Le Petit Bogre by Lyssa7
Summary:

A mi-chemin de Camelot se trouvait une auberge à la fort mauvaise réputation.

Seuls les bandits osaient y passer la nuitée.

Pourtant, La taverne du Petit Bogre avait elle aussi une légende à conter...

 


Participation au concours "Marions-les !" des Beiges


Categories: Historique, Fantasy, Projets/Activités HPF, Moyen Âge (476 - 1492) Characters: Aucun
Avertissement: Violence physique
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle, Poésie (prose)
Challenges:
Series: Marions-les
Chapters: 5 Completed: Oui Word count: 4101 Read: 27170 Published: 10/08/2017 Updated: 20/09/2017
Story Notes:

Mes trois sous-genres sont :
- Moyen-âge
- Fantasy Arthurienne
- Prose

1. Prologue : L'auberge du Petit Bogre by Lyssa7

2. Chapitre un : Par une matinée venteuse by Lyssa7

3. Chapitre deux : Morgane by Lyssa7

4. Chapitre trois : La sorceresse et le bisclavret by Lyssa7

5. Epilogue : Sur leurs cendres by Lyssa7

Prologue : L'auberge du Petit Bogre by Lyssa7
Author's Notes:
Bonjour !

Me voici pour vous présenter ma participation au concours du Héron "Marions-les". Mes trois sous-genres étaient :
- Moyen-âge
- Fantasy Arthurienne
- Prose


J'espère avoir répondu à mes trois sous-genres comme il le fallait. J'ai eu énormément de difficultés avec la prose. N'hésitez pas à me le dire si quelque chose vous gêne, d'autant que j'ai utilisé le vocabulaire typique de cette époque.

Dans ce prologue se trouve une référence à la Fantasy Arthurienne sous forme de citation. Elle appartient à Marion Zimmer Bradley "Les Dames du Lac" (en gras dans le texte).

A très vite pour la suite de cette nouvelle !
Lyssa.

Dans la région de Ceredigion, en bas d’une colline comme il y en avait des centaines d’autres en Bretagne, se trouvait une auberge à la fort mauvaise réputation.

A mi-chemin de Camelot, elle faisait son pain quotidien bien que son allure défraîchie et la brume recouvrant les alentours, semblable aux âmes égarées des morts épouvantés, prévenaient les visiteurs de la malaventure qui les attendait. Sur son seuil, il n’était pas rare de buter sur une tuile de bois tombée du toit ou de glisser sur les pierres trempées par la pluie.

Cela ne s’arrangeait guère en été, d’autant que les orages du printemps avaient été particulièrement violents cette année-là. L’auberge conservait, par tous les temps, cette atmosphère troublante, presque effrayante, renforcée par la frêle lueur de la lanterne à l’entrée et celle, plus faiblarde encore, des bougies dans les chambres miteuses, ardant d’une lumière jaunâtre à travers les volets crasseux. Les rares habitants du village voyaient, eux, dans cette sombre taverne, presque toujours noyée dans d’épais brouillards et survolée par d’innombrables corbeaux, un lien mystérieux et magique.

L’auberge du Petit Bogre, car tel était son nom, contenait mécréants et moult menuailles. Nombre de pèlerins incertains avaient trouvé refuge en ce lieu pour la nuitée sans en ressortir indemnes. Ils leur manquaient parfois un doigt ou une oreille et, au mieux, ils se faisaient rapiner quelques bijoux de piètre qualité ; mais les marauds, après avoir quérit un endroit où se sustenter, s’enorgueillissait de leur francherepue. Par matin, ils partaient prestement sur les chemins, ne mandant pas leur reste.

Les plus hardis d’entre eux, ou les fol dingos, allaient à la mortaille en buvant leur vinasse qui coulait allègrement sur leurs défroques. Le bruit des lames de couteaux ou des poings qui se cognent résonnaient dans la petite masure.

La matrone de la taverne n’intervenait jamais, préférant faire la sourde oreille en remplissant ses cruches sous le tonnelet et servir les tables plus calmes dans les recoins obscurs de l’auberge. L’un des bons gaultiers troussait ses jupons et le rire de la ribaude s’élevait, troublant un instant la bastaille des rustres.

La plupart des hommes venant à la taverne étaient des habitués de la maison, des sac-à-vins comme on les nommait, ou des bandits de grand chemin qui se plaisaient à détrousser les honnêtes gens. Si leur sale trogne en imposait et qu’ils étaient toujours les premiers à pourfendre les manants, aucun d’eux ne se serait risqué à chercher noise à Gersan, le pire de tous.

Sa chopine bien en main, l’homme laissait dégouliner le liquide ambré dans sa barbe mal rasée en promenant un regard menaçant sur l’assemblée. Une longue cicatrice purulente lui barrait l’oeil droit et ses cheveux bruns tombaient sur ses épaules en mèches filasses et grasses, renforçant son air de truand qui n’aurait pas hésité à vous égorger dans un petit bois des alentours. Son affublement, des loques puantes, n’arrangeait rien à son aspect peu ragoûtant. Sa giberne en évidence par-dessus son mantel contenait quelques pièces d’or chapardées et une gourdasse de liqueur qu’il mélangeait à la bière.

Lorsque la nuit déposait son ombre sifflante sur le monde, Gersan passait la porte du Petit Bogre et interpellait sans respit la matrone avant de s’installer sur l’un des hauts tabourets devant le comptoir. C’était la meilleure place de l’auberge et si un gueux y avait élu domicile avant lui, il lui suffisait de mettre la main à sa ceinture, dévoilant son coutelas, pour que l’autre en descende derechef. Un sourire édenté traversait un instant le visage de la crapule, démontrant toute la fierté qu’il en retirait et le rendant encore plus laid, ce qui n’était pas un mince exploit.

Et tôt, il commandait une poularde, la dévorant à belles dents et un brouet qu’il engloutissait bruyamment, sa langue claquant son palais. Quelquefois, deux ou trois rats couraient entre ses bottes en cuir sombre et l’homme leur lançait quelques os mâchouillés sur lesquels, avidement, les campanoles se jetaient.

Chapitre un : Par une matinée venteuse by Lyssa7
Author's Notes:

Bonjour ! Voici donc le premier chapitre de cette fiction qui a découlé légèrement plus facilement que le prologue (le temps de se mettre dedans sans doute).

Comme je l'ai dit, le voabulaire est celui de l'époque, je vous mets donc le lien du site que j'ai utilisé et qui vous permettra de mieux comprendre (je pense) le texte.

lien vocabulaire : http://defenseurs.forumactif.org/t309-vocabulaire-medieval

N'hésitez pas à me donner votre avis. ;)

A très bientôt pour la suite !

Lyssa.

Ce jour, par une matinée venteuse et pluvieuse, Gersan entra dans la taverne d’une démarche lourde. Son entrée, comme à chaque fois, fit grand bruit dans la taverne. Les rires et les quolibets s’interrompirent, laissant place à un silence pesant. La matrone, dans un petit glapissement de surprise, retroussa ses jupes sales et se dépêcha de rejoindre le comptoir pour lui remplir une chopine. 

- ‘Jour, Gersan ! susurra-t-elle en découvrant une rangée de dents noircies et jaunies par le temps.

Isalt était le nom de la ribaude mais il y avait bien longtemps qu’on ne l’appelait plus ainsi, préférant lui faire signe du doigt ou claquer la langue pour qu’elle accoure sans tarder. Fallait bien avouer qu’elle n’avait pas grande importance sinon de fournir la pitance.

Gersan lui répondit par un grognement et porta le liquide à ses lèvres gercées. Il l’engloutit aussi sec en deux ou trois gorgées avant de tendre le verre vers elle pour qu’elle lui en serve un autre.

- Comment vas ? s’enquit-elle en se penchant un peu plus pour qu’il puisse reluquer.
- Fort bien, marmonna-t-il sans en dire plus.
- Un brouet et une poularde ? demanda-t-elle avec un clin d’oeil aguicheur.
- Un brouet, répondit-il en sortant deux pièces en bronze et les laissant rouler sur le comptoir.

Si Isalt s’étonna du manque d’appétit de la crapule, elle n’en dit rien et se contenta de lui remplir un bol de légumes où flottait quelques restes de la veille. A vrai dire, elle avait hâte de lui fausser compagnie et de retrouver les joyeux lurons qui brayaient des chansons paillardes dans le fond de la pièce en cognant leurs verres sur les tables en bois. La matrone ne l’aurait jamais dit à personne, n’ayant pas l’envie de passer pour une couarde, mais Gersan lui fichait la frousse et elle priait à chaque fois pour qu’il déguerpisse au plus vite.

Gersan engloutit le bouillon aussi rapidement qu’il l’avait fait pour sa chopine et s’essuya la bouche d’un revers de la main. Les affaires n’étaient pas bonnes ces temps-ci et les riches marchands ne couraient pas les rues, encore moins les buissonades dans lesquels il sévissait. Son humeur s’en ressentait et il mourait d’envie d’étriper l’un de ces manants qui traînaient dans ce bouge.

Pourtant, il n’en eut pas le temps puisque la porte de la taverne claqua et qu’un silence, aussi tonitruant que le premier, sinon plus, se fit odir dans l’auberge. Sitôt après, ce fut des messes basses et Isalt faillit tomber à la renverse en se levant des genoux du gueux où elle était assise depuis quelques minutes.

Gersan n’était pas homme à prêter foi aux rumeurs et aux murmures mais il tenait à sa condition, sa réputation, et si un autre s’était octroyé le droit de faire valoir sa trogne par ici, il allait le renvoyer d’où il venait. Aussi fut-il plus qu’étonné de découvrir une femme quand celle-ci, le visage d’abord camouflé par une épaisse capuche noire, la fit glisser sur ses épaules. Tous retinrent leur souffle alors que les traits fins de la damoiselle s’ornaient d’un sourire. Il aurait été la rabaisser que de dire qu’elle était belle ; pire, cela aurait été mentir.

Sous de longs cils noirs se cachaient deux prunelles émeraudes, de celles qui vous tiennent et vous retiennent jusqu’à votre dernier souffle ; Créature de l’ivresse, enchanteresse ! Ses cheveux, cendrés de braises éteintes, se mouvaient dans son dos à la manière de fils de soie brûlés, de cordes qui s’enroulent et se déroulent autour de vos poignets. Sorcière, ensorceleuse, voilà le genre de femme qu’elle était.

Gersan fronça les sourcils. Si la plupart des hommes qu’il côtoyait seraient tombés en pâmoison à ses pieds, il n’en était rien le concernant. Il le fleurait, elle n’était pas ce qu’elle semblait et son sourire, envoûteur, n’en était que plus retors. Le regard de la charmeuse parcourut la salle et elle fit quelques pas avant de s’arrêter derrière lui, dardant ses yeux de serpent sur l’accoutrement du bandit.

- Vous êtes celui que je cherche, dit-elle dans un chuchotement où il entendit distinctement chaque mot. J’ai attendu des années avant de venir vous trouver.
- Vos balivernes peuvent attendre que j’ai fini de mangeailler, rétorqua-t-il pour récupérer sa louche qu’il frappa deux fois sur son bol pour appeler son hôte.

L’inconnue était sans conteste d’une belle lignée, Gersan en aurait mis sa main à couper. Grand bien lui fasse, il ne comptait pas s’aplatir pour autant devant son ascendance de nobliaux. Lui venait d’une famille de paysans de la côte est et ses manières de rustre lui convenaient très bien.

Un rictus déchira les lèvres de la femme alors qu’elle posait une main sur son épaule. Gersan s’immobilisa. La force de la damoiselle était telle qu’il était incapable de s’en défaire et la colère le fit trembler.

- Qu’est-ce que vous voulez ? s’enquit-il d’une voix doucereuse, menaçante.
- Je ne vous demande rien d’autre que de m’écouter, répondit-elle d’un ton mélodieux bien que dangereux. Je sais, de source sûre, que vous êtes le bisclavret du coin, mon ami. Tous vous respecte, vous craigne. Vous avez pourfendu nombre de canailles sur ces terres si je ne me lobe pas.
- De part chez nous, les donzelles ne vont pas à la brune sans escorte, bailla-t-il, son visage s’éclairant d’une lueur mauvaise, sa cicatrice s’élargissant et prenant une couleur pourpre.

La taverne s’était brusquement couverte d’une atmosphère sombre, plus sombre encore que d'ordinaire. Les ombres paraissaient entamer une danse lente autour d’eux mais ni l’un ni l’autre ne baissa les yeux.

Ce fut à ce moment-là que la sorceresse dévoila ses mains, les sortant de sous sa cape, et qu’une lueur couleur de jade brilla, révélant les charmements dont elle était maîtresse. L’homme retint un frisson mais ne put cacher un mouvement de recul. L’inconnue se pencha doucement vers lui et un éclat rougeoyant traversa ses prunelles.

- Je suis Morgane, fille d’Ygerne et du roi de Cornouaille, Magicienne du temps et des hommes, Déesse de la Terre et Enchanteresse aux mille pouvoirs de guérison.

C’était bien la première fois qu’un être comme Gersan se voyait délester de toutes ses forces. Pour autant, le bandit n’en perdit aucunement sa morgue habituelle.

- Je suis Gersan, géniture de merdaille et houlier de grand chemin, tristeusement célèbre pour rapiner et estriller les baronnets violentement. Que me vaut l’honneur de votre présence, Damoiselle ?

Étrangement, la pression qu’il ressentait comme si le poids de centaines de mânes s’étaient abattues sur son dos se relâcha. La fée Morgane se redressa, se réjouissant du lien qu’elle venait de créer avec le pillard.

End Notes:

La référence au sous-genre Moyen-âge se trouve dans le nom de la patronne de l'auberge, Isalt, dont j'ai changé deux lettres en une et dont la consonnance se rapproche de Iseult (Tristan et Iseult de Joseph Bédier). Ce personnage est d'ailleurs tout le contraire d'Iseult ! ^^

 

 

Chapitre deux : Morgane by Lyssa7
Author's Notes:

Bonsoir !

Voici le deuxième chapitre de cette fiction qui, j'espère, saura vous plaire. L'atmosphère sombre des précédents chapitres s'obscurcit encore dans celui-ci.

Bonne lecture !

Lyssa.

Morgane eut un sourire faussement avenant. Ses yeux, perçants, paraissaient détailler chaque élément de ce qu’elle entrevoyait chez Gersan avant qu’elle ne laisse ses prunelles dériver dans l’auberge et sur ses charmants clients. Penchant lentement la tête sur le côté, elle entrouvrit les lèvres et prononça quelques mots dans une langue qu’il ne comprit pas. De l’ancien breton peut-être ou un tout autre langage dont elle seule connaissait la portée.

Gersan n’avait jamais eu foi en les fames et, d’après celles qu’il avait connu, il s’en félicitait chaudement. Il n’avait pas plus confiance en ses compatriotes mâles, ces bougres lâches qui vous traversaient de leur lame rouillée pour quelques sous. Quant aux Dieux, les nouveaux comme les anciens, il s’en moquait de l’anjorner jusqu’aux vêpres. La crapule croyait en lui-même et en son coutelas, en sa faculté à dépouiller ceux qu’on appelait les honnêtes gens. La sorcière pouvait connaître toutes sortes de charmognes et utiliser ses pouvoirs de devinance contre lui, il était certain qu’il s’en méfierait comme de la peste et du choléra réunis. Plus que de n’importe qui.

L’homme grogna alors et son regard s’attarda sur les corps des habitués de la taverne, celui d’Isalt qui se dénudait sous le nez d’un des alcooliques qui éructait, les chopines de bière qui cognaient l’une contre l’autre et en débordait, le fin filet de vin qui coulait du tonnelet. Figés à jamais par un simple geste de cette bonne femme, par l’un de ses mauvais tours. Comme l’un des rustres gardait le poing en l’air et qu’un autre bataculait sans jamais toucher le sol, comme glacé dans une attitude somme toute ridicule, Gersan lâcha un rire gras qui résonna contre les murs de la taverne.

- Avec vous, nul besoin d’estriller les manants pour en faire les poches, remarqua-t-il avec un rictus. Où est le plaisir de les voir choir les tripes à l’air, Dame Morgane ?
- Tout le plaisir est à celui qui a l’occasion de choisir, Messire Gersan, répliqua-t-elle, ses lèvres se plissant sournoisement. Je venais justement vous en donner l’opportunité.

Morgane n’avait pas pris la peine de se baisser vers lui. Un silence de mort régnait dans la grande salle de l’auberge et le houlier regretta presque le ton continuellement grivois de la patronne des lieux et les bastailles sanguinolentes des marauds. Cette femme était fourbe, manipulatrice, maline. Elle était pire que lui. Était-ce réellement la curiosité qui le poussa à savoir quel genre de marché l’ensorceleuse avait à lui proposer ou la mauvaiseté de la damoiselle lui plaisait ? Lui-même n’aurait su le dire. Toujours fut-il qu’il lui fit signe de continuer.

Morgane s’éleva de toute sa hauteur et il put sentir sa haine dans chaque mot, chaque inspiration qu’elle inhalait, chaque souffle qu’elle expulsait. La rancœur de la sorceresse remplissait tout l’espace et le coeur du bandit, s’il en avait encore un, se comprima dans sa poitrine.

- Voici quelques années déjà que le roi Arthur a le séant posé sur le trône de Camelot et gouverne toute la Bretagne, vous n’êtes pas sans l’ignorer. J’ai entendu moult boniments vantant sa place et son nom. Mon cher demi-frère est porté aux nues, resplendissant dans la lumière pendant que je me terre dans l’ombre. Pourtant, Arthur Pendragon n’a de lignée pure que le nom. Un bâtard, c’est tout ce qu’il est ! cracha-t-elle.

Si Morgane était belle et plus encore, sa haine la rendait toute autre. Ses traits se tordaient sous l’animosité qu’elle ressentait, tout son être devenait soudainement aussi laid que l’était son âme, et Gersan se fit la réflexion qu’il avait au moins le mérite de ressembler à ce qu’il était vraiment en son for intérieur. Un bandit, un pillard, un meurtrier. Il ne trichait pas sur les apparences.

Machinalement, l’homme attrapa sa chopine mais, en se rendant compte qu’elle était vide, il poussa un juron à en faire pâlir les pucelles.

- Mortecouille ! Il n’y a donc plus personne pour me servir une cruche de vinasse ! s’exclama-t-il en jetant à la sorcière un regard de reproche. Soyez assuré que votre jactance ne m’escagace pas, Damoiselle Morgane, dit-il avec un sourire qui laissait penser le contraire. Croyez-moi, j’ai assez de vécu pour savoir une chose, une seule. Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas ressentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Presque essoufflé par sa tirade, l’homme se laissa basculer contre le dossier du tabouret sur lequel il était avachi, claquant vulgairement sa langue pour signifier sa soif. Morgane n’avait pas bougé, les yeux fixés sur la sale trogne de la crapule face à elle. Il crut un instant qu’elle allait l’occir d’un mouvement de sa main gantée mais il n’en fut rien. Dans la taverne se fit entendre un hurlement de femme, de ribaude terrifiée. Sans un regard pour Isalt, Morgane laissa retomber sa main et la camoufla sous son épaisse cape noire.

- Faites, mon ami. Ensuite, nous discuterons de mon offre.

Derrière eux, Isalt tremblait. Qu’allaient-ils faire d’elle après qu’elle eut rempli sa part du contrat ? La paillarde essuya ses mains moites sur ses jupes et, essayant de cacher la peur insondable qui l’envahissait à chaque pas qu’elle faisait, tentant vainement de ne pas remarquer les corps pétrifiés, s’avança jusqu’à eux en priant pour que le comptoir du bar la protège de leurs diableries.

Illusions folles de la gueuse qui s’apprête à trépasser…

End Notes:

Lequel de mes deux (anti) héros vous paraît le plus "sympathique" ? Personnellement, si j'avais absolument à choisir, je prendrais Gersan. Pauvre Isalt qui aurait sans doute préféré rester figée ! ;)

La référence de ce chapitre est celle d'un texte en prose de Baudelaire Le Spleen de Paris qui se nomme Enivrez-vous. (en gras dans le texte)

Chapitre trois : La sorceresse et le bisclavret by Lyssa7
Author's Notes:

Bonjour !

Merci à BellaCarlisle pour sa review qui m'a faite énormément plaisir (j'y réponds prochainement) ! Ce quatrième chapitre s'oriente vers le marché que Gersan et Morgane s'apprête à passer. Vous saurez aussi pourquoi elle a choisi ce bandit de grand chemin et pas un autre.

Quelques infos :

Bonne lecture !

Lyssa.

 

Morgane plissa les yeux et désigna la bougresse d’un geste de la main. A ses yeux, Isalt ne valait pas mieux que les rats grouillant dans la cave à vins.

- Qu’elle écoute nos manigances, elle ne sera bientôt plus de ce monde pour les conter.

- Venons en au fait, Dame Morgane ! répliqua Gersan sans même tourner la tête vers la matrone qui éclata en longs et bruyants sanglots. Vous fatrouillez du roi Arthur par tans et j’imagine qu’il est l’objet de votre visite ici. Sans vous conchier, qu’est-ce qui vous fait penser que je vais accepter et gerroyer pour vos beaux yeux ? J’ai plus de chances d’être estriller par l’ost ou d’être bouter aux oubliettes que de pourfendre le roi de mon coutelas, dit-il en prenant une gorgée de bière. Vous avez des charmements et des sortilèges qui me laissent pantois mais, quitte à mortir, autant ne pas me salir.

Gersan reposa vivement sa chopine sur le comptoir. L’homme n’avait que peu d’éducation et ne savait ni lire ni écrire mais il n’était pas pour autant naïf comme la donzelle semblait le penser. S’il n’en retirait pas quelques bénéfices telles que des espèces sonnantes et trébuchantes, il n’avait aucun intérêt à la suivre dans cette quête vengeresse dusse-t-elle le faire périr dans d’atroces souffrances. Morgane avait écouté le maraud, ses traits ne reflétant pas la moindre expression. Lorsqu’elle reprit la parole, sa voix était douce, presque tendre.

- Je connais les hommes de votre espèce, Gersan. Ne me prenez pas pour une sotte, je vous prie. Si je suis venue à vous, je ne me leurrais pas sur les tenants du marché que nous allions passer. Je peux vous promettre ce que vous avez toujours désiré. Je peux vous offrir l’or, les terres, le pouvoir… Demandez et vous obtiendrez… une fois que le roi Arthur aura trépassé.

Les lèvres de la crapule se retroussèrent dans un sourire amer.

- Qui me dit que je peux vous faire confiance ? Voyez cette cicatrice, dit-il en désignant abruptement celle qui lui barrait l’oeil droit. Elle m’a été faite par l’un de mes anciens complices lors d’une nuit sans lune. J’avais convoyé des années durant avec cette chiabrena ! s’emporta-t-il en renversant d’un mouvement de son membru le liquide ambré. Il n’a pas hésité un seul instant à me déconfier, emportant la cagnotte que nous avions rapiné ensemble. Vous comprendrez aisément que, depuis ce jour, ma seule compagnie me suffit amplement. Si vous désirez passer affaire avec ma personne, il vous faudra plus que des promesses, sorceresse…

La peur qu’il avait ressenti au début de leur entrevue n’avait plus lieu d’être. Il n’était pas un couard et il préférait mourir que de ployer le genou devant une femme, fusse-t-elle une enchanteresse. Si elle n’avait rien à lui offrir prestement en contrepartie de son allégeance, il ne passerait pas la porte de la taverne. Il vit les yeux de Morgane luire de cette même lueur rouge qu’il avait pu observer tantôt. Gersan ne baissa pas le regard, prêt à endurer mille souffrances s’il pouvait garder sa fierté.

- Ne jouons pas plus que nécessaire, mon ami, susurra-t-elle suavement. Qu'est-ce qui pourrait vous satisfaire ?

- Des sacs remplis de pièces d’or de bon aloi, ma Dame, répondit-il en croisant les bras, un sourire vicieux éclairant ses lèvres gercées et découvrant des dents noires mal entretenues. Je ne parle pas d’escarcelle, entendons-nous bien, mais de sacs en toile comme en utilisent nos bons meuniers…

- Cela sera fait, acquiesça Morgane en se reculant de quelques pas.

Sortant ses mains de sous sa longue cape, la sorcière les croisa et, dans un souffle inaudible, murmura différentes incantations. Derrière le comptoir, Isalt se tenait au tonnelet pour ne pas flancher. En un rien de temps, une vingtaine de sacs, tous emplis à ras bords, apparurent sur le parquet en bois de l’auberge.

- Êtes-vous prêt à m’écouter à présent ?

- Je vous suivrais au bout du monde si vous me le demandiez, Dame Morgane ! déclara-t-il en se laissant tomber du tabouret pour tâter son or.

Dans un rictus sardonique, l’homme la salua d’une révérence. Morgane, apaisée, se tourna vers la matrone qui, sursautant vivement, fut incapable de soutenir les prunelles émeraude de la damoiselle.

- Du bon vin pour fêter notre accommodement, ordonna l’enchanteresse.

La ribaude s’exécuta, bien contente de devoir descendre au sous-sol pour récupérer la vinasse gouleyante demandée. Au moins s’éloignait-elle pour quelques temps des deux personnes les plus malveillantes qu’elle eut connu au cours de son insignifiante existence. Une fois que la lourde porte se fut refermée sur celle-ci, Morgane affronta son nouvel allié du regard.

- Arthur a pour coutume de partir à la chasse les soirs de pleine lune, lui apprit-elle. Savez-vous ce qu’il aimerait transpercer de sa lame, Gersan ?

- Les loups-garous. Ils sont recherchés depuis des décennies sans qu’aucun des rois l’ayant précédé n’aient pu mettre la main dessus, Votre Altesse.

- Savez-vous pourquoi ?

- Les hommes sont de piètres chasseurs, répondit-il, les iris de ses yeux ne devenant plus que des fentes. Leur criement peuvent s’odir à des kilomètres à la ronde et leurs traces sont immenses. Quant à leur odeur, elle est si forte que je pourrais la fleurer avant même qu’il ne mette un pied dans la forêt…

Un petit rire passa les lèvres de Morgane. Un rire vil, cruel, bientôt rejoint par celui, rauque et saccadée, de Gersan. Un aboiement de chien. Un hurlement de loup.

End Notes:

Vous attendiez-vous à ce que notre bon ami Gersan soit un loup-garou ? Morgane le glisse dans l'une des phrases lorsqu'elle le rencontre ("Je sais de source sûre que vous êtes le bisclavret du coin..."). 

Si le coeur vous en dit, n'hésitez pas à me faire vos remarques sur ce texte.

 

Epilogue : Sur leurs cendres by Lyssa7
Author's Notes:

Bonjour !

Je m'excuse d'avance pour la piètre qualité de cet épilogue. En réalité, je me suis lancée dans une nouvelle qui aurait mérité plus de chapitres, plus de développement, mais je n'en avais pas vraiment le temps ces derniers mois. J'ai donc du "ellipser" une grande partie de la fin de cette histoire pour qu'elle ait une conclusion.

Je dois dire que je me suis attachée à cette période historique ainsi qu'à la Fantasy Arthurienne. Peut-être écrirais-je encore sur ces genres prochainement... ;)

A bientôt !

Lyssa.

Morgane avait fait en sorte de ne laisser aucune trace de son passage à l’auberge.

Personne ne sut jamais ce qui était réellement arrivé à Isalt, la matrone de la taverne, ni à la dizaine de crapules qui fréquentaient encore ses murs lorsque le drame arriva. Pour les petites gens, il ne s’agissait là que d’un incendie ayant pris dans l’une des chambres à l’étage. Une bougie mal éteinte semblait-il et qui avait embrasé les volets en bois.

Le Petit Bogre s’était enflammé et il ne restait rien des corps qui l’avaient foulé de leurs pieds. Les marauds n’allèrent pas chercher plus loin et ne se demandèrent pas pourquoi aucun des bandits présents n’avaient pu s’échapper. Ce n’étaient que des canailles, des fols dingos ou des sacs à vin répugnants qui ne méritaient pas qu’on s’attarde sur leur funeste sort. Au moins, le bas peuple dormirait un peu plus tranquillement dans ses baraquements et les marchands iraient à la ville sereinement.

On ne revit pas Gersan. La chasse avait été bonne pour Arthur et il put se complaire de sa gloire pendant des semaines, la tête d’un bisclavret ornant Excalibur, le sang de la bête dégoulinant sur le manche de son épée ornée de pierres précieuses. Les serviteurs du bon Roi allèrent conter que le loup-garou s’était jeté sur lui et, qu’au terme d’un long et féroce combat, leur seigneur avait pris le dessus sur la créature, l’estrillant de sa lame tranchante. On fêta cet exploit des jours durant, arrosant le banquet de mets succulents et d’un vin plus somptueux que nul autre.

Morgane rumina sa vengeance tout en présentant ses hommages à son demi-frère. Elle ne s’attrista pas de la perte de son allié mais de la défaite cuisante qu’elle venait d’essuyer. La sorceresse avait plus d’un tour dans sa manche pour faire tomber le Roi Arthur de son trône….

Sur les cendres du Petit Bogre, toutefois, une vieille mendiante se rendit. A cent lieux de l’auberge, les rumeurs avaient couru et la gueuse s’était empressée de venir vérifier par elle-même ce qu’on lui avait raconté.

Elle ploya le genou, les larmes dévalant ses joues sales et meurtries. A cet instant, elle comprit qu’elle ne reverrait jamais son enfant, ce fils qu’elle avait tant chéri. Cela n’avait pas suffi et les rêves de Gersan s’étaient vus mutilés aussi sûrement que l’avait été sa chair une nuit de pleine lune. La femme se releva, se signa de la croix et s'éloigna, le dos courbé.

Des années plus tôt, dans une petite maison en paille, un marmot se voyait déjà devenir chevalier.

Cette histoire est archivée sur http://www.le-heron.com/fr/viewstory.php?sid=1423