasse affectueusement.

Ta dévouée,
Louise

Treize décembre - Santons by Steamboat Willie

Londres, le dimanche dix-huit décembre 1892

Ma chère Marguerite,

Merci ! Infiniment merci !
Grâce à toi, c'était Noël en avance chez moi...
Je dois bien t'avouer que je me sentais aussi fébrile qu'une enfant le matin de Noël.

J'ai tout de suite installé toutes ces jolies figurines dans la crèche, même si nous n'étions pas encore le quinze du mois. Je me suis tellement amusée à fouiller la paille qui les protégeait pour les sortir une à une... Et elles sont toutes parfaitement entières ! Ta mise en place dans la boîte était parfaite !
Elles sont installées sur le buffet du salon. J'ai créé deux petits groupes autour de la nativité : un couple qui vous représente, Charles et toi, et un groupe de trois adultes pour Papa, Maman et moi. Bien sûr, toi et moi sommes représentées par les deux femmes qui sont habillées des mêmes couleurs. J'ai fait et refait la mise en scène des dizaines de fois depuis que je les ai reçues et tous ceux qui sont passés à la maison les ont repérées de suite et les ont trouvées vraiment jolies.

Nous avons rangé nos personnages de cire, qui font bien mauvaise figure à côté de ces jolis santons. Je crois que Maman est un peu jalouse et qu'elle envisage déjà de passer en Provence acheter les siens, un jour ou l'autre.
En tout cas, elle m'a demandé si on les trouve toute l'année, ou seulement pendant la période de Noël ?

Ici, Noël se fête autour d'un sapin, que l'on décore de bougies, de fruits, de friandises, de petits cadeaux que l'on s'offre le soir de Noël... La dinde est de plus en plus recommandée pour le souper du vingt-quatre décembre, accompagnée de Mince pies. Ce sont des tourtes fourrées de viande ou de légumes et parfois même de sucreries. J'ai copié plusieurs recettes de ces pies, pour te les envoyer avec cette lettre.
J'ai aussi ajouté des Christmas Crackers, que l'on trouve sur les marchés londoniens. Ils sont très amusants. Tu en prends un, tu le proposes à un invité, et chacun, vous tirez dessus pour faire craquer l'emballage et faire tomber le contenu sur la table.
Il en existe une multitude, certains avec des friandises ou des noisettes, d'autres avec des petits objets, dont des chapeaux en papier. J'ai choisi de t'envoyer quelques-uns de ces derniers, car j'ai peur que les friandises ou la nourriture n'attirent les rongeurs, pendant le voyage de la boîte.

Je t'enverrai aussi des cartes de Noël. Tout le monde fait ça ici, depuis quelques années ! Il faut dire que l'on peut envoyer une carte pour un demi penny, maintenant. Et comme elles sont de plus en plus belles et de moins en moins chères chaque année, de plus en plus de gens les adoptent pour se souhaiter un joyeux noël, surtout quand on est loin...

J'espère que tout cela te plaira autant qu'à Charles !
Je t'embrasse fort et te souhaite un Joyeux Noël entre Provence et Angleterre.

Ta dévouée,
Louise

Quatorze décembre - Aïeul by Steamboat Willie

Londres, le mardi trois octobre 1893

Ma chère Marguerite,

C'est le cœur bien lourd que je t'écris.
Nous venons d'apprendre le décès de Grand-Mère. Papa a reçu un télégramme de la part d'oncle Charles ce matin à l'ambassade.

Crois-le ou non, mais j'ai commencé par pleurer.
Dire qu'elle nous a toujours fait des reproches, à Maman et moi. Je ne me souviens pas de l'avoir jamais vue me sourire ou me dire un mot gentil.
Et me voilà, pourtant, pleurant sur son souvenir.

C'est très étrange. Je ne sais trop qu'en penser. Pourquoi est-ce que je me sens autant touchée ?
Moi qui ai toujours pensé que cette annonce ne me ferai pas grand chose tellement je la trouvais exécrable... Je pensais sincèrement passer rapidement à autre chose. Évidemment, elle n'a jamais été une grand-mère aimante et je ne la pleure pas comme telle. Ce qui m'interpelle, c'est que je n'ai pas un ressenti tranché. Je ne peux pas dire que je suis effondrée et je ne peux pas non plus dire que cette nouvelle ne change rien pour moi.

C'est un peu flou, en fait. Je ne m'attendais pas à ressentir quelque chose de flou. J'avais toujours pensé que la mort d'un proche était quelque chose d'évidemment difficile, de très tranché. Ou de complètement insignifiant pour ceux qui nous importent le plus...

Sebastian sonne le souper. Je continuerai cette lettre plus tard.

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Il est vingt heures trente.

J'ai beaucoup discuté avec Maman. Elle comprend totalement mon ressenti. Elle m'a dit avoir un peu le même.
Elle n'a jamais apprécié sa belle-mère, après tout, même si elle a quand même eu de l'estime pour elle. Elle trouve que c'est comme une page qui se tourne.
Je crois que c'est une excellente façon d'expliquer notre ambiguïté à toutes les deux. Une page qui se tourne, la peur de l'après... Mélangé à une confiance sereine, je crois.

Pour Papa, c'est beaucoup plus dur.
Maman pense qu'il est d'autant plus touché que, dans la famille, il devient subitement le plus âgé. Il n'y a plus personne des générations précédentes encore en vie, dans sa lignée. Quelque part, il est « le prochain ».

Maman pense qu'il faut aller à Paris assister aux obsèques. Elles ont lieu dans trois jours, c'est très court ! J'espère que ce sera possible... Papa est reparti à l'Ambassade pour demander des billets en urgence pour Paris.

Je vais faire ma valise.
Qui sait ? Peut-être que cette lettre partira de Paris ?

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Paris, le vendredi six octobre 1893

Ma chère Marguerite,

Voilà, l'enterrement a eu lieu.

Nous avons pu embarquer à Dover hier matin et nous sommes arrivés en France après la traversée de la Manche, dans la soirée. Malheureusement, plus aucune calèche ne partait vers Paris dans la soirée. Nous avons donc trouvé une chambre d'hôtel pour la nuit et Maman a dû se résoudre à prendre le train, qui est quand même plus rapide que la calèche, pour une telle distance. Elle a même admis que cela avait quelques avantages.

Papa a envoyé un câble à son frère pour le prévenir que nous ne pourrions partir que ce matin, et arriver seulement en début d'après-midi.
Oncle Charles a fait retarder la cérémonie, de sorte que nous sommes arrivés juste à temps.

Nous n'avons cependant pas pu nous changer et nous avons assisté à la messe dans nos vêtements de voyage. Heureusement, Maman y avait songé et nous avions mis des vêtements  sombres, au cas où.
La cérémonie a été très sobre et très émouvante. Apparemment, Grand-Mère était appréciée de ses voisins.

Après quoi, pour nous éclaircir les idées, tante Zélie et oncle Charles nous ont emmenés visiter la Tour Eiffel. Je n'avais pas pu la voir quand j'étais passée par la capitale, pour venir à ton mariage, ce qui fait que je l'ai découverte seulement aujourd'hui.
Comme je comprends ta fascination lorsque tu es venue pour l'exposition universelle ! Elle est vraiment impressionnante.

Enfin, nous nous somme rendus chez Tante Zélie et Oncle Charles où ils avaient fait servir un buffet d'après cérémonie.
Je suis montée me coucher en même temps que Maman. Je me sens vidée par tout cela...

Papa et Oncle Charles sont encore dans le salon, je pense qu'ils vont discuter jusque tard dans la nuit. 

J'espère que je n'ai pas assombri ton moral avec mes histoires de deuil et d'enterrement.
Est-ce que tu pourrais m'envoyer un peu de soleil provençal ? J'en aurais bien besoin, ces prochains jours.

Je t'embrasse,
Louise

Quinze décembre - L'imagination est plus importante que le savoir by Steamboat Willie

Londres, le vendredi trente juin 1893


Ma chère Marguerite,

Voilà.
La fin de l'année approche.
Je termine également mon dernier stage de doctoresse assistante avec le docteur Benedict Harrington. Et, dans deux semaines, je recevrai mon diplôme, je pourrai m'inscrire au registre des médecins et je serai enfin une doctoresse à part entière !
J'ai, une fois de plus, tellement pu apprendre avec Benedict, c'est un médecin vraiment formidable. Je t'ai déjà dit combien je l'admire, pour sa douceur et sa patience envers les patients.  Je crois qu'il est celui qui aura le plus marqué mes études ici et j'espère devenir une doctoresse au moins à moitié aussi forte que lui.

L'idéal pour moi serait évidemment de travailler avec des collègues comme lui. Tu imagines, comme ce serait formidable ? Moi, je l'imagine parfaitement bien. Très clairement, même. Parce que le docteur Harrington souhaite fonder un cabinet, et il m'a demandé de faire partie de l'équipe médicale qui y officiera ! Je suis tellement heureuse, Marguerite ! J'ai l'impression que je pourrai continuer à apprendre pendant toute  ma vie, comme cela. J'ai donc évidemment tout de suite accepté sa proposition. Je commencerai début août. 

Même les perfidies de cette langue de vipère de Maddie McKinson ne changeront rien à ma joie ! Certes, je suis en colère après elle, mais je ferai en sorte que cela passe rapidement.
Elle a osé me soutenir que le docteur Harrington serait un inverti ! Et elle a lourdement insisté, en citant des études sur les homosexuels, comme si elle se délectait de son histoire.  Ce qui m'inquiète, c'est que ce genre de propos peuvent ternir une réputation et même parfois détruire une carrière. Pourquoi est-ce que les gens se plaisent autant à imaginer ce genre de choses, pour faire du mal ? Plutôt que de s'intéresser à ce qui est vraiment important, la personne humaine, sa valeur, le savoir qu'elle peut apporter !

En parlant de savoir, Benedict m'a confié la semaine passée un article  qu'il avait prit la peine de traduire, parce qu'il a été publié dans la langue de Goethe. Il s'agit d'une retranscription du travail du docteur Rudolf Berlin, qui compilait les travaux d'autres confrères, comme le docteur Oswald Berkhan, à propos de ce qu'il appelle la Dyslexie.  En le lisant, j'ai tout de suite pensé à Leora, qui a toujours autant de mal à lire et à écrire, malgré tous ses efforts. Car c'est cela, qu'il appelle la dyslexie : une incapacité à lire, à cause d'un problème dans le cerveau.

Je suis passée voir les McFadden, hier. Leora est une jeune fille de treize années, déjà. Nous avons beaucoup discuté, toutes les deux. Je lui ai parlé un petit peu de l'article en question. Je ne souhaitais pas insister, tellement j'avais le sentiment d'apporter une mauvaise nouvelle. Parce que, vois-tu, si Leora est dyslexique, cela veut dire que nous ne pouvons rien faire à sa condition.
Mais, contre toute attente, elle m'a demandé beaucoup de précisions et à la fin, elle a sauté dans les bras, très émue. Ce qu'elle, elle a retenu de ce que je lui disais, c'est qu'il y a d'autres personnes comme elle, peut-être des centaines, et donc, que c'est normal. Qu'elle est, sommes toutes, normale, elle aussi. Elle en a pleuré de joie dans les bras de ses parents. Ces derniers étaient aussi très émus et j'ai cru voir dans le regard de Mr McFadden une fierté nouvelle envers sa fille.

Je repense à ce moment depuis hier. Somme toute, je n'ai rien fait. J'ai juste donné une explication à ce qui fait que Leora est différente, sans solution aucune. Et pourtant, je me suis sentie aussi légère et fière que lorsqu'un de mes patients se rétablit. Si j'osais, je dirais qu'hier, j'ai soigné la famille McFadden.
Je crois que je comprends mieux pourquoi Benedict passe autant de temps avec ses patients. Il faudra que j'en parle avec lui. En fait, j'ai l'impression que, finalement, les patients ont autant besoin d'écoute et de compréhension que de soins.

Je te souhaite un bel été et attends impatiemment de tes nouvelles.

À bientôt, 
Louise, presque médecin !

Seize décembre - Cérémonie by Steamboat Willie

Londres, le dimanche trois juin 1894

Ma chère Marguerite

J'ai lu et relu ton énigme avec enthousiasme et je suis tellement heureuse pour toi, pour Charles ! Je ne le connais pas encore beaucoup, n'ayant pas eu l'occasion de vraiment parler avec lui lors de votre mariage, mais je suis sûre qu'il est aussi heureux que toi à l'idée d'accueillir votre premier enfant.
Je suis extrêmement touchée par ta marque de confiance et j'accepte, les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres, de devenir la marraine de ton premier enfant.

Bien sûr, je serai là au printemps prochain pour accueillir ma filleule ou mon filleul.
D'ailleurs, à ce propos, à quelle date est-ce que tu préfères que je vienne ? Veux-tu que je sois là pendant les dernières semaines de ta grossesse ? Pendant les premières semaines de vie de ton enfant ?
Nous pourrons discuter comme au temps de l'internat. Seigneur, j'ai l'impression que c'était hier, alors que c'est pourtant tellement loin, déjà.
Et te voilà bientôt mère à ton tour, tandis que je suis devenue doctoresse.

Je préfère quand même te prévenir tout de suite... J'ai vu d'autres bébés depuis mon passage à Bourges, notamment ceux que j'ai aidés à naître, et je suis toujours autant mal à l'aise avec eux. D'ailleurs, je dois dire que je suis bien contente que ta belle-sœur Augustine soit là pour te soutenir pendant les premiers jours de ton bébé. Je ne suis vraiment pas compétente en matière de besoins du nouveau-né.
Tu crois que ton bébé risque de m'en vouloir, si je ne suis pas très présente après sa naissance ? J'espère que non...
Heureusement, je m'entends plutôt bien avec les enfants plus âgés, quand ils commencent à bien parler. Je serai quand même une bonne marraine.

Est-ce que je dois préparer quelque chose ? Tu seras dans les préparatifs de sa naissance, tu veux peut-être un relais pour ce qui concerne la célébration du baptême.
Et qui sera mon compère ? Je suppose que vous avez choisi un ami de Charles pour être le parrain ? Est-ce qu'il habite en Provence, lui aussi ? Je pourrais avancer les préparatifs avec son aide, sûrement.
Oh, Marguerite ! Le bonheur que me procure cette nouvelle me fait raconter n'importe quoi... Ce n'est peut-être pas le moment de tout préparer d'un coup !

Nous reparlerons de toute l'organisation dans nos prochaines lettres. Après tout, comme tu le dis si bien, il y a encore plusieurs mois avant que ton bébé n'arrive... Nous avons bien le temps de préparer une magnifique fête de baptême et de nous réjouir de nos retrouvailles !

Ici, en ce moment, l'emploi du temps de Papa est très chargé.
Le Dr William Henry Waddington, l'ambassadeur, vient de rentrer en France en raison de sa mauvaise santé. Et c'est Papa qui sera son chargé d'affaires en attendant un successeur.
On pense savoir qui sera son successeur, un certain Alphonse Chodron de Courcel. Il est pour le moment en poste en Allemagne. Il faut encore que sa nomination soit confirmée par Paris et ça prendra sûrement plusieurs mois, donc Papa sera surchargé de travail au moins jusqu'au début de l'année prochaine.
Avec Maman, on pense en profiter pour visiter un peu le nord de l'Angleterre. Je te raconterai sûrement.

La future marraine,
Louise

End Notes:

Alphonse Chodron de Courcel a réellement succédé au Dr William Henry Waddington en tant qu'ambassadeur de France au Royaume-Unis.

Pour la petite histoire, il est l'arrière-grand-père de Bernadette Chirac.

Dix-sept décembre - Vieillir, c'est être vivant by Steamboat Willie

Londres, le mardi quatorze mai 1895

Ma chère Marguerite,

Kalyani va bientôt se marier.
Je me répète cela en boucle depuis une semaine. Moi qui pensais qu'elle refusait le mariage comme moi, je me rends compte que j'avais mal compris sa façon de voir les choses.
Nous avons beaucoup discuté depuis qu'elle m'a annoncé ses fiançailles et j'ai découvert que les femmes en Inde sont loin d'être aussi libres que nous... 

Il faut que je commence par te raconter l'histoire de son père. Vrikodara est fils de Maharadjah et a vécu au palais de son père jusqu'au décès de celui-ci. Le royaume est revenu au fils aîné, avec des titres divers pour les autres enfants.
En 1877, la reine Victoria a été sacrée Impératrice des Indes et depuis, tous les Maharadjas d'Inde dépendent directement de la couronne. Vrikodara gérait les échanges commerciaux de leur territoire, mais il avait aussi envie de voir le monde... Il est venu plusieurs fois à Londres pour affaires et a décidé de s'établir ici. Évidemment, cela n'a d'abord pas plu à son frère qui s'y est opposé. Kalyani ne sait pas comment son père s'y est pris, mais il a fini par avoir l'accord fraternel pour amener sa famille jusqu'ici.
Vrikodara a continué à gérer depuis Londres les intérêts commerciaux de son royaume indien, en tant que frère de Maharadjah. Mais il ne lève jamais le quiproquo lorsque les européens pensent qu'il est lui-même le Maharadjah...

Pour ce qui est du mariage en Inde, comme je te disais, les femmes sont vraiment mal loties.
Certains contrats de mariage sont conclus dès la naissance, célébrés aux huit ans des enfants et la femme rejoint son mari à sa puberté. Ce ne fut pas le cas de Kalyani, autrement, je ne l'aurais même jamais rencontrée. Toutefois, la plupart des mariages là-bas sont des mariages arrangés et les hommes sont souvent polygames. Tu te rends compte, Marguerite ? D'ailleurs, si les parents de mon amie n'étaient pas tombés amoureux après leur mariage, Vrikodara aurait sûrement pris plusieurs épouses.
Donc Kalyani aurait dû être mariée à un homme choisi par ses parents il y a déjà quelques temps. Cela ne s'est heureusement pas fait pour deux raisons. La première, c'est la distance, qui ralentit grandement le processus pour conclure un contrat de mariage de ce genre. La seconde, c'est Sunder, qui s'est toujours opposé à ce que sa soeur retourne au pays. Il a d'ailleurs le soutien de leur mère, Ujali, qui a peur que sa fille n'ait pas autant de chance qu'elle a pu en avoir.
Finalement, ce n'est pas tant que Kalyani refusait le mariage comme je le croyais, c'est plutôt qu'elle le redoutait vu les conditions dans lesquelles elle aurait dû se marier si elle avait grandi en Inde, ou si elle y était retournée pour cela.

Et puis, elle a rencontré Hurley Petty-Fitzmaurice. L'oncle de celui-ci a été le vice-roi des Indes jusqu'à l'an passé et son père est un politicien.
Les deux familles n'étaient tout d'abord pas très enthousiastes à l'annonce de leur envie de se marier, mais j'ai cru comprendre que chacun y avait trouvé des intérêts financiers non négligeables.
Du côté de Kalyani, ses parents sont heureux de savoir que leur fille restera avec eux, en Angleterre. Son oncle, le Maharadjah, a eu plus de réticences, puisqu'il voulait marier sa nièce là-bas, en Inde, à un homme qu'il aurait choisi lui-même. Finalement, Vridokara a fait valoir qu'un mariage à l'anglaise éviterait de payer une dot faramineuse et qu'en plus de cela, l'influence de la famille Fitzmaurice est suffisament grande pour que cela ait des répercussions positives sur les affaires de son royaume.

Hurley, de son côté, a dû un peu plus batailler. Finalement, n'arrivant pas à convaincre ses parents par l'argument amoureux, il a souligné le fait que la famille de Kalyani était riche, ce qui est de moins en moins le cas de la sienne. Je ne sais pas comment il a présenté les choses, mais il a fait céder ses parents.

C'est une sacrée histoire d'amour, tu ne trouves pas ?
En tout cas, de mon côté, elle m'a faite beaucoup réfléchir. Oh, ne te fais pas d'idées trop rapidement, ma très chère Marguerite. Le mariage est toujours hors de propos pour moi à l'heure actuelle.
Simplement, je me suis rendue compte que mon refus complet de la question venait aussi de Grand-Mère, quand elle passait son temps à me chercher des prétendants. Tu sais comme je déteste me faire imposer les choses !
Maintenant que cela fait longtemps qu'elle n'est plus là, je me rends compte que je suis plus sereine aussi vis à vis de la noble institution du mariage. C'est un sentiment très étrange, de se rendre compte que l'on a changé d'avis sur quelque chose qui semblait inconcevable quelques années auparavant. J'ai l'impression d'avoir vieilli, en fait. J'en ai parlé avec Kalyani qui a ri de bon coeur, avant de me dire que, après tout, "vieillir, c'est être vivant !"

Ce en quoi elle a plutôt raison. Je termine donc ma lettre sur ces sages paroles et te dis à bientôt,
Louise

End Notes:

Je me suis basée sur Edmond George Petty-Fitzmaurice pour créer la belle-famille de Kalyani.
D'après les sites historiques que j'ai consultés, on ne lui connaît pas d'enfants.

Dix-huit décembre - Provence by Steamboat Willie

Londres, le mercredi cinq août 1896

Ma chère Marguerite

Je viens tout juste de rentrer à Londres et déjà, je me languis de nos longues discussions sous le soleil provençal... De plus, le temps ici est maussade, ce qui n'arrange rien à mon humeur actuelle.
Le trajet du retour a été vraiment rapide grâce aux trains entre la Provence et Paris, puis entre Paris et le nord de la France. Je suis rentrée en moins de deux jours au lieu d'une semaine. Pour cela, je suis contente de pouvoir enfin voyager seule. Maman n'aime toujours pas l'idée de prendre le train, même si elle en a déjà pris quelques fois ces dernières années.
Vous me manquez déjà, tous les quatre. Comme j'aimerais de nouveau entendre les cigales chanter pendant l'après-midi, tout en dégustant des calissons et des navettes pour le goûter... Aller me promener avec Faustine, Zélie et toi, et regarder ma chère filleule s'extasier de ce que la nature nous offre, créer de petits bouquets pour toi et pour moi. J'ai même grande envie d'entendre à nouveau ses petits pas, quand elle se levait tôt le matin et hésitait à venir me voir dans ma chambre...
Vraiment, ce séjour a été un grand ressourcement pour moi.

La garrigue est toujours aussi belle et mystérieuse. Tous ces rochers, à perte de vue, recouverts d'une végétation aussi faible... Et de temps en temps un arbre chétif en apparence qui prend ses aises et fait monter son feuillage vers le ciel, insolent de vigueur masquée. Sans parler de toutes ces herbes qui donnent à l'air une odeur si particulière et ennivrante. Sais-tu que je suis toujours sous le charme des toiles de monsieur Cézanne, que nous avons vues exposées à l'Hôtel de Ville ? Je regrette encore de n'avoir pas acheté une de ses toiles pour me rappeler ta région, ma chère Marguerite. Je l'aurais installée dans ma chambre, au-dessus de mon lit, je crois. Mais si je l'avais achetée, j'aurais eu trop de difficultés pour la rapporter ici et je l'aurais peut-être abîmée, ce qui aurait été dommage.
Je me contente du pied de thym que j'ai rapporté dans mes valises. J'espère que celui-là tiendra plus longtemps que son prédécesseur sous le soleil londonien... Il embaume ma chambre et me rappelle, ma chère Marguerite, notre amitié partagée depuis tout ce temps.
Les champs de lavande de ton voisin, monsieur Cigliano, sont encore en quelque sorte sous mes yeux. Il a été vraiment gentil de nous laisser en cueillir dans son champ ! Je revois tous nos petits bouquets en train de sécher, tête en bas, dans ta cuisine, le long d'une des poutres au plafond... Et je me rappelle de notre après-midi à créer tous ces petits sachets de tissus pour y effeuiller nos brins séchés. Toutes mes amies, ici, raffolent de ces petits cadeaux que je leur ai rapportés. Crois-tu que monsieur Cigliano acceptera de nous en donner de nouveau, à mon prochain séjour chez vous ? À moins qu'il ne préfère les vendre, après tout.
Tu diras à Faustine que j'ai mis le petit coussin de lavande qu'elle a brodé pour moi au milieu de mes chemises et que je pense à elle tous les matins quand j'ouvre le placard.

Ta fille, ma chère Marguerite, est une enfant adorable, enjouée et toujours pleine de surprises. J'ai beaucoup aimé sa façon de s'occuper de Zélie. Elle est tellement délicate avec sa petite soeur.
Ce qui m'a le plus amusée, c'est sa façon de parler, avec l'accent provençal. Une vraie enfant du pays ! Je dois dire que je ne m'y attendais pas. Bêtement, je l'avais imaginée parlant comme toi.
Mais c'est vrai que, grandissant dans le pays de son père, c'est plus logique qu'elle prenne l'accent paternel que l'accent maternel...

Après avoir lu tout ça, je t'entends déjà me dire de venir m'installer près de chez toi...
C'est vrai que cela présenterait des avantages non négligeables. Mais je crois que je ne serais pas capable de me faire à cette chaleur tout au long de l'année, sans parler de ces petits villages, si beaux et pittoresques, mais également souvent très en pente. Oui, je sais aussi que je pourrais m'installer dans un village comme Saint Maximin La Sainte Baume, qui n'est pas du tout en pente.
Je sens simplement que je ne m'y plairais pas autant que toi. Je continuerai longtemps de déplorer que Londres soit aussi loin de la Provence, mais je reste ici...

J'envoies toutes mes amitiés à Charles et j'attends ta réponse avec grande impatience,
Louise, encore un peu sous le soleil avec toi

 

Dix-neuf décembre - Tempus fugit, irreparabile by Steamboat Willie

Londres, le jeudi vingt-cinq novembre 1897

Ma très chère Marguerite,

Aujourd'hui est le jour de la Sainte Catherine et j'ai vingt-cinq ans.
Et je suis incroyablement heureuse d'être installée en Angleterre ! Au moins, ici, je n'ai pas à être de la fête...

Je me souviens encore, lorsque j'avais sept ans et que je revenais tout juste des Indes, de ma stupeur de croiser toutes ces femmes avec ces petits bonnets moches sur la tête. Quelle idée, en plus, de les faire jaune et vert... J'avais demandé à Maman pourquoi elles avaient toutes le même chapeau ridicule. Maman avait été gênée de ma phrase. Peut-être parce que je disais que c'était ridicule.
En tout cas, elle a eu du mal à m'expliquer, si je me souviens bien. J'ai sûrement enchaîné les "pourquoi ?" que je pose en permanence lorsque je ne comprends pas quelque chose.
D'ailleurs, je ne le comprends toujours pas. Je garde toujours cette même impression de malaise quand je repense à toutes ces fameuses "Catherinettes". Voir ces femmes défiler uniquement parce qu'elle n'étaient pas mariées m'a fait peur. J'avais l'impression de voir un troupeau. Sauf qu'il s'agissait de femmes.

Et par la suite, les prières que l'on nous a apprises à faire à Sainte Catherine pour se trouver un mari. Un mari riche et gentil quand on est jeune, un qui puisse passer à vingt-cinq ans et à trente, n'importe lequel. Pourquoi donc devrions-nous abandonner nos espoirs concernant un mari potentiel, passé vingt-cinq ans ? Pourquoi devrais-je réclamer un mari tout court, d'ailleurs ? Je suis médecin, j'ai mon propre appartement en plein Londres... Je me débrouille parfaitement par moi-même, après tout !

Ah, Marguerite...
Je dois te paraître bien amère, aujourd'hui.
Je dois dire que c'est un peu le cas. Si Grand-Mère était encore avec nous, je suis sûre qu'elle ne manquerait pas de m'appeller la Catherinette sur un ton condescendant. D'ailleurs, Papa et Maman m'ont fait des réflexions à ce sujet. Ils n'ont pas parlé de Grand-Mère, heureusement, mais ils ont souligné la Sainte que nous célébrons aujourd'hui. Ce qui me laisse l'impression qu'ils ne veulent pas considérer tout ce que j'ai accompli jusqu'ici juste parce que je ne suis pas mariée...

Je te revois encore au pensionnat des Ursulines, comme j'écris ces mots.
"Louise, avais-tu l'habitude de me dire quand je m'énervais... Tu devrais en parler avec tes parents, tu sais. Je suis sûre qu'ils ne sont pas aussi méchants que ce que tu décris là..."
Tu as sûrement raison. Même si j'ai un peu peur, je l'avoue, de recevoir un discours sur le thème du temps qui passe et que l'on ne retrouve jamais... Je n'ai pas perdu mon temps en devenant médecin, après tout !

Mais je vais tout de même suivre ce conseil, en me disant qu'il vient de toi donc qu'il est forcément bon...
Nous verrons bien ce que l'avenir me réserve, après tout ?

Ta dévouée,
Louise

Vingt décembre - Londres by Steamboat Willie

Londres, le mercredi deux janvier 1901

Ma chère Marguerite,

J'espère que tu as passé de bonnes fêtes pour passer la nouvelle année. Et démarrer ce nouveau centenaire ! Maintenant que les célébrations sont passées, je me sens émerveillée et en même temps, perplexe. Après tout, nous ne faisons que changer de jour, ce ne sont que des chiffres. Et les chiffres sont des inventions humaines. Donc ces derniers jours ne sont pas censés être très différents de tous les autres jours.
Et pourtant, ces prochaines années semblent si prometteuses !
Ici, cela fait des mois, et même des années, que les journaux nous parlent du passé, des festivités et du futur. Parfois, j'avais l'impression d'être un personnage du chant de Noël de Charles Dickens, dans lequel des fantômes viennent montrer à un vieux ronchon des scènes des Noëls passés, du Noël qu'il vit et des Noëls futurs... De façon à le changer en grand-père moins ronchon et plus sympathique. Pour tout te dire, le centenaire nouveau n'était pas encore arrivé qu'ils nous parlaient déjà du prochain... Qui sera, d'ailleurs, également un nouveau millénaire. Les journalistes ont vraiment beaucoup aimé parler de comment nos descendant vivront ce changement de millénaire. Ces articles m'ont fait beaucoup rire. Peut-être effectivement que l'on peut prévoir à peu près comment sera la vie dans trente ou quarante ans... Une centaine d'années, en revanche ? Je n'y crois pas un seul instant.

Mais laissons là ces spéculations.
Pour ce réveillon, Papa et Maman avaient réservé au Criterion. C'est un restaurant et théâtre très réputé. Le nom te dit peut-être quelque chose ? Effectivement, c'est là que le docteur Watson rencontre un vieil ami et apprend que ce cher Sherlock Holmes est à la recherche d'un colocataire, point de départ de toutes leurs aventures. Tu comprends mieux pourquoi ils ont choisi cet endroit-là plutôt qu'une autre, n'est-ce pas ?
Le repas était délicieux, dans l'ambiance feutrée et luxueuse du restaurant... Je vous ferai découvrir, la prochaine fois que vous pourrez venir me voir.
Après cela, nous sommes allés au théâtre. Nous avions pu avoir des places au balcon, ce qui nous a permis de suivre la pièce au plus près de la scène. Il s'agissait d'une comédie romantique : Chris et la lampe merveilleuse. Nous avons ainsi suivi les aventures de Christopher, un jeune homme qui découvre la lampe merveilleuse d'Aladdin, et demande au Génie de l'aider à sauver sa dulcinée, enfermée dans un pensionnat de jeunes filles.
Nous avons beaucoup ri en voyant le Génie semer la pagaille en effrayant les amis de Christopher et faire ce qu'il pouvait pour l'aider... Malgré ses nombreuses maladresses. À la fin, j'ai trouvé le pensionnat fort rude et difficile, surtout comparé aux Ursulines. Papa plaisantait en disant que les pensionnats anglais semblaient bien plus stricts qu'à Lyon. Et puis, enfin, vers la fin de la soirée, Christopher a pu faire sortir Queenie avec l'aide du Génie et ils ont pu se marier.
Quand les lumières se sont rallumées, Papa a salué les spectateurs installés au balcon en face de nous. Je n'ai d'abord pas compris pourquoi, puisque je n'ai reconnu personne que nous ne connaissions. Il s'agissait en fait de Mister Herbert Wells, bien connu pour ses récits fantastiques, comme L'homme invisible ou L'île du Docteur Moreau.
Nous sommes sortis à vingt-trois heures passées. Il ne faisait pas trop froid, aussi avons-nous suivi la foule des londoniens qui se dirigeaient vers les quais.

Et nous avons assisté à un magnifique feu d'artifice, tiré depuis des barges qui naviguaient sur la Tamise.
Elles se déplaçaient en même temps que les feux étaient tirés, ce qui fait que le ciel s'est illuminé de mille couleurs sur leur passage. Nous les avons vues arriver vers nous, puis nous dépasser. Nous ne savions plus où donner de la tête tellement il y avait de choses à voir. Sur l'eau, comme dans le ciel. J'ai même été prise de vertiges, lorsque j'essayais de voir autant les fusées exploser dans le ciel que leurs reflets sur le fleuve. La file de barges s'était étirée ce qui fait, en plus, qu'il y en avait partout autour de nous.
C'était vraiment le clou de la soirée. J'aurais tellement aimé que tu sois là avec moi, Marguerite, pour partager ce fantastique moment avec toi. 

Lorsque le feu d'artifice s'est terminé, tout le monde s'est souhaité un bon centenaire...
Et nous sommes rentrés, épuisés.

Je vous souhaite à tous une très belle année et que toutes les suivantes vous soient prospères !
Je vous embrasse bien fort,
Louise

 

Vingt-et-un décembre - Mythe by Steamboat Willie

Londres, le jeudi vingt-quatre janvier 1901

Ma chère Marguerite

Comment allez-vous, Charles et toi ? Et ma filleule ? Et Zélie et Joseph ?
J'ai l'intention de venir pour les huit ans de Faustine, si tu veux bien. Et je te laisse décider si tu lui en parles ou si tu lui laisses la surprise ! J'ai trouvé une très jolie boite de dominos. Ce sont des tuiles avec des chiffres représentés par des points, de un à neuf. Il y a deux chiffres par tuile et il faut les poser en mettant deux chiffres identiques côte à côte... Je vous montrerai quand je serai là.
J'aimerais bien aussi l'initier au Backgammon, mais je ne sais pas si Charles serait d'accord. C'est un jeu où il faut mener tous ses pions sur les lignes de départ de l'adversaire. C'est un de mes jeux préférés, mais il est également interdit parce que la plupart des joueurs misent sur l'issue de la partie. Et tu sais que les jeux d'argent sont prohibés...
Est-ce que tu peux en parler avec Charles pour décider et vérifier si vous pouvez posséder un de ces jeux ?

Je t'écris aussi pour partager mon émotion. Figure-toi que tout l'empire britannique est actuellement en deuil : La reine Victoria s'est éteinte il y a deux jours. L'Europe a perdu sa grand-mère, comme disent les journaux. Mais, peut-être que vous ne parlez pas d'elle ainsi, en Provence ? La grand-mère de l'Europe. Tout simplement parce que dans beaucoup de monarchies européennes, tu trouves ses enfants ou petits-enfants.
C'est un choc pour toute la Grande-Bretagne, et peut-être aussi pour beaucoup de gens à travers le monde. Elle est là depuis tellement longtemps... Soixante-quatre ans ! J'ai du mal à imaginer de quoi le futur sera fait...
Elle incarnait les idéaux britanniques en matière de religion, de politique et de société. Et elle a tellement fait pour la paix ! Elle aurait même annoncé son refus de déclarer la moindre guerre, il y a des années... Elle a fait du mieux qu'elle a pu pour tenir ce souhait, même si l'Empire Britannique est toujours en guerre en Afrique du Sud à l'heure actuelle.
Je pense sincèrement que cette reine incroyable deviendra bientôt un mythe à travers les livres d'Histoire...

Il y a quatre ans, j'avais assisté à son Jubilee, tu te souviens ? J'avais manqué de peu le Golden Jubilee, pour ses cinquante ans de règne, dix ans auparavant, mais il paraît qu'il était tout aussi impressionnant. Une procession royale avait défilé dans Londres, avant d'arriver à la Cathédrale St Paul, où une célébration a eu lieu. Je n'y ai pas assisté, parce que les invités étrangers avaient été choisis parmi les dignitaires des pays de l'Empire britannique. J'ai cru comprendre que la reine Victoria n'aimait pas trop les relations diplomatiques, surtout en grand nombre comme ce genre de cérémonie peut générer.
Nous étions invités chez des amis qui ont une vue parfaite sur Cannon Street. Le défilé était magnifique, avec tous les cavaliers venus des quatre coins de l'Empire... Je sais que je t'ai déjà raconté tout cela, mais j'ai tellement de bons souvenirs de cette journée que je ne résiste pas à recommencer...

J'attends ta réponse pour l'anniversaire de Faustine avec grande impatience !

Ta dévouée,
Louise

Vingt-deux décembre - Faire passer les personnes avant les choses by Steamboat Willie

Londres, le vendredi huit mars 1901

Ma chère Marguerite,

J'ai quelque chose de très important à te raconter. Car ce qui m'arrive est vraiment incroyable... Moi-même, je n'en reviens pas.
C'est pour cela que j'ai tant tardé à t'en parler jusqu'à présent. J'espère que tu ne m'en voudras pas.

Je vais essayer de te raconter tout cela de manière cohérente et censée. J'ai l'impression que tout a commencé il y a quelques mois par un évément qui aurait pu sembler banal. John Turner, le cousin d'une des infirmières de l'hôpital, m'a proposé une sortie au cirque en sa compagnie. Tu sais comme j'aime les acrobates et les clowns, j'ai accepté sans méfiance. Ce fut une erreur... Effectivement, en guise de cirque, il s'agissait d'une exposition de phénomènes de foire. Oui, Marguerite, tu as bien lu ! Il m'a emmenée voir des êtres humains différents de nous, exposés dans des cages. Quand j'ai vu où nous étions, je me suis sentie très en colère. Mais John, lui, n'a strictement rien vu du malaise que j'éprouvais !
Et, pour parachever le ridicule de cette journée, ce triste sire m'a fait part de son intention de demander ma main à Papa. Soeur Marie-Clarence, qui me tançait tant pour mon attitude durant ses cours sur la Bienséance, serait fière de moi. Je n'ai même pas essayé de le frapper, malgré ma très forte envie. Au lieu de cela, je me suis lancée dans un discours duquel il ressortait que je ferai une bien piètre épouse. J'ai tellement bien fait qu'il est rentré chez lui persuadé d'avoir échappé au pire.

Et, même si j'étais débarrassée de lui, j'étais toujours en colère le lendemain. À tel point que Benedict a rapidement fait une pause dans ses consultations pour discuter avec moi et m'aider à me calmer.
Et nous avons, depuis, beaucoup discuté. De moi, principalement, mais aussi de cette règle implicite et totalement injuste qui veut qu'une femme soit forcément mariée. Et de toutes les conséquences pour une femme célibataire et heureuse de l'être comme moi. À commencer par les prétendants qui pensent régulièrement me rendre un grand service en me demandant en mariage !
À un moment, nous avons même abordé le genre de mari idéal pour moi. Benedict et moi en riions beaucoup. Quelles qualités feraient d'un homme un bon mari pour moi, Louise de Bois-Héraud, femme médecin et refusant le mariage ? Ah, Marguerite... Je t'entends déjà commencer une liste. Un homme qui me laisse exercer mon métier, un homme qui ne veut pas d'enfant, pour commencer, n'est-ce pas ?
Forcément, à un moment, nous en sommes venus à parler de la femme parfaite pour Benedict, qui est tout autant célibataire que moi, et tout aussi heureux de l'être. Contrairement à moi, il ne se bat pas contre une armée de prétendantes prêtes à lui passer la bague au doigt, mais contre ces vilains ragots, dont je t'ai déjà parlé, et qui causent malheureusement grand tort à son travail.

Et puis, il nous est venu une idée saugrenue et totalement folle. J'imagine que tu as déjà deviné, n'est-ce pas, ma chère Marguerite ?
Après tout, Benedict et moi nous entendons bien depuis toujours. Nous n'avons jamais cessé de travailler ensemble et nous sommes tous deux très contents de cette association. Ni l'un ni l'autre ne souhaite se marier, malgré les pressions de ceux qui nous entourent. Ni l'un ni l'autre ne souhaite avoir d'enfant.
Cela fait de chacun de nous le conjoint idéal de l'autre, finalement. Nous pourrons enfin nous consacrer pleinement à nos patients, sans avoir à gérer les réactions agaçantes de ceux qui ne comprennent pas nos choix de vie. Et comme nos salaires seront mis en commun, cela nous donnera plus de moyens pour développer nos idées pour améliorer nos consultations.
Contrairement à Charles et toi, ce sera un mariage de raison. Pour autant, je ne sais si je te fais sentir à quel point cette idée me convient réellement, et combien j'en suis heureuse. 

La cérémonie aura lieu le cinq août prochain ; nous enverrons l'invitation une semaine après cette lettre.
J'aimerais que tu sois ma première demoiselle d'honneur. Kalyani a déjà accepté d'être la seconde, et elle a vraiment hâte de te rencontrer enfin !
Et Benedict et moi souhaitons que Faustine nous apporte les alliances lorsque nous serons devant l'autel. J'aurai confectionné un petit coussin sur lequel nos alliances seront fixées. Benedict se chargera de faire tomber la mienne avant de la passer à mon doigt. C'est une croyance, ici : l'alliance qui tombe fait fuir les mauvais esprits et cela porte chance aux époux.

À très bientôt,
Louise, future Mrs Harrington

Vingt-trois décembre - Téléphone by Steamboat Willie

Londres, le samedi vingt-trois novembre 1901

Ma très chère Marguerite,

Je suis tellement heureuse que vous ayez pu venir assister à mon mariage, cet été ! Je remercie une fois de plus tes beaux-parents d'avoir bien voulu embaucher du personnel pour remplacer Charles le temps de votre déplacement. J'étais tellement émue quand j'ai vu Faustine nous apporter nos alliances, à l'église...
Je n'ai pas osé lui dire, devant son bel enthousiasme à cette idée, qu'il y avait peu de chances que j'ai des enfants un jour, Benedict et moi n'en désirons vraiment pas pour le moment. Nous sommes bien trop pris par notre travail à l'hôpital et on ne se voit pas arrêter de travailler ensemble, ce qui serait forcément le cas si je tombais enceinte.  J'ai un excellent contact avec les femmes qui viennent consulter au Free Hospital et je fais mon possible pour améliorer leur quotidien. Je n'ai aucune envie d'arrêter pendant plusieurs mois !
La ligue pour la vertu continue de nous chercher des misères, cette fois-ci en essayant de fourrer son nez dans mes dossiers. Ils essayent de prouver que j'aide mes patientes à avoir des moyens de contraception. Enfin bon. Ils peuvent toujours fouiller, ils ne trouveront rien.

Tout ça pour dire qu'il faudrait que je trouve une remplaçante avant de pouvoir envisager une grossesse sereine et que ce ne sera pas demain la veille...

 

En attendant, la vie avec Benedict s'installe paisiblement dans notre chez-nous londonien. Nous avons évidemment dû embaucher du personnel.

Il y a Bartholomew Pabst qui est maintenant notre majordome. Bartholomew est une vraie perle, un parfait gentleman tout ce qu'il y a de plus discret. C'est un ancien camarade de classe de Benedict, qui a abandonné la médecine après la première année. Il n'avait pas vraiment les moyens de continuer et surtout, il n'était pas sûr, s'il s'endettait, d'arriver au bout de la certification et donc de pouvoir rembourser les dettes. Il a eu bien des soucis depuis pour trouver un emploi qui l'intéressait vraiment. 

Benedict et lui ont gardé le contact tout ce temps. Il a régulièrement embauché Bartholomew pour divers travaux chez lui ou à l'hôpital. Je l'ai toujours apprécié et nous nous entendons bien, tous les trois. C'était donc logique que nous l'embauchions quand il a envisagé de devenir majordome !

 

Et Dorothy Wheeler est notre nouvelle bonne à tout faire. Enfin, bonne à tout faire... Elle travaille avec Bartholomew. Elle s'entend tellement bien avec lui qu'ils se partagent les tâches qui leur incombent comme bon leur semble. On ne sait plus bien, Benedict et moi, différencier les charges de la bonne des charges du majordome, parfois !

Là où ils m'amusent le plus, tous les deux, c'est quand le téléphone sonne. Ça n'arrive pas souvent et le plus généralement, c'est un appel de l'hôpital pour Benedict ou moi. Mais aucun des deux n'apprécie cette invention, plus si nouvelle que cela ! Dans ces cas-là, ni l'un ni l'autre ne se précipite, au point qu'il m'est déjà arrivé de répondre à leur place à tous les deux !

Charles et toi avez-vous pu convaincre les parents de ce dernier que le téléphone était une bonne chose ? Si tel est le cas, pourras-tu me raconter comment vous avez fait ? J'espère fortement réussir à les réconcilier avec ce si pratique appareil...

 

À bientôt, ma chère Marguerite,

Louise.

Vingt-quatre décembre - Attente by Steamboat Willie

Londres, le samedi vingt-six juillet 1902

Ma très chère Marguerite,

Aujourd'hui aurait dû être un jour de liesse pour le peuple anglais. Benedict et moi devrions être chez Kalyani à l'heure actuelle, pour voir passer le cortège du roi Edward VII jusqu'à l'abbaye de Westinster, où il doit être couronné, maintenant que la période de deuil de Victoria est passée.
Le peuple anglais se préparait d'ailleurs avec beaucoup de fébrilité depuis des semaines à fêter le couple royal. T'ai-je déjà parlé de l'épouse d'Edward VII ? Alexandra vient du Danemark. Son père était assez éloigné de la succession, mais il a quand même été choisi (je t'avoue que je n'ai pas bien compris cette histoire de transmission du titre au Danemark). C'est ainsi qu'elle est devenue une princesse et que son mariage a pu être arrangé avec Edward. Ils se sont mariés en 1863. Alexandra avait dix-sept ans et Edward, vingt-deux.
Les journaux nous parlent aussi depuis des mois des chargés des festivités. J'ai lu de très bons articles sur le vicompte Esher, par exemple. Il est le chef du comité du couronnement et il a aussi géré le Jubilee de Victoria auquel j'ai assisté, en 1897. Les journaux nous ont présenté aussi le directeur musical de l'Abbaye, sir Frederick Bridge... Comme tu peux le voir, le couronnement d'une reine ou  d'un roi, ici, c'est une institution qui mobilise tout le pays !

Il y a trois jours, Paul Cambon, l'ambassadeur français, a participé à un souper avec le roi, la reine et plusieurs autres dignitaires britanniques et de tous les pays. Le soir-même déjà, les journaux parlaient d'un roi pâle et qui s'appuyait fortement sur sa canne. Et monsieur Cambon a confirmé à Papa que le roi semblait faible au cours du dîner.
Peu de temps après, la nouvelle a parcouru tout le royaume. Le roi souffre d'une pérityphlite. C'est-à-dire qu'il risque de rapidement faire une péritonite. Il a été pris en charge par les meilleurs de mes collègues, comme tu t'en doutes.

Hier, il semblait aller mieux et pouvoir assurer la cérémonie du couronnement. Mais finalement, dans la soirée, une opération a été annoncée comme nécessaire.
Oh, Marguerite ! C'est si dur d'attendre de ses nouvelles, dans cette ambiance plombée par la crainte. Je sais qu'on a fait de gros progrès face à cette maladie aussi terrible que fulgurante, mais les pronostics ne sont généralement pas bons. J'espère sincèrement que le roi récupérera bien de son opération et que rapidement, on pourra le couronner. Ce serait tellement terrible de perdre un nouveau roi moins de dix-huit mois après son accession au trône. Avant même son couronnement !

Parfois, je me dis qu'en tant que française, je ne devrais pas être aussi affectée par les affaires de la grande-bretagne. Mais je dois bien avouer que je me sens maintenant plus britannique que française et que mon coeur vibre à l'unisson de ceux de mon mari et de tous les citoyens anglais.
Je vais te laisser. Benedict et moi allons voir si nous pouvons glaner quelques informations sur la santé de notre roi...

Je te réécrirai dès que j'en saurai plus.

Affectueusement,
Louise

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