Vendredi 13 by MelHp7
Summary:

Images provenant de Talent Attitude, mademoisellegrenade.fr, Hebus et Dreamstime (Google) | Montage de moi



Ellen est une grande rêveuse solitaire et superstitieuse qui passe son temps à regretter sa propre vie. Le cours des choses est bouleversé lorsqu'elle est convoquée par la directrice de la banque où elle travaille, une directrice que tout le monde voit comme un véritable dragon.
Categories: Horreur, Fantastique Characters: Aucun
Avertissement: Contrainte (chantage, viol...), Violence physique
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Aucun
Chapters: 4 Completed: Oui Word count: 18357 Read: 16040 Published: 03/09/2017 Updated: 04/09/2017
Story Notes:
C'est une des premières fiction au caractère fantastique que j'ai écrit pour le loisir et le plaisir. Je la publie entièrement d'un coup puisque je l'ai écrit il y a de ça un an à peu près.

1. L'irréaliste by MelHp7

2. Amnésie by MelHp7

3. Bonne ou mauvaise nouvelle ? by MelHp7

4. La confrontation by MelHp7

L'irréaliste by MelHp7
Author's Notes:
Etant une nouvelle, ce premier chapitre rentre assez vite dans le coeur du sujet. J'espère vous embarquer dans ma fiction.
Si la vie était un discours, celui d'Ellen prônerait avant tout l'égalité pour tous ! Dans son idéalisme profond, elle noie ses idées noires dans les fictions littéraires et cinématographiques, parce que ce qu'elle idéalise ne se réalise que dans ses rêves optimistes. Elle comble son désespoir par l'imaginaire qui lui rend bien service. Les histoires lui permettent de continuer à y croire. Mais depuis qu'elle a ouvert les yeux sur le monde, elle ne parvient plus à les fermer la nuit. Alors elle invente des fictions extraordinaires dans lesquelles le bien finit toujours vainqueur et établit à perpétuité une paix sans lacune. Bien que le retour à la réalité soit à chaque fois un coup de poignard dans son coeur pur, elle continue de se nicher dans ce monde irréel.


En ce soir de septembre, alors que tous les facteurs sources de malheur sont réunis, Ellen se couche dans son lit glacial en sachant pertinemment qu'à trop penser elle ne parviendra pas à dormir. La fatalité s'acharne sans arrêt sur les plus déterminés. Les yeux rivés sur le plafond à peine perceptible de sa chambre, son esprit commençait déjà à divaguer. Assez rapidement, elle voguait vers des eaux bien plus lucides et claires. Sortir de la nuit noire était la première étape de l'imagination. La lumière blanche au bout du tunnel n'était plus la mort dans ce cas là, mais bien la renaissance. Chaque nuit, Ellen quittait la caverne pour redécouvrir ce qu'on lui a toujours refusé.
Dans ce nouveau monde, il n'existe qu'un et unique peuple. Il est immense et dispersé sur toute la planète. Les gens vivent en communauté, et en harmonie. Rien que ça, c'est déjà un remède à la discrimination raciale, ethnique ou culturelle parce que ces gens viennent tous du même endroit et ne connaissent pas le mot « étranger ». A cette idée, Ellen sourit. Être un étranger c'est ne pas se sentir à sa place, être parfois rejeté par ceux qui se disent différents ou supérieurs. Mais dans ce monde imaginaire, il n'y a pas de place pour le malaise.
Plus la jeune femme avance, les pieds nus dans le sable quasiment blanc, plus le décor ressemble à un tableau de Thomas Cole. Le soleil se reflète sur chaque objet que ses rayons heurtent, notamment Ellen elle-même qui traverse son pays artificiel. Elle pouvait même ressentir cette chaleur douce mais intense qu'on ne pourrait connaître qu'au paradis. Ce qui la fait autant
sourire cependant, c'est de savoir que l'argent, ici, n'existe pas. Encore un vaccin contre les conflits guerriers, les querelles d'intérêt, la cupidité. Chaque homme a le droit de posséder ce qu'il veut dans la limite de la liberté d'autrui. Tous sont égaux entre eux et le respectent sans se poser de question. Les gens sont heureux, tous sans exception et là est la plus grosse différence entre le réel du monde et le souhait d'Ellen. Le contraste entre la nuit noire qui règne dans sa chambre et la clarté de son rêve rend bien compte de l'impossible réalisation des voeux d'Ellen. Elle sait pertinemment ce que lui diraient les
gens si elle en parlait ouvertement le jour : « Mais dans quel monde tu vis ? Tu crois que c'est en rêvassant que tu vas pouvoir tout changer ? Ma pauvre fille... ». C'est pourquoi elle n'en parlait jamais, hormis à son seul confident, Horus. L'adolescente qu'elle était quinze ans auparavant avait nommé son journal Horus en référence à un mythe égyptien qu'elle avait rencontré dans ses lectures. Il s'agirait pour certain d'un Dieu qui représente le silence, et ainsi le fait de garder des secrets. C'est tout ce dont elle avait justement besoin, même encore aujourd'hui.


Son environnement professionnel lui rappelait chaque seconde la misère du monde. Être banquière c'est profiter de la difficulté que les autres ont à vivre. Combien de fois lui était-il arrivé de refuser un prêt à des familles dans le besoin. Certes elles ne payaient plus leurs factures, ou leurs dettes. Cela n'empêche qu'Ellen agissait dans son intérêt, pour ne pas donner une mauvaise image à sa directrice ou pour éviter de se faire renvoyer. Tandis que sa supérieure hiérarchique,
Katherine, se fichait bien de la morale. Sa spécialité c'était de jouer avec la position de ses employés. Elle usait de la menace pour obtenir de meilleurs résultats. D'ailleurs, elle ne cachait nullement son comportement odieux puisque chacun de ses collègues se chuchotaient sa réputation de tyran au sein même de son établissement. Lorsqu'elle approchait du bureau étincelant et bien rangé d'Ellen, deux scenario pouvaient se produire. Soit Katherine s'apprêtait à
la féliciter et à l'inviter chez elle pour un repas des plus hypocrites qui ne consistait qu'à afficher sa propre richesse. Dans ce cas, ni elle, ni personne d'ailleurs, ne pouvait le lui refuser au risque de
perdre son poste. Mais un tel dîner, face à une femme aussi déstabilisante et à son mari si inintéressant, était un véritable supplice pour l'esprit. Soit Katherine allait froncer les sourcils et croiser les bras, et alors l'heure qui suivrait s'annonçait forcément insupportable. Les remontrances de cette puissante femme touchaient votre intime dignité jusqu'à vous faire détourner les yeux, d'après ce qu'Arthur, un collègue, avait raconté à Ellen. Tout ce monde de
finance sentait le faux à plein nez. On comprend aisément qu'Ellen ait besoin de se réfugier dans la fiction. Et dire qu'à 32 ans elle traînait encore sa solitude dans cette utopie qu'elle avait créée de toute pièces...


Vendredi 13 septembre. Voilà ce qu'Ellen lisait sur son radio réveil. Contrairement à l'heure qui aurait été le plus important pour n'importe qui, c'est la date qui sautait aux yeux de cette femme. Pour aujourd'hui, un de ces rendez-vous stressant était programmé et ce depuis une bonne semaine. Une semaine qu'Ellen avait trouvé longue et difficile à supporter. Ses ongles en avaient d'ailleurs payé le prix. Mais ce qui l'avait autant tracassé c'était ce treizième jour du mois, nombre maudit selon elle et tous ceux qu'on appelait les superstitieux. Pas de chance qui tienne, tous les
vendredi 13 de sa vie l'avaient marqué au fer rouge. Chaque cicatrice, qu'elles soient visibles ou non, physiques ou non, renvoyait à ces catastrophes qu'elle jugeait coupables d'avoir littéralement ruiné certaines journées de sa vie. Pourquoi ce jour ferait-il exception ? Il n'y avait aucune raison pour que tout ce passe comme prévu. Ellen avait tenté de faire déplacer ce fameux rendez-vous, c'est vrai, elle y avait mis du coeur, mais visiblement les circonstances demeuraient contre elle.
Cette fichue fatalité en avait toujours après elle sans qu'elle ne l'ait jamais mérité. C'est la mine sombre qu'Ellen daignait sortir de son lit pour ouvrir le volet roulant de sa chambre. A peine la lumière atteignait ses pupilles qu'elle en plissait les yeux de douleur. Cette clarté aveuglante lui rappelait son rêve et lui décrocha un sourire. Dans ce rêve, Ellen avait enfin pu mettre un nom sur la personne qui avait fait chavirer son coeur sur un coup de foudre. Évidemment, son réveil est intervenu au moment ou la conversation s'apprêtait réellement à commencer mais elle savait que la nuit prochaine elle verrait la suite. Ses rêves s’enchaînaient comme les épisodes d'une série télévisée. Personne ne semblait avoir la chance d'être maître de ses rêves mais au moins la nature avait fait ce don à Ellen qui en était de plus en plus reconnaissante. Elle fit un pas de côté et le ciel bleu de l'extérieur fut remplacé par son propre visage reflétant anormalement la fatigue. Habituellement Ellen choyait son miroir mais cette fois elle fit aussitôt
volte-face.
« Qu'est ce que je vais mettre... ? »
En temps normal, ce genre de question restait au placard. Seulement, un face à face avec Katherine Stiff imposait une tenue irréprochable. S'il existait un prix qui récompensait la personne la plus stricte, cette femme en serait certainement la gagnante, et même chaque année ! Alors le meilleur moyen de ne pas faire tâche dans son monde parfait était de se confondre avec celui-ci. Une robe ? Ce serait trop se mettre en avant d'après elle. Il valait mieux paraître transparente pour ne pas inviter à la concurrence, bien que cette fois son mari serait absent. Tandis que la directrice
avait l'habitude de donner ses rendez-vous le soir pour un dîner à trois, cette fois-ci elle avait pris Ellen au dépourvu en lui ordonnant de venir chez elle dès 10h00 du matin : « Je serai seule, c'est préférable », avait-elle précisé. Inutile de demander ce que cela voulait dire, Ellen n'en avait pas la moindre idée mais elle en était un peu plus soulagée. Manger chez sa supérieure aux côtés d'un homme aussi pénible et inutile que M. Stiff semblait plus insupportable que discuter autour d'un café avec sa supérieure, seule à seule. Néanmoins, le stresse ne disparaissait pas. La figure sévère de Katherine était légendaire, et Ellen détestait l'affronter du regard. Chaque fois que cela arrivait, le malaise la rendait quasiment muette et immobile.


C'est seulement une fois vêtue de la tête aux pieds qu'Ellen pensa à regarder l'heure. Lorsqu'on a un rendez-vous, la ponctualité fait partie des premières choses à respecter, c'est bien connu, surtout dans le monde du travail. Pourtant, pour la jeune femme, ce facteur était totalement passé à la trappe.
« Quoi ! 9H30, déjà ! Mon dieu... »
Elle détestait jurer et encore plus parler à son miroir, mais voilà que les redoutables pouvoirs du 13
commençaient à faire surface. La dernière fois, il lui avait fallut environ vingt minutes pour atteindre la demeure de Mrs Stiff en voiture. C'est donc à jeun qu'elle s'en allait rejoindre sa directrice, les cheveux tout juste coiffés, mais la tenue impeccable. La pensée qui persistait dans la tête d'Ellen c'était : « Que va-t-il m'arriver maintenant que j'ai évité la panne de réveil, le retard, la mauvaise dégaine ? » D'après elle, le sort ne cesserait de la poursuivre jusqu'à ce que minuit soit enfin passé. Une vraie malédiction ce 13. Alors que certains en profitaient pour jouer au loto, Ellen préférait se cacher du monde au risque de provoquer ou de subir des catastrophes toutes plus inattendues les unes que les autres. Cependant, jusqu'à la dernière ligne droite qui la séparait de la grande maison blanche de Katherine Stiff, rien d'anormal n'avait perturbé le trajet de la banquière anxieuse. Quand brusquement, la brume se mit à surplomber le soleil éblouissant qui avait régné
toute la matinée. Ellen dû ralentir car elle savait à quel point le brouillard pouvait obstruer la vue et gêner la conduite. A quarante miles à l'heure, elle se déplaçait les yeux rivés sur le morceau de route qu'elle pouvait encore apercevoir. Cette fois même la nature semblait se dresser contre elle. Si seulement elle avait le moyen de virer dans son monde parfait. Sans nul doute que dans ce pays de rêve le soleil continuerait de briller. Ce temps de dépression l'ennuyait déjà à mourir. Mais avant de penser à ce rendez-vous professionnel, il fallait absolument qu'elle se concentre sur la route. Il ne devait lui rester que cinq-cent mètres à parcourir, et là elle reconnaîtrait la cour aménagée de Mr et Mrs Stiff dans laquelle ceux-ci lui avait autorisé à garer sa petite citadine rouge. Alors pourquoi le chemin paraissait encore si long et interminable ? Rien de ce qu'elle
voyait ne lui permettait de se repérer dans cette périphérie campagnarde de Londres. Elle ne percevait les alentours qu'à cinq mètres devant elle. Le nuage brumeux était si épais qu'Ellen aurait pu se croire au sommet d'une montagne de quatre mille mètres d'altitude. Toujours pas de maison blanche, toujours pas de vie en fait, toujours pas de... Ellen enfonça subitement la pédale de frein et par peur de ne pas piler à temps, elle empoigna le frein à main pour stopper son véhicule. Les yeux écarquillés, elle restait immobile. Impossible de décrire ce qu'elle avait vu, mis à part le fait que cette chose avait faillit s'encastrer dans son pare-choc. Pourtant elle ne distinguait plus rien devant elle à présent. Le néant avait jaillit comme une prison hors de laquelle Ellen ne pouvait plus fuir. Il était temps de sortir le GPS. Après tout, si Ellen l'avait acheté, ce n'était pas pour le laisser moisir dans sa boite-à-gant. D'autant plus que le tableau de bord affichait déjà
9H50, le temps manquait. Une hallucination comme celle-ci, en pleine brume, cela pouvait arriver à n'importe qui. Après avoir déporté sa voiture sur le bas-côté pour être sûre de ne pas gêner la circulation, bien qu'elle n'ait encore vu personne depuis une bonne dizaine de minutes, Ellen mit en route sa carte électronique et entra l'adresse précise de Katherine Stiff. « OK, Ellen. Je procède à l'analyse de votre itinéraire. » Cette voix inhumaine l'avait presque faite sursauter. Toute cette nouveauté électronique n'avait jamais été de son monde. D'ailleurs elle préférerait vivre loin de tout ça, bien qu'aujourd'hui elle avait besoin de ce Tom pour sortir du pétrin. Son sang-froid figurait parmi son palmarès de qualités. Mais c'était ce 13 qui résonnait dans sa tête et lui donnait la force de relativiser. Pour Ellen il était inévitable que tout ce qui relèverait de l'étrange et de l'imprévu aujourd'hui, ce vendredi 13 en serait l'auteur.
BIP ! Le GPS venait de dessiner le chemin le plus court qui menait au 1 Widefield Way dans la campagne autour de la ville de Enfield, à dix miles de Londres. Le numéro 1 c'est parce que la demeure des Stiff est la seule sur plus de 3 miles à la ronde. Finalement, Ellen avait dû s'égarer parce que Tom lui indiquait encore dix minutes de trajet dans la direction opposée de celle qu'elle avait emprunté. Le brouillard l'avait embrouillé : retour à la case départ ou presque. Ellen repartait pour une dizaine de minutes de périple sur cette dangereuse chaussée alors qu'elle savait déjà
qu'elle serait en retard. Elle imaginait d'avance Katherine pointer son gros stylo rouge sur son calepin de note pour assigner un moins un à Ellen Broody. Être en retard était synonyme de handicap lors d'un rendez-vous pareil. Le gris du béton se confondait avec le gris de l'atmosphère pleine de fog. L'ennui rattrapait Ellen jusqu'à ce que Tom se manifeste à nouveau : « Vous arriverez dans trois cent miles.
- C'est pas trop tôt », marmonna Ellen d'un ton aigri qui ne lui ressemblait guère. Effectivement, elle semblait voir apparaître progressivement la silhouette de la maison Stiff. Quel soulagement c'était, enfin jusqu'à ce qu'Ellen regarde à nouveau l'heure qu'indiquait le cadrant : 10H13. Elle prit le temps de stationner sa voiture dans l'allée prévue à cet effet. Comment était-ce possible ? Un nouveau coup d’oeil vers le tableau de bord. Il affichait encore 10H13 comme si cet horaire restait figé. Pour Ellen aucune défaillance électronique ne tenait, tout était l’oeuvre de ce fichu jour maudit.
Les pieds dans les cailloux blancs, Ellen touchait enfin le but. La grande bâtisse lui faisait face avec orgueil. Traversant la petite cour beaucoup moins embrumée que la route, elle atteignit un petit escalier qui menait à l'entrée des Stiff. Toute de bois peint en blanc, cette maison avait fière allure. Elle était si haute qu'Ellen en était tout à coup presque découragée, sachant que la froide Katherine l'y attendait. Cependant il ne lui fallut pas plus d'une seconde pour appuyer sur l'interrupteur de la sonnette. DING DONG. « Un peu en retard mais les circonstances sont contre
moi... », dit Ellen à voix basse en haussant les épaules. La curiosité la poussa à regarder à nouveau
l'heure qu'indiquait sa montre. Toujours 10H13. La porte s'ouvrit subitement puis lentement, jusqu'à ce qu'elle laisse place à une longue silhouette enveloppée dans une robe, le tout uniformément noir, comme une ombre. Ellen plissait les yeux comme pour tenter de déchiffrer ce visage qui lui faisait face mais l'image qui se présentait à elle n'en était que plus floue.
« Bon-bonjour, Madame Stiff »
Aucun retour. Mais ce n'était pas si anormal que ça pouvait en avoir l'air parce que Katherine avait toujours été froide avec ses employés, bien qu'elle sache se faire plus courtoise envers les femmes
généralement. La blonde longiligne se retourna totalement avant de s'enfoncer dans la deuxième salle de sa maison, celle qu'Ellen avait déjà eu l'opportunité de voir, la salle à manger. Dans le
silence régulièrement brisé par le son rythmique que produisaient les talons de Katherine sur le carrelage, l'hôte menait son invité dans une toute autre pièce. Il leur avait même fallut descendre un escalier de pierre qui paraissait aussi froid que de l'eau glacée. Aveuglément, Ellen suivait la maîtresse de maison tout en restant malgré tout sceptique, jusqu'à ce qu'elles s'arrêtent dans ce qui ressemblait étrangement à une cave. On aurait dit que Katherine faisait à nouveau face à Ellen, pourtant on ne pouvait rien distinguer, ni son visage, ni le relief de son physique, ni la couleur de ses vêtements. L'obscurité était telle qu'Ellen ne voyait même pas ses propres chaussures au sol. « Que faisons-nous ici... exactement ? » Ellen se racla la gorge comme pour se rassurer en ellemême.
Seulement tout ceci avait l'air d'une mise-en-scène. Katherine se décida à avancer très lentement vers Ellen, sans le moindre écart. Un robot ne se serait pas distingué d'elle. Et lorsqu'elle fut aussi près qu'elle le pouvait sans être en contact avec la petite Ellen pétrifiée, on pu alors découvrir son visage. Une affreuse peau fripée avait remplacé son teint parfait et sa peau lisse. Un nez trop long et crochu lui ruinait la figure. Des yeux tombant et grisâtres ne reflétaient plus que le vide. Les cheveux attachés n'étaient plus blonds mais blancs. Et alors... Ellen ouvrit les yeux.


Machinalement, Ellen levait ses yeux vifs vers le radio-réveil qui sonnait les 8H30. Il affichait, cette fois-ci réellement, vendredi 13 septembre 2013. Cela expliquait un tel cauchemar. Elle n'en faisait que rarement puisque d'ordinaire ses nuits étaient habitées par la fantaisie de ses songes idylliques. Seul le 13 était capable de détraquer son esprit au point d'inventer un tel faciès à sa directrice pourtant si faussement parfaite dans la réalité. Bien qu'elle aurait pu rester encore de longues minutes à discuter ce rêve horrible, il fallait qu'elle se prépare en espérant que rien d'aussi effrayant n'arriverait aujourd'hui. Son rendez-vous était bien prévu à 10H00 et heureusement pour elle, Katherine Stiff n'avait rien d'un vieux fantôme en décomposition. Ellen sortit donc de son lit bien chaud pour se préparer. Comme toujours, le miroir était son allier lorsqu'elle avait besoin de se motiver. Se rappelant ce qu'elle-même avait enfilé dans son affreux cauchemar, elle décida de revêtir la même tenue pensant que cette Ellen victime de la brume avait eu bon goût. Elle pensait réellement qu'une bonne tenue était propice à la réussite concernant ce
genre de rendez-vous professionnel. Aussi troublant que cela paraissait, Ellen ressemblait comme deux gouttes d'eau à Ellen. Seulement cette fois, sa montre indiquait 9H00. Le temps s'offrait à elle et lui permettait de boire un bon thé au citron pour être sûre d'être en forme. Ellen ne se refusait pas non plus quelques biscuits afin d'éviter tout risque de mal de ventre gênant qui pourrait se transformer en gargouillis bruyant. A 9H22, Ellen avait déjà sauté dans son véhicule mis en route quelques minutes auparavant pour faire chauffer le moteur. Tout semblait réglé comme une horloge. Pourtant, la jeune femme n'était pas tranquille. Sa superstition avait toujours fait d'elle une grande trouillarde. Éviter les chats noirs restait sa spécialité. Elle était si douée pour ça qu'elle était devenue une sorte de radar à chat. Le moindre poil animal activait chez elle une attention
surélevée. D'ailleurs, aucun de ses amis ne possédait un chat, et encore moins un chat noir. C'est comme si, dans son profond inconscient, elle avait choisit ses amis en fonction de ce facteur-ci. Bien sûr elle refusait de l'admettre car cela faisait d'elle une fréquentation artificielle, une fausse amie qui s'attache à vous par intérêt personnel. Néanmoins, en faisant le compte, il était clair qu'à moins d'une énorme coïncidence exceptionnelle, Ellen choisissait ses amis parmi ceux qui n'aimaient pas les chats, qui y étaient allergiques ou qui possédaient des chiens. Le tout faisait qu'en ce vendredi 13, elle sortait de Londres pour rejoindre sa supérieure hiérarchique dans la campagne.
Finalement la brume de son rêve était prémonitoire. A son réveil aucun rayon de soleil n'avait fait son apparition et à 9H30, le temps ne s'était pas amélioré. Mais en Angleterre, c'était un fait récurrent. La ville était vive, jusqu'à ce qu'Ellen franchisse la limite des banlieues de Londres. Dès lors, les champs prenaient les trois quart de l'espace qui s'offrait à elle. La route était soudainement moins bien entretenue. Par chance, le brouillard n'était pas aussi opaque que dans son cauchemar. Elle pouvait rouler assez vite pour être sûre d'arriver à l'heure. Le paysage défilait dans chacune des vitres qui constituaient son automobile, jusqu'à ce que les arbres remplacent les champs et donnent un air plus lugubre à cet endroit. Rouler vers le nord, c'était s'enfoncer dans les forêts humides, Ellen le savait pour avoir habité tout au nord du Royaume-Uni, en Écosse, durant
son enfance. La grande maison blanche des Stiff ne devrait plus tarder à apparaître car Ellen commençait à reconnaître les lieux. Cette fois, elle serait en avance. Quand l'allée de cailloux s'ouvrait à elle sur sa droite, Ellen ralentit et entra dans le domaine avec son véhicule pour le garer dans la cour. Les nuages de brume avaient l'air de s'estomper tandis que l'angoisse grandissait en Ellen. Le moment fatidique arrivait et son rêve cherchait à s'interposer sur la réalité.
DING DONG. Les mains liées derrière son dos, Ellen attendait sagement qu'on vienne lui ouvrir bien qu'elle aurait préféré fuir pendant qu'il était encore temps. Mais la lâcheté ne devait pas être la raison pour laquelle elle perdrait son travail. D'un mouvement de tête nerveux, Ellen observait les alentours. Pourtant ce qui lui faisait si peur ne pouvait venir que de l'intérieur de cet édifice. La porte s'ouvrit juste à ce moment précis. Progressivement, la lumière des lustres plafonniers éblouirent Ellen. Le visage souriant mais droit de Katherine était clairement perceptible. Son corps préservait d'ailleurs les yeux d'Ellen en projetant une ombre longiligne sur elle.
« Bonjour Madame la directrice, comment allez-vous ? »
Un temps de silence approfondit le malaise béant entre les deux femmes. Ellen pu lire l'heure actuelle sur une grande horloge du hall d'entré qui aurait pu appartenir à sa grand-mère. Il était 10H06.
« Bonjour Ellen, vous êtes bien à l'heure. Je n'en doutais pas vous concernant. » Katherine lui fit
signe de la suivre, mais cette fois, elle la guidait vers une salle inconnue et un peu plus intime que la salle à manger. Il s'agissait de la cuisine. La lumière y était telle qu'on aurait pu croire qu'à l'extérieur le temps se faisait radieux. Tout de noir et de rouge laqué, les meubles reflétaient la nouveauté et la modernité. Les Stiff avaient du goût en matière de décoration, c'était assez plaisant. De toute façon, qui n'aurait pas envié ces gens et leur milieu de vie ? Habiter la campagne n'était pas synonyme de pauvreté. Le fait est que les Stiff avaient les moyens de travailler en ville et de vivre à la campagne. Il est donc impossible de les classer dans une catégorie : ni ruraux, ni urbains, ils profitent des deux milieux sur le dos de ceux qui sont au chômage ou qui peinent à
acheter un bien immobilier. Les prêts et crédits des autres sont leur assurance vie. Et finalement, Ellen faisait parti de ce milieu financier. « Vous avez fait bonne route jusqu'ici ? Pas de complication par ce temps ? » La voix mesurée de Katherine tira Ellen de ses pensées. La façon dont elle avait posé cette question rappelait à Ellen les obstacles qui s'étaient dressés sur son chemin dans son rêve.
« Oui, très bien, merci de vous en soucier. Je me suis souvenu du chemin. Rappelez-vous, j'étais déjà venu ici l'an dernier. », précisa Ellen avec le sourire.
« Je n'ai pas oublié. », répliqua doucement Katherine de manière soupçonneuse. Un an et trois mois auparavant, Ellen avait dû se rendre ici, à Enfield, en pleine soirée. A l'aide d'une de ces cartes routières, elle avait pu se repérer mais par peur de se perdre, elle était partie avec une trentaine de minutes d'avance. La légende qui faisait de Katherine un poing serré sur les erreurs l'avait convaincu de ne surtout pas arriver en retard à ce premier dîner en tête-àtête
avec les Stiff. Les événements ont fait que ce soir là, Ellen était arrivée trop tôt. Quand elle avait sonné chez Katherine, c'est son mari qui lui avait ouvert, les sourcils froncés en lui disant qu'il était plus tôt que prévu et que sa femme était encore sous la douche. Finalement pour cette faute Ellen avait dû écoper d'un mauvais point sur son dossier. Le réel malaise s'était installé lorsqu'Ellen fut obligée de faire face au regard vide de Patrick Stiff qui au lieu de chercher à la distraire avait décidé de lire son livre sous ses yeux. Enfoncé dans sa chaise, à table et en face d'Ellen, il lisait, comme s'il était seul, un classique de la littérature anglaise qui s'intitulait Orgueil et préjugés. L'ironie était à son comble. Un mondain idiot qui lisait l’oeuvre d'une femme moquant
la fierté et l'hypocrisie de la haute société anglaise. D'un autre côté Ellen avait préféré cela à un questionnaire sans fin qui visait sa vie privée. Elle avait pensé en fait que Mr Stiff jouait un rôle dans ces dîners, qu'il cuisinait les employés de sa femme pour trouver leur point faible ou pour leur tirer les vers du nez. Mais visiblement, il était totalement inutile à ces repas, c'est ce qu'Ellen en avait conclu. D'ailleurs en ce vendredi 13, il n'était pas invité à partager ce café avec Katherine et Ellen.
Contrairement à ce qu'Ellen avait imaginé dans son rêve, Katherine ne portait pas de robe aujourd'hui et c'était finalement compréhensible vu le temps qu'il faisait dehors en ce moment. Et puis après tout, c'était presque l'hiver. Alors Mrs Stiff portait un jean slim bleu et un bon pull blanc cassé. Par contre, ses cheveux étaient bel et bien attachés, mais aussi loin qu'Ellen se souvienne, elle n'avait jamais vu Katherine coiffée autrement qu'avec un chignon serré.
« Voulez-vous un café Ellen ? demanda-t-elle avec une gentillesse qu'on ne lui connaissait pas.
- Euh, oui pourquoi pas, merci beaucoup. »
Ellen n'en avait pas tant envie que ça mais elle savait que refuser une proposition de sa directrice ça n'était pas la bonne technique pour la mettre dans sa poche. Après tout il était 10H... « Quelle heure est-il ? » pensa Ellen. Elle leva son poignet sous ses yeux pour lire la cadrant de sa montre et elle découvrit avec stupéfaction qu'il était 10H13.
« Déjà pressée de partir on dirait... » surgit la voix de Katherine un peu plus rude que précédemment.
« Non, non, je vérifiais simplement... le bon fonctionnement de ma montre. J'ai l'impression qu'elle
déconne ces temps-ci », répondit Ellen un peu hésitante. Chaque effort entrepris pour satisfaire les
attentes de Mrs Stiff pouvaient être réduit à néant dès le moindre faux pas. Mais le pire dans tout cela, c'est que l'heure s'était figée sur sa montre, exactement comme dans son cauchemar.
« Il est 10H15 maintenant, et tâchez de réparer cette montre si elle vous tient tant à coeur. » Ellen
avait presque faillit répondre « oui » comme une enfant l'aurait fait devant ses parents dans une pareille situation, mais se rabaisser n'était pas une vertu qu'aimait Katherine Stiff, Ellen en était quasiment certaine. Et puis, Ellen avait son propre caractère, bien qu'elle fasse en sorte de le maîtriser dès qu'elle se trouvait dans la même pièce que cette femme. Ce qui était positif dans tout ça, c'est que ça n'était qu'une défaillance de sa montre qui faisait que l’aiguille restait bloquée ainsi. Ellen souriait en pensant son problème résolu. Katherine laissait le café d'une cafetière dernier cri s'écouler dans deux jolies petites tasses en verre. La fumée qui se dégageait au même instant fit frissonner Ellen. Cela n'échappa en rien à l’oeil curieux et avisé de Katherine.
« Vous avez froid ? C'est vrai que ce temps miteux refroidit. Dites, savez-vous pourquoi je vous aies
faite venir ce matin ? » lança Katherine de son ton toujours assuré. Évidemment qu'Ellen n'en savait rien. Si elle avait été invité à un dîner elle aurait au moins pu être sûre qu'il ne s'agissait pas de lui adresser des remontrances mais dans ce cas, l'aspect inhabituel de ce rendez-vous rendait impossible tout pronostique.
« Non, mais j'imagine le découvrir assez tôt », blagua Ellen, intérieurement impatiente. Elle était pressée de rentrer chez elle et de se débarrasser de cette journée stressante. Katherine sourit en coin à cette réponse mais tout indiquait qu'elle n'avait pas envie de rire. Ce rendez-vous n'était que professionnel, et en même temps, pouvait-il en être autrement ? Non, Katherine ne se faisait aucun ami parmi ses employés. Sa confiance, elle la gardait bien au chaud dans son foyer, et
encore... Katherine attrapait les deux tasses pleines et fumantes, et tendait l'une d'elles vers Ellen qui la saisit sans la faire attendre.
« Je vais aller droit au but, je ne suis pas là pour vous faire perdre du temps. Asseyez-vous, je vous
en prie. ». Pour être polie, elle l'était. Peut-être trop ? Un mauvais pré-sentiment commençait à envahir la tête embuée d'Ellen. Quelque chose de mauvais pour elle s'annonçait, une rétrogradation, une baisse de paye, ou pire, un renvoi définitif. Sans crier gare Ellen se mit à engloutir sa tasse de café avec entrain. Le liquide encore bouillant lui brûla la gorge à tel point qu'elle ne sentait plus rien, ni même son filet de salive qu'elle avala dans la foulée. Les yeux grands ouverts, et figés par le goût quelque peu amère du café, elle faisait peur à voir.
« Voilà alors, j'ai bien réfléchis, et... Ellen ? ». Au moment de relever la tête, Katherine faisait face à
une femme en pleine crise d'angoisse. A peine s'était-elle levée pour lui venir en aide que la tête d'Ellen avait déjà heurté le plateau en verre de la table haute. Ses mains crispées ne bougeaient plus d'un millimètre. Sans un mot, la panique remplit aussitôt le corps de Katherine qui pourtant restait totalement calme en apparence. Elle se saisit de son téléphone portable pour composer le numéro des urgences au plus vite.
« Bonjour, au 1 Wildfield Way à Enfield, on à un cas de crise d'angoisse, une jeune femme de 30 ans. Oui à l'instant... Oui je vous attend, faites vite. ». Elle raccrochait et enfin s'accordait le droit
de lâcher un long soupire.
End Notes:
C'est peut-être un peu long mais c'est un texte que j'avais écrit en grand format.
Merci à ceux qui me donneront leur avis et qui iront voir la suite ;)
Amnésie by MelHp7
Author's Notes:
L'étrangeté est mon domaine.
Troisième réveil dans une seule et même journée, voilà qu'Ellen ouvre les yeux dans une pièce blanche. Le blanc est la couleur la plus pure, censée nous apaiser. Dans ce cas là, le blanc entêtant était plus angoissant qu'autre chose. Le blanc rime avec blouse et hôpital, avec blues et abyssal. D'un revers de main, la nouvelle patiente tentait d'émerger du néant. Le blanc aveuglant laissait petit-à-petit place à d'autres objets communs des chambres hospitalières. Une télévision des années 90, dont l'écran noir contrastait grandement avec la luminosité extrême de la pièce. Elle était suspendue au mur en face d’Ellen. A sa gauche, le soleil timide entrait par une grande fenêtre en hauteur tandis qu'à sa droite un deuxième lit encombrait l'autre moitié de la salle.
Celui-ci était vide, et cela s'expliquait facilement puisqu'Ellen avait été emmenée dans l'hôpital le plus proche, autrement dit un petit hôpital de campagne oublié et vide. Il lui fallut un temps pour réaliser qu'elle était bien dans un hôpital, mais quand ce fut le cas, Ellen se redressa d'un coup dans son lit blanc. Elle voyait soudainement plus clair.
« Mais qu'est ce que je fais là ?! », dit-elle à haute voix comme elle l'aurait pensé intérieurement.
En relevant la main pour essuyer de nouveau son visage, elle sentit quelque chose d'anormalement froid toucher la peau de son avant-bras. Elle fronça les sourcils en s'apercevant qu'un fin tuyau transparent était relié à l'une de ses veines. Ce câble médical remontait jusqu'à une poche plastifiée remplie d'un liquide étrange. Comment pouvait-elle être hospitalisée sans savoir
pourquoi ? Ce câble devait-il l'inquiéter ? N'étant pas une habituée des hôpitaux, Ellen s'inquiétait effectivement de se voir injecter des doses d'un produit dont elle ignorait les propriétés. Elle se
croyait dans l'un de ces téléfilms terrifiants diffusés les vendredis soir à 00H10. Sur l'habituelle table de nuit que comportait toute chambre d'hôpital qui se respecte, Ellen trouva un gros interrupteur. Sans réfléchir, elle appuya fortement dessus en pensant appeler un responsable. Un voyant rouge s'illumina aussitôt.


Sans se presser une infirmière débarqua dans la chambre. La sérénité qu'elle dégageait était presque agaçante. L’alerte rouge allait pourtant de pair avec l’urgence. Le dos collé au dossier dur du lit, Ellen lui jeta un regard interrogateur. Cette femme rassemblait tous les clichés qu'on avait toujours balancé au sujet des infirmières. Élancée, joliment sublimée dans sa combinaison de sauveuse, ses longs cheveux bruns ondulaient à chacun de ses pas. Comme dans un ralenti hollywoodien, Ellen jouait le rôle de la caméra, elle ne la lâchait pas des yeux. Le temps perturbé, elle avait temporairement oublié que rien de tout cela n'était normal.
"Vous avez demandé de l'aide madame ?", demanda-t-elle naïvement, un sourire aux lèvres.
"Oui... Elizabeth, Ellen avait pu lire son nom sur son insigne officielle, je me demande pourquoi je suis ici. Qui m'a emmené ? Et de quoi je souffre ? Où sommes-nous d'ailleurs !" La patience n'étant pas son fort, elle ne pouvait se résoudre à imiter le calme d'Elizabeth.
"Vous êtes à l'hôpital de Lightown, depuis environ deux heures. Vous avez fait un malaise pas loin d'ici. J’ignore qui vous a amené mais c'est une personne responsable."
En quoi un malaise méritait-il tant d'attention ? Le plus perturbant dans tout cela c'est qu'Ellen ne
parvenait pas à se souvenir de ce soit disant malaise. Les sourcils froncés, elle s'efforçait pourtant de s'en rappeler. L'avantage de la mémoire c'est qu'elle est le plus grand des placards mais son problème c'est aussi qu'elle soit un placard bien trop grand. Entasser des choses elle sait le faire, mais les ranger jamais. Ellen poussa un soupire de lassitude.
"Pouvez-vous m'expliquer ça, si je n'ai fait qu'un malaise ?" Elle désigna de sa main le tube en
plastique qui faisait corps avec sa veine grossissante.
"Oh ça ? Elizabeth s'avança sans gêne vers Ellen et s'assit dans le même temps sur le matelas, ce ne sont que des vitamines. Et puis vous-vous êtes cognée la tête." Son sourire ne quittait pas sa bouche drôlement rouge. Ellen se racla la gorge plus ou moins discrètement alors que le silence prenait place. Des vitamines ? Alors qu'Ellen s'apprêtait à porter sa main à son front qui lui paraissait chaud, l'infirmière lui saisit le poignet immédiatement sans pour autant être brusque.
"Si ça peut vous rassurer, vous êtes entre de bonnes mains ici. Et nous sommes loin d'être
débordés."
En y réfléchissant, Ellen ignorait totalement où se trouvait Lightown, et elle se demandait encore plus ce qu'elle faisait dans un endroit pareil, aussi éloigné de chez elle. La chaleur ne cessait de se faire de plus en plus cuisante. Quelle en était la cause ? Cette substance visqueuse ou.. non c'était ridicule. Le poids du petit corps d'Ellen s'abandonnait entièrement sur le matelas. Tout cette lourdeur lui donnait l'impression d'une intense pression sur son poignet, comme si les doigts d'Elizabeth demandaient à entrer dans son avant-bras. Mais le fait que tout cela soit progressif le
rendait moins douloureux et plutôt chaleureux. Tout devenait lourd, y compris ses paupières sur le point de tomber. La dernière image qui marqua la mémoire d'Ellen fut le visage illuminé d'Elizabeth, plus hypnotique qu'auparavant. Puis elle se rendormi brutalement.


Décidément, combien de fois devrait-elle subir le trouble du réveil aujourd'hui ? Ce même
lit blanc et inconfortable supportait son corps endormi depuis des heures. Sa vue floutée de la
chambre se clarifiait progressivement. Elizabeth avait disparu. Pourtant Ellen était sûre de ne s'être assoupi que quelques minutes. Comment délier le vrai du faux ? Et si cette Elizabeth n'avait été que le fruit de son imagination fantasmatique. Alors que cette réflexion ne présageait pas de fin, la solution au problème d'Ellen apparu dès lors que ses yeux verts se posèrent sur la porte de sa chambre désormais ouverte. En levant un peu la tête, elle compri. Cette porte portait le numéro
13 et ça n'était pas anodin. Le vendredi 13 n'était toujours pas terminé mais en plus de cela, alors
qu'elle était l'une des seules patientes de cet hôpital à l'abandon, on lui avait quand-même réservé cette chambre spéciale, la chambre numéro 13. Le cauchemar était loin d'être terminé. Une sorte de radio-réveil sonna promptement, il affichait 13h00. Ellen devait à tout prix rentrer chez elle, là où elle serait sûre de ne pas oublier deux heures de sa propre existence. L'amnésie, la perte de mémoire était l'une des choses qui faisait l'objet d'une crainte perpétuelle chez Ellen. Sans attendre, la brune sorti du lit. Dès lors qu'elle toucha le sol, le froid eu l'effet d'un électrochoc rapide mais efficace. Pieds-nus sur le carrelage, rien de plus agressif après un état de sommeil profond. L'avantage qu'Ellen voyait à cela c'est que désormais elle se sentait réellement réveillée.
Un léger vertige la fit pourtant chanceler au point qu'elle dû s'appuyer contre le mur revêtu de
papier peint. Les yeux fermés, il lui fallait se reprendre. Le temps d'un instant, elle fut dans le noir
complet. Une fois les yeux rouvert, Ellen souffla un bon coup et repris ses esprits. Le premier temps de l’escapade c'était le repérage. En tendant le cou vers la sortie, seule sa tête chevelue se distinguait de la linéarité du couloir. Un coup d’oeil à gauche, un autre à droite, personne n'obstruait le passage sans fin. Ellen franchit le pas vers l'inconnu. Le problème était de savoir par où aller. Si seulement elle avait été consciente quand on l'avait conduit dans cette chambre. Son esprit superstitieux la contraint à prendre à droite bien qu'elle se trouvait aussi ridicule qu'une
victime d'un survivor movie. Elle était folle de penser qu'elle pourrait éviter le personnel et les médecins de tout un hôpital, d'autant plus que les patients s'y faisaient rares. « Qui ne tente rien n'a rien », pensa-t-elle. D'un pas gauchement assuré, elle filait vers ce qui semblait être le fond du couloir. Un écriteau y était suspendu, il devait sans doute indiquer une direction. En marchant, le bruit que produisait le frottement de ses vêtements lui fit subitement prendre conscience du fait qu'elle portait une de ces blouses qu'on met aux malades internés. Elle dû même s'arrêter pour vérifier qu'elle ne rêvait pas. De ses mains, elle tirait sur cette immonde chemise longue et bleue.
Tout bien réfléchit, le meilleur moyen de passer inaperçu c'était d'enlever cette horreur. Assez rapidement, elle la déboutonna et la lança par terre. Ainsi, elle avait l'air d'un visiteur. Ellen accéléra le pas et le mur qui lui faisait face commençait enfin à se rapprocher, néanmoins l'écriteau demeurait illisible. Son but était proche lorsque des voix de plus en plus audibles approchaient. Prise de panique, Ellen eu pour réflexe d'ouvrir la première porte venue pour se cacher dans la pièce en question. Le souffle court, elle ne relâcha la pression qu'après être sûre
d'avoir laissé passer les deux individus.
« Hmm... »
Quelqu'un venait de se racler explicitement la gorge dans son dos. Pétrifiée à l'idée d'avoir été
découverte, Ellen n'osait même pas se retourner.
« Que faites-vous ici ? », dit une voix féminine.
Elle fut bien obligée de faire face à cette femme. Lentement, elle tournait les talons. Tout aussi
lentement, ses yeux s'ouvraient jusqu'à devenir de grande billes rondes. Elizabeth était là, assise
derrière un bureau massif en bois de chêne. Cette même Elizabeth qu'elle avait cru avoir inventé.
« Oh c'est vous, Mrs Broody ! Vous allez mieux on dirait. » Elle souriait à nouveau.
« Oui, justement, puisque je vais beaucoup mieux, pourriez-vous m'indiquer la sortie s'il vous
plaît ? »
L'infirmière restait muette un moment, comme si son cerveau était lent au lancement. Ellen, la bouche à demi-ouverte, la fixait dans l'attente d'une réponse.
« Je ne crois pas avoir le droit de décidé du départ d'un patient, je suis désolée. », dit-elle enfin avant de faire la moue. Toujours aussi conforme aux préjugés, elle était belle et bête à la fois. Au lieu de s'emporter, Ellen pencha la tête. Une idée brillante mais incertaine lui était venue à l'esprit. Elle s'avança en face du bureau en bois jusqu'à poser ses petites mains sur le dessus, ce qui la forçait à se pencher légèrement en avant.
« Vous m'avez pourtant l'air d'être compétente. Vous avez donc un supérieur ? Mais... je suis bien votre patiente, non ? », répliqua Ellen d'un ton qui se voulait interrogateur mais surtout persuasif. Elizabeth, toujours assise et en position d'infériorité, hocha la tête, peu sûre d'elle.
« Oui, vous avez raison mais... j'ai un supérieur et d'après lui, je ne peux pas vous laisser partir,
vous ou un autre patient, sans son autorisation. Elle haussa les épaules. C'est la procédure, vous comprenez ? »
La grande blonde avait l'air si désolée qu'Ellen avait presque pitié pour elle. Pourtant, elle devait sortir de là et s'il fallait employer les grands moyens, elle le ferait. Voyant qu'Elizabeth restait campée sur ses positions bien réglées, Ellen fit le tour du bureau pour se rapprocher d'elle et changer de type de rapport : de patiente, elle allait se faire plus amicale. Elizabeth se senti obligée de se lever de sa grande chaise pivotante pour faire face à la brune entreprenante.
« Écoutez, il faut que je rentre, quelqu'un m'attend, j'ai... »
Alors qu'Ellen improvisait totalement, elle cru se rappeler d'un détail crucial des quelques heures
qu'elle avait accidentellement oublié.
« Mais oui, je me souviens ! J'ai un rendez-vous avec Katherine. » dit-elle tout haut avec un air de
stupéfaction. Elle leva la tête pour lire l'heure sur l'horloge et lisait 13h13. Son visage retomba aussitôt. « Merde ! Je l'ai manqué, elle va me pulvériser. A moins que... ». Ses yeux semblait s'illuminer au fur et à mesure que ses souvenir réapparaissaient. « J'étais chez elle quand c'est arrivé, n'est ce pas ? Vous savez si j'étais chez Katherine Stiff ? »
Elizabeth complètement perdue haussa vaguement les épaules, elle n'osait plus dire un mot comme si elle avait à faire à une femme troublée psychologiquement. Sans rien annoncer, Ellen sorti en trombe de cette pièce, bien décidée à sortir de cet hôpital. Il lui fallait retrouver la directrice pour savoir ce qu'il s'était réellement passé. Néanmoins, alors que sa motivation était incommensurable, sa force diminuait à vue d’oeil. Ses pas devenant chaque fois un peu plus lourd lui donnaient du fil à retordre. La porte de sortie semblait enfin plus proche. Ellen pouvait lire
« exit » en vert sur le pan de mur droit devant elle. Les derniers efforts seraient les bons, ainsi la brune se motivait et chaque mètre parcouru était visible à la sueur de son front anormalement chaud.
Elizabeth ne sorti de son bureau qu'au bout de cinq minutes, lorsqu'elle se rendit compte qu'elle venait de faillir à sa tâche. Mais Ellen était toujours dans ce couloir infernal. En fait, elle rampait sur le carrelage dont elle ne sentait même pas la fraîcheur. Compatissante, Elizabeth s'approcha d'elle avec l'allure d'une mère. Elle s’accroupit pour poser sa fine main sur le visage d'Ellen et découvrit avec stupeur sa fièvre alarmante. La bouche grande ouverte, elle se redressa d'un bon et actionna l'interrupteur qu'elle portait autour du cou en guise de collier.
« Ne bougez pas Mrs Broody, je reviens pour vous soigner ! »
Aussitôt, Elizabeth disparu dans un autre couloir ou une autre pièce. C'était le moment idéal pour s'échapper définitivement. Plus que deux mètres et elle aurait les pieds dehors. Ellen réunit toutes ses forces pour se remettre sur ses jambes chancelantes et avancer. La douleur n'était plus qu'un message désagréable que lui adressaient ses nerfs : « Arrête-toi bon sang, tu vas y passer ! ». Mais Ellen savait pertinemment que seul le 13 était responsable de tout cela et elle devrait se battre pour que défile le temps et qu'arrive le samedi 14. Cette réflexion ayant occupé son esprit, Ellen avait atteint la porte coulissante qui s'était ouverte assez rapidement. Sur les genoux, elle traversait cette entrée. L'air extérieur qui venait lui caresser le visage était synonyme de libération.


Le cou tordu, quasiment rompu, son faciès faisait face au ciel gris et clair qu'elle avait quitté quelques temps auparavant. Son corps était étendu entre le sol et l'air, ce qui lui donnait une allure d'insecte. Cette sensation de délivrance, elle n'aurait jamais pensé la ressentir car menant une vie ordinaire et miteuse, elle savait que les aventures spéciales n'étaient pas pour elle. Néanmoins elle s'était trompée.
« Ellen ? »
Cette voix, résultat d'un mélange d'anxiété et de choc, Ellen la reconnaissait parfaitement mais elle n'était pas vraiment celle qu'elle aurait aimé entendre au sortir de l’hôpital. En se redressant lentement sur ses genoux, elle affrontait le regard de Katherine, adossée sur sa belle voiture rouge, comme si elle l'avait attendu. Dans une posture pareille, Ellen avait définitivement montré le pire côté de son fort intérieur. Le malaise était tel qu'aucune des deux femmes n'osait prendre la parole. Un geste simple semblait mieux adapté. Katherine montra d'une main délicate la portière passagère de son bolide. Cela ressemblait à une invitation et pourtant Ellen, à sa place, n'aurait pas hésité à déguerpir dès qu'elle en aurait eu l'occasion. Chance ou non, Ellen était vouée à se faire trimbalée à droite et à gauche tant que la journée ne serait pas terminée c'est pourquoi elle allait accepter de monter. Le bon point là-dedans, c'est qu'elle commençait à apprécier Katherine et
qu'au moins elle avait la prétention de penser qu'elle la connaissait un peu contrairement au personnel de cet hôpital perdu. Ellen grimpa donc dans ce véhicule flambant neuf sans rien dire hormis « merci ». Au
moment où Katherine démarra, Ellen pu surprendre l'arrivée sportive d'Elizabeth dans l'entrée de
l'hôpital. Impuissante, celle-ci lui lança uniquement un dernier regard mêlant tristesse et pitié. La voiture ayant fait gratter ses pneus dans les graviers de la cour, voilà que les deux femmes s'en allaient comme deux fraudeuses.
« Que s'est-il passé Ka... Madame ? Je sais que j'étais chez vous il y a trois heures ou plus. Pourquoi aie-je atterri dans cet hôpital fantôme ? », questionna Ellen, les yeux rivés sur le profil gauche de Katherine.
Concentrée, la conductrice fixait la route et faisait défiler le paysage campagnard en roulant à une allure convenable. Elle respirait lentement, sans jamais faire d'écart, ce qui manifestait à quel point elle était calme comparé à Ellen.
« Vous avez fait un malaise. J'ai pensé bien faire en vous emmenant rapidement à l'hôpital quand on m'a dit au téléphone qu'aucune ambulance n'était disponible. », répondit froidement Katherine sans cligner des yeux.
Pas étonnant, un vendredi 13, pensa Ellen en fronçant les sourcils.
« Et vous, comment se fait-il que vous vous soyez échappée de votre chambre ? », Katherine avait quelque peu haussé le ton et Ellen avait presque cru entendre sa mère.
Ellen regarda un moment l'intérieur de son poignet droit : on y remarquait toujours cette marque circulaire rouge qui virait au violet. Katherine avait suivit son regard jusqu'à ce qu'Ellen tourne à nouveau la tête vers elle.
« On m'a drogué ! Elizabeth, elle m'a fait croire qu'on m'injectait des vitamines mais après ça je me
suis sentie toute bizarre !
- Elizabeth ? Je n'ai vu personne de ce nom là-bas, qui était-ce ?
- Mais si, l'infirmière ! La jeune infirmière blonde, grande, un peu niaise... elle s'est « occupée » de
moi.»


Katherine ne dit rien de plus mais elle était persuadée de n'avoir rencontré que la réceptionniste et un médecin maigrelet du nom de Tim Josman. Le fait qu'Ellen ait pu voir une autre personne avec cette description lui faisait bel et bien penser qu'elle avait été droguée, mais pas nécessairement volontairement. Les vitamines comme tout médicament peuvent avoir des effets indésirables qui varient selon les gens.
« Ellen, je vais vous raccompagner chez vous, il est clair que vous avez besoin de vous reposer après cet événement pour le moins... inattendu. »
Ellen leva la tête vers le par-brise et se rendit compte qu'elles venaient d'entrer à Londres dans la
circulation plus ou moins agitée. Elle ne pu empêcher un sourire de soulagement et de gaieté à l'idée de retrouver son nid. Mais quelque chose clochait. Ellen se souvint qu'elle s'était rendue chez la directrice à 10H00 comme prévu, mais elle ne savait toujours pas pourquoi ce rendez-vous avait eu lieu. Ellen tourna alors la tête vers Katherine et imitait la tranquillité.
« Je vous remercie de vous préoccuper de ma santé mais, je ne comprends pas. Pour quelle raison m'avez-vous faite venir chez vous ? Il me semble que mon malaise ai tout interrompu et je n'ai aucun souvenir de ce qu'il s'est passé alors... »
Katherine semblait réfléchir. Évidemment qu'Ellen n'était pas venue pour rien mais cet événement ne pouvait pas passer inaperçu selon elle.
« Il vaut peut-être mieux remettre cette conversation à plus tard. Vous n'êtes plus en état et j'ai encore à réfléchir sur le sujet. » Pour la première fois, Ellen venait de déceler une faille dans le comportement de Katherine. En effet, elle fuyait la discussion, elle fuyait le fin mot de l'histoire et pourquoi ? La curiosité démangeait la banquière au point qu'elle se mit à insister.
« Je me sens parfaitement prête à écouter ce que vous avez à me dire, madame. Nous sommes seule, et je vous promets de garder mon calme. »
Katherine, les yeux cette fois grands ouverts, freina sèchement sur la ligne blanche d'un panneau stop. Comme si elle venait d'être démasquée, la directrice avait perdu son calme habituel.
« Descendez s'il vous plaît. Si jamais vous ne retrouvez pas votre chemin, vous êtes dans la rue
parallèle à celle de votre appartement. » Katherine avait retrouvé son ton glacial.
Sans faire d'histoire, Ellen, les yeux remplis de colère et d'incompréhension, sortit du véhicule en
douceur. A peine se fut-elle retournée que la voiture rouge disparaissait au coin de l'avenue.
End Notes:
Si vous avez quoique ce soit à dire à propos de ce chapitre ou de la nouvelle en générale, allez-y !
Bonne ou mauvaise nouvelle ? by MelHp7
Author's Notes:
Le titre de ce chapitre n'est pas sans double sens... Je vous demande réellement de me dire si oui ou non ma nouvelle vous plait ou à défaut si elle est de bonne qualité !
« Je connais le chemin, merci ! », cria Ellen dans le vent, sur un ton méprisant qu'ellen'aurait jamais osé utiliser devant sa directrice. Elle lâcha un soupire de lassitude et laissa ses bras mous retomber le long de son corps. Elle rentrait enfin chez elle, et son lit l'attendait. L'heure lui était encore inconnue mais un vendredi 13 il valait mieux qu'elle reste couchée : le temps passerait plus vite, et les dégâts seraient forcément évités. Puis Ellen aura également tout un week-end pour
se remettre des événements. En y repensant, c'était la première fois qu'elle voyait Katherine en dehors des bureaux d'HSBC. Celle-ci lui avait paru un chouia plus agréable hors de ces murs affreusement rébarbatifs.
La clé dans la serrure, Ellen allait franchir le hall d'entrée de son immeuble lorsque une sonnerie retentit. Elle entra d'un bon et par réflexe fouilla les poches de son jeans sans rien trouver. Pourtant, il n'y avait personne d'autre qu'elle dans ce hall, ça ne pouvait qu'être son téléphone. Tout en cherchant d'une main son mobile dans son petit sac à main, Ellen appelait
l'ascenseur qui s'ouvrit immédiatement. Elle saisit son téléphone portable au moment même où elle entra dans la cage montante. Elle décrocha aussitôt.
« Allô ? Estelle ? »
Personne ne répondait et son mobile était anormalement silencieux. En le regardant Ellen s'aperçu que le signal réseau n'était pas assez fort, alors elle raccrocha. C'est au cinquième étage que montait la petite brune pour regagner son espace personnel. Une nouvelle fois, elle tourna ses clés dans la serrure et s'enferma au plus vite à l'intérieur. D'un seul relâchement d'épaule, elle laissa tomber son sac à main. S'asseyant sur la chaise la plus proche, elle rappelait déjà Estelle.
« Oui, Estelle ? Je suis désolée, j'étais dans l'ascenseur et le réseau a dû couper.
- Oh je vois, toujours aussi feignasse », répondit la voix rieuse de Estelle. Cela fit sourire légèrement Ellen pour la première fois de la journée.
« Tu ne peux pas savoir comme je suis contente de t'entendre. J'ai passé une sale journée.
- Et tu sais quoi ? Elle n'est pas encore finie ! Il est que 15H00, ma poule. »
Ellen ne put s'empêcher de vérifier sur la pendule accrochée au dessus de son lit. Effectivement, il
restait bien trop de temps à endurer.
« En parlant de ça, renchérit Estelle, je suis en bas et je me demandais si je pouvais… monter. A
moins que tu ne sois pas seule et dans ce cas que je me casse direct parce que ce serait vraiment exceptionnel que tu vois quelqu'un ! » Estelle se mit à exploser de rire et Ellen secouait la tête.
« T'es vraiment une garce quand tu veux, toi. Tu as deviné, personne n'est là et en vérité, je serai
ravie que tu me rejoignes. Ellen se leva pour appuyer sur l'interrupteur de l'interphone qui permettait de déverrouiller la porte principale du hall d'entrée. C'est ouvert. »
Les tonalités indiquant que plus personne n'était en ligne annonçait l'arrivée imminente d’Estelle qui au bout d'une minute donna trois grands coups dans la porte.
« Entre !
- Ah ! Alors raconte moi les malheurs de Sophie, tu veux. »
A peine arrivée, Estelle se laissait lourdement tomber sur le lit moelleux d'Ellen, lit qu'elles avaient de nombreuses fois dû partager pour diverses raisons toutes plus farfelues les unes que les
autres.
« Tu sais à quel point je déteste le vendredi 13, n'est ce pas ?, dit Ellen en faisant la moue.
- Évidemment, tu as peur de tout depuis que ton premier et dernier chat noir t'a uriné dessus au point de brûler ton pantalon. Et… ? »
Estelle avait toujours le don de mettre mal à l'aise, notamment avec le passé. Ces deux filles se
connaissaient depuis leur plus tendre enfance et ne s'étaient jamais quittées. Pourtant, hormis leur âge, ces deux là n'avaient rien en commun. C'est peut-être ce qui rendait leur amitié plus solide finalement.
« Aujourd'hui c'était pire que ça. J'ai fait un cauchemar horrible cette nuit, je suis arrivée en retard au rendez-vous de la directrice de la banque, je me suis évanouie sous ses yeux, elle m'a conduit
dans un hôpital étrange, je me suis ridiculisée, on m'a drogué, j'en suis sûre et puis Katherine m'a largué au beau milieu de la rue avec son air fâcheux et là… là, je ne sais plus quoi penser. » Ellen avait enchaîné ces mots avec une telle rapidité qu'elle avait réussi à tenir en haleine Estelle la grande pipelette.
« Mon dieu. Quelle aventure. Tu veux dire que Stiff le dragon a été témoin de tout ça ? Mais pourquoi tu avais rendez-vous chez elle ? Et un vendredi matin en plus ? Tu n'es pas censée travailler d'ailleurs ? », demanda Estelle les yeux plissés. Cette avalanche de questions avait presque perdue Ellen dans sa réflexion. Elle-même n'avait pas toutes les réponses à ces interrogations. Dans un geste de lassitude, elle se laissa elle aussi tomber sur son lit dans un soupire.
« Elle n'a pas voulu me dire ce qu'elle avait à m’annoncer quand elle m'a planté dans la rue. Elle a
dit qu'elle devait encore réfléchir. J'ai peur de me faire virer, d'autant plus avec tout ce temps que je
lui ai fait perdre aujourd'hui... »
Ellen regardait son plafond en parlant tandis qu’Estelle venait d'être attirée par tout autre chose.
Aussi dispersée qu'une enfant de cinq ans, elle était en train de jeter un oeil à Ellen dans sa tenue de patiente jusqu'à ce qu'elle remarque une tâche anormale sur le poignet droit de son amie. Elle le saisit d'un coup, ce qui fit gémir légèrement Ellen.
« On t'a droguée tu dis ? Moi je penses que tu exagères un peu la chose. On a juste dû t'injecter de quoi te remettre sur pied après ton malaise, dit-elle en relâchant sèchement le poignet d'Ellen avant de la regarder avec un fin sourire. Tu sais que c'est une grave accusation d'affirmer que des infirmiers t'ont drogués, hein ? Et puis ils n'ont aucune raison d'avoir fait ça. T'as peut-être simplement un corps fragile et les médocs ont mal agit. »
A ce moment elle préférait la douceur d’Elizabeth à la brusquerie d’Estelle, même si ce qu’elle disait faisait sens. C'était même rassurant, néanmoins ce n'était pas ce qu'elle disait qui attirait l'attention d'Ellen mais plutôt la façon dont elle se comportait. Bien sûr elle avait l'habitude d'une tenue presque incorrecte et d'un langage laissant à désirer, cependant elle était tout de même différente. Ellen évitait de s'attarder sur ce détail sachant que sa vie professionnelle était
éventuellement fichue.
« C'est la première fois que je suis impatiente de recevoir un appel de ma directrice… Quoiqu'en
fait, ça me fiche la trouille. »
Estelle éclata de rire à quoi Ellen répondit en lui envoyant un regard noir. Ce n'était certainement pas le moment de rigoler d'après elle. L'anxiété commençait à emplir ses pensées et de plus en plus elle regrettait d'avoir accepté la compagnie de cette dévergondée d’Estelle, trop jeune dans sa tête pour se rendre compte de la situation.
« Pourquoi es-tu libre un vendredi, toi ? Tu ne devrais pas être au restaurant ? », demanda Ellen
curieuse et un peu étonnée également. N'importe qui devrait être en train de travailler à une heure
pareille. Mais quelle heure était-il ? Ellen tourna sa tête vers sa pendule et elle constata impassiblement qu'il était 15H27.
« Le patron n'a plus besoin de moi en ce moment après les périodes de service. Donc à 14H30 il me lâche. Il a embauché une jeunette de 21 ans pour s'occuper du bar. »
On pouvait déceler un soupçon de rancœur dans la voix d’Estelle. Cela faisait maintenant 12 ans qu’elle travaillait au Riverside, le bar brasserie de Picadilly Circus. Les études n'ayant jamais été son fort, elle avait tout plaqué après le lycée pour se trouver un job dans ses cordes. Pour le coup, elle en avait eu de la chance de décrocher aussi rapidement un boulot. Finalement Ellen s'égarait davantage dans ses pensées qu'elle ne se concentrait sur la voix d’Estelle. En fait, celle-ci sonnait comme un bourdonnement ennuyeux voire gênant. Plus les secondes passaient et plus la voix intérieure d'Ellen criait : « On en a assez entendu, met la dehors maintenant ». Cette voix sans tact elle n'existait bien sûr que dans son esprit car en vérité Ellen avait toujours été quelqu'un de calme
et de compréhensif. D'un mouvement presque incontrôlable et incontrôlé, la brune se leva du lit et
se dressa face à son amie.
« Excuse-moi mais, je ne me sens pas bien du tout. Avec tout ce qui s'est passé en si peu de temps,
j'ai besoin de me reposer, de me remettre de toutes ces émotions et puis, il faut que je sois prête pour recevoir l'appelle de Katherine. »
Estelle resta de marbre un instant comme si elle s'attendait à ce qu'Ellen rit pour lui faire comprendre qu'elle plaisantait. Mais cela n'arriverait pas alors Estelle haussa les épaules l'air hébété. Ce qu'Ellen voulait lui faire comprendre indirectement c'était qu'elle souhaitait être seule à présent, et après tout ce n'était pas trop demander. Avec un peu d'espoir, elle attendait dans le plus froid des silences qu’Estelle fasse preuve d'empathie. De son côté, la serveuse se passait la main dans les cheveux à répétition jusqu'au moment où elle parut grandement s'ennuyer.
« Bon bah écoute, je pense que je vais aller faire un tour maintenant et je te laisser te préparer pour le retour de... Katherine. ». Ellen n'avait pu que remarquer le ton qu'elle avait employé pour prononcer le nom de sa directrice, sans savoir ce que cela voulait dire dans sa bouche. En vérité, elle préférait ne pas le savoir. Elle se leva d'un coup pour aller la raccompagner jusqu'à la sortie.
« Eh bien, en tout cas je te remercie d'être passée me voir. Amuse-toi bien et sois prudente ! »
Le claquement de la porte conclut la phrase avec brio. Lui conseiller la prudence avait été presque instinctif pour elle, car ce genre d'attention devenait automatique lorsque la superstition s'emparait d'elle. Son véritable objectif de la journée clignotait de nouveau sur sa ligne de mire : ce vendredi 13 devait cesser. Oui, parce qu'après tout Katherine pouvait attendre, sans compter qu'elle n'appellerait certainement pas aujourd'hui, et dans ce cas elle n'appellerait pas non plus durant le week-end. Son premier réflexe fut de guetter l'heure. Ellen constata avec lassitude qu'il n'était que 16h06 ; pas de quoi crier victoire. Sous l'emprise du désespoir, la brune dans une position de jeune fille se vautra dans son lit, le regard comme attiré par le plafond. Après une
courte réflexion elle pensait que rien ne serait plus efficace qu'une sieste pour faire passer le temps. Néanmoins, une petite appréhension s'emparait d'elle. L'idée qu'elle puisse replonger dans l'un de ces cauchemars horriblement réalistes la rebutait. Comme pour se motiver, elle bondit hors de son lit et se dirigea vers sa petite cuisine où elle s'empressa d'ouvrir le réfrigérateur. Elle en sortit la bouteille de lait à moitié vide pour se servir un grand verre passant de transparent à blanc opaque. Avant même de ranger le liquide au frais elle engloutit de grandes gorgées. Mais quand la lourde porte du réfrigérateur claqua dans un bruit sourd juste après qu'elle l'ait poussé pour le refermer, quelque chose lui faisait penser que son après-midi serait moins vide que prévue. Alors qu'elle s'apprêtait à terminer sa boisson fraîche, son téléphone portable retentit de nouveau. Un
soupire amère s'échappa de la bouche d'Ellen qui eu simplement à tendre le bras pour attraper et décrocher dans la foulée.
« Tu as oublié quelque chose Estelle ? dit Ellen sur un ton presque grondeur.
- Je vous demande pardon Miss Broody ? »
Le coeur d'Ellen s'arrêta net. Une voix à laquelle elle ne s'attendait pas venait de faire sauter chacun de ses nerfs une fois dans son corps. Dans un geste violent elle retourna son téléphone pour constater qu'en effet ce n'était pas Estelle au bout du fil mais bien Mrs Stiff.
« Ellen, c'est bien vous ? » , renchérit Katherine presque inquiète.
Encore un point imprévisible qu'elle devrait ajouter à sa liste, elle qui pensait que sa directrice l'aurait oublié jusqu'à lundi matin... C'est avec hésitation qu'elle reposa délicatement son appareil sur son oreille. Elle n'osait même pas se racler la gorge auquel cas il serait flagrant pour Katherine qu'Ellen était complètement embarrassée.
« Excusez-moi Mrs Stiff, je vous avais prise pour quelqu'un d'autre. », répondit enfin Ellen d'une
voix douce et désolée. Son corps raidi la contraignait à rester debout, immobile devant sa fenêtre et cette situation mimait à la perfection la position qu'aurait réellement gardé Ellen si elle avait été face à sa directrice en ce moment précis. Une petite voix dans sa tête avait beau lui répéter de se détendre, c'était tout simplement physionomique. Si Descartes revendiquait la dualité entre le corps et l'âme, celle-ci faisait visiblement défaut chez Ellen qui confondait les deux.
Katherine se racla la gorge. Elle devait s'impatienter et le ridicule de la situation avait sans doute
dû l'agacer.
« Oui, eh bien, j'avais quelque chose à vous dire ce matin, et il vous est arrivé ce... malaise.
D'ailleurs, comment allez vous ? Visiblement vous avez pris le temps de voir quelqu’un. », Ellen avait bien saisit que cette question n'était que pure politesse et non un réel intérêt pour sa santé, mais c'était toujours inhabituel de l'entendre lui demander de ses nouvelles. En revanche cette petite précision finale qui faisait référence à Estelle sonnait comme un pic amère et Ellen choisit de l’ignorer.
« A ce propos, je m'excuse pour notre rendez-vous gâché. Je vais bien, je vous remercie. » Elle était
prête à lui retourner la question le temps d'une seconde. Mais cette pensée avait à peine existé pour être aussitôt chassée par la rancoeur qu'elle avait contre cette rude femme.
« Je me suis permise de vous appeler malgré cet incident, parce que ce que j'ai à vous dire me paraît
suffisamment important. J'aurais préféré vous en parler en direct mais à moins de me rendre chez vous, ce qui me paraît déplacé, je suis obligée de le faire par téléphone.
- Oh, oui bien sûr je vois. Le téléphone ne me dérange aucunement. Mais j'avoue être de plus en plus effrayée par la nouvelle que vous allez m'apporter. », c'était peu de le dire. Ellen tremblait au point de sentir à plusieurs reprises l'écran moite de son portable se coller sur sa joue froide. Vite que cette angoisse se termine.
« Voilà, Ellen je voulais vous diiiii- que vouuuus... BIP »
Sentant son corps soudainement lâche et mou, Ellen retira aussitôt le portable de son oreille à cause du bruit horrible qu'il avait produit. L'écran tinté de rouge affichait la fin de l'appel : une coupure de réseau en était la cause.
« Merde ! », grogna Ellen sur un ton d'agacement. D'un geste irréfléchi, elle lança son téléphone portable dans la couette défaite de son lit. Le réseau avait l'air de s'être totalement bloqué, comme si le diable se dressait contre elle. Mais saurait-elle un jour pourquoi Katherine voulait tant lui parler ? La rage était devenue plus forte que la peur. Le 13 ne l'effrayait plus, il la rendait colérique.


Comment faire ? Se rendre sur place c'était prendre de trop gros risques pour un résultat des plus ratés. La contacter par téléphone n'était plus envisageable. Mais il restait un mode de communication ! Internet serait peut-être son sauveur. Ellen se pencha sur sa table basse en verre pour y attraper son mini ordinateur portable dont elle était très satisfaite. Elle regagna rapidement son lit – sûrement le meuble qu'elle chérissait le plus dans son appartement. Le clapet ouvert, elle tapait son mot de passe aussi vite que l'éclair et ouvrait une page internet. Sur Google Chrome, on pouvait voir trois onglets déjà ouverts : celui de Facebook, celui de son forum préféré, et enfin
celui de sa boite mail. L'ordinateur était une des machines qu'Ellen maîtrisait le mieux, loin devant la machine à laver, c'était certain, alors écrire un e-mail ne lui poserait aucun problème.


Mme Stiff,

Je vous contacte par ce biais car mon téléphone portable ne capte visiblement plus aucun réseau et il se trouve que je ne peux plus attendre. J'aimerais vraiment que vous me communiquiez ce que vous souhaitez me dire depuis que vous m'avez donné ce rendez-vous. Soyez franche et directe.

Bien cordialement,


Mme Broody


« Bon, c'est un peu brut de décoffrage mais ça a au moins le mérite d'être clair. », chuchota Ellen en
se frottant la joue. Après avoir vérifié qu'elle n'avait fait aucune faute d'orthographe dégradante,
elle cliqua directement sur « Envoyer ». En quelque seconde, un message automatique lui faisait parvenir que son e-mail avait bien été reçu. En revanche, rien ne la mettrait au courant de la lecture de celui-ci. Ellen n'avait pas pensé au fait qu'elle devrait peut-être attendre la fin de la journée pour se voir retourner une réponse de la part de sa directrice. Et si ça n'était même pas elle mais sa secrétaire qui lisait ses e-mail ? Après tout Ellen n'avait pas l'adresse personnelle de Katherine. La mine boudeuse, Ellen laissa ses yeux lourdement tomber en bas à droite de son écran pour y lire l'heure. Il était 16h33 et pourtant elle avait l'impression de tomber de sommeil. Il est vrai qu'elle n'avait pas l'habitude de subir de telles journées, aussi pleines d'émotions. Le premier
bâillement bruyant ne tarda pas à surgir de la bouche molle d'Ellen. Elle dû se résoudre à reposer son ordinateur pour pouvoir étaler librement son corps sur le lit. Les éventuels cauchemars, elle n'y pensait plus. Ce qui prenait toute la place dans sa tête c'étaient les derniers mots de Katherine qui résonnaient comme dans un bâtiment vide : « Ellen je voulais vous diiiii- que vouuuus... » Ça avait l'air presque amical dans ses souvenirs, et assez plaisant. Jusqu'à ce qu'elle se rappelle du fait qu'elle attendait surtout la suite de cette fichue phrase. Son corps formait une étoile sur le matelas. C'était sa façon de se détendre dans les moments de tension. Elle était si impatiente de recevoir une réponse qu'aucune autre activité ne la tentait mis à part l'ennui. Pourtant elle savait qu'être active ferait passer le temps plus rapidement. Même la télévision ne l'attirait pas, alors que sa série quotidienne commencerait dans un instant. Il s'agissait d'une sorte de saga policière
américaine en vogue, assez branchée sur les meurtres de fanatiques étranges et gores. L'horreur, Ellen aimait ça, mais seulement tant que ça restait bien enfermé dans la boite à couleur.
Autrement, elle se qualifiait elle même de lâche et de poule mouillée. Mais qui ne fuirait pas devant un tueur fou à la hache ensanglantée ? A moins d'être aussi fou qu'un fou.


Un petit bruit électronique rappela Ellen à l'ordre ! Sans attendre, elle se jeta sur son ordinateur et regagna rapidement la boite de réception de ses e-mail. Katherine lui avait répondu, au bout de vingt minutes.

Ellen, je te demande de ne pas m'écrire sur cette adresse, ce n'est pas un lieu pour parler de ce
genre de chose, si ma secrétaire tombait dessus... Je n'ose même pas imaginer les dégâts. Contacte-moi
sur cette adresse, elle est bien plus sécurisée : evilK-666@gmail.com


Les yeux grands ouverts, Ellen n'en revenait pas d'avoir lu un tel message. Elle dû le relire une nouvelle fois pour être sûre de n'avoir rien inventé. Tout sonnait faux, tout était bizarre, inattendu. Depuis quand Katherine tutoyais ses employés ? Depuis quand n'utilisait-elle pas de phrases de politesse pimpantes et grotesques au début et à la fin de son e-mail ? Bon sang mais de quoi voulait-elle lui faire part pour que ce soit si secret !? Ellen souhaitait à tout prix savoir, alors elle ouvrit une nouvelle page et entra l'adresse que sa directrice lui avait fourni. « Quelle drôle d'adresse... », pensa Ellen qui ressentit comme un frisson d'effroi en tapant chaque caractère de cette adresse diabolique.

Mme Stiff,

Dites-moi maintenant ce que vous avez à me dire, j'aimerai ne plus avoir à attendre, vous m'intriguez sévèrement.


Nul besoin de signer, néanmoins, il était hors de question qu'elle se rabaisse à tutoyer ce dragon. Combien de temps devrait attendre Ellen cette fois ? Elle soupirait d'avance, pendant que ses mains devenaient collantes. Son souffle, de plus en plus bruyant, s’accélérait au fil des secondes tant la pression se faisait ressentir. Le temps semblait jouer contre elle, il était long et presque douloureux. La pendule qui lui faisait face affichait bientôt 17h00 quand son ordinateur sonna. Elle riva alors ses yeux sur l'écran blanc.

Je ne sais pas comment annoncer ça, c'est plutôt délicat mais je vais me lancer car ça ne peut
plus attendre, je garde ce secret depuis bien trop longtemps. Vous vous souvenez de votre arrivée dans la banque ? Moi je m'en souviens parfaitement, c'était un lundi évidemment, il y a quatre ans déjà et on vous avait placée dans le bureau voisin du mien du fait de votre expérience. Je vous ai longuement observée, discrètement bien sûr, je ne voulais pas me faire remarquer. Mais vous avez dû vous rendre compte avec le temps de mon traitement de faveur envers vous. [...]


Elle s'arrêta en pleine lecture. « Quoi ?! », pensa-t-elle si fort qu'elle aurait juré qu'on l'avait entendu à côté. Un traitement de faveur ? En y réfléchissant, c'est vrai qu'elle avait peur de Katherine uniquement sur les dires de ces collègues mais de la à dire qu'elle avait été une directrice gentille...

[…]Je vais être plus claire, à notre rencontre, quand nous nous sommes serré la main en tant
qu'associées, c'est comme si je m'étais dédoublée et une partie de moi a totalement perdu pied. J'espère que vous comprenez, je suis comme tombée sous votre charme mais je n'ai jamais pu laisser paraître ça. Je suis mariée à Patrick depuis des années, je n'ai jamais rien ressenti pour une femme et voilà que je tombe sur vous, jeune, effacée. Je n'ai rien compris à ce qu'il m'est arrivé, et j'ai préféré cacher cela à tout le monde. Je crains grandement votre réaction mais je commence à saturer de toutes ces cachotteries. Ne m'en veuillez pas Ellen, je devais cracher le morceau.


Sous le choc, Ellen relâcha ses mains restées étroitement resserrées sur son ordinateur pendant la lecture. Sa mâchoire également bloquée retomba lourdement. Inconsciemment elle s'était maintenue sous pression face aux mots inattendus que Katherine venait de lui livrer. Elle n'en croyait pas ses yeux. Sa salive avait séché sur sa langue et sa gorge était si nouée qu'elle n'aurait pu sortir un seul son de sa bouche qui ne soit pas faussé. Vu son visage figé, elle avait l'air d'avoir été pétrifiée, comme par magie. Elle n'aurait pas le temps de s'en remettre, Katherine
venait de lui écrire un autre e-mail. C'est vrai qu'il s'était déjà écoulé un quart d'heure et l'émettrice devait s'impatienter.

J'ai l'impression de vous avoir choquée, vous n'osez pas me répondre ? Je ne voulais pas vous
brusquer mais peut-être qu'on pourrait tenter de se voir pour en discuter. Je comprendrais si vous préférez attendre, je peux être encore patiente après tout. Mais il faut mettre les choses à plat, dîtes moi ce que vous pensez, car lundi on sera bien obligées de se croiser pendant les heures de travail. Vous comprenez mieux maintenant pourquoi je vous ai donné rendez-vous chez-moi un matin, alors que c'est inhabituel. Mon mari est en fait absent pendant trois jours, vous pourriez passer me voir sans finir à l'hôpital. Réfléchissez-y.


Une fin de message brusque pour des paroles brutes, ça se tenait. Ellen était de plus en plus perdue, son cerveau personnifié courrait dans tous les recoins de son crâne sans plus savoir où donner de la tête. Voilà qu'elle était dans de beaux draps maintenant. Comme un retour aux années de la faculté, Ellen se sentait quelque peut séduite par cet imprévu car au fond, elle savait que Katherine avait toujours été un aimant pour elle bien qu'elle la détestait assez souvent. Étaitce
une chance de remettre les compteurs à zéro ? « Mais pourquoi moi ? », beugla Ellen à voix haute. Elle ne sait expliqué pourquoi un canon comme Katherine avec sa vie bien rangée, sa vie de luxe, foutrait tout en l'air pour une fille paumée comme elle ! Ça n'avait aucun sens. Quoique... Justement, les sentiments ça n'a pas de sens, ça ne s'explique pas. Peut-être bien que Katherine était faible, trop faible pour s'interdire de servir ses désirs. Enfoncée dans cette réflexion, Ellen en avait oublié l'heure. Elle devrait prendre une décision et avant tout acte, il fallait répondre à ces
deux e-mail à jamais gravés dans son esprit.

« Choquée », c'est bien le mot. Oui, je suis surprise de recevoir une telle confidence de votre
part. Je suis encore bouche-bée devant votre message mais vous avez raison sur une chose, il faut
mettre ça au clair. Je vais prendre la voiture, ça me laissera le temps de penser.


Ellen avait hésité une bonne minute avant d'enfoncer la touche « Enter » pour envoyer son e-mail. Elle voulait éviter à tout prix de confier ces ressentiments de peur et d'embarras à une femme qu'elle avait toujours considérée comme son supérieur hiérarchique et rien d'autre. Son écrit était volontairement froid, pour appuyer le fait que tout ceci était déplacé et improbable. Sachant qu'elle était dans cet état de perdition, Ellen se demandait quelle tête pouvait bien faire Katherine de son côté ce soir. Elle qui l'avait toujours vu sereine, sûre d'elle, la tête haute, tandis
que cette fois, elle devait se sentir prisonnière, car c'est Ellen qui avait les cartes en main.
End Notes:
Le mystère n'est pas encore élucidé mais on est très très proches du but !
Merci à ceux qui auront donné leur avis.
La confrontation by MelHp7
Author's Notes:
Dernier chapitre de ma nouvelle. Avide de connaitre le dénouement ?
Finalement, pendant le voyage, le temps s'était arrêté pour Ellen. Sa réflexion n'avait pas avancé d'un poil. Toujours au même point, assise sur le siège dans sa petite voiture, elle regardait sa montre. Difficile de lire l'heure alors que ses membres tremblaient, mais elle réussit à déchiffrer tout de même : 17h45. Il est vrai qu'Ellen avait passé du temps dans la salle de bain après avoir
refermé son ordinateur. Les yeux dans les yeux avec son miroir, elle s'était questionnée en silence pour détacher le vrai du faux dans ce qu'elle ressentait. Mais son coeur s'était enfermé à double tour depuis qu'elle avait lu les mots de Katherine. Sous la pesante confusion, il avait préféré se barricader et se rendre incompréhensible, impénétrable, au grand désespoir d'Ellen qui comptait sur lui pour la sauver de ce doute profond. Maintenant qu'elle faisait face au noeud du problème, elle devait prendre son courage à deux mains pour rencontrer son admiratrice. En reprenant conscience de l'espace dans lequel elle se trouvait, Ellen se rendit compte que sa jambe droite ne cessait de rebondir de haut en bas. Le stress la rendait encore plus inoffensive bien qu'elle aurait aimé paraître calme et forte. Elle soupira un bon coup de son souffle entre-coupé à cause du mouvement de va-et-vient que répétait sa jambe droite toujours active.


D'un coup sec, Ellen ouvrit la portière de sa voiture pour se retrouver dans la cour de cailloux des Stiff, cette même cour dont elle avait rêvé le matin-même. Ce souvenir avait un arrière-goût d'invention lointaine qui rendait la situation encore plus confuse, comme si elle se trouvait dans un endroit imaginaire, à nouveau dans un rêve. Elle avançait d'un pas lent et hésitant jusqu'à la porte d'entrée qu'elle ouvrit d'un coup sans même signaler sa présence. Une fois dans le hall, le silence omniprésent de l'extérieur lui paraissait bruyant comparé au néant auditif dans la demeure. Aucun bruit, aucune présence, on aurait dit une maison hantée mais entretenue.
« Madame... », prononça Ellen à la manière d'une enfant. « Je... j'ai pris la liberté d'entrer. »
Certes, Ellen avait eu le cran d'entrer sans en avoir la permission grâce à on ne sait quelle bravoure
passagère, mais elle regrettait déjà ce geste. La confiance qu'elle avait eu en passant la porte s'était
totalement évanoui, en quelque secondes. La maison avait repris ses droits de grandeurs sur la
petite brune « effacée » que décrivait Katherine dans son e-mail. Il n'était pas difficile d'observer
ce trait de caractère chez Ellen, car elle n'était que l'ombre d'elle même, et surtout au travail. Se faire toute petite était sa règle d'or. C'est pourquoi elle n'avait jamais vraiment eu d'affinité avec ses collègues de travail qui étaient de vrais commères.


Un bruit de pas assez lourd pénétra le calme pesant et sorti Ellen de ses pensées dérivées. Elle avait dressé le cou comme une proie sur la défensive. L'oreille tendue, elle guettait le moindre autre bruit pour savoir d'où arriverait Katherine. Les pas approchants résonnaient depuis le salon sur sa droite. Cependant, tout laissait croire qu'il ne s'agissait ni de pantoufles, ni d'escarpins à haut talon. Ellen se redressa sur son petit corps frêle, prête à saluer son hôte. Pourtant, celle-ci n'apparaissait toujours pas dans l'arche d'entrée du salon. Les pas s'étaient soudainement arrêtés. Elle savait bien que ce manoir était géant mais elle n'avait pas inventé ce bruit de pas omniprésent. La curiosité et l'impatience s'élevant en Ellen, elle ne pu résister à l'envie de s'approcher. Déterminée à avoir cette conversation réelle avec sa directrice, elle s'aventura dans la maison jusqu'à entrer dans l'immense salon. La lumière y était très faible, le silence était revenu et Ellen se sentait de plus en plus mal à l'aise.
« Y a t-il quelqu'un ? Katherine ? », appela Ellen dans un souffle de désespoir. Au moment même où elle s’apprêtait à relancer cet appel, une main gantée de noir obstrua l'ouverture de sa bouche avec une force surprenante, tandis qu'un autre membre la saisissait par la taille. Aucun son, même étouffé, ne sorti de sa gorge, seule la stupeur pouvait se lire sur son visage jusqu'à ce qu'elle laisse place à la peur. Elle se retrouvait en contact avec le corps de son agresseur qui se situait dans son dos. D'un coup de genou bien placé, celui-ci la fit fléchir au point de tomber au sol. Les mains osseuses et dures du criminel la gardait plaquée par terre. En quelques secondes, un grand
morceau de ruban adhésif lui recouvrit les lèvres. Prise de panique, Ellen cru ne plus pouvoir respirer. Fort heureusement, son nez restait opérationnel et lui permettait toujours de faire entrer de l'air dans ses poumons. En revanche, elle ne pouvait définitivement plus parler ou hurler, ce qui restait pourtant le plus utile dans un moment pareil. Elle ne pensait même pas à se débattre tant son agresseur était fort. Son seul réflexe fut de tourner au maximum la tête pour pouvoir voir le visage de cette affreuse personne qui avait pénétré chez Katherine. Néanmoins, elle avait été bête
de penser qu'il ne se cacherait pas derrière un masque. La seule chose qu'elle pu apercevoir ce fut des yeux marrons qu'elle n'attribuait pas à une jeune personne. Sa première pensée fut celle d'un homme d'environ quarante ans à cause des fines rides qu'avaient dévoilés les trous dans la cagoule noire du coupable. Après cet arrêt sur image qui marquerait son esprit pour longtemps, Ellen fut brusquement plaquée face contre sol. Elle n'avait jamais vu le carrelage brun des Stiff d'aussi près. Ce n'était que pour permettre à l'agresseur de lui menotter les mains. Au lieu d'être douloureuses, ces menottes-ci avaient l'air d'être entourées d'une sorte de fourrure assez agréable. Aucun doute, il devait s'agir de menottes dont l'usage premier est sexuel, le genre d'objet que l'on ne trouve que dans les sex shop. Autrement dit, le bandit qui s'en prenait à elle n'était peut-être pas si professionnel que cela.
Après quelques minutes de supplice dans les bras de l'homme cagoulé, Ellen avait été jetée sur un
fauteuil dans une chambre à l'étage, peut-être la chambre des Stiff, elle ne pouvait le deviner, n'ayant jamais dépassé la cuisine, ni le salon. Toujours est-il que l'ambiance dans cette pièce lui donnait des frissons. Ce fauteuil en cuir ne l'aidait pas à se détendre. De plus l'agresseur avait disparu de son champ de vision. Un instant elle oublia que sa bouche était scotchée, elle essaya de hurler jusqu'à ce que la matière collante lui irrite la peau. Elle resserra tout de suite les lèvres à cause de la douleur. Alors qu'elle fronçait les sourcils pour encaisser cette petite souffrance, l'homme cagoulé réapparu, le corps penché sur elle.


« Alors Ellen, surprise ? », siffla sa voix grave qui sonnait familière aux oreilles attentives d'Ellen.
D'un geste fluide il retira ce qui dissimulait son visage pour divulguer sa face de quadragénaire. Cet
homme à la barbe de trois jours légèrement grisâtre, aux quelques rides discrètes, à la chevelure plaquée sur son crâne, n'était autre que Patrick Stiff. Elle ne l'avait rencontré qu'une seule fois, mais cette fois là lui avait suffit pour enregistrer en sa mémoire sa tête d'étrange personnage. Étrange dans son comportement du moins, car finalement il avait l'air tout à fait banal. D'ailleurs, Ellen s'était longtemps demandé ce que Katherine avait bien pu trouver à cet homme ordinairement ennuyant. Elle en avait presque perdu le fil de la situation.
« Tu te souviens de moi, petite idiote ? »
Les yeux verts de la petite brune se redirigèrent vers le visage sévère de Patrick. Elle avait l'air du pauvre petite chaperon rouge dans les griffes du grand méchant loup.
« Qu'est ce que tu cherches avec ma femme ? Tu étais là ce matin, dans ma maison ! Katherine a dû me raconter ce qu'il s'est passé au téléphone. Elle t'a conduit à l’hôpital d'à côté d'où tu t'es enfuis comme une cinglée, les genoux à terre. Elle t'a raccompagnée chez toi ! hurla Mr Stiff la bave au bord des lèvres. C'est quoi ton problème avec elle, hein ? Tu lui veux quoi ? Depuis que tu es arrivée dans la banque, elle n'est plus pareille. Alors quoi ? Tu lui as mis le grappin dessus c'est ça ? MAIS C'EST MA FEMME ! »
Il avait l'air incontrôlable et totalement sous l'emprise de la folie, à tel point qu'Ellen s'était sentie s'enfoncer dans le fond du fauteuil. Patrick s'avança dangereusement jusqu'à agripper les accoudoirs de ses mains crochues, les coudes fléchis. Il la fixait avec la sévère envie de devenir bien plus brutal. D'un coup sec il lui arracha l’adhésif de la bouche. Elle lâcha un cri de douleur profond.
« Parle maintenant, tu veux sauter Katherine ? Tu veux me la prendre ? »
Cette vulgarité la choquait et toute cette mascarade lui faisait tourner la tête. Elle recevait une
déclaration sentimentale de la part de Katherine et maintenant on l'accusait d'avoir toujours voulu la corrompre. Ça ne pouvait pas être autre chose qu'un mauvais tour.
« Réponds salope !
- Non ! J'ai toujours détesté madame Stiff ! C'est une directrice odieuse, égoïste et capricieuse. Je ne l'ai jamais approché pour cette raison. », Ellen avait répondu les yeux quasiment fermés, la peur prenant le dessus. Elle resserrait ses mains tremblantes en deux poings. Mais la grimace de dégoût ne disparaissait pas du visage figé de Patrick.
« Vous… vous n'avez qu'à lui demander ! D'ailleurs sait-elle seulement ce que vous êtes en train de faire ? C'est un délit vous le savez ? Où est votre femme ? Katherine ! »
Ellen avait haussé le ton en espérant se faire entendre. A peine la dernière syllabe était sortie de sa bouche que son agresseur lui attrapa la mâchoire d'un mouvement sec. Ainsi il la forçait à se taire.
« Katherine n'est pas là, pauvre conne. Elle est repartie à la banque parce qu'à cause de toi elle a
manqué ses heures de travail. Mais je sais comment elle est Kat', elle ne peut pas laisser ses employés se débrouiller seuls, elle a besoin d'avoir les choses en main alors elle est partie il y a deux heures. Moi j'ai décidé de revenir de mon p’tit séjour pour avoir une petite conversation avec toi. La ferme et écoute moi bien. »
Patrick relâcha Ellen sans s'éloigner d'elle. Même dans un moment pareil, elle ne pu s'empêcher de chercher du regard quelque chose qui pourrait lui indiquer l'heure. Peut-être que bientôt on viendrait la délivrer de ce foutu bordel. Alors que le souffle amère de Mr Stiff lui caressait la joue dans un soupire, elle pu lire 18H36 sur le radio-réveil qui se trouvait sur l'une des tables de nuit à côté du lit. A cette heure-ci, Ellen aurait déjà quitté son poste depuis une vingtaine de minute.
«Qu’est-ce que tu fous ici exactement ? Qu’est ce que tu comptais prétendre cette fois pour draguer ma perfection ? Tu crois que tu peux t’inviter chez moi comme ça, sous prétexte qu’elle est ton patron ?! », dit-il l'air totalement sous l’emprise de l’image de femme fatale qui collait à la peau de Katherine. « Je t'ai grillé Broody ! Je sais que t’es qu’une gouine coincée mais en secret tu ne peux pas résister à une telle femme hein ? Les gens comme toi me dégoûtent. »


Au fond, peut-être que ce taré avait raison. Ellen avait toujours ressenti quelque chose d'indéfinissable à l'égard de Katherine Stiff et peut-être même que ça s’était vu le soir où elle avait subit ce dîner en la compagnie du couple. Ses sentiments étaient partagés, ils s’opposaient les uns aux autres concernant cette femme. Quant à sa sexualité, elle ne se l'était jamais vraiment caché, elle avait toujours eu un faible pour le sexe féminin sans jamais l'exprimer autour d'elle. Vivant cachée, Ellen avait fait taire ses besoins amoureux pour se concentrer sur sa petite carrière. C'était sûrement du gâchis, et cela expliquait aussi pourquoi elle ne se plaisait pas vraiment dans sa vie,
mais c'était le choix qu'elle avait fait. Voyant qu'Ellen restait muette, Patrick lui lança une grande gifle à lui en décoller la tête de sur ses épaules. Elle resta un instant immobile après l’impact. Un fin filet de sang se mit à couler de sa lèvre inférieure. Les yeux remplis d’effroi, elle se sentit incapable de dire quoique ce soit. Elle craignait de devoir encore regarder Patrick la haïr. Tout espoir de finir la journée en paix s'était évaporé. Ellen ne savait pas ce que voulait entendre ce tordu, et il continuerait de la frapper par satisfaction. Alors les scénario se bousculaient dans son esprit. Il était possible que Katherine soit au courant des penchants violents de son mari. Peut-être même qu'elle les cautionnait et qu'elle
avait embarqué Ellen dans ce faux plan drague et qu’elle lui viendrait en aide une fois rentrée de la
banque. Elle imaginait déjà la grande blonde équipée d'un fouet lui sourire avant de la flageller sans retenue. De toute évidence, elle était déjà le jouet des Stiff. Le punching-ball de Patrick mais aussi le souffre douleur de Katherine qui torturait son âme en la divisant en deux. Ça n'était finalement pas anodin. Lorsqu'elle pu enfin redresser sa tête, bien que sa lèvre la picotait, une deuxième claque s'écrasa sur son autre joue. Cette fois, ses gencives en avaient pris un coup. Cette douleur la conduisait à laisser pendre sa mâchoire. La bouche ouverte et les yeux plissés, elle avait l'impression qu'un coup de plus l'endormirait. Toute sa vision devenait floue, presque imperceptible. Pourtant elle distinguait bien le bras de Patrick se lever, prêt à s'abattre encore sur son visage abîmé. Si elle avait pu, elle aurait positionné ses bras de sorte à se protéger mais le salaud en avait fait une victime jusqu'au bout. Cependant, elle ne sentirait jamais cette troisième gifle. Alors que la main gantée allait s'étaler sur sa joue gauche, le corps du coupable vacilla en arrière sans pour autant s'écrouler. N'y voyant toujours rien, Ellen ne comprenait pas ce qui venait de se produire. Elle croyait voir une deuxième ombre à moitié cachée derrière le corps inerte de
Patrick. Ce qui retint surtout son attention ce fut le liquide rouge vif qui se mit à ruisseler hors de la chemise grise du malfaiteur. La source de tout ça semblait être le milieu de sa poitrine. Quelqu'un retenait le corps. Mais qui ? Quelqu'un qui venait peut-être de lui sauver la vie.


Lorsque le corps engourdi de Patrick Stiff s’effondra sur le sol, les petits yeux faiblement ouverts d’Ellen découvrirent leur sauveur, ou plutôt leur sauveuse. La longue silhouette féminine de Katherine dominait dans le regard de la séquestrée comme au premier plan de la photographie d’un professionnel. La lampe de chevet étant la seule source de lumière dans la chambre, Ellen ne pouvait pas encore voir son visage et pourtant elle était persuadée qu’il s’agissait de Katherine. Comment s’y tromper ? Une femme comme celle-là gravait les mémoires rien que par son physique froidement parfait.
« Mais quelle sotte j’ai fait d’épouser un idiot pareil ! Il allait te tuer, je sais qu’il en était capable... » Lança-t-elle brusquement. Cette voix suave confirma les certitudes d’Ellen qui commençait à se remettre lentement de sa souffrance malgré la confusion. Dans le même temps, Katherine avança d’un pas jusqu’à devenir
visible tout comme l’arme blanche qu’elle serrait dans sa main. La mine impassible, elle finit par faire la moue. Elle tendit un bras solide mais sensuel vers la trentenaire affaiblie pour constater que ses mains étaient attachées. Il paru que lorsqu’elle remarqua les menottes enveloppées de fourrure elle sourit d’un air moqueur. De son autre main, elle attrapa tout en se baissant la petite clef qui servirait à les déverrouiller. Celle-ci était justement tombée aux pieds du défunt Mr Stiff lors de sa toute dernière chute. Tout en se redressant, elle contourna la petite Ellen immobilisée puis s’accroupit dans son dos afin d’ouvrir ces menottes qui était finalement devenues
désagréables. Ce geste libérateur provoqua un fort soupire de soulagement de la part de la victime qui se laissa tomber lourdement sur la tranche du sommier des Stiff.
« Ma pauvre Ellen… Je trouve que tout ceci est arrivé bien vite. Vois comme la vie est incontrôlable. »
Katherine s’agenouilla finalement juste en face d’Ellen pour qu’elle puisse toute deux se voir. La grande blonde avait fait attention à ce que sa robe glisse sous ses genoux pour ne pas se retrouver dans une position compromettante. Néanmoins, en tirant ainsi sur le tissu noir, elle venait de découvrir légèrement son décolleté sans même y prêter attention. Bien qu’Ellen était dans un sale état et qu’elle n’avait aucune idée de ce que sa supérieure hiérarchique préparait, elle avait remarqué ce fait qui selon elle avait été volontaire. Se croyant libérée la minute précédente, elle se voyait déjà condamnée à cette heure, à 19h05 comme l’indiquait le radio-réveil sur sa gauche.
Inutile d’espérer quoique ce soit. Voilà qu’elle était en position de faiblesse, sans plus aucune ressource face à une prédatrice redoutable et sans pitié armée d’un couteau. Après avoir subit la colère de Patrick, Ellen pensait ne jamais rien connaître de pire. C’était sans compter sur l’arrivée de la maîtresse des lieux. Cette dernière, comme si elle avait saisit que c’était le moment de prendre la parole dégagea une mèche de ses cheveux derrière ses oreilles avant d’ouvrir la bouche.
« Tu sais, depuis que tu es arrivée à la banque, j’ai un faible pour toi. Mais évidemment tu le sais car je te l’ai écrit il y a de cela à peine quelques heures. Mais c’est toujours mieux de l’entendre de ses propres oreilles car c’est plus sincère, n’est ce pas ? Elle n’attendait pas vraiment de réponse de la part d’Ellen d’autant plus que celle-ci en était incapable. Je suis sûre que tu es complètement perdue dans tout ça. Laisse-moi t’éclairer. »
Durant le court silence qui venait de s’installer, Ellen avala sa salive en tentant d’ouvrir davantage
les yeux. Malheureusement, ses forces restaient amoindries et Katherine continuait de jouer érotiquement avec cette fichue lame qui renforçait le mal de ventre de la petite brune tant celle-ci était longue.
« Rien de tout ceci n’aurait dû arriver. Mais Patrick avait des doutes sur toi dès la seconde où tu as mis les pieds ici, reprit Katherine avec un sourire enfantin. Sa jalousie aura eu raison de lui. Tu te
croyais discrète chérie, mais en fait je n’ai pas mis longtemps à comprendre que les battements de ton coeur s’accéléraient à mon approche. Dès ce moment j’ai décidée d’être plutôt tendre avec toi, plus qu’avec tes collègues, car j’étais touchée par cette affection que tu me portais, ajouta la blonde en se penchant vers Ellen. Regarde ce qu’il à fait à ton jolie minois…, Katherine soupira en prenant le visage d’Ellen dans sa main fine et douce.
- Je… je n’ai jamais ressenti la quelconque...affection pour vo-vous, répliqua avec faiblesse la jeune femme dont la lèvre semblait flamber. »
Katherine pencha la tête sans aucune conviction avant de s’approcher une fois encore pour ne laisser qu’un centimètre entre elle et le menton rouge de sa proie.
« Allons Ellen, inutile de jouer sur les mots. Si ce n’était pas de l’affection, c’était de l’attirance
purement et simplement sexuel. Autrement-dit, dès lors que je venais t’adresser la parole dans le cadre du travail tu m’envoyais un message confus mais en même temps indéniablement clair. N’as tu pas le sang chaud en ce moment ? Insista Katherine en se mordillant la lèvre inférieure. »
Étonnamment, Ellen ne démentait pas, comme si quelque chose de plus fort qu’elle la réduisait au silence. Elle grimaça néanmoins, tentant de lutter contre cette espèce de pulsion charnelle qui la poussait à apprécier les avances de sa dangereuse ravisseuse.
« Je le savais, on ne peut rien me cacher Ellen. »
Tout en élégance, Katherine Stiff se relevait sans lâcher des yeux la petite brune. Elle tenait toujours fermement son arme.
« Je t’en prie Ellen, allonge-toi, je suis sûre que ça soulagera tes blessures. Je reviens dans une minute, je ne te manquerai pas longtemps. »
A ce moment là, Ellen voyait comme une brèche se former dans l’espace-temps. L’occasion de se dépêtrer de ce bazar terrifiant se présentait. Mais son cerveau en ébullition avait du mal à déceler la bonne de la mauvaise idée. Que faire, sachant qu’elle était mal en point et que Katherine demeurait quelqu’un de très malin. D’ailleurs, était-elle mauvaise ou pas ? Certes, elle avait tué son mari de sang froid mais elle venait tout de même de lui sauver la vie ! Oui, mais il est vrai qu’elle avait dans le regard une pointe de sadisme qui ne laissait aucun doute subsister. Ellen ne
connaissait pas les réelles intentions de madame Stiff, cependant son instinct de survit lui hurlait de s’évader et au plus vite. Dans un gémissement étouffé de douleur, Ellen se redressa sur ses deux pieds. Un vertige prenant la contraint de s’arrêter pour se stabiliser. Aussitôt celui-ci estompé, elle se mit à avancer droit vers la porte de sortie de la chambre. Petit à petit l’escalier se dessinait devant elle. Pour stopper la descente aux enfers il lui suffisait de descendre ces marches. D’un pas déterminé, Ellen se lança et dévala rapidement l’escalier de bois quitte à faire du bruit. Elle savait maintenant que le dragon se mettrait à sa poursuite, c’est pourquoi elle redoublait d’effort en voyant la porte blanche en bois massif. Sans hésitation, aucune, elle arracha d’un geste vif la
poignée.


La bêtise d’Ellen était d’avoir perdu le nord, elle avait oublié que le temps n’attendait personne et que dehors il faisait nuit noire. Mais il lui était impossible de voir l’heure. Tant pis, elle chevaucha les trois marches laissant la porte grande ouverte derrière elle pour se donner plus de temps. Elle se mit alors à courir sur le chemin plein de gravillons qui s’éclaira dès le moment où elle passa devant le capteur de mouvement. Paniquée, elle jeta un regard par-dessus son épaule. L’image horrifiante de Katherine à ses trousses, le couteau brandit de manière menaçante, rempli les pupilles de la fugitive. Déjà au bout de ses force, elle ne pu accélérer davantage bien que son
cerveau ne faisait que relancer le message « plus vite ! » dans son système nerveux. Plus elle avançait et plus la route se faisait proche, mais la lumière diminuait et elle serait bientôt dans le noir complet. La solution express qui traversa son esprit fut de se cacher dans les buissons. Dès lors qu’elle arriva au portail, elle dû l’escalader puisqu’il était verrouillé. Ellen ne réfléchissait plus, elle se laissait guider par la peur suintante que Katherine avait senti de l’autre bout de la demeure. Comme le chat et la souris, les deux femmes jouaient leur dignité pour l’une et leur vie pour l’autre. Lorsqu’Ellen pu enfin sentir le goudron sous ses pieds, elle perdit tout contrôle et finit par s’étaler sur le sol. Une sorte d’ultra son, effet de la chute, l’empêchait d’entendre quoique ce soit. Aveugle et sourde, elle devait se faire muette, c’était sa dernière chance pour échapper à la fatalité.


Inutile d’espérer, cette fois elle avait fait l’erreur de trop. Katherine arriverait d’une seconde à l’autre et l’embrocherait sans scrupule. Ellen restait convaincu d’avoir lutté pour sa vie. Mais enfin quelle vie ? Une vie de solitaire, sans attache, sans passion, sans amour. Là où elle allait elle ne regretterait personne. L’heure était venue de se rendre à l’évidence. La vie ne vaut rien si elle ne procure rien. Peut-être que cette journée avait été programmée pour la sortir de sa misérable existence. Ellen avait dû se confronter à la dure réalité de la vie : elle avait toujours aimé les femmes et n’en avait pourtant jamais profité, et le jour où sa chance se manifestait, la femme de ses fantasmes se trouvait être une criminelle. La seule voie qu’il lui restait à emprunter était celle de la lumière blanche. Elle la voyait à présent, au loin devant elle. Ce halo semblait même
s’approcher progressivement pour l’emporter au ciel. Éblouie, elle tendait le cou vers sa chance. Mais à mesure que la lumière avançait vers elle, Ellen ne pouvait plus se résoudre à se laisser aller à la mort. Quoi ? Elle était jeune, elle avait encore plein de choses à tenter, et on dit souvent que frôler la mort nous change à jamais. Au moment où elle eu l’idée de se relever pour échapper à son destin, elle pu voir une dernière fois Katherine dans sa robe rouge avant que ses os se brisent sous les pneus brûlants du véhicule qui fonçait aveuglément sur elle.
End Notes:
J'espère que la chute vous aura marqué pour différentes raisons. Merci à ceux qui me donnerons leur avis et leur ressenti.
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