Histoires Fragmentées by The Night Circus
Summary:


Comme tous les ans sur le Héron, le compte à rebours vers la nuit la plus noire et la plus scintillante de l'année se fait en racontant des histoires... 


Héron de l'avent 2017


(c) image : Man Ray, modifiée par moi


Categories: Tragique, drame, Historique Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Calendrier de l'Avent du Héron 2017
Chapters: 24 Completed: Non Word count: 9707 Read: 100454 Published: 20/11/2017 Updated: 24/12/2017

1. 1er Décembre : Va Pensiero by The Night Circus

2. 2 Décembre : Le corbeau by The Night Circus

3. 3 Décembre : La Pastresso by The Night Circus

4. 4 Décembre : Un accroc dans la soie du ciel by The Night Circus

5. 5 Décembre : Pour Quelques dollars de plus by The Night Circus

6. 6 Décembre : Bourgeon d'Arlequine by The Night Circus

7. 7 Décembre : Douduk by The Night Circus

8. 8 Décembre : Pris au mot by The Night Circus

9. 9 Décembre : La recluse by The Night Circus

10. 10 Décembre : Acide Amertume by The Night Circus

11. 11 Décembre : Samouraï by The Night Circus

12. 12 Décembre : Jeff + Catie = amour by The Night Circus

13. 13 Décembre : Holler boys by The Night Circus

14. 14 Décembre : Du sang dans les vignes by The Night Circus

15. 15 Décembre : Les lèvres sucrées by The Night Circus

16. 16 Décembre : Sosban Fach by The Night Circus

17. 17 Décembre : Charlotte et Aseel by The Night Circus

18. 18 Décembre : Sautez, Dansez ! by The Night Circus

19. 19 Décembre : La prière by The Night Circus

20. 20 Décembre : Le monstre du fond du Bayou by The Night Circus

21. 21 Décembre : Le grand mutilé by The Night Circus

22. 22 Décembre : A travers des océans de sable by The Night Circus

23. 23 Décembre : Paris, Ville lumière by The Night Circus

24. 24 Décembre : La Parade Arc-en-ciel by The Night Circus

1er Décembre : Va Pensiero by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà, coup d'envoie de mon troisième (déjà !) Calendrier de l'Avent du héron, sur le thème "En avant la musique" !

Va Pensiero

 

Les voix mêlées du chœurs tiennent la note pure, légère et insaisissable, puis tombent doucement dans le silence alors que la main de Ricardo se referme, comme s'il tenait dans son poing les fils qui relient chaque mélodie de Nabucco.

Le théâtre de Rome explose alors en cris et en applaudissements ; sur scène la chorale en costume pâle, blême sous la lumière des projecteurs, fait face à la foule mouvante plongée dans l'obscurité peuplant le balcon, les loges, le parterre et le paradis. Le chef d'orchestre attend patiemment, le visage concentré et calme, que l'ovation s’apaise, mais les cris et les « encore » pleuvent comme les giboulées de mars. Aucun air ne peut faire battre le cœur des italiens plus fort que le « va pensiero », et le public le clame à plein poumons : Viva Verdi, Viva Italia !!!

Alors, brisant toutes les règles de l'opéra, Ricardo, lorsque le calme revient, réponds :

-Oui, Vive l'Italie, je suis d'accord avec ça.

Jamais personne n'interrompt une pièce de la sorte, mais la foule ondule, prête à s'enflammer derechef.

-J'écoutais ce refrain, reprend-t-il, avec un calme souverain, « O mia patria bella, si bella e perduta » et je me suis dit, si le gouvernement continue à sacrifier la Culture aux coupes budgétaires, alors oui, notre patrie sera « belle et perdue ». Tuer la culture est un crime. Alors oui, nous allons reprendre le « Va pensiero » ; mais, ici, à l'opéra de Rome, nous sommes un peu tout à la maison, alors je voudrais que tout le monde le chante avec nous en guise de protestation.

Le chef d'orchestre se permet un sourire avant d'ajouter :

-Et en rythme !

Dans une nouvelle explosion jubilatoire, le public se lève alors que l'orchestre reprends la musique ; des sourires immenses éclairent tous les visages, l'opéra tout entier chante à s'en crever les poumons et les tympans. Tous les italiens présents connaissent chaque mot, chaque note : « Va pensiero » est plus grand que Nabucco, plus grand que Verdi, c'est l'hymne officieux de l'Italie, de ses millénaires d'histoire, de sang, de chanson et de poésie.

Sur scène, les larmes coulent sur les joues des chanteurs, traçant des sillons dans leur maquillage ; à l'instar de cette culture que l'on mutile et que l'on tue, ils ressemblent un peu à des fantômes ; mais face à eux, bien réelles et bien vivantes, les silhouettes noires du public se découpent sur les dorures du théâtre, sur le fond écarlate des balcons et du paradis, et pour un peu, on se croirait dans un film de Viscontti.

 

Une tramontane d'allégresse souffle dans l'Opéra de Rome, et elle est chargée de révolte et d'histoire

End Notes:

Comme beaucoup (mais pas toutes) des histoires que j'ai eu envie de raconter cette année, ceci s'es tréallement passé, le 12 Mars 2011, à l'opéra de Rome, et c'est sans doute une de mes vidéos préférées qu'on peut trouver sur Youtube ! Déjà parce que j'aime Verdi d'amour, ensuite parce que suite à ça, les coupes dans le budget aloué à la culture qui avaient été annoncées quelques jours plus tôt ont été annulées. (comme j'écrivais de tête et que je ne parle pas Italien, le discours de Muti est considérablement réduit dans mon texte). 

Je vous laisse le lien, si vous êtes curieux : 

https://www.youtube.com/watch?v=G_gmtO6JnRs

 

2 Décembre : Le corbeau by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà le thème du "Corbeau" ! 

Charleston

Un gel éternel règne sur ce petit bout de terre, du moins dans le cœur des hommes. Lorsque la neige recouvre les pierres, son blanc n'a rien de pur ; il glace le sang. Lorsque l'automne fait tomber ses feuilles d'or, elles pourrissent avant d'être belles ; l'été n'est qu'une sécheresse nauséabonde ; le printemps est interdit.

 

Aujourd'hui, sur le promontoire en son centre, un drôle de corbeau danse.

 

Sans musique, devant un auditoire si silencieux qu'on pourrait presque entendre les battements des cœurs de ces spectateurs interdits, qui ne savent que dire ni que penser. Dans leur cœur est chevillée le même fiel qui meut Julius. Ils comprennent.

 

Tout vêtu de noir, les traits déformés par la fureur, il danse, avec urgence et frénésie ; ses bras battent l'air comme la plus étrange des corneilles ; ses pieds fous frappent la terre, l'emportant dans un charleston électrisée par la haine et qui ne le soulage pas une seule seconde. Sa muette virevolte ne ramènera pas les morts. Mais il ne peut pas s'arrêter pour autant, alors il continue.

 

Julius a fait se tordre de rire jusqu'aux planches des plus grands théâtres de Broadway, il a conquis tout Hollywood avec ses réparties cinglantes ; même ceux qui n'ont jamais entendu parler de lui le connaissent un petit peu, sans le savoir ; mais aujourd'hui, si loin de l'Amérique, tout cela est dérisoire, futile. Sa danse aussi est dérisoire, et pourtant elle bourdonne, l'étouffe, et il ne peut s'arrêter avant d'avoir fini les mesures qui résonnent dans sa tête et vrillent ses tempes.

 

Alors, ses bras retombent le long de son corps ; tremblant de sueur il descend de son promontoire et retourne d'un pas vif vers la voiture qui l'a emmené ici. Le corbeau a refermé ses ailes, et, le bec serré, lui d'habitude si cinglant, il s'envole, sans un regard en arrière, sans un adieu aux ruines du Bunker dans lequel Hitler s'est suicidé.

 

 

End Notes:

Encore une fois, ceci est une histoire vraie, et c'est celle de Julius Marx, plus connu sous le nom de Groucho, le plus célèbre des Marx Brothers, dont voici la bouille : 

Le combo lunette, moustache sourcils est si connu que vous avez déjà du le croiser !

Américain d'origine française et plus précisément alsacienne, il avait découvert lors d'un voyage en Europe que la tombe de ses grands parents avait été saccagée et détruite, à l'instar de toute la partie juive du cimetière où ils étaient enterrés, et sa réaction a été celle que je raconte si-dessus. 

Voili voilou pour ce second texte, on se retrouve demain pour le suivant !

3 Décembre : La Pastresso by The Night Circus
Author's Notes:

Et voici le thème "Le clocher des Perdus" 

La pastresso


 


La Pastresso parcourt la vallée sans se lasser, malgré les perles de brume glaciales qui s'accrochent à son châle et à sa jupe, rondes comme des graines de chapelet. Elle chante à mi-voix pour se donner du courage ; son sourire est doux et un rien rêveur.


La Pastresso est une bergère sans chèvres et sans moutons, qui ne marche dans les plaines et les forêts que par mauvais temps, à la recherche de fantômes.


Autrefois, la coche des perdus sonnait au sommet du campanile sitôt que la brume se levait et à la manière d'un phare envoyant ses signaux aux bateaux égarés dans la tempête, elle ramenait au village les voyageurs surpris par les intempéries. Mais la cloche a été fondue pour une guerre depuis longtemps avalée par le temps et la traître et brumeuse vallée avait avalé d'innombrables âmes.


Alors les pleurs avaient commencé, les sanglots longs des perdus, des oubliés, et la Pastresso qui avait enterré ses neuf enfants les entendaient mieux que quiconque. Elle pouvait aussi entendre la sonner cloche, qui n'existait pourtant plus, sitôt que la brume se levait.


Alors elle avait commencé à arpenter les forêts et les vallées pour retrouver les pauvres fantômes perdus, les consoler et les guider.


 


La Pastresso file, inlassable ; le cuir de ses chaussures craque sous la pluie, son sourire est tendre de chimères ; insaisissable elle glisse entre les arbres et les gouttes, humant l'odeur de la mousse et de la terre humide ; et à bien la regarder avant qu'elle ne disparaisse dans un nuage, elle semble un peu spectrale elle-même.  

End Notes:

Rien d'historique aujourd'hui ! j'espère que ça vous aura plu !

4 Décembre : Un accroc dans la soie du ciel by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà le 4ème thème : "Côtes Normandes" !

Un accroc dans la soie du ciel

 

Piquez vos aiguilles dans le lin, tendez vos fils de laine et brodez, brodez, brodez.

 

Comme une flèche brillant de mille feux, la comète traversa le ciel piqueté d'étoiles du joli mois de mai, éclairant brièvement mais comme en plein jour les pâturages et les rives de Normandie, et la lumière de la lune parut bien terne en comparaison.

Les hommes étaient habituées aux nuits noires, et peut-être y trouvaient-ils un réconfort, si effrayantes soient-elles. Le soleil éclaire jour après jours tant de vilenie qu'il devait être reposant au crépuscule de voir l'ignominie du monde se noyer d'ombres.

 

Piquez vos aiguilles dans le lin, tendez vos fils de laine et brodez, brodez, brodez.

 

La comète était un trouble dans la soie du ciel qu'on ne s'expliquait pas et ceux qui détournèrent les yeux de peur d'être frappés par quelque malédiction furent témoins d'un étrange événement. Tout au long des côtes de la Normandie les brumes qui caressaient les rivages et épousaient le ressac de l'eau sur le sable prit la forme de bateaux de guerre prêts à voguer vers la perfide Albion ; ils apparurent de plus en plus nettement sous les étincelles de la queue de la comète.

On distinguait les mâts, les voiles, les capitaines, les chevaliers en armure, les jeunes mousses aux visages couverts de tâches de rousseur ; et le son des cors et des gutturaux chants de guerres se mélaient à la mélopée irrégulière et infinie des vagues.

 

 

Piquez vos aiguilles dans le lin, tendez vos fils de laine et brodez, brodez, brodez. Racontez la comète, racontez ses fantômes et ses prophéties, racontez la trahison du roi Harold et sa défaite, racontez Guillaume le Conquérant, racontez la bataille de Hastings. On oubliera vos noms, vos visages et vos voix, le travail de vos mains restera.  

 

Isti mirant stella

End Notes:

Peut-être l'aurez vous compri, j'évoque ici la célèbre tapipsserie de Bayeux, qui représente entre autres le passage de la comète de Halley en 1066, à l'époque considérée comme un mauvais présage (en tout cas pour le Roi Harold puisqu'il a été vaincu par Guillaume le Conquérant quelques temps après le passage de ladite comète). 

5 Décembre : Pour Quelques dollars de plus by The Night Circus
Author's Notes:

5ème jour, 5ème texte : voici le thème "Palimpseste" ! 

Alors, au cas où : 

 

Palimpseste : Oeuvre dont le support peut laisser supposer ou apparaître des versions antérieures et/ou les traces d'une oeuvre plus ancienne et partiellement effacée. 

Pour quelques dollars de plus

 

Quatre nouveaux visages ont remplacé ceux des six grand-pères. Ces derniers ont été fracassés, au burin, à la pioche, à l'explosif ; on a brisé leurs os sans le moindre état d'âme et même avec un peu de mépris. Tout ça pour quoi ?

Pour quelques dollars de plus.

La Montagne Noire était belle ; elle était vivante, sacrée, elle vibrait, splendide et naturelle. Chaque coup de pic est une blessure restée ouverte, chaque entaille faite à la roche est un viol perpétuel. Les six grand-pères des Lakhotas et des Sioux n'avaient pas besoin de ressembler aux hommes ; ils respiraient dans le roc, les arbres, les animaux ; aujourd'hui on les reconnaît à peine sous les traits de Washington, Jefferson, Roosevelt et Lincoln.

 

Existe-t-il plus hideux, plus abominable palimpseste que celui du Mont Rushmore ?  

End Notes:

Oui donc voilà, je suis partie dans le palimpseste architectural en quelque sorte, le mont Rushmore a été bâti sur un lieu particulièrement sacré pour les indiens. L'origine des visages sur le mont Rushmore en plus c'était uniquement la réponse à la question "comment attirer des touristes et faire des sous dans ce coin perdu". A savoir qu'il avait été promis aux indiens que cette montagne sacrée ne serait jamais touchée... 

J'avais un peuuuu eu la gerbe en aprenant ça. L'avant dernier conservateur du mont rushmore était indien, il avait fait beaucoup pour rétablir l'histoire de la réserve (qui a longtemps été cachée) mais bon... voilà voilà :) 

6 Décembre : Bourgeon d'Arlequine by The Night Circus
Author's Notes:

Et voici le thème "Saut-de-chat" !! 

Bourgeons d'Arlequines

 

Des rubans de soie rouges et dorés décorent les badines avec lesquelles les Arlequines frappent le sol pour réveiller la terre gelée par les frimas de l'hiver.

Comme le sourcier à la recherche de rivières souterraines avec son morceau de bois un rien magique, elles tapent; leurs chaussons noirs et fins moulent leurs pieds dansants et semblent crier dans leurs rapides caresses « Réveilles-toi Printemps ! »

Pas de polka, pas de polka ; les baguettes tourbillonnent et frappent encore, les danseuses glissent sur le sol pour le réchauffer tout en faisant mine de semer.

Saut de chat à gauche, changement de talons, saut de chat à droite, changement de talons ; le joyeux quadrille soulève les jupons de tulle noire et les collerettes assorties ; les jupes aux couleurs éclatantes jouent avec la brise, les tricornes sombres menacent de s'envoler ; les perce-neiges pointent le bout de leur nez, suivis par les jonquilles.

Pas frappé, moucheté, dégagé, moucheté, fouetté ; pas tombé, moucheté jeté, moucheté, jeté, piqué-pointé, assemblée ; jupes et jupons s'affolent ; les mimosas embaument, les amandiers sont en fleurs les prunus et les cerisiers aussi.

Pas de polka, écart, entrechat, pas de polka, écart entrechat, brisé, entrechat, brisé, entrechat ; toujours plus haut les Arlequines s'envolent, leurs jupes tourbillonnent ; pomme, poires, cerises, prunes, pêches et abricots brillent au soleil comme le plus précieux des trésors.

 

Les applaudissements saluent la danse et le charme est rompu; le sol est toujours dur, un peu de neige grise s'accroche encore aux tuiles rouges des maisons, mais doucement, la sève du printemps réveillée par le Carnaval recommence à bouillir sous la surface de la terre.  

End Notes:

L'arlequine est l'une des danses de Carnaval qui, traditionellement, marquent la fin de l'hiver et le début du printemps. 

Cette danse en particulier commence ras du sol, les pas des danseuses vont progressivement "vers le haut" pour symboliser les plantes qui repoussent. 

7 Décembre : Douduk by The Night Circus
Author's Notes:

Voilà pour le thème de l'évasion, sur un thème que je ne suis vraiment pas sûre de maitriser :/ 

 

Le douduk est un instrument à vent d'origine arménienne, dont le son me fascine !

Douduk.

 

Tu es haute comme trois pommes, tu te dandines comme un homme ivre en habillant les murs de la maison d'éclats de rire, cherchant à échapper aux chatouilles de tes frères et aux mains de ta mère. Tes petits pieds frappent le sol avec un enthousiasme débordant, tes genoux manquent de ployer sous ton équilibre aléatoire, mais tu tiens bon.

C'est ton grand-père qui t'arrêtes net dans ta course vacillante, sans même le savoir. Quelque part à l'étage, enfermé dans la bibliothèque, il souffle dans son douduk, ses longs doigts pianotent doucement, presque sensuellement, sur le bois d'abricotier, et une mélodie grave et voluptueuse, dans laquelle on entendrait presque souffler le vent de son Arménie natale, résonne dans toute la maison.

 

Tes mains sont trop petites pour le douduk, et d'ailleurs on te l'a souvent répété : ce n'est pas un instrument pour les femmes. Les trous qui percent le bois sont trop espacés, tes mains sont trop menues pour couvrir toute la flûte. On t'as bien suggéré d'apprendre à jouer du haut-bois, ça s'en rapproche bien assez, mais non, ton obsession, c'est le Douduk, alors tu persévère, une moue boudeuse plissant les traits de ton visage d'enfant.

Ton grand-père te manque terriblement.

 

Les notes ne sont pas parfaites, la mélodie vacille et s'éteint parfois, mais tu progresses. Ton Grand-père, lui, pouvait jouer les yeux fermés. Il pouvait écouter une musique, une fois, deux fois, et la reproduire presque sans faute, le front ridé par la concentration. Un jour, tu en es certaine, tu seras comme lui, mais il y a tellement de paramètres à prendre en compte : le rythme, le souffle ; tu n'a jamais fait d'algèbre alors ta compréhension des partitions a quelque chose de simple qui alourdit encore ta musique. Mais lorsque tu joues, tu t'échappes, tu oublies tout, parce que les do et les fa, les clefs de sol et les dièses envahissent ton esprit sans laisser de place à quoique ce soit. Pas même au regard intense et brûlant de ce bel adolescent que tu croises tous les jours dans les rues d'Alep, et qui t’obsède jour et nuit.

 

Tu sais jouer aujourd'hui.

 

D'innombrables mélodies s'échappent de ta bouche, plus souvent que les mots ; c'est devenue ta seule façon de parler, de t'exprimer, dans ce pays du nord qui ne parle pas ta langue. Seule ta musique éteint un peu, l'espace de quelque minutes, le bruit des bombes, les canonnades, les cris, les hurlements. Les yeux fiers et tendres du beau garçon que tu aimais ont disparu, ta maison aussi, et puis tes frères. Ton douduk aussi ; tu n'a plus que tes lèvres pour chanter l'Arménie de ton grand-père et la Syrie de ta mère.  

8 Décembre : Pris au mot by The Night Circus
Author's Notes:

8ème jour, 8ème thème : "Souvenirs d'Hiver" !

 

Pris au mot

 

-Je me souviens de mon hiver, monsieur le commissaire, disait Adrien, calme, droit comme un i, sa chemise blanche poisseuse de sang et de sueur. Je me souviens de mes rotules qui grinçaient et ne me soutenaient plus, de mon dentier qui ne cessait de tomber. Je me souviens des douleurs dans mon dos, dans mes bras, dans mes cuisses, je me souviens de mon crâne chauve et de mes yeux presque aveugles.

Le commissaire, muet, mal à l'aise, était parfaitement immobile, à l'exception du pouce et de l'index de sa main droite, qui tapotaient un stylo sur une pile de papier, rythmant sans le faire exprès la voix fluette de son interlocuteur à une allure effrénée.

-Je n'arrivais même plus à bander, ça m'obsédait, parce que j 'ai pas beaucoup baisé dans ma vie. J'avais raté quelque chose.

Le taptap du stylo s'interrompit ; la mâchoir du commissaire le faisait souffrir tant elle était tendue ; pour autant il n'osa pas parler, quand bien même un goût acide et acre de bile brûlait le fond de sa gorge. Les yeux d'Adrien étaient limpides et clairs comme un ciel d'été ; ses traits étaient purs, nets, finement ciselé. Il se pencha au dessus du bureau, son regard faussement innocent soudain très intense:

-J'ai fait un pacte avec le diable, souffla-t-il avec le sourire espiègle d'un enfant qui ne sait pas jauger la portée de ses actes. Douze ans de jeunesse contre mon âme.

Adrien envoya son corps gracile en arrière avec un rire sans joie.

-Je me suis fait avoir. Il m'a prit au mot et m'a fait renaître.

-Il y a douze ans, souffla le commissaire presque malgré lui.

-Il y a douze ans, répéta l'adolescent. J'étais vieux, j'ai voulu retrouver le feu et la luxure de la jeunesse. Pendant douze ans j'ai été piégé dans un corps d'enfant. Ma vie touche à sa fin, alors je me suis dit autant user mon âme jusqu'à la corde, et envoyer autant d'esprits que possible me précéder en enfer. Peut-être que j'y serais accueilli comme un petit prince, ou tout au moins un marquis.

Les yeux verts du commissaire étaient vrillés sur Adrien, pourtant le contempler lui donnait la nausée. En vingt ans de carrière, il n'avait jamais vu pire carnage que celui provoqué par cet adolescent à la gueule d'ange.

-Ne me regardez pas avec ce dégoût naïf, c'est très incommodant, surtout de la part d'un homme de votre âge et de votre profession. Il n'existe pas d'innocents, seulement des coupables qui s'ignorent. Mais je vous donnerais tout de même un conseil : Belzebuth est malin. Lorsque vous passerez un pacte avec lui à votre tour, pesez le moindre de vos mots...

-Pourquoi je passerais un pacte avec Belzebuth ? l'interrompit le commissaire, dans un état second.

Le visage du gamin s'étira alors en un sourire sadique, qui déforma ses traits et le rendirent hideux.

-Parce que je vais vous expliquer comment faire. Et que cette formule restera gravée au fer rouge dans votre cerveau, pour le restant de votre vie. Cette nuit, je vais mourir, parce que mes douze ans de... d'arrêt de jeu touchent à leur fin. Pour l'instant vous me croyez fou, bon à être enfermé, mais lorsque vous verrez demain, ce petit corps partir pour la morgue, vous comprendrez que je ne vous ai pas menti. Et lorsque vous serez vieux comme je l'étais, fatigué de ce monde injuste et cruel, et que vous voudrez le voir brûler... Vous céderez, comme moi avant vous, et comme celui qui m'a donné le secret des enfers avant moi. C'est une chaîne de damnation vieille comme le monde et que vous ne pourrez pas briser...

Le commissaire voulait plaquer ses mains contre ses oreilles, crier, quitter la pièce en courant, fuir la compagnie de ce môme fou à lier et qui le terrifiait, mais il resta immobile, la bouche ouverte et les yeux écarquillés, écoutant Adrien verser son poison dans son oreille, comme ensorcelé.

 

 

 

End Notes:

J'espère que mon "apprenti Faust" vous aura plu !

9 Décembre : La recluse by The Night Circus

La recluse

 

Loin, très loin sous la terre, au fond d'un tunnel vertical, elle vit enchaînée, immobile, nue. Ses côtes mordent sa peau, ses dents sont pourries et gâtées, ses yeux jaunes et presque aveugles ; personne à la surface n'entends ses gémissements, ni le lourds cliquetis de ses chaînes. Ces dernières se brisent de temps à autre et alors elle grimpe le long du mur, à la manière d'une gigantesque et monstrueuse araignée.

Génocides, camps de la mort, crimes de guerres, exactions, viols, larmes, bile, horreur et angoisse ; lorsque le voile qui les recouvre se déchire et révèle ces horreurs aux yeux du monde, elle se précipite vers la surface.

Elle glisse d'abord sa tête hors du puits, avec ses lèvres noires et ses yeux infestés de maladies. Suivent ses épaules maigres, ses seins hideux, deux pauvres tétines auxquelles personne ne se risquerait à s'accrocher, un bassin creux et vide, et des jambes jaunes, poisseuses et squelettiques.

Elle tourne doucement le visage vers le soleil, ferme les yeux et sourit, assise sur la margelle, alors que nous la contemplons avec effroi et stupeur.

Pourtant, aussi révulsés puissions-nous être, nous n'apprenons rien d'elle. Sitôt qu'elle sort de notre champ de vision, elle se désincarne, et si nous ne l'oublions pas tout à fait, elle se réduit à quelques lignes noires sur les pages blanches des livres d'Histoire, et perds sa substance.

Alors, la Vérité retourne pourrir au fond du puits.

 

Elle sait, et nous aussi, qu'elle n'en sortira jamais que pour mieux y retourner.   

End Notes:

Et voilà pour le 9ème thème, la vérité sortant du puit !

10 Décembre : Acide Amertume by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà le 10ème thème, "Tournent les violons"

 

Acide amertume

 

Paul, accoudé à la fenêtre, respirait l'air du crépuscule. Loin de l'humidité des couchers de soleils de son Somerset natal, les brises brûlantes de l'Afrique semblaient écorcher ses poumons. Avec des gestes lents, le médecin bourrait sa pipe à tabac, parfumant subtilement l'air du soir.

Derrière lui, on dansait, on jouait aux cartes, on s'agitait ; n'eut été la chaleur, on se serait cru en Angleterre. Les colons avaient emmené leurs femmes, leurs filles, leurs dentelles fines, leurs violons laqués et recréé sous des latitudes bien trop arides pour leurs peaux laiteuses de parfaits salons londoniens.

Et la haine bouillonnait dans la poitrine de Paul, plus acide que les vents qui balayaient la terre, plus grinçante et étouffante que les tempêtes de sable des déserts qu'il avait traversés pour venir jusqu'ici. Le médecin, pourtant en apparence placide, avec son impeccable moustache noire et ses grands yeux bleus au regard pensif, ne supportait plus l'Afrique. Il ne supportait plus la vérité putride et ignominieuse qu'elle criait tous les jours à son visage à la peau craquelée par le soleil. Ses mains étaient perpétuellement couvertes de sang, ici tentant de recoudre un estomac, là taillant une jambe, ici une main gagnée par la gangrène. Ce matin-là, un môme qui ne parlait que dans le charabia incompréhensible du Yorkshire lui avait claqué entre les doigts. Il pouvait encore voir sous ses paupières closes ce petit visage pointu, bleuté par la mort, ces tâches de rousseur et cet uniforme écarlate qui lui allait trop grand.

Et le soir même, il était sensé s'amuser, divertir l'épouse du colonel, valser avec ses trois filles délicates comme des poupées de porcelaine, au son de ces violons infernaux importés d'Angleterre.

Paul espérait voir le soleil craqueler leur vernis, rompre leurs cordes et enflammer leurs archers.

La nuit était tout à fait tombée à présent, et les yeux du médecin étaient incapables de percer l'obscurité opaque de la brousse ; s'il voulait observer quelque chose, n'importe quoi, il lui faudrait bientôt se tourner pour affronter les virevoltes des jupons et les sourires des officiers.

Paul préférait contempler le néant.

Et, surtout, l'écouter.

Loin, loin dans la nuit, les zoulous chantaient, et Paul voulait que leurs chants l'enveloppe tout entier, à la manière d'un linceul peut-être.

Certes, ils infligeaient les blessures qu'il soignait, ou tentait de soigner, jour après jour, mais il semblait au jeune homme qu'il agirait de la même façon si sa patrie était en danger, alors malgré tout ce qu'on lui disait il n'arrivait pas à les blâmer. Les violons grinçaient derrière lui, pour l'amusement des vrais coupables, que Paul vomissait de toute son âme ; leur musique s'affolait, comme si elle tentait de combattre avec sa virtuosité superficielle les lointaines voix de l'Afrique.

Le médecin, le visage toujours masqué par une expression aimable, laissa un mépris intense glisser de sa tête vers sa colonne vertébrale à la manière d'une sueur glaciale. Les voix zouloues, disparates et unies, le prenait aux tripes, là où les violons et les altos le laissaient de marbre. Il ne trouvait pas la musique africaine simple pour autant ; elle lui semblait profonde, comme une voix qui l’interpellait non pas du fin fond des âges ou des entrailles de la terre, mais de son propre ventre.

Paul posa le front sur le dos de ses mains, qui reposaient toujours sur le rebord de la fenêtre, laissant échapper sa fidèle pipe qui tomba dans le jardin avec un bruit mat rapidement avalé par les musiques qui s'élevaient de toute part. Son cœur s'affola, mais il refusa de bouger.

Il voulait entendre les violons s'éteindre lorsqu'il s’effondrerait.

Le gamin de ce matin-là n'était pas mort sous les coups de machette des zoulous, il s'était éteint dans la putréfaction écœurante du choléra. Paul ne s'était pas désinfecté, ne s'était pas lavé. Il avait nettoyé le corps du petit soldat avec patience, la gorge serrée par une haine qu'il ne parvenait plus à juguler, et n'avait parlé du malade à personne. Dans un état second, sans réfléchir à la morale de ce qu'il faisait, il avait répondu à l'invitation du colonel et s'était présenté chez lui baigné par la maladie.

Plusieurs spasmes le parcoururent, et il tomba brutalement sur le sol, tremblant et fiévreux, les lèvres barbouillées de salive et de bile. On poussa des hurlements, on s'agita, on tenta de faire revenir le médecin à ses esprits.

 

Les violons cessèrent leur ronde avec un cri grinçant, et l'infini terrible effara son œil bleu.*

End Notes:

* extrait du poeme "Ophelie" d'Arthur Rimbaud (mais avec "son" au lieu de "ton").

11 Décembre : Samouraï by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà pour le onzième thème, Vieux Lyon ! 

Samouraï

 

Kaneko avançait doucement sur les pavés des rues de Lyon, faisant attention à ce que l'ourlet de son kimono de soie ne traîne pas sur le sol irrégulier. Sa petite fille, vêtue d'un jean et d'un polo aux couleurs de son équipe universitaire, marchait lentement à ses côtés, une ombrelle en dentelle étendue au-dessus de leurs têtes.

-Ici, c'est ce qu'ils appellent un bouchon. C'est comme un restaurant je crois, mais je ne suis pas certaine d'avoir saisi la différence entre bouchon et restaurant. La nourriture est très étrange au début, mais quand on s'y habitue ce n'est pas mauvais du tout !

Kaneko hocha la tête en souriant, silencieuse, encore étourdie par le voyage. En 80 ans, c'était la première fois qu'elle quittait le japon.

-Si vous le désirez, nous pourrions y souper. Il existe bien quelques endroit qui servent de la nourriture japonaise mais...

Himawari grimaça avec dégoût, et Kaneko rit.

-Ce serait avec plaisir, répondit la grand-mère.

Un large sourire se peignit sur le visage de sa petite fille, qui s'interrompit devant une porte en bois semblable à toutes les autres.

-Par ici, dit-elle.

Kaneko, surprise, regarda de chaque côté de la vieille rue en pierre.

-Nous rendons visite à des amis à toi ?

-Non, non, répondit Himawari, une expression excitée et mystérieuse sur le visage, accompagnant sa grand-mère jusqu'à la porte dont elle tourna la poignée.

Une ruelle s'enfonçait dans les profondeurs des maisons, cachées à ceux qui n'en connaissaient pas l'entrée.

-C'est un passage secret en quelques sortes, expliqua la jeune femme. Ça s'appelle une Traboule. Deborah m'a raconté que pendant la guerre, les habitants s'en servaient pour échapper aux ennemis.

La bouche de Kaneko forma un O parfait, son visage ridé comme la peau d'une vieille pomme transformé par l'émerveillement. Himawari, ravie de son effet, ferma son ombrelle avant de monter la marche et de tendre la main à sa grand mère pour l'aider à avancer.

Elles marchaient, bras dessus bras dessous, si doucement que l'écho de leurs pas se discernaient à peine.

Kaneko contemplait à la dérobée le profil de sa petite fille. Lorsqu'elle avait quitté Tokyo pour poursuivre ses études universitaires en France, mue par la passion pour le rugby que lui avait transmise ses frères, Takeshi, le fils aîné de Kaneko, lui avait dit avec fierté que sa fille était la digne héritière de la vieille famille de samouraï tombée dans l'oubli dans laquelle elle était née. Kaneko avait détesté cette idée. Elle avait haï l'idée du corps frêle de Himawari écartelé et roué de coups par jeu, et avait longtemps refusé de la voir. Et puis, deux mois plus tôt, malgré son jeune âge, Himawari avait été sélectionnée en équipe nationale ; l'honneur était tel que Takeshi avait supplié sa mère d'accepter de se rendre au stade. Kaneko avait fini par céder ; quoiqu'elle refusât à l'époque de l'admettre, sa petite fille lui manquait. Elle avait passé presque toute la première mi-temps le bras levé devant les yeux, la manche de son yukata dissimulant le terrain, tremblant à l'idée de voir sa petite fille malmenée. Et puis elle avait entraperçu le visage de Himawari : belle ; vivante, heureuse, féroce, comme embrasée par un bonheur fou. Son âme d'acier trempé transperçait son regard.

Dans l'obscurité de la traboule, Kaneko repensait à tout cela, et, émue, elle serra dans sa main celle de sa petite fille avec douceur et maladresse.

 

Lorsqu'elles quittèrent le long tunnel pour retrouver le soleil éblouissant de l'extérieur, Kaneko ne voyait plus rien du vieux Lyon, elle n'avait d'yeux que pour le sourire éblouissant de Himawari, qui regardait droit devant elle.  

12 Décembre : Jeff + Catie = amour by The Night Circus
Author's Notes:

Déjà la moitié !!! 

12ème thème : Auto-tamponneuse

Jeff + Catie = amour

 

Jeff trépigne. La queue est incroyablement lente. Comme d'habitude, dans ce monde de zombies. Il grommelle, se tourne vers Catie, et marmonne :

-Ils devraient demander un certificat de fraîcheur pour les autos-tamponneuses. On poireauterait pas aussi longtemps.

Catie n'a plus d'yeux depuis longtemps, mais son visage, ou ce qu'il en reste, n'a rien perdu de son expressivité, et il se transforme instantanément en une spectaculaire moue de jugement. Jeff a l'impression que même la famille de vers qui a élu domicile dans la joue de sa douce le blâment pour tous les malheurs du monde. Catie est si drôle, si vive d'esprit, qu'il oublie souvent qu'elle est morte 147 ans avant lui, et que son état de putréfaction s'en ressent. Il faudra d'ailleurs bientôt monter à la surface manger quelques cerveaux pour se rafraîchir, mais plus tard, les deux tourtereaux ne manqueraient la fête foraine pour rien au monde.

Lorsque leur tour arrive enfin, Jeff saute prestement dans une voiture rose vif ornée de marguerites, alors qu'il faut presque dix minutes à Catie pour grimper dans la sienne, et près d'une demie heure à un zombie tellement vermoulu qu'on ne distingue plus son genre, et dont la mâchoire se décroche littéralement lorsqu'il, ou elle, s'assoie.

Et zouiiiii, les auto-tamponneuses zombies sont parties. Jeff, comme un chien fou, fonce et rebondit de tous les côtés ; Catie, plus fragile et plus précautionneuse mais plus roublarde, avance et recule avec de brusques changements de rythme, esquivant les attaques comme une chef et impactant ses adversaires lorsqu'ils y perdront le plus.

Un bras vole, bientôt suivie d'une rate, et d'un scalp. Catie, pourtant l'une des plus rabougries, ne perds pas un seul morceau, Jeff en revanche, chien fou qu'il est, y laisse une oreille et trois doigts.

Lorsque le tour de manège prends fin, la seconde phase du jeu commence : les zombies se précipitent vers les morceaux d'anatomie éparpillées un peu partout pour en ramasser le plus possible et les dissimuler aux quatre coins de la fête foraine ; dans deux semaines, les zombies les plus lents hanteront encore le coin à la recherche de leur foie ou de leurs orteils. Jeff s'élance, prêt à courir et ramasser des morceaux pour deux ; du haut de ses presques cent cinquante ans de décrépitude, Catie manque d'agilité pour cet exercice.

La vénérable zombie sourit, aux anges. Elle se fiche bien que ses amies ne comprennent pas son affection pour ce petit jeune, la traitent de couguar ou autre noms plus grossiers encore.

 

Jeff et Catie sont heureux ensembles et c'est tout ce qui compte.  

End Notes:

Bon, j'avoue, ce texte là était particulièrement silly, et j'en voudrais à personne de ne pas avoir rit !

13 Décembre : Holler boys by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà pour le 13ème Thème : Charivari !

Charivari

 

Holler boys, holler boys, make the bells ring, make the bells ring.

 

Bang, bang, Owain frappait deux casseroles l'une contre l'autre ; juché sur les épaules de Richard, il haranguait la troupe d'étudiants avec un grand sourire, ses yeux brillants de malice. Un nuage de peur et de percussions flottait tout autour d'eux ; les six garçons les plus robustes tiraient et poussaient une énorme charrette de bouse avec un enthousiasme débordant.

Et ils chantaient à plein poumons.

 

Holler boys, holler boys, make the bells ring, make the bells ring.

 

Stephen faisait ses valises, les mains tremblantes de peur et de rage. Il fourra une veste sans la plier dans son sac, la ressortit aussitôt en se demandant si elle n'est pas trop légère, est par conséquent superflue, pour là où il allait. Là où il allait... dans un mouvement de fureur incontrôlée, il arracha une partie de la manche ; le son des coutures qui craquaient ne lui apportèreent aucun soulagement. Ses yeux étaient injectés de sang, ses joues violacées par la haine ; un silence de mort était tombé sur la maison, même les domestiques avaient fuit. Tout était de sa faute à Elle. Il leva les yeux vers le portrait de son épouse, saisit la bougie éteinte posée sur la commode la plus proche, et avec des gestes rapides et violents écrasa la cire sur son visage, comme s'il la poignardait, encore, encore et encore. Il interrompit soudain son geste : il devait fuir, sans plus tarder.

Le Charivari était en route, et il venait pour lui.

 

Holler boys, holler boys, make the bells ring, make the bells ring.

 

Clare, assise à côté du lit de sa sœur, lui lisait Jane Eyre. Emily, malgré la douleur et les os brisés, souriait. La voix de de son aînée était belle, douce et profonde, elle l'apaisait, au moins un peu. Quelque part dans la ville, une foule d'étudiants frappaient des poêles à frire et des plateaux en métal les uns contre les autres.

Clare suspendit sa phrase un instant ; de la fenêtre de sa chambre, dans la petite maison plantée en haut de la colline, elle pouvait voir les toits de la ville s'étaler comme une mer d'ardoises rutilantes. Le soleil brillait encore dans un ciel parsemé de nuages blancs et dodus, et les clameurs du charivari leur parvenaient, de plus en plus fort.

Les deux sœurs échangèrent une regard.

Clare sourit faiblement, le cœur encore ravagé par la vue des blessures d'Emily. Cette dernière ferma les yeux, douce, immobile, brisée ; alors sa sœur reprit la lecture, lui tirant un nouveau sourire.

 

Holler boys, holler boys, make the bells ring, make the bells ring ! There is a man in our town who often beats his wife, so if he does it anymore, will put his nose right out before ; Holler boys, holler boys, make the bells ring, make the bells ring. *

 

 

 

 

End Notes:

Au 17ème siècle, en Angleterre (et aussi en France d'ailleurs) existait une espèce de "justice populaire" qui à travers des charivari punissait les hommes qui battaient leurs femmes, entre autres.  Bon ici je suis restée dans une histoire guère ambigüe, mais c'est un sujet assez épineux en vrai puisque du moment que quelqu'un était soupçonné de quelque chose qui ne plaisait pas (adultère ou même pardon d'adultère. Genre si un homme était cocu et décidait qu'il en avait rien à fiche, il pouvait se faire harceler jusqu'à ce qu'il accepte de "punit sa femme", et n'importe quoi qui ne plaisait pas en général, hop, charivari dans la tête du "coupable".  

 

*Holler boys, Holler boys, faites sonner les cloches ! Il y a un homme dans notre ville qui bat souvent sa femme, alors s'il recommence on lui cassera le nez, Holler boys, Holler Boys, sonnez les cloches !

14 Décembre : Du sang dans les vignes by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà pour le 14ème thème : 7 de trèfle !

 

Du sang dans les vignes

 

Le 7 de trèfle était une gamine. Une môme de dix-sept ans avec ces grands yeux bleus qu'ont parfois les siciliennes ; elle était longiligne, sa peau portait le hâle intense des petites filles qui ont toujours vécu sous le soleil brûlant de la méditerranée ; ses cheveux, épais et dorés, étaient coupés à la garçonne, en boucle courtes qui donnaient l'impression que sa longue nuque était interminable.

 

Le 7 de trèfle avait été abattu d'une balle dans le crâne, a 7h51, le 12 Août 2017, alors qu'elle traversait en vélo les vignobles luxuriant à l'est de Palerme.

Pour les uns, c'était une victoire, l'extraction d'une épine dans le pied de plus en plus douloureuse et affûtée ; pour les autres, c'était le symbole amer de la toute puissance d'une organisation meurtrière que Hollywood avait rendue bien trop romantique.

 

Chacun savait que la jolie frimousse du 7 de trèfle ne serait jamais vengée, que ses assassins, impunis, continueraient à respirer, à rire, à chanter. C'étaient eux qui l'avaient affublée de ce sobriquet, le 7 de trèfle. Ils donnaient à leurs hommes de mains des cartes à jouer à l'effigie de leurs ennemis, pour qu'en jouant au poker leurs traits s'impriment dans la rétines des meurtriers ; elle était le 7 de trèfle. Elle l'avait su, avait porté le surnom avec fierté, et avait continué de les dénoncer, de les traquer, de se battre, sans relâche.

 

Sa mort ne leur avait rien coûté, alors ils n'avaient pas hésité, et les frissons de révolte qui avaient parcouru Palerme sous son impulsion s'étaient éteints dans un gémissement plaintif.

 

 

Mais à la nuit près de sa tombe, entre le thym et le romarin, des inconnus masqués d'ombre venaient posé sur le marbre des cartes à jouer, et lui promettre dans un murmure plus doux que les chant des grillons que le combat n'était pas terminé.  

End Notes:

Et voilà voilà ! Rien d'histo ici mais tout de même un mélange de choses que j'ai entendues à droite à gauche. 

Le coup des cartes avec des target dessus n'est en revanche pas du tout quelque chose que j'ai pu lire par rapport à la mafia, mais l'armée américaine en Irak. J'ai retenu l'idée pour le thème, mais j'avais pas très envie d'écrire sur la guerre d'Irak, du coup j'ai transposé ça à la mafia !

15 Décembre : Les lèvres sucrées by The Night Circus
Author's Notes:

15ème thème : Fruits Confits ! 

 

Les lèvres sucrées

 

L'horloge de grand-père rythmait l'après-midi d'un tic tac lourd et solennel ; un rideau de pluie incessante tambourinait sur les fenêtres et le petit cottage semblait isolé du temps.

Le feu diffusait une chaleur douce et une odeur réconfortante, enveloppant gentiment Mary et Claude. Si la situation n'avait pas été aussi étrange, la jeune femme aurait probablement dodeliné de la tête, alanguie ; mais, le dos droit, sa broderie abandonnée sur les genoux, elle ne pouvait s'empêcher d'observer, les yeux écarquillés, les fruits confits qu'elle avait sortis pour distraire son invité en attendant que son père ne rentre du laboratoire officiel qu'il occupait en ville.

Les confiseries s'élevaient dans les airs, luisaient, vertes, rouges, oranges, à la lumière des lampes à gaz, et puis disparaissaient lentement, morceaux par morceaux.

Claude était invisible.

Mary ne savait pas exactement ce qui s'était passé, ni quelle folie avait bien pu prendre son père et l'assistant de ce dernier pour tenter pareille expérience, mais, hypnotisée, elle ne pouvait lâcher du regard la fine et brillante trace de sucre qui flottait quelques centimètres au dessus du col de l'habit de Claude et qui marquait l'emplacement de ses lèvres.

Les bandages qu'il portait sur le visage pour dissimuler sa condition étaient posés sur ses genoux ; dans l'intimité du salon, face à une jeune fille qui connaissait son secret, il laissait sa chair dénuée de toute couleur respirer.

Le cœur battant, Mary pensait à toutes ces choses qu'elle n'avait jamais pu murmurer à l'oreille de Claude. C'était un beau jeune homme lorsqu'elle était petite fille, et si le temps commençait à blanchir ses cheveux, du moins avant qu'ils ne disparaissent, ses yeux bleus n'avaient rien perdu de leur vivacité ; son dos était toujours droit, son sourire toujours aussi humble et malicieux, son maintien toujours aussi noble, et aucun garçon de l'âge de Mary n'avait su capter l'attention de la jeune fille comme lui le faisait.

Elle remarqua soudain que Claude avait arrêté de manger; il était parfaitement immobile, ou tout du moins, son costume l'était. Elle ne pouvait pas deviner ce qu'il regardait, mais les grains de sucre abandonnés sur les lèvres invisibles l'obsédaient.

 

-Je voudrais vous embrasser.   

End Notes:

Après le fantôme, Faust, et les zombies, voilà l'homme invisible, haha ! 

16 Décembre : Sosban Fach by The Night Circus
Author's Notes:

Pour le 16ème thème, "Pot-au-feu" un petit texte inspiré de façon totalement inconsciente par le chant gallois "Sosban Fach"; c'est en relisant le texte que je me suis rappelée de Sosban Fach et que j'ai réalisé à quel point c'était tout pareil. du coup je trouve plus correct de le mentionner ! 

Pour ceux qui connaissent "Le château ambulant" de Miyasaki, le livre sur lequel le manga est basé a été écrit par une galloise, et la chanson préférée de Calcifer est celle-ci !

 

https://www.youtube.com/watch?v=0_aM4Ar73j0

 

Sosban Fach

 

Dans la marmite pendue au-dessus de l'âtre, un pot-au-feu mijote gentiment. Ses arômes embaument la petite maison ; il cuit depuis si longtemps que son odeur parfume jusqu'aux poutres et aux bois des plinthes. Le feu ronronne, craque et chante, mêlant sa musique à celle des myriades de petits bulles éclatant à la surface du bouillon. Le chat rode dans les environs, le bébé hurle de toutes ses forces ; Sarah suce les gouttes de sang perlant sur son index à cause d'un mauvais coup d'aiguille ; Adrien bourre sa pipe, Julie mets la table, les jumeaux jouent avec des cubes en bois, Lison trie les légumes qu'elle ajoutera demain au potage, Nicholas essuie ses bottes crottées sur le paillasson.

Insensible et joyeux, le pot-au-feu chante.

 

Dans la marmite pendue au-dessus de l'âtre, un pot-au-feu mijote gentiment, son parfum épouse celui du feu de bois et imprime en silence au fond de l'âme des enfants une odeur de chez soit.
Le chat a sauté sur le manteau de cheminée et observe le bouillon et la viande avec des allures de prédateurs ; le bébé a grandit, il s'appelle David et court partout sur les tomettes rouges de la cuisine. Sarah a installé un pare-feu pour éviter qu'il ne se brûle ; Adrien n'est pas encore rentré, Julie s'est mariée, les jumeaux s'appliquent à faire leurs devoirs en tirant la langue, Lison découpe les légumes qui remplaceront ceux qui ont déjà été dévorés, Nicholas fredonne en l'aidant.

Insensible et joyeux, le pot-au-feu chante.

 

Dans la marmite pendue au-dessus de l'âtre, un pot-au-feu mijote gentiment. On a enterré le chat depuis longtemps, David embrasse sa mère, le visage dur, son uniforme fatigué ; Sarah ferme les yeux, profitant de l'étreinte de son fils ; Adrien attends son tour. Julie, vêtue de noir, pleure un peu. Les jumeaux sont morts à la guerre, et bientôt David repartira et Adrien suivra. Nicolas et sa belle voix de baryton ont disparu depuis sept mois. Lison n'est pas encore rentrée ; elle remplace ses frères dans les champs. David respire enfin un peu, et sourit presque aux odeurs de chez lui.

Insensible et joyeux, le pot-au-feu chante.

 

La marmite n'est plus accrochée au-dessus de l'âtre ; Sarah ne prépare plus le pot-au-feu.

On a oublié le chat, David n'est jamais revenu, Adrien non plus ; Julie est partie, Lison aussi.

La petite cuisine, froide et grise, est hantée de souvenirs.

 

Le bébé courait partout, les jumeaux jouaient aux cubes, Julie rêvait d'être une princesse, Lison d'indépendance ; Sarah et Adrien étaient heureux, Nicholas et le pot-au-feu chantaient sans s'arrêter.

17 Décembre : Charlotte et Aseel by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà pour le thème "Verjus" qui m'a bien rendue chèvre alors que c'était l'un des miens ! 

 

Le verjus est le jus extrait de raisins qui ne sont pas encore mûrs et était particulièrement utilisé dans la cuisine médiévale. 

Verjus

 

Charlotte et Aseel

 

Les vignes étaient plus hautes que les deux petites filles qui marchaient seules entre les raisins. Charlotte avait grandi là toute sa courte vie et connaissait chaque racine, chaque allée par cœur ; Aseel, elle, découvrait le verger en silence, ses grands yeux noirs écarquillés. Le soleil rasant de la fin de l'après-midi nimbait les cultures d'une lumière d'or fondu ; les milliers de particules de poussières soulevées par le pas des deux gamines sur le chemin brillait de blanc entre le vert vif des feuilles de vigne.

Charlotte et Aseel se tenaient par la main, la première, un peu plus haute que la seconde, babillant sans s'arrêter.

-Là tu vois, le raisin est pas encore mûr, mais dans deux mois pleins d'amis de papa viendront l'aider à le ramasser et quand ça sera fini il y aura une grande fête et on pressera le raisin pour faire du jus, on pourra en boire c'est très bon. Papa et Maman le transforment en vin après ; ça on a pas le droit d'en boire parce qu'on est trop petites.

Aseel écoutait avec attention, les sourcils froncé par la concentration ; elle ne vivait en France que depuis quatorze mois et même si elle avait vite apprit cette langue étrangère à la force des choses, le débit presque ininterrompu de la blondinette était difficile à suivre.

Charlotte entraîna sa nouvelle petite sœur vers une vigne lourde de petits raisins d'un vert très vif, presque translucide, et ronds comme des ballons, tout bombés ; avec un petit bruit sec elle décrocha un grappillon qu'elle souleva pour le faire briller au soleil.

-Ils ne sont pas encore mûrs mais ont peut les manger, expliqua-t-elle.

-Tu es sûre ? demanda Aseel, une moue intriguée sur le visage.

-Oui, mais pas beaucoup sinon on va être malades. Regarde !

La gamine croqua un raisin puis se mit à grimacer et sauta sur place avant de déglutir ; Aseel, pour la première fois depuis longtemps, éclata de rire, naturellement, sans s'en rendre compte.

-C'est très acide ; se justifia Charlotte, j'aime bien. Tu peux goûter si tu veux !

-Je veux bien !

Aseel mit le fruit dans sa bouche et le pressa contre son palais avec sa langue, le faisant éclater ; elle grimaça et frémit, et les deux petites filles éclatèrent de rire derechef.

 

Leur hilarité fit pépier un merle ; un lièvre détala à quelques pieds de vigne de là ; le soleil enveloppait avec douceur le verger, au creux duquel deux sœurs se découvraient et une belle amitié prenait racine.  

End Notes:

J'espère que ça vous aura plu ! :) 

18 Décembre : Sautez, Dansez ! by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà pour le thème "La danse des heures" !

Sautez, Dansez...

 

A l'aube, la première heure s'étire, sourit à l'Aurore, puis saute sur ses pieds et se mets à danser.

Première heure de l'humanité, première heure d'une journée, première heure d'une vie, qu'importe : la première danse est un tour sur soit-même, puis un autre et encore un autre.

C'est instinctif, naturel.

Puis lorsque le soleil a brûlé soixante minutes dans le ciel bleu, l'heure de la farandole arrive. Elle ressemble à un serpent doté de mille pieds, ses éclats de rire la font onduler, se nouer et se dénouer, et ils ont la fraîcheur et l'insolence innocente de l'enfance. D'ailleurs elle a encore toutes ses dents de lait.

Le milieu de la matinée, fraîche et claire, se transforme en tarentelle, plus vigoureuse et plus intense que la Farandole, et voilà l'Estampie qui approche avec Midi, frappant ses pieds sur le sol ; pour la première fois, elle rompt la Ronde et créé des couples.

Pour digérer le repas on se Pavane, par deux, en cortège, sur une musique soudain plus lente, plus lourde. Tout cela est bien trop mesuré pour la Bourrée, qui vient dans un bruit de tonerre faire gronder ses sabots de bois sur le parquet.

L'après-midi est bien avancée désormais ; la Volte s'envole, virevolte, fait gonfler et tournoyer ses jupons blancs sur ses cuisses nues ; les heures s'affolent, se savent plus où donner de la tête, gloussent ; poussées par la tramontane italienne et les guitares espagnoles, elles tournoient ; séguedille et valse, quadrille et mazurka, ciupicarella, pizzicarella, puis la mutine polka et la sulfureuse java ; il n'y a plus assez de minutes pour tout danser ; il faut sauter, battre des pieds, plier les genoux, tourner les épaules, suivre les rythmes des tambourins et des castagnettes.

Les heures dansent, et aucunes d'elles ne se ressemblent ; certaines sont vives, d'autres sont lentes, sous leurs pirouettes et leurs entrechats le temps se dilate et se contracte ; et si vous tendez l'oreille, vous les entendrez chanter...

 

Entrez dans la danse, voyez comme on chante,

 

Sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez ! 

End Notes:

J'espère que c'est clair haha ! 

C'est un peu un maëlstrom de délire, mais si par hasard vous êtes passionés de danse traditionnelles occidentales (si si ça peut être passionnant juré!) vous remarquerez qu'entre autres choses ce texte retrace un peu l'histoire de l'évolution de la danse de façon très très simplifiée of course) de l'antiquité au 19ème siècle. 

J'espère queç a vous aura plu !

19 Décembre : La prière by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà pour le thème : Veillée d'antan ! 

La prière

 

Mains jointes, genoux sur le sol, tête baissée, il priait.

Ses muscles étaient tendus, ses articulations douloureuses ; le vent qui hurlait à l'extérieur s'infiltrait parfois dans la petite chapelle et glaçait une nuque déjà durcie par l'immobilité. On l'avait vêtu d'une chemise blanche, pour la pureté, puis d'une chasuble rouge en symbole des blessures qui ne l’effareraient point, et enfin d'une robe noire, pour rappeler qu'il n'hésiterait pas à mourir pour son Roi.

Mourir pour son roi.

Il n'était rien au monde qu'il n'endurerait pour son Roi.

Puis il s'était confessé et on l'avait laissé seul pour sa nuit de veille, passée en prières au creux de la Chapelle.

Demain, son Roi l'adouberait.

Ils avaient grandi ensembles, fait leurs premières armes ensembles, leurs premières veillées et leurs premières batailles. Il était devenu Roi, non parce que son sang était bleu mais parce qu'il avait si bien su verser celui des autres...

Et le jour suivant, il ferait chevalier son ami de toujours, son guerrier le plus fidèle, le plus dévoué.

 

Le premier coup de minuit sonnait lorsque son Roi surgit devant l'homme en prière.

Au second coup, ils étaient agenouillés face à face ; au troisième les mains du monarque étaient posées de chaque côté de ce visage accidenté, à la barbe noire et drue et aux yeux bleus et limpides ; au quatrième coup ils s’immobilisèrent, les yeux myosotis de l'un comme cadenassés à ceux, noirs et brillants, de l'autre et les échos des guerres qu'ils avaient menées résonnèrent à leurs oreilles. Au cinquième coup, le futur chevalier saisit dans ses poings les boucles châtain du monarque, au sixième, à la manière de deux armées furieuses se fracassant l'une contre l'autre dans sang et la douleur, leurs lèvres se rencontrèrent.

Septième coup.

Huitième coup.

Neuvième coup.

Leurs barbes se frottaient, leurs langues s'exploraient, leurs cœurs battaient plus fort qu'au sein des plus violentes mêlées.

Dixième coup, la tête du guerrier, blanche comme du marbre, retomba soudain et se ploya.

Onzième coup, les yeux du roi le brûlaient, le goût de son ami l'obsédait.

 

Au dernier coup de minuit, il avait quitté la chapelle, laissant le futur chevalier, tremblant de tout ses membres, prostré dans l'ombre de la Croix.  

End Notes:

Je suis partie dans l'antan antan antan pour ma veillée d'antan haha !

20 Décembre : Le monstre du fond du Bayou by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà pour le thème "Barbe Rousse Barbe Douce !"

Le monstre du fond du Bayou

 

Pwémié Fidji.

 

Dans les limbes du monde des esprits, le Loogaroo dort. Dans la brume grise de ce Bayou d'ici et d'ailleurs l'écho de seize pieds frappant le sol en rythme résonne alors sur l'invisible rivière, entre les arbres perdus dans les nuages et sur le sol visqueux, et ils ébranlent le Jumbee assoupi.

 

Dézyèm Fidji

 

Le long nez blanc et aquilin du Loogaroo frémit, ses paupières s'ouvrent légèrement sur des yeux du rouge vif qu'ont les animaux dépecées. Ni clarté ni lumière ne peuvent rendre sa peau blafarde un peu plus belle qu'elle ne devrait ; elle est simplement grise et morte ; ses joues sont rouges encore du sang de ses vieilles victimes, formant une douce, une répugnante barbe rousse. A moitié réveillé, il sourit, dévoilant deux rangées de dents pointues comme des aiguilles.

 

Twazièm Fidji

 

Le Loogaroo se redresse, époussette ses vêtements, lève le nez à la manière d'un prédateur prêt à partir à la chasse, rit silencieusement, comme un animal. L'odeur du sang le réveille et l'excite. Il est né ici, dans les brumes de l'au-de-là, fruit des horreurs que certains hommes endurent aux mains d'autres plus puissants qu'eux. Il est le bâtard d'un esclavagiste et d'un esclave ; le bâtard qui terrifie son père pour protéger sa mère, le bâtard d'un quadrille occidental et d'un roulement de hanche africain.

 

 

Katwyèm Fidji

 

Il tourne comme une panthère en cage, tous ses sens en alerte. Au dessus de lui, en dessous de lui, et tout autour, les esclaves dansent, et leurs pas le réveillent et l'invoquent ; il frémit parce qu'il sait que bientôt le voile qui sépare les mondes va se déchirer. Et alors, il sera libre.

Libre et violent.

 

Gwan Won.

 

Une bourrasque de vent brutale vient soudainement gifler le Loogaroo, soulève les feuilles mortes, disperse les odeurs putrides du marais, suivie d'un rayon de soleil si brûlant qu'il en devient aveuglant.

Il sourit, feule de jouissance, et s'élance.

 

 

 

End Notes:

Et voilà ! Après le fantôme, Faust, les zombies et l'homme invisible, voici.... 

Et non, pas le Loup-Garou, le Vampire !! 

Et voui, le Loogaroo est un vampire dans la tradition Vaudoue haïtienne. C'est un Jumbee (mot qui par déformation donnera les zombies) un des nombreux esprits qu'on trouve dans ce coin là du monde. 

Culturellement, c'est fascinant, parce que le vaudou haïtien est un maëlstrom d'influence très disparate en terme de culture. Il est beaucoup plus violent que le vaudou de l'Afrique de l'Ouest à cause de l'influence de l'esclavagisme : le Vaudou était la seule défense que possédaient les esclaves noirs africains contre leur bourreaux, parce que c'était quelque chose que les esclavagistes ne comprenaient pas et qui les effrayaient énormément, d'où une tradition vaudoue beaucoup plus dure et violente à Haïti qu'au Bénin par exemple. 

Le nom de Loogaroo et le personnage de Vampire sont issus des traditions européennes, ainsi que la danse qui l'invoque : le "Kwadril" est basé que les "Quadrilles" qu'on dansait en Europe; les esclaves ont adaptés ce genre de danse en les africanisant en terme de rythme et de pas. Mon texte est découpé en fonction des différentes figures d'un Quadrille, qui sont reprises dans les danses d'esclaves avec l'accent noir africain del 'époque : Pwémyé Fidji = Première figure (ce n'est pas moi qui est inventé ces prononciation / orthographe, ça a été écrit tel quel à l'époque et du coup lorsque des groueps traditionnels de là bas dansent un quadrille c'est avec cette écriture / cette prononciation que le savoir est transmit), dézyème Difji = Deuxième digure etc jusqu'à Gwan Won : Grand Rond. 

Bref bref bref, je trouve tout ça fascinant personellement mais je ne vais pas vous embêterp lus !!! :) 

21 Décembre : Le grand mutilé by The Night Circus
Author's Notes:

Voici le "Vol du Goéland"  ! 

Le mutilé

 

Un goéland blanc est posé sur l'épaule brune de Cuverville ; il bat des ailes et crie, la tête penchée sur le côté, son bec jaune et aiguisé grand ouvert.

Quelque chose ne tourne pas rond dans ce pays, où l'on ampute des géants tels que son promontoire. L'oiseau appelle derechef, dans le vide, et claque du bec, mécontent ; le son qu'il émet ressemble à un cri de détresse, rauque et aigu. Les bombardements ont duré tout le jour ; les débris des maisons fument encore sur le port ; à l'horizon le soleil se couche, embrasant tout le ciel d'une poésie perdue pour les yeux de ceux qui vivent dans la crainte et la famine.

Autrefois, Cuverville pointait du doigt cette ligne floue, bleu pâle, où ciel et mer se confondent au fond des rétines ; mais ses bras brisés jonchent le sol, morceaux de bronze dérisoires et vaincus, et sur son torse parfait quelqu'un a écrit à la craie :

 

Je suis un grand mutilé,

Victime de cette Guerre,

Mais je serais heureux de voir

La capitulation nazi

Par la volonté

des Peuples libres

 

Le goéland frappe du bec, puis de la patte ; il étends ses ailes et prend son vol, frôlant en une inconsciente caresse d'adieu la joue de la statue.

Il s'élève et s'en va, loin au dessus de la misère brûlée de soleil de la Provence, des bombardements des cris et des larmes.

Lorsqu'il reviendra, éclair blanc dans le ciel bleu, le port sera nettoyé, Cuverville sera réparé, son index pointé vers cet horizon qui pour l'instant ne vomit que du feu, ses jolies fesses tournées vers l'hotêl de ville.

 

On achètera des glaces avec un sourire gourmand, on profitera du soleil et de l'odeur vivifiante de l'iode, on prendra le bateau pour aller à la Seyne sur Mer, on se prélassera, les yeux levés vers les mouettes, et même sans le vouloir, on oubliera petit à petit qu'il fut un temps où même les oiseaux avaient fuit le port de Toulon.  

End Notes:

Et voici ce cher Cuverville sous les bombardements, avec son message sur le ventre : 

 

 

Pour tous les toulonnais ça a un côté effrayant et contre nature de le voir sans bras... 

 

 

Mais enfin, tout va bien maintenant, il est tout bien retapé :D

OUF  ! 

 

 

22 Décembre : A travers des océans de sable by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà pour le thème "Aspic" !

A travers des océans de Sable

 

La momie, agenouillée, prie. Sa voix ressemble à un râle, une plainte rauque, comme si sa gorge était noyée par les milliers de grains de sables qui engloutissent la vallée des rois, et elle porte une tristesse aussi ancienne que les pyramides. Sa peau et le lin de son habit de mort ne font plus qu'un ; seuls ses yeux brillent avec la fièvre d'une vie maudite, pestiférée, hors des normes et hors du temps.

La longue mélopée n'invoque ni dieux ni diables, uniquement le nom de celle qu'il a aimée plus que ce que les lois de la nature ne l'y autorisaient.

Dans le silence de la pièce, on n'entend que le craquement d'un petit feu, mais bientôt une porte grince et le bruits de pieds nus glissant avec maladresse sur le carrelage se mêle au chant des flammes et à la mélopée du mort.

Elle est vivante et belle, sa peau est brune, ses joues encore arrondies par l'enfance, ses lèvres son pleines, ses cheveux crépus et fous ; ses grands yeux noirs sont noyés de rêve ; elle marche avec le dos droit et le menton haut de la princesse qu'elle a été quelque trois mille ans plus tôt, et qu'elle sera bientôt de nouveau.

Elle s'immobilise devant la Momie et ne voit pas un hideux cadavre mais les traits de celui qui lui a tout donné dans une autre vie ; et elle sourit.

La Momie lève un regard intenses vers l'amour de sa vie.

Pour renaître, il faut mourir et l'aspic divin est déjà enroulé autour des chevilles nues de la jeune femme, prêt à frapper.

Le mort la contemple, comme frappé par la foudre : dans son monde de fantômes, de sable et de poussière elle est une oasis et les siècles de souffrance disparaissent, avalés par le temps.

Une larme unique, impossible mais réelle, brillante, s'accroche un instant à la joue décharnée et meurt sur les lèvres desséchées ; l'aspic lève la tête en sifflant et, fendant l'air à la manière d'un éclair, il frappe.

La tête baissée, la momie a tendu la main, lentement et plus rapide que la lumière ; il n'est ni d'ici, ni de là-bas, ni d'ailleurs ; les crocs du serpent se sont fichés dans sa paume. Il n'a pas pu la tuer encore.

Elle était trop jeune, trop vivante, trop innocente.

 

Lorsque la jeune fille revient à elle-même, une brise venue du désert traverse la fenêtre pour disperser une poussière grise et maudite. Elle ignore ce qu'elle fait ici ou comment elle est arrivée là, mais une tristesse infinie et qu'elle ne comprends pas lui écrase le cœur et noie sa peur et son incompréhension.

 

Elle se souvient de rêves étranges, merveilleux et irrémédiablement perdus ; un chagrin millénaire transperce sa poitrine.  

End Notes:

Et voilà ! Après le fantôme, faust, les zombies, le vampire  et l'homme invisible, une ptite momie ! 

Voilà voilà c'était mon dernier monstre mignon du recueil ! j'espère que ça vous a plu :) 

23 Décembre : Paris, Ville lumière by The Night Circus
Author's Notes:

Et voici pour le thème "Electricité!" 

 

Ce texte il est un peu pour Danaé <3

Paris, ville lumière

 

Rose et Colombine étaient fourbues par le travail ; les muscles de leurs dos, de leurs bras et de leurs jambes étaient tendus et brûlants ; les chemises en lin qu'elles portaient sous leurs jupes et leurs corsages étaient moites de sueur malgré les bourrasques de vent glacé qui giflaient leurs joues, jouaient avec leurs boucles brunes et rougissaient le bout de leurs nez.

-Ha, vous vous êtes sœurs, non ? Antillaises ?

L'homme qui leur avait parlé portait un des costumes vert des gardiens du zoo du Jardin des Plantes, et n'avait pas l'air agressif. Il rentrait chez lui d'un pas tranquille, et même lent pour un froid aussi mordant.

Les deux amies échangèrent un regard surpris et étincelant avant d'éclater de rire.

-Non pas du tout !

-Ni sœurs, ni antillaises !

-Mais j'aime bien !

-Oui moi aussi !

-Vous allez vers le haut de la colline ? Il n'y a pas grand chose à cette heure-ci !

-Oh si, la vue ! s'exclame Colombine.

-Depuis qu'il y a l'électricité, c'est très beau Paris vu d'en haut !

-Haha, des aventurières ! Faites attention à vous !

-C'est promis !

 

Et, bras dessus bras dessous, les deux amies reprirent leur ascension des pentes de Montmartre.

Montmartre qui, autrefois, était le monde de la nuit. Les lampadaires ici ne brûlaient pas jusqu'au matin comme dans les grands boulevards haussmanniens. Elles se souvenaient de l'obscurité opaque, quasi totale, des nuits de leur enfance, avant que l'électricité n'arrive et ne fasse de Paris la ville lumière.

De temps en temps, elles aimaient à grimper en haut de la colline et observer la plaine en contrebas, comme on regarde une carte. Ici la sinueuse seine, longée de lampadaires neufs aux gros bulbes jaunes crépitant d'électricité, là-bas le palais de l’Élisée, ici le Louvre, et un peu plus loin la tâche noire du champ de Mars.

Rose racontait à Colombine l'histoire du dernier livre qu'elle avait lu, parlant à toute vitesse, tricotant des jambes presque aussi vite que de la langue ; Colombine écoutait le sourire au lèvres, une lueur attendrie dans le regard. Si elles avaient été sœurs, elle aurait été l'aînée, et Rose la cadette, elles étaient d'accord là dessus.

Bientôt le souffle de Rose s'étiola un peu sous l'effet de la montée, et frustrée de ne pas pouvoir raconter tout ce qu'elle voulait, elle sautilla sur place malgré son souffle court en protestant contre tous les inventeurs de la planète qui avaient osé ne pas encore s'intéresser à Montmartre et inventer un tapis volant qui les emportait directement au sommet. Colombine éclata de rire, haletante elle aussi, et prit la main de Rose dans la sienne.

-Allez vient ! On est pas loin tu me raconteras tout en haut !

Elle s'élança alors en grandes enjambées parfaitement absurdes et ridicules, pour compenser sa lenteur, et Rose hésita un instant entre prétendre de ne pas connaître cette étrange individue, ce qui serait d'autant plus dérangeant qu'elles se tenaient toujours pas la main, ou l'imiter.

Elle choisit de se laisser traîner.

 

Les deux amies furent bientôt au sommet de Montmartre, épuisées mais heureuses.

Voir Paris illuminé par la fée électricité était à la fois habituel et nouveau, et à chacune de leurs escapade les deux ouvrières avaient l'impression dérisoire de participer à un de ces grands voyages aux quelles elles avaient cessé de rêver, elles qui ne pourraient jamais quitter la capitale.

Là-haut, libres et solitaires, elle riaient, chantaient et dansaient, oubliaient un peu l'usine et les galères. Là-haut, même le froid était agréable, et Paris devenait une mer de lumière, quelque part entre l'enfer et le paradis.

 

 

End Notes:

Voilà, j'espère que ça vous aura plu !!! 

24 Décembre : La Parade Arc-en-ciel by The Night Circus
Author's Notes:

Et voilà pour ce dernier texte, on se quitte en musique avec Bohemian Rapshody ! 

Et non, je n'ai même pas parlé de Queen et de Freddie... 

La Parade Arc-En-Ciel

 

Un soleil de printemps, clair et frais, brille sur les grandes avenues des boulevards Haussmanniens, longues avenues immaculées où file une brise légère. C'est dimanche et les passants sont vêtus de blanc ; blanches dentelles, blanc gilets, blancs chapeaux, blanches mitaines. Tout respire l'harmonie et la délicatesse.

Et puis, quelque part au loin, un accordéon résonne, et la terre se mets à trembler sous les foulées de pas innombrables. Ils dansent, ils courent, ils sautent ; ils portent de grands souliers ou pas de chaussures du tout ; il y a ceux qui sont montés sur échasses, ceux qui sont montés à dos de cheval ou à d'éléphant, et ceux qui sont montés sur ressorts ; en voilà qui ne se déplacent qu'en galipettes et voici ceux qui se déplacent en musique, leurs instruments sont comme des extensions de leurs propres corps, et ils sont amputés lorsqu'ils les pausent.

Ils parlent fort, crient, chantent en se grattant le ventre ; ils jonglent avec toutes les couleurs de l'arc-en-ciel et tous les pays du monde, crachent du feu et des bulles, et parfois un peu de salive et de sang, et beaucoup de chimères et d'histoires merveilleuses. On voit des ongles noirs, quelques joues creuses, quelques regards troubles, quelques dos fatigués, mais l'étincelle canaille qui luit dans leurs prunelles brille plus fort que le soleil. Les gilets sont écarlates, les jupons émeraudes, les dentelles roses et violettes, les corsets jaune vif, les ceintures lapis-lazuli, les lèvres pourpres et les cheveux flamboyants ; l'explosion de couleurs est plus pure que le blanc.

La parade bohème continue sa route sans s'arrêter et disparaîtra comme elle était venue.

Dans les blancs boulevards haussmanniens, des milliers de confettis sont tombés ; les arbres sont un peu plus verts, le ciel est un peu plus bleu ; le soleil donne mille nuances roses et nacrées aux façades ; le sourire des adultes s'est attendri et des nuages de rêves sont accrochés aux yeux des enfants.

 

 

End Notes:

Merci à tout ceux et celles qui m'ont lues aue ça soit un peu ou tout le long !!! <3 

 

Et JOyeux Noël !!! 

Cette histoire est archivée sur http://www.le-heron.com/fr/viewstory.php?sid=1476