Quatre Mondes, Volume I: Devenir by Khana
Summary:

J'ai entendu dire que vous, lecteurs, vivez dans un monde étrange. Un monde unique, où chacun serait à égalité.

Je n'ai jamais connu cela.

Chez moi...tout est différent. Dame Nature nous a créés selon des castes particulières qui se mélangent peu.

Le monde des humains, celui où je suis née, est, à peu de choses près, le vôtre. Mais il y en a un autre, impossible à ignorer, surpuissant bien que discret: celui de la magie.

Des deux autres, je ne dis rien pour l'instant...

Moi, Sarah Elis, simple humaine de trente ans, ne m'attendais guère à vivre pareille aventure.


Categories: High Fantasy, Fantasy Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Aucun
Challenges:
Series: Quatre Mondes
Chapters: 35 Completed: Non Word count: 76200 Read: 552876 Published: 03/06/2010 Updated: 08/08/2011
Story Notes:

Ne m'en voulez pas si c'est un peu brouillon. J'ai commencé cette histoire lorsque j'avais quatorze ans.

Je l'ai totalement oubliée lorsque j'ai commencé à écrire des fics...puis elle m'est brusquement revenue en mémoire.

J'ai repris l'écriture de fond en comble, mais je crains que mon style ou ma trame ne soient encore un peu puérils et manichéens. Si tel est le cas, avertissez-moi et je résoudrais le problème.

Petite précision dont tout le monde se doute: tout dans l'histoire m'appartient.

1. Prologue: enterrement by Khana

2. Une famille inconnue by Khana

3. Etrange famille... by Khana

4. Terminator by Khana

5. Décision by Khana

6. Une ville... by Khana

7. Grand-père by Khana

8. Baguette by Khana

9. Ah, la jeunesse... by Khana

10. Duelliste? Quid? by Khana

11. Lise Amir by Khana

12. Marvolo...Erwan...Ariane? by Khana

13. Insvrack... by Khana

14. Changement à l'horizon by Khana

15. Ariane by Khana

16. Examen by Khana

17. POV Sir Elis by Khana

18. Come-back by Khana

19. To the doctor's by Khana

20. Vision by Khana

21. Remember by Khana

22. Retourner chez soi by Khana

23. Bad news by Khana

24. Inguat by Khana

25. Dragon by Khana

26. Se réveiller by Khana

27. Meeting Sir Elis by Khana

28. Lecture by Khana

29. Révélation by Khana

30. Menaces by Khana

31. Se connecter by Khana

32. Traduire sans s'apprécier by Khana

33. L'habitude se prend vite by Khana

34. Où avoir un accident peut être bon by Khana

35. Affronter le roi by Khana

Prologue: enterrement by Khana
Author's Notes:
héhé, premier chapitre. *fière d'elle* Je n'imaginais pas en l'écrivant le publier un jour sur internet.

surtout, n'hésitez pas à me faire des commentaires, quels qu'ils soient: j'ai tellement écrit de fics (publiées sur hpfanfiction, sous le même pseudo, je vous invite à aller les voir) que mon style pour les textes originaux s'est un petit peu rouillé.

Je me tais et je vous laisse lire.

Enjoy!
Nous sommes le mardi trois juin. Il est midi. La chaleur est étouffante pour la saison. Mais cela est peut-être dû aux circonstances.

J’ai rarement assisté à un enterrement, mais il me semble qu’à chaque fois le soleil se joue de nous et lance ses plus beaux rayons pour saluer le départ de celui qu’on ensevelit. Morbide.

Je me tiens droite au bord de la fosse pendant que descend le cercueil. Mes yeux sont rougis par les larmes que j’ai versées pendant la cérémonie, et qui en cet instant encore perlent sur mes joues. A ma gauche se trouve ma mère, et à droite, me dépassant de quarante centimètres au moins, mon petit frère de vingt-cinq ans.

Je vous épargne la brillante description de ma famille. Sachez seulement que nous sommes quatre enfants dont je suis l’aînée.
Damian, mon brillant frère dont je parlais il y a vingt secondes, est suivi par Tommy, vingt-trois ans, et Edward, vingt ans.

Tous ressemblent à ma mère. Cheveux bruns, yeux marrons, traits marqués et fossette au creux du menton. Moi, je suis leur exact contraire.

Très blonde, aux yeux d’un bleu électrique, et pourvue de traits d’une finesse presque aérienne, je suis pâle à faire peur. Mais c’est ainsi qu’était mon père, et nul ne lui ressemble plus que moi.

Mon père…Damian Elis pour le monde, repose en ce moment-même dans le cercueil qui descend dans la fosse. Il a succombé à un mal inconnu des médecins. « Arrêt cardiaque » a dit l’autopsie. Autrement dit, ils ne savent rien.

En y réfléchissant, tout en lui est un mystère. Papa ne nous a jamais parlé de son enfance ni de tout ce qui peut s’y rattacher. La vie a pour lui commencé le jour où il a épousé ma mère. Si Maman sait ce qu’il a vécu auparavant, alors elle ne l’a jamais montré.

Mais je disais que Papa est un mystère. C’est vrai. Il a toujours affiché une surprenante jeunesse. Aussi loin que puissent remonter mes souvenirs, aussi loin que datent les photos, Papa n’a pas changé.

Pourtant, Dieu sait si le temps s’est écoulé. Je suis née deux ans après le mariage de mes parents, et j’ai trente ans. Papa affichait déjà une quarantaine bien sonnée lors de ma naissance. Il devrait donc, en toute logique, accuser ses soixante-dix ans.

Mais c’est loin d’être le cas. Il n’a pas pris une ride durant toutes ces années. Maman a vieilli. Mes frères ont grandi, et dans une certaine mesure moi aussi. Mais pas lui.

Je crois que je comprends. Il faut savoir que je suis atteinte d’un mal, bénin certes dans l’absolu, mais terriblement handicapant dans la vie réelle.

Je ne grandis pas. Ou si peu.

Pourtant, je suis née à terme. Je n’ai, durant la grossesse de ma mère, pas posé un seul problème. J’étais un beau bébé lorsque je suis née. Mais le rêve s’est arrêté là.

Il s’est vite avéré que je n’étais pas normale. Loin de moi est l’intention de vous exposer mon dossier médical, mais vous devez comprendre. Je prends pour grandir deux fois plus de temps que le reste des enfants.

C’était correct dans les premières années. A quatre ans, je ressemblais à un enfant de deux ans. Mais le problème s’est rapidement creusé. A seize ans, on me prenait pour un gamin de huit, et c’est tout juste si Maman elle-même n’oubliait pas mon âge véritable. C’est Damian qui a toujours tenu la place d’aîné. Pas moi.

Papa, lui, n’a jamais oublié qui j’étais vraiment. J’étais sa seule fille, son enfant adorée, sa petite chérie. Peu lui importait mon physique, il répétait sans cesse que là n’était pas l’important, que l’essentiel est ce qui se trouve dans la tête et le cœur.

Probablement qu’il avait raison. Mais allez expliquer cela à ceux qui partageaient mes bancs ! J’ai suivi un cursus normal, malgré mon handicap. Personne ne croyait en mon potentiel. Sans vouloir me rabaisser, en fait, moi non plus.

Mais j’ai réussi. J’ai eu mon diplôme, sans redoubler, en plus. Cela fait plusieurs années que je suis informaticienne de profession dans une petite entreprise de fabrication d’oreillers.

Mais l’heure n’est pas à cela. J’ai trente ans, quinze en apparence, et j’enterre mon père.

Maman jette une rose sur le cercueil et s’éloigne en larmoyant. Je retiens un sanglot supplémentaire et prend sa suite. Damian m’emboîte le pas, suivi par sa fiancée, puis par Tommy et Edward.

Adieu Papa… Je tâcherai d’être ta digne héritière.

Je retourne à ma place et laisse défiler la famille éloignée et les amis. Seuls demeurent immobiles, un peu à l’écart, une femme vêtue d’une longue robe noire s’essuie discrètement les yeux avec sa manche vaporeuse. Elle est encadrée par deux jeunes gens, un garçon et une fille. Ils sont à peine plus âgés que moi, en apparence je veux dire.

Ils sont bizarres. Leurs vêtements, au moins. Ici, chacun porte du noir, deuil oblige, mais la chaleur empêche d’être vêtu de manière trop couverte, tout en restant dans le décent. Eux portent des robes longues. Même le garçon est vêtu d’une longue veste noire qui lui descend jusqu’aux chevilles.

Je détourne rapidement les yeux, mais un éclair lumineux attire mon attention : tous trois portent un étui doré au côté.

Nom d’un lézard…tout de même pas… Pourquoi ?

Je suis la seule à les avoir vus, mais ma famille, nos amis, autant que moi, savent ce que cela signifie. Chacun ne peut avoir, en cette situation, qu'un seul mot qui lui vient à l'esprit: magie.
End Notes:
*regard inquiet* pas trop nul?
Une famille inconnue by Khana
Author's Notes:
deuxième chapitre dans la foulée. J'espère qu'il est d'une qualité correcte. biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz, et merci de lire!
Je ne revois pas le mystérieux trio de toute la journée, pendant la réception suivant l’enterrement. Heureusement, car ces trois personnages me donnaient la chair de poule.

L’incroyable défilé des familles, amis, collègues, est loin d’être terminé. Ma mère, droite dans ses vêtements de deuil, accueille dignement les condoléances. Je sais pourtant combien cette épreuve lui est pénible. Nous ne sommes ni riches ni nobles, mais Maman a toujours su tenir son rang. Maintenant encore, elle sait faire les honneurs de sa maison malgré son chagrin.

Je me tiens derrière elle, prête à la soutenir en cas de chute. Les visiteurs m’honorent d’un mot ou d’un signe de tête, mais tous ont dans les yeux cette flamme de surprise. Tous, car il n’y a parmi eux personne qui ne me connaisse depuis l’enfance. Papa ne nous avait jamais parlé de sa famille.

Je sais ce qu’ils pensent. Une maladie comme la mienne est rare. Ils savent que je n’y suis pour rien, mais tentent néanmoins de découvrir dans mes traits un signe qui trahirait mon âge.

Il me tarde que tout cela soit achevé. Je voudrais me retirer dans ma chambre, m’allonger, et sombrer dans un sommeil qui l’espace d’un instant effacerait mes maux. Au pays de mes rêves, chacun est à mon image. Il n’y a plus de regard curieux, plus de question déplacé, plus de larmes. Et Papa est encore là.

Mais il reste plusieurs heures encore avant que ne prenne fin mon calvaire. Certes, je tiens ma place, certes, j’assiste ma mère, mais Eleanor pourrait en faire autant. Eleanor, la fiancée de Damian, qui me traite comme une enfant.

Mes relations avec mon frère sont tout sauf amicales. Il demeure entre nous une cordialité froide, emplie des reproches que Damian nourrit à mon égard.

Si je l’écoutais, je ne devrais pas être différente. Je ne devrais pas penser selon mon âge, mais selon mon apparence. Je ressemble à une adolescente, alors je dois vivre comme telle. Je ne devrais pas m’afficher telle que je suis. Je ne devrais pas avoir fait des études, ni pris mon envol et quitté le nid familial il y a trois ans.

Mais je veux être ce que je suis et non une apparence. Je veux tenir ma place, et ne pas céder le pas à Eleanor. Je suis Sarah Elis, que diable ! L’aînée, jusqu’à nouvel ordre, c’est moi.

Le défilé continue encore, et je commence à m’ennuyer ferme. Mais surtout, que Damian ne le voie pas ! Il profiterait de sa force pour me traiter comme un enfant à morigéner, et me faire des remontrances à n’en plus finir.

La moindre chose devient à mes yeux le summum de l’intérêt, pour me tirer ne serais-ce que vingt secondes de mon ennui.

Or, en l’instant où je vous parle, se produit un événement qui ne manque pas de m’intriguer. Je crois être la seule à avoir vu les étranges personnages au cimetière. Je n’ai fait part de ma découverte à personne, on aurait bien été capable de me culpabiliser d’avoir prêté attention à autre chose que la cérémonie en ce jour si funeste.

La cloche accrochée à la porte sonne un instant, puis se tait. Aussitôt, mes yeux glissent dans cette direction, à la recherche des nouveaux arrivants.

Je manque d’en rester bouche bée. Les personnes qui viennent d’entrer sont exactement les trois mêmes que j’ai aperçues au cimetière. J’ignore si elles-mêmes m’avaient vue auparavant, mais le regard de la plus âgée des deux femmes glisse sur moi, et sa bouche, auparavant impassible, prend un léger pli que je peine à déchiffrer. Etait-ce de la tristesse ? Je ne saurais le dire. Mais je suis sûre qu’en me voyant, cette mystérieuse femme n’a ressenti aucune joie.

Maman m’a toujours appris que dévisager les gens est impoli. Pourtant, cette fois-ci, je ne puis me retenir.

Je ne me demande pas qui ils sont. Non, cela je le sais, du moins partiellement. Mais la cause de mes interrogations est plutôt la raison de leur présence. Il est difficile, voire presque impossible, de rencontrer ne serais-ce qu’une personne pareille. Trois à la fois relève quasiment de la légende.

C’est pourquoi je ne me gêne pas pour les jauger, tandis qu’ils s’installent au bout de la file.

La femme âgée a à présent cessé de me regarder, et promène son regard sur mes frères, sagement alignés à mes côtés. Damian m’écrabouille, et prononce avec chacun des paroles de circonstance.
Eleanor est absente, grand bien lui fasse.
Tommy distribue des poignées de main à la ronde et essaye désespérément de nommer chacun par son nom. Dure tâche, il y a longtemps que je l’ai abandonnée.
Quant à Edward…Et bien, Edward ne prend même pas la peine de cacher son ennui. Il a vingt ans, ce genre de cérémonies ne fait pas partie de ses activités favorites. Sa présence ici n’est due qu’à la nécessité, et je sais qu’il n’a qu’une envie, s’enfuir pour noyer sa peine avec ses amis.

Les étranges personnages se rapprochent de plus en plus de nous, et mon regard se fait plus insistant. De celle qui me paraît être la mère, je passe à la fille. Elle paraît n’avoir pas plus de vingt ans, mais je sais mieux que personne que les apparences ne s’accordent pas toujours avec la réalité. Elle ressemble beaucoup aux deux autres personnages, ce qui rend tout lien familial impossible à nier.
Le garçon doit probablement être son frère. De tous, il est le plus étrange. Je n’avais jamais vu de garçon portant les cheveux longs : c’est maintenant chose faite.

Oh, je n’irais pas jusqu’à dire que sa crinière descend jusqu’à la taille. Le milieu du dos, tout au plus, il me semble. Ses cheveux, raides, sont presque aussi blonds que les miens, mais je suis prête à parier que cette couleur n’est pas naturelle. En effet, quelques mèches brunes montrent le bout de leur nez par endroit, et ses sourcils sont châtains. Pour couronner l’ensemble, le garçon – auquel je donne vingt-cinq ans tout au plus – porte une espèce de bouc pointu sur le menton. Bizarre.

Je commence à angoisser au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de ma mère. En fait, je me demande ce qu’ils vont dire. Comment ils vont expliquer leur présence. Ils ne peuvent être là par simple curiosité : ce serait de mauvais goût. Mais quoi d’autre ? Ils doivent bien avoir connu mon père, puisqu’ils sont là, mais jamais Papa n’a seulement mentionné leur existence. Etrange, vraiment.

La file se raccourcit encore, et je commence à sentir les effets de la force qui les entoure. Je ne m’étais pas trompée. A l’instar de Papa, j’ai le don de tomber juste. Je ressens les choses mieux que personne dans ma famille. Seul Papa tombait parfois plus près de la vérité. Mais il n’est plus là…et je sais que je ne fais aucune erreur.

Le curieux trio arrive enfin à notre niveau. Maman les regarde aussi curieusement que lui permet son chagrin. Sa surprise est grande, manifestement.

A côté de moi, je sens Damian se contracter brusquement. Je connais assez son avis en la matière, et ai toutes les raisons de monde de craindre un esclandre. C’est pourquoi, malgré nos fréquents conflits, je lui agrippe le bras et l’enjoins par une simple pression à se calmer. A ma grande surprise, la méthode fonctionne. Si les yeux de mon frère ne cessent de lancer des éclairs, au moins Damian desserre-t-il les poings et adopte-t-il une attitude plus posée.

Maman fait face à la mystérieuse femme. Dans la pièce, tous les regards sont dirigés vers ce qui paraît être presque un duel. Je retiens mon souffle : c’est l’heure de vérité.


- Veuillez, ma chère Louisa, accepter toutes mes condoléances, murmure enfin la mystérieuse femme. Je ne crois pas que vous me connaissez. Je suis Marthe Destoc, la sœur de Damian, et ces deux là – geste évocateur vers les deux jeunes gens – sont Marvolo et Ariane, mes enfants.
Etrange famille... by Khana
Author's Notes:
voilà le troisième! j'espère que je m'améliore un peu...
La réception s’est enfin achevée, avec une rapidité surprenante si on compare cela à la lenteur exaspérante avec laquelle s’est déroulée la journée.

La nuit est tombée, et chacun est parti. Seule demeure ma famille et…eux.

Eux. Grand problème.

Si je les crois…ces étranges personnages seraient également de ma famille.

Nom d’un chien ! Papa aurait eu une sœur. Une sœur ! Papa, une sœur !

Il ne nous en a jamais parlé. Comme je l’ai déjà dit, il n’a jamais évoqué la moindre famille. Et à la réflexion, je comprends pourquoi.

Je crois que ce passage mérite développement. Les trois mystérieux personnages ont, comme je l’ai déjà dit, un étui doré à la taille. Dès que je les ai vus, j’ai compris.

J’ai compris que ces visiteurs n’appartiennent pas à notre monde, mais à celui de la sorcellerie.

Laissez-moi expliquer : il est admis depuis plusieurs siècles que le monde humain n’est pas le seul à agir dans l’univers. En fait, ils sont deux. Chaque dimension dispose de ses propres caractéristiques et compétences. Aux humains les techniques, à l’Hendiadyn la magie.

C’est tout ce que je sais. Maigre connaissance, j’en ai conscience. Cependant, il faut dire à ma décharge que les relations entretenues par l’ONU avec l’Hendiadyn sont des plus mauvaises. Les magiciens sont considérés avec une méfiance infinie, car porteurs d’un savoir auquel les humains n’ont pas accès.

Rares sont les magiciens autorisés à passer la frontière. Il leur faut une autorisation signée par le chef, ou le roi, ou je ne sais plus quoi. Par une huile, en tout cas. Si ce monde a une administration aussi folle que le mien, pareil papier ne doit pas être délivré avant au moins une bonne année.

Ce qui, dans le cas présent, est impossible. Papa était encore de ce monde la semaine dernière. Il n’y a donc que deux solutions : ou bien cette bonne femme connaissait l’avenir et a décidé d’attendre que la nature fasse le reste (ce qui est de très mauvais goût, même si elle n’a pas donné signe de vie depuis des années), ou bien elle a reçu l’information par un moyen de transmission dépassant l’entendement, et a des amis hauts placés (ce qui ne m’étonnerait pas, vu comment elle est habillée).

Pff…Que d’informations, mes aïeux ! Et dans quel fouillis ! Récapitulons :

De une, j’ai une tante et des cousins magiciens.

De deux, ma tante est comme Papa d’une jeunesse étrange, du moins sur ses traits. Même un lifting ne pourrait en faire autant. De toute façon, je ne crois pas que Papa ait jamais eu recours à la chirurgie, alors je penche pour un problème génétique dont j’aurais hérité.

De trois…si on suit un raisonnement logique…Papa était magicien.

Horreur et damnation.

Ma surprise doit transparaître sur mon visage, car celle que je me dois de nommer ma tante a un petit rire. Rire jaune, d’ailleurs. Je vois bien qu’elle ne m’aime pas. Mes frères lui paraissent insignifiants, mais pas moi.

Quoi, elle m’en veut parce que je ressemble à Papa ? Parce que je ressemble à son frère ? Je ne suis pas morte à sa place alors que je souffre du même mal ? Je n’y peux rien, moi ! Si elle aimait tant que cela mon père, elle n’avait qu’à se déplacer pour venir le voir. Rien ne l’en empêchait, puisqu’elle a tant de relations que cela.


- Je vois qu’il y en a au moins une ici qui a saisi l’ampleur du problème, dit-elle d’une voix calme.


Ses traits ont repris leur impassibilité, mais elle me regarde toujours. Ça commence à devenir énervant. C’est quoi, son problème, à la fin ? Elle ne se doutait pas que son frère aurait une fille atteinte de son mal ?


- Je vous demande pardon ? murmure ma mère d’une voix faible tandis qu’Eleanor-la-parfaite lui broie l’épaule en signe de réconfort. Je ne comprends pas.

- C’est pourtant clair, rétorque…comment elle s’appelle déjà ? Ah oui, Martha, non, Marthe Destoc. D’après ce que je vois, personne ici n’a compris. Personne…sauf toi.


Ce disant, elle pointe vers moi un doigt presque accusateur. A croire qu’elle me reproche d’avoir assimilé tous les enjeux de son apparition. Ce n’est pourtant pas de ma faute si j’ai l’esprit plus vif que ma famille. C’est encore un héritage de mon père. Papa avait le don de tout comprendre avant Maman. J’avais beau mentir avec un talent phénoménal, je ne pouvais réussir à le berner.

Espérons que je serais capable de la même chose lorsque j’aurais des enfants.


- Tu dois être Sarah, je suppose.


Hein ? Nom d’une pipe, d’où connaît-elle mon nom ? Si j’en crois ma mémoire, elle n’a pas vu Papa depuis son départ d’Hendiadyn, lequel remonte à au moins trente-cinq ans. Elle est omnisciente ou quoi ?

Pour dissimuler mon trouble, je j’allume une cigarette. Je sais, je fume et c’est mauvais pour la santé. Mais c’est mon péché mignon. Pas une drogue, non. Mais j’aime cela.

Pas tellement le goût, plus l’odeur. Si je le pouvais, je passerais mon temps à inspirer les délicats effluves d’un cigare de La Havane. Mais je ne suis pas riche, et dois me contenter des cigarettes les moins chères du marché.

Le simple fait de fumer représente pour moi une attitude de défi. Lorsque je prends une cigarette, la personne qui est en face de moi paraît se déconnecter du reste. Je l’oublie presque. Elle n’est plus que secondaire, et j’adopte presque le mode de pensée qui doit être celui de mon frère : me, myself, and I.


- Qu’en savez-vous ? je réplique en inspirant une bouffée.


Ma tante tire à présent une mine de trois pieds de long. Elle était déjà loin d’être ravie, je crois que maintenant la colère n’est plus loin. C’est que je veux atteindre.

Je sais, je suis un peu suicidaire. Si elle décidait de me lancer un sort, je ne pourrais pas résister. Cependant, j’ai vécu une journée si éprouvante que toutes ces considérations sont bien loin de mon esprit. Aujourd’hui, on a enterré mon père. L’heure n’est pour moi pas à la sagesse.


- C’est simple, dit néanmoins la sœur de mon père. Damian m’avait parlé de toi il y a plusieurs années. Il disait que tu lui ressemblais beaucoup…que tu as mauvais caractère…et ta croissance n’est pas en adéquation avec ton âge. Vois-tu quelqu’un d’autre dans ce cas ici ?








Papa lui a parlé de moi ? Elle est déjà venue ?

Misère de misère… je n’y comprends goutte.
Terminator by Khana
- Ton raisonnement n’est pas idiot, continue ma tante, mais il est faux.


Hein ? Qui que quoi ? Comment sait-elle ce que je pense ? A moins que je ne sois brusquement atteinte par l’Alzheimer, il me semble que je n’ai pas dit un mot.

Je tire une nouvelle bouffée afin de dissimuler mon anxiété. Quel imbroglio ! Entre un père décédé qui se révèle magicien, une tante qui m’annonce de tout go que Papa lui a parlé de moi, et mes pensées qui sortent de ma tête sans que je ne les y autorise, j’ai du mal à me retrouver.

Bon, commençons par le problème le plus urgent : ma tante. Elle sait ce que je pense. Elle a suivi mon raisonnement, alors que je n’ai pas dit un mot. Le pire est peut-être que je sais qu’elle a raison. C’est obligé. Elle a ça dans le sang, et je sais reconnaître mes pairs.

Mes pairs, mes pairs…je me suis trompée, autant que je sache. Ce n’est pas bon pour mon moral. Déjà qu’il est au ras des pâquerettes… Horreur et damnation.


- Et je ne lis pas dans ton esprit.


Bien sûr. C’est évident. Elle devine simplement. Coup de chance. Pur hasard.

Mais elle se paye ma tête ou quoi ? Je suis aussi impassible qu’il m’est donné d’être. Mes traits n’ont pas frémi tandis que je réfléchissais. Tata Destoc n’a pu que lire dans mon esprit. Une magicienne doit savoir faire cela. Tous les bouquins le disent, et je préfère faire confiance à un livre plutôt qu’à une bonne femme débarquée de fraîche date, annonçant la bouche en cœur qu’elle est ma tante et que mon père était magicien.

Terminator, va.

Il n’empêche, j’apprécierais grandement qu’elle prête attention à quelqu’un d’autre que moi. Je le dis ? Non, pas pour l’instant, Damian me regarde. Je connais cette tête, il est jaloux de l’attention que me porte notre tante toute neuve. Pff…s’il en a tant envie que cela, je la lui donne. J’en ai assez soupé, pour ma part.


- Tu me parais sceptique.


Et ça l’étonne ? Non, mauvaise réponse. J’aimerais être vulgaire, je ne le suis pas assez souvent. Mais je dois demeurer polie, quand bien même ma tristesse me donne un caractère exécrable.

Enfin, pire que d’habitude. Vous me comprenez.


- Avouez, Madame, qu’il est difficile de penser que vous ne lisez pas dans mon esprit, je rétorque en appuyant soigneusement sur le « Madame ». Vous êtes tombée juste, hélas.

- Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, soupire la bonne femme. D’abord, cesse de me donner du « Madame », ça c’est bon pour les étrangers. Puisque tu es ma nièce, j’apprécierais que tu me nommes ta tante.


Ça, c’est fait…


- Ensuite, continue-t-elle, je n’ai aucun mérite à avoir compris ton raisonnement. Il était on ne peut plus logique. Je n’ai pas lu dans ton esprit, pour la simple raison que nous ne pouvons pas le faire. Pareille compétence n’est réservée qu’à des magiciens utilisant une autre magie que la nôtre.


Que la sienne, plutôt. Moi, je ne suis pas concernée.

Enfin, malgré le fait qu’elle me prend manifestement pour un bébé, je ne suis pas mécontente du fait qu’elle me parle de son monde, celui où Papa est né. Moi, curieuse ? Exact, et je ne m’en cache pas. C’est un de mes pires travers. Puisque je ne suis pas parvenue à l’éliminer, j’ai préféré l’assumer.


- Tertio, poursuit ma tante sans prêter la moindre attention à son fils qui commence à se chamailler avec Tommy, je disais que tu te trompais. J’ai certes vu Damian il y a plusieurs années, mais contrairement à ce que tu penses, je ne me suis pas déplacée. C’est lui qui est venu.


Pardon ? Pardon ? Pardon ?

Qu’elle ne se soit pas déplacée…soit. Les visas pour le monde des humains sont longs à obtenir. Mais l’inverse est également vrai.

Sans compter que cela n’explique pas pourquoi ma chère tante apparaît pile pour l’enterrement de Papa. Le savait-elle, oui ou non ?


- Il faut que tu comprennes, poursuit la sœur de Papa, que le nom d’Elis n’est pas commun en Hendiadyn. Ton grand-père, Sir Damian Elis, est la principale personnalité politique du territoire. Il est directeur du Conseil Général, lequel assume les fonctions du roi.


Minute…c’est moi ou elle en parle au présent ? Bizarre… Papa avait presque soixante-dix ans, ce serait étrange que son père soit encore en vie.

Si ça se trouve, le grand-père en question est un vieux croûton gâteux… ça doit être beau, en Hendiadyn ! Une maison de retraite géante !

Oui, bon, c’est beau d’avoir une imagination débordante, mais je sens que le silence qui plane en ce moment est fait pour que je dise quelque chose…


- J’avoue que je ne saisis pas très bien, je murmure avant d’aspirer une nouvelle bouffée de ma cigarette. Papa avait déjà un certain âge. Il est impossible que son père soit encore en vie.

- Impossible pour les humains, pas pour les magiciens, rappelle ma tante sur un ton démontrant combien elle est fière d’en être une. Notre temps n’est pas le même que le vôtre. Tu peux me croire, tu as un grand-père. C’est un homme éminent. Damian, mon frère, a profité de sa situation pour quitter l’Hendiadyn suite à un désaccord dont je ne sais presque rien.


Menteuse.


- C’est ce même avantage qui lui a permis de revenir sans visa en Hendiadyn, la dernière fois que je l’ai vu.

- Et c’est pour cela que vous avez pu venir, je termine à sa place.


En parlant de terminer, d’ailleurs, ma cigarette s’est éteinte. J’en rallumerais bien une, mais je ne dois pas trop en consommer. Mon argent est trop précieux pour être dépensé pour pareille futilité.

C’est un joli discours qu’elle vient de me servir. Mais cela ne me dit pas pourquoi Papa lui a parlé de moi et pas de mes frères. Car il y a forcément une raison. Cela ne peut être un hasard si notre tante les ignore, de même que ma mère, mais me manifeste un intérêt dont je me passerais volontiers.


- En effet. Le Bureau des Magiciens Décentrés m’a informée de ce qui s’était passé. J’en suis réellement navrée.


Un problème de moins, et sur ce coup-là je la crois. Elle paraît sincère. Oh, je sais, je ne suis pas une experte en détection de mensonge. Cependant, ma tante a de légers diamants au coin des yeux. Elle retient ses larmes, sans doute pour ne pas s’abandonner à sa tristesse. Ses enfants ne doivent pas la voir dans cet état. Ce qui est compréhensible, une mère se forge souvent une image de forteresse aux yeux de ses enfants, et rien ne doit ébranler leur certitude jusqu’à ce qu’ils soient en âge de supporter la dure réalité de la vie.

Ça vous étonne que je raisonne ainsi ? J’ai trente ans, je vous rappelle. Certes, je ressemble à une gamine, mais je n’en suis pas une.


- Mais de toute façon, reprend ma tante, si ces circonstances n’avaient pas été…je serais venue.


…car elle avait projeté d’aller passer ses vacances aux Antilles et en profiter pour faire un petit coucou à son grand frère.


- Lorsque Damian est venu en Hendiadyn…il y a six de nos années de cela…c’était pour me parler de toi.


Six de leurs années… ça fait combien de temps pour les humains ? Aucune idée… Tiens, mais tant que j’y pense, ce serait un intéressant programme qu’un logiciel convertissant le temps magique en temps humain. Oui, intéressant. L’ONU devrait me le payer un bon prix.

Si je le crée bien sûr… Quoique je ferais mieux d’y intégrer d’autres composantes afin qu’il ne se réduise pas à une simple calculette.

Voyons…en y rajoutant une base de données des villes de l’Hendiadyn plus leur éloignement entre elles… Il faudrait que je demande à mon nouveau cousin. Vu sa tête, il doit savoir pas mal de trucs.

Arrêt sur image.

Minute…Papa est venu en Hendiadyn prendre un café juste…pour lui parler de moi ? C’est à cause de cela que ma tante est venue ? Je ne comprends pas… C’est mon dossier médical qui les intéresse ? Non, ce serait étonnant de la part de Papa. Quoiqu’il a caché tellement de choses que je ne devrais plus être étonnée, même si on m’annonçait qu’il s’est réincarné dans un nain unijambiste à six bras.


- En quoi une pauvre fille malade peut bien intéresser une magicienne de haut rang ? je rétorque en m’enfonçant les ongles dans la peau pour me retenir de prendre une nouvelle cigarette. Vous désirez sans doute examiner mon cas à la lumière de vos connaissances ?


Je regarderai dans un miroir, mais je ne crois pas qu’il soit écrit « cobaye » sur mon front… A moins que ce ne soit l’impact de mon ascendance magique sur mon pauvre petit corps d’humaine qui mérite étude. Dans ce cas, je me ferais un plaisir de leur rappeler que mon cas n’est pas unique. C’est vrai, quoi, Tommy fait des études de biologie. Je suis sûre qu’il serait ravi de faire ainsi avancer leurs recherches.


- Sarah…soupire ma tante que j’ai manifestement réussi à désespérer. La probabilité pour qu’un enfant né d’une union entre un magicien et une humaine ait également des pouvoirs magiques est de moins d’un pourcent. Damian est venu en Hendiadyn car il soupçonnait que tu n’appartiennes à ce pourcent.


Moi ? Magicienne ? La bonne blague ! Je l’aurais remarqué si j’en étais une, je crois. Sans vouloir la vexer, des pouvoirs magiques passent difficilement inaperçus, même quand ils sont bruts.


- En quel honneur avait-il formé un tel avis ? Je n’ai jamais fait d’esclandre…Jamais il ne s’est produit un seul événement suspect… Rien qui ne puisse laisser soupçonner quoi que ce soit.

- Pas à proprement parler, c’est vrai. Mais tu oublies qu’il y a une part de toi qui intrigue quiconque te connaît un peu.

- Aucun rapport.


Ou du moins j’espère. Ma nouvelle tante me paraît être d’une logique inquiétante.


- Bien sûr que si. Chez les magiciens, l’enfant ne reçoit ses pouvoirs magiques qu’à l’âge de quinze ans.

- J’en ai trente, cela ne me concerne pas.


Si Eleanor ricane une nouvelle fois, je lui brûle les cheveux ! Je serais certes condamnée à une peine de prison, j’en baverais, mais le jeu en vaut la chandelle.


- Trente années humaines à ton état civil. En apparence, tu en fais quinze.


Je le savais déjà. Elle ne m’apprend rien de nouveau.


- Sarah… ta croissance ralentie n’est en aucun cas une maladie. Tu n’es pas bête, tu as probablement remarqué que ton père était atteint par le même phénomène. Il vieillissait au rythme des années magiques.


Ce serait plausible…si nous vivions en Hendiadyn. Mais c’est loin d’être le cas.

J’ai l’impression que je vais avoir droit à un petit exposé…


- Les années magiques ne sont pas qu’un système de comptage du temps, déclare ma tante d’un air docte (je parie qu’elle enseigne à l’université !). Elles imprègnent quiconque dispose d’un pouvoir magique quel qu’il soit. Le magicien, même s’il vit dans votre monde, n’est pas atteint par la vieillesse humaine. Les années magiques sont là pour lui rappeler qu’il n’est pas humain, mais appartient à une caste différente qui ne saisit pas le temps à votre manière. Une année magique vaut deux années humaines, et c’est à ce rythme que tu as grandi.


Et zut. Son raisonnement est…logique. Rassurant, sur un point. Au moins, je ne suis pas malade. D’un autre côté, j’ai dépensé une fortune en médicaments pour rien, et les sous ne vont pas revenir seuls.

Par les anneaux de Saturne ! Si je suis magicienne…en suivant ce raisonnement…j’aurais quinze ans depuis peu. Ah non, alors, je refuse de retomber en enfance !

Quel bazar… Il faut que je réfléchisse.
Décision by Khana
Author's Notes:
je suis contente que vous soyez allés voir. vraiment, j'aime beaucoup avoir votre avis, ça m'aide à continuer. merci pour tous vos coms, donc, et bonne lecture!
Moi, magicienne… J’ai beau y repenser encore et encore, je n’y arrive pas. Magicienne. Je serais une magicienne comme Papa. Moi. Pas mes frères. Moi.

En suis-je heureuse ? A dire vrai, je n’en sais rien. Je devrais l’être, pourtant. Ma maladie n’en est pas une, et j’ai reçu en héritage bien plus que tout les dollars du monde. Mais je ne suis pas stupide, quoi que puisse en penser Eleanor.

Un seul point me dérange, dans toute cette histoire. Un seul, mais de taille.

Un rocher. Une colline. Une montagne. L’Everest.

Les magiciens…enfin, la majorité d’entre eux, ne vivent pas dans le monde des humains.

Je regarde fixement le gazon sous mes pieds, comme s’il allait subitement me donner la réponse à mon problème. Je suis sortie du salon il y a vingt bonnes minutes, lorsque ma tête menaçait d’exploser. Je n’ai pas voulu entendre ce que ma tante s’apprêtait à dire, car je devine parfaitement ses intentions.

Et cette fois-ci, il n’est plus question pour moi de me tromper.

Elle est venue pour me chercher.

Je dois partir en Hendiadyn. Super. Retomber en enfance. Retourner à l’école. Je suis une gamine ! Tout en moi est à refaire.

A-t-elle seulement songé que ma vie ici me convient ? Certes je suis considérée comme une enfant, certes je m’entends mal avec mon frère et sa fiancée, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. J’ai une vie, ici. J’ai ma mère.

Que vais-je trouver en Hendiadyn ? Une tante inconnue pressée d’étaler son savoir, deux cousins qui ne doivent rien avoir à faire de moi, et un grand-père que je suppose ressembler à un courant d’air. De plus, en quoi pourrais-je bien l’intéresser ? Malgré les salades qu’a bien pu raconter ma tante, j’ai deviné que le différend entre mon père et Sir Elis a été assez profond pour que Papa veuille couper les ponts.

Non, je crois que je ferais mieux de demeurer ici. Enfin, à New-York, puisque c’est là que je vis. J’ai déjà un univers, pourquoi entrerais-je dans un autre monde ?


- Tu t’essayes à la vie d’ermite ?


Hein ? C’est qui celui-là ? Qui vient de surgir dans mon dos ? Pas Damian, j’aurais reconnu sa voix. Ça ne peut pas non plus être Tommy ou Edward, pour les mêmes raisons.

Je suis bête. Marvolo, sans doute. Mon cousin tout neuf.

Je dois paraître particulièrement pathétique à ne pas me retourner, car il vient s’asseoir en face de moi et me force à relever la tête.

C’est vraiment bizarre les cheveux longs… Il les teint, oui ou non ?


- Tu es au courant que tu es là depuis une heure ?


Une heure ? Non, pas tant. Une vingtaine de minutes, je veux bien, mais une heure… C’est un petit peu hyperbolique.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai la vague impression que mon cousin se moque totalement du temps que j’ai pu passer ici. En fait, je ne sais même pas pourquoi il est venu. Sans doute que sa dispute avec Tommy a perdu tout son intérêt, si seulement elle en avait déjà eu un. A moins que sa Môman ne l’ait envoyé s’assurer que je ne suis pas en train de concocter un plan d’évasion.


- Arrête de te faire du mouron. Trop penser donne mal à la tête.


Ça explique pourquoi j’ai la migraine en cette heure H, minute M, seconde S.


- Personne ne te forcera à partir. Si tu veux rester avec les tiens, rien ne t’en empêche. Mais au moins tu sauras que ta place n’est pas ici.

- Parce qu’elle est en Hendiadyn peut-être ?


Je ne suis pas aveugle. Si je n’avais pas pour grand-père un as de la politique dont la voix pèse dans n’importe quel vote, personne ne se soucierait de mon sort.


- Tu en doutes ? reprend mon cousin (mais pourquoi s’intéresse-t-il tant à mon cas, nom d’un petit bonhomme en jean rouge ?) Tu as reçu le don de la magie, je ne vois pas pourquoi tu resterais ici. L’Hendiadyn te dispensera une solide formation, tu auras un métier en adéquation avec tes pouvoirs. Je ne connais pas bien les humains, mais il me semble que personne parmi eux ne pourra t’offrir pareil accompagnement. L’Hendiadyn est créé sur mesure pour les magiciens, et tu mérites d’y être.


Comprendre : si tu as un tant soit peu de jugeote, cesse cette demi-vie et viens.


- Sarah…reprend mon cousin d’une voix douce (il me prend pour un bébé ?) Nous fais-tu confiance ?


Rationnellement…je ne devrais pas. Que sont-ils pour moi, après tout ? Je ne les connais que depuis quelques heures. Certes, il existe entre nous l’indéfectible lien du sang, renforcé par celui de la magie. Mais suis-je pour autant prête à tout abandonner pour pareil inconnu ? Ce serait tourner le dos à ma mère…Ne plus la revoir… Devenir un vague souvenir, une ombre sur une photo, la légende de la famille.

Je ne sais pas…Je ne sais rien…

Je serais peut-être encore assise à réfléchir si mon corps n’avait pas décidé pour moi. Je suis prête à parier mon ordinateur que ce n’est pas naturel. Non, pareil geste ne peut avoir qu’une cause magique, mon corps a toujours été en adéquation avec ma pensée.

Jusqu’à cet instant.

Je suis encore noyée dans le scepticisme le plus total, lorsque ma main se lève sans que je ne le lui ai demandé, et serre celle que mon cousin me tendait.

Mon destin est scellé. J’irai.
Une ville... by Khana
Author's Notes:
déslée, ce chapitre est affreusement fastidieux, mais je devais planter le décor.

j'me tais, j'vous laisse lire!
Beuark. Je crois que je vais vomir.

Sans rire, je comprends pourquoi aussi peu de magiciens se risquent à passer la porte menant au monde des humains. Le transfert est…enfin…il vaut mieux jeûner si on veut espérer arriver dans un état correct.

D’ailleurs, en parlant de porte… Que le grand cric me croque si ç’en est une. Le passage menant à l’Hendiadyn se présente sous la forme d’un dallage activé par trois magiciens vivant ici. Enfin, là-bas, maintenant. A New-York.

Fin du blabla. J’ai la nausée. Comment Papa a-t-il pu trouver le courage de faire quatre fois le voyage ? Un seul trajet m’a suffit pour me retourner les tripes.

Papa, est-ce donc cela ton monde ? Est-ce cela, l’Hendiadyn ? Est-ce cela que tu as quitté pour rencontrer ma mère ?

Comme j’aimerais qu’il soit ici… Cette terre m’est étrangère, je ne la sens pas mienne. Je ne reconnais rien, ici. J’ai toujours été habituée à la grandeur des buildings, à la majesté des bâtiments, l’immensité de mon monde. L’Hendiadyn, en comparaison…ce n’est rien.

Je ne vois que la capitale, Asyndète, et pourtant il me paraît que je vis dans un…dans un conte. Un conte, sans connotation de quelque genre que ce fût.

C’est tout petit ! Minuscule ! L’Hendiadyn ne fait même pas la taille des Etats-Unis ! Je pourrais la comparer, tout au plus, à la France. Ma tante m’a dit qu’un magicien peut, s’il ne respecte pas les limites de vitesse, traverser en volant le pays du Nord au Sud en une journée.

J’ai atterri chez les Lilliputiens !

Enfin, façon de parler. Tous ici ont une taille normale, enfin, une taille d’humains. Mais c’est si petit ! Ils sont si peu nombreux ! Ce dernier cas est certes peut-être lié à leur longévité, mais enfin…tout de même…trois millions d’habitants, ce n’est rien.

Un conte. J’ai atterri dans un conte. Dans ces dessins acidulés destinés à faire rêver les petites filles.

Ici, point d’immeubles défiant la tour de Babel. Point d’immenses blocs de béton. Point de tags, point de saletés. C’est propre. Large. Vert. Tellement que ça fait peur.

Le ciel est moucheté de petits points colorés. Ce sont, je le devine, des magiciens. Ils se croisent sans jamais se heurter, cabriolent sans que cela ne paraisse leur coûter le moindre effort. C’est un véritable ballet, sur lequel je me serais attardée si ma tante ne m’avait pas tiré la manche pour me forcer à avancer.

Dans les rues circulent différents personnages, en apparence très affairés, et tous portent à la taille ce même étui doré que j’ai déjà vu chez ma famille toute neuve.

Les robes de sorciers semblent être de mise, ici. Il y en a partout, et de toutes les couleurs : des bleues, des vertes, des jaunes, et même une rouge sombre qui paraît inspirer énormément de respect. Une huile, sans aucun doute.


- Les couleurs des robes sont associées à un métier, a la gentillesse de m’informer mon cousin – lequel ne paraît pas le moins du monde avoir souffert du trajet, je me demande quel est son secret. Par exemple, moi, je suis brigadier. Lorsque je travaille, je porte une robe violette. Maman est architecte militaire, sa tenue est bleue marine.

- Et cette personne, en rouge, à quel corps appartient-elle ?


Soupir. Pourquoi ai-je l’impression d’avoir posé la question qu’il ne fallait pas ?


- La robe pourpre…C’est un membre du Conseil Général, finit-il par dire en pinçant les lèvres.

- Oh, celui qui…

- …est dirigé par Grand-père. En effet. Celui-là est un nouveau conseiller. T’a-t-il remarquée ?


Ça aurait été difficile, il avait le nez plongé dans son dossier. Je me demande même comment il fait pour marcher droit. Sa place, je serais déjà rentrée dans quelqu’un.

Je me demande quand même…pourquoi aurait-il dû me remarquer ? Enfin non, mauvaise question, pourquoi aurait-il été mauvais qu’il me voit ? Parce que ma mère était à moitié humaine, c’est cela ? Si ça les embête tellement, je vais me faire un plaisir de repartir chez moi illico !


- Un inconvénient ?

- Oui…et non. Je ne sais pas si Grand-père connaît ton existence…son différend avec ton père a été tel que longtemps il a refusé d’entendre prononcer son nom. Maman a l’intention de faire violence. Il est ton ascendant, après tout, et il serait juste qu’il soit ton tuteur. En revanche…je n’ai jamais connu Grand-mère, elle est morte avant ma naissance. Je n’en ai vu que des images, mais…je sais que tu lui ressembles beaucoup. Autant qu’à ton père. Même en taisant ton nom, tu ne peux cacher ton ascendance. Je ne crois pas que Maman apprécie que le bruit se répande comme une traînée de poudre avant que les formalités ne soient réglées.


Magnifique ! Voilà que je deviens le clone d’une ancêtre que je n’ai jamais connue. Je débarque à peine dans un monde dont je ne connais rien, et voilà que j’apprends qu’on va me regarder, me jauger, me comparer, à tous ceux qui sont passés avant moi et dont l’existence s’est toujours axée autour de ce monde miniature. Par-dessus le marché, comme si le reste n’était pas suffisant, mon Grand-père me paraît avoir un caractère de cochon tel qu’il peut concurrencer avec le mien. Je sens que ça va être la joie ces jours prochains. Un sage, lui ! Peut-être dans ses fonctions, mais si mon père a coupé les ponts, c’est bien parce que la sagesse de son géniteur avait fait défaut à un moment ou à un autre.


- Comment est-il ?

- Qui ça ?

- Grand-père.


Nouveau grand mystère de l’humanité : pourquoi cette curiosité subite venant de ma part ? Certes, je suis curieuse et j’en suis fière, mais jamais auparavant je n’avais voulu…savoir comment est un personnage.

On pourrait me répondre que j’aurais la réponse bien assez tôt. Ma tante a décidé de me mener directement au Palais du Conseil, sans passer par la case maison, puisqu’elle a décidé que je logerais chez elle. Ce qui est assez bête, d’ailleurs, vu qu’elle a également décrété que Grand-père serait mon tuteur. A mon humble avis, elle ferait mieux de cumuler les deux fonctions. Après tout, ce n’est pas comme si ce grand inconnu avait la moindre parcelle de temps à m’accorder.

Mais les lois, toujours les lois…les lois disent que mon tuteur doit être mon ascendant le plus proche. Soit, mais qui a jamais respecté les textes à la lettre ? L’histoire du visa a bien prouvé que les dérogations ont la vie belle, ici.


- Si je devais le qualifier en un mot…commence mon cousin (je rends grâce à sa patience) je dirais…énigmatique. Il craint de montrer ce qu’il pense, parce que son rang ne lui permet pas d’être faillible. Ça lui donne une certaine sécheresse en apparence. Il est éminemment compétent… Je crois qu’il adorait Grand-mère Elizabeth, ainsi que ton père et Maman. Mais son caractère autoritaire l’a empêché de montrer ce qu’il pensait vraiment.


En gros, essayer de savoir ce qu’il a dans le crâne est de la dernière inutilité.

J’abandonne.

Nous débouchons sur une vaste place, où Ariane s’empresse de nous abandonner pour rejoindre un groupe qui était assis non loin.

Toute la vie d’Asyndète me paraît rassemblée ici. La foule que j’ai vue dans les rues paraît à côté de celle que je vois ici bien légère.

Ce n’est qu’un ballet de robes colorées. Sur terre, dans le ciel, aux fenêtres, il y en a partout. Des hommes, des femmes, tous encombrés de dossiers d’une épaisseur défiant toute concurrence. J’aperçois quelques robes pourpres dans le tas. Ce sont celles qui s’attardent le moins. Elles filent comme l’éclair, passant d’un palais à l’autre.

Je sais, j’ai omis de parler des palais. Si je dis que cette place semble concentrer toute la vie de la capitale, c’est parce qu’elle concentre, comme vient de me le dire ma tante, les principaux organes du royaume.

La place est un carré parfait, dont chaque côté est un bâtiment aux vastes proportions. Ma tante a la bonté de m’informer que nous venons de déboucher entre le tribunal national et le QG des duellistes. Duellistes ? Qu’est-ce donc encore ? Une nouvelle police ? Je croyais que c’était la charge des brigadiers. Bon, je m’en occuperai plus tard. Après tout, ils ont bien le droit d’avoir différents services…Les Etats-Unis ont bien la CIA, le FBI, le NCIS, et que sais-je encore.

Face à nous, le cœur politique de l’Hendiadyn. Le Palais Royal, où vit un roi inutile, et le Palais du Conseil.

Hum. Le Palais du Conseil.

Est-ce normal que j’ai peur, en cet instant ? Pourquoi mon sang se glace-t-il dans mes veines ? Pourquoi mon cœur commence-t-il à battre une chamade démesurée ? Pourquoi ai-je froid ?

Questions stupides. Idiotes. Superflues.

Ma tante s’immobilise un moment. Un sourire légèrement crispé illumine son visage, et elle prend le pas de course, sans se soucier des personnes qu’elle peut bousculer.

C’est ça l’avantage d’être la fille d’une huile, apparemment. Les règles de politesse ne s’appliquent pas à elle.

Enfin, je me demande…si elle ne se précipitait pas vers le Palais du Conseil, peut-être qu’on ne lui ferait pas grâce des bonnes manières.

Je n’ai pas des yeux d’aigle, mais depuis ma place, je la vois monter quatre à quatre les marches du Palais du Conseil, toujours en faisant autant de dégâts. Elle s’arrête pile devant un conseiller. Je ne distingue pas son visage, mais vois qu’on l’entoure d’un respect infini. Ouch. Je crois que je sais qui c’est…


- Voilà Grand-père, murmure Marvolo pour confirmer les craintes. Tu trembles comme une feuille. Détends-toi, il ne va pas te manger.


Vu ce qu’il m’a dit auparavant, je me permets d’en douter sérieusement.

Bon, ben puisqu’il faut y aller…
End Notes:
et si je peux me permettre... j'ai un blog à l'adresse http://gadgetauchapeau.skyrock.com/

le pseudo n'a rien à voir avec l'inspecteur gadget, je l'ai pris au hasard parce que ceux que j'utilise d'habitude (Khana, comme vous le savez, et Chumani sur ff.net) étaient déjà pris, et je n'aime pas mettre des chiffres dans mon pseudo.

j'ai mis en ligne le début du chapitre suivant...n'hésitez pas à aller zyeuter!
Grand-père by Khana
- Papa, je sais que tu ne veux pas en entendre parler, mais il le faut à présent, disait ma tante lorsque j’arrive à sa hauteur (ou plutôt quand Marvolo achève de me traîner jusqu’en haut des marches. Il a même failli me porter. J’ai eu du mal à lui faire comprendre que je peux marcher toute seule.) Damian…

- Ton frère est parti il y a longtemps, fin de l’histoire ! réplique l’auguste personnage qu’est mon grand-père. Ça m’attriste beaucoup, crois-le, mais tu connais mon point de vue là-dessus.


Et moi je donnerais cher pour le connaître aussi.


- Non, pas fin de l’histoire ! Damian avait une famille ! Des enfants ! Ça ne t’intéresse pas de savoir ce qu’il en est ?

- Marthe…quand je dis non, c’est non ! Laisse-moi, j’ai du travail.


Pourquoi Marvolo me retient-il ? J’adorerais lui refaire le portrait à ce…ce prétentieux. Quoi, c’est mon ancêtre ? Je le sais bien, mais ce n’est pas cela qui va me ralentir. Qu’est ce qu’il a donc à haïr ainsi mon père ? Qu’il montre au moins un peu de respect ! Sait-il au moins que chacun ne partage pas son avis ? Il a une fille, bon sang ! Elle aimait son frère ! Et moi, alors ? Je compte pour du beurre ? Les temps vont être durs, c’est moi qui vous le dis !


- Tu ne peux pas t’échapper éternellement ! s’écrie alors ma tante au courage défiant vents et marées – du moins si on en croit l’avis de ceux qui contournent prudemment notre groupe. Si je suis venue t’en parler, ce n’est pas pour rien ! Damian avait fondé une famille ! Il a eu une fille ! Une fille comme nous !


On parle de moi ici-bas…

Sir Elis se fige net, tandis qu’il remontait les marches du palais. Et voilà. C’est fait. Il sait que j’existe.

Je ne suis pas idiote, j’ai compris que mon avenir en Hendiadyn dépend de l’avis que mon grand-père va avoir de moi. Il fait la pluie et le beau temps, ici.

Mais je ne me fais guère d’illusions. Il n’aime pas mon père. Malgré les paroles de Marvolo, je doute qu’il attache de l’importance à ma misérable petite personne. Que suis-je, après tout ? Une épine dans son pied, un parasite, une étrangère. Rien qui puisse avoir de l’intérêt.

Je repartirais bien illico chez moi. Chez les miens. Auprès de ma mère. Même mes frères me paraîtraient des vacances à côté de cet univers qui, déjà, me déplaît souverainement.

C’est, bien sûr, sans compter sur Marvolo. Il tient bien mon bras, le bougre ! Très bien, même ! A croire qu’il a compris ce que j’ai l’intention de faire. Mais il ne va pas me retenir contre ma volonté, si ? C’est pourtant lui qui m’a dit que j’étais libre…enfin, je crois qu’il a oublié de mentionner le fait qu’il n’y avait pas de retour en arrière possible.

Misère de misère. Voilà à présent que mon grand-père se retourne vers moi. Je voudrais bien être six pieds sous terre, ça m’arrangerait. Mais qu’est ce qu’il a à m’examiner comme ça ? J’ai un bouton sur le nez, peut-être ? Ce serait normal, en y réfléchissant. J’ai un corps d’adolescente, je suis redevenue une adolescente.

Sir Elis s’arrête juste en face de moi. Je tente vainement d’avaler ma salive et de soutenir son regard. C’est qu’il est imposant ! Je comprends d’où il tient son pouvoir. Tous les attributs du monde ne seraient rien s’il ne forçait pas le respect dès le premier abord.

Il n’empêche, il fait peur…

Marvolo ne pourrait pas me lâcher ? Je savais que j’aurais dû apprendre le judo…


- Quel est ton nom ? demande Grand-père d’une voix étonnamment douce en comparaison de sa morgue d’il y a une minute à peine.


Est-ce que par hasard je l’intéresserais ? Serait-il capable de ne pas me haïr ? Voilà qui serait un changement. Mais il me fait toujours aussi peur.

C’est donc d’une voix apeurée que je lui réponds que mon nom est Sarah, née le 1er juin 1980 à Washington DC.

Nouveau silence. L’information monte au cerveau ?

Il a quel âge, au fait ? Papa avait au moins soixante-dix ans, plus même si j’en crois ce que m’a dit ma tante. Donc, si on croise tous les paramètres…Âge corporel, âge moyen d’accès à la paternité… Waou. Cent-cinquante ans ? Il a traversé au moins trois guerres humaines…Joli palmarès.


- Sarah…répète mon grand-père comme s’il voulait s’assurer que tout cela n’est pas un rêve. Je suis désolé que tu aies été témoin de cette discussion. Ne te méprends pas sur mes intentions. J’aimais beaucoup ton père, mais entre nous existait un différend si profond qu’il n’a jamais pris fin. Je crois bien que je regretterais toujours cette issue. Pardon d’avoir parlé ainsi devant toi. Je ne voulais pas te blesser, mais mes affaires me forcent à ne prêter au monde qui m’entoure qu’un intérêt limité.


Ça, c’est fait.

Hum, Marvolo avait raison. Plus énigmatique, tu meurs. D’un côté il refuse d’entendre parler de Papa, de l’autre il dit qu’il l’aimait. Faudrait savoir.

Il aime sa famille mais ne peut s’y intéresser…Quand on veut, on peut, il me semble.

Oui, bon, avis mitigé. Vraiment étrange, comme personnage. L’avenir me dira si je peux lui accorder mon estime ou pas…bien qu’elle n’ait pas énormément de valeur à son échelle, j’en ai conscience.


- Tu ressembles à mon fils, dit-il finalement. C’est étrange…depuis des générations, dans la famille, les aînés ressemblent parfaitement à un de leur parents… Mais cela importe peu. J’ai été ravi de te rencontrer, Sarah. je tâcherai de te revoir bientôt, afin d’apprendre à te connaître.


Ben ça… Désolée pour pareil manque d’élégance, mais je n’ai aucun mot dans mon vocabulaire pour exprimer mon étonnement. Ben ça…

Grand-père hésite un instant, comme s’il ignorait la marche à suivre. Puis furtivement, presque à la vitesse de l’éclair, il se penche vers moi et dépose sur mon front un baiser silencieux.

Lorsque je me rends compte de ce qui vient de se passer, il est déjà loin.
End Notes:
voilà la suite...n'hésitez pas à aller voir le début du chapitre suivant sur http://gadgetauchapeau.skyrock.com/

j'ai également rajouté une image de Sarah, si vous voulez vous faire une idée...
Baguette by Khana
Author's Notes:
bonjour bonjour, merci de me lire!

voilà donc le chapitre 8. n'hésitez pas à aller voir sur gadgetauchapeau.skyrock.com, j'ai mis en ligne le début du chapitre 9.

biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
- Debout marmotte !


Quel charmant réveil. Signé Ariane, ma cousine qui ouvre rarement le bec. En ma présence, en tout cas, j’ai cru comprendre en la voyant avec ses amis qu’elle est bavarde comme une pie.

Hum…je resterais bien plus longtemps au lit, moi. Il faut dire à ma décharge que la soirée d’hier n’a pas été de tout repos. Grand-père est venu. Nous avons un peu discuté – je commence même à l’apprécier, avant qu’Ariane ne me lamine aux échecs. Qu’importe, un jour, j’aurais sa peau. Enfin, pas vraiment. Aux échecs, toujours. Je la vaincrais. Vous avez compris.


- Debout ! Le soleil brille, les oiseaux chantent, et tu dois être à neuf heures au Palais du Conseil !


Merci pour l’encouragement. Ça me donne vraiment envie de me lever.

Franchement, j’aurais apprécié qu’Ariane se passe de me rappeler le charmant programme de la journée. J’étais à peu près tranquille, voilà maintenant que je stresse comme avant un examen.

Remarquez, on peut appeler cela un examen…

Je m’explique : j’ai quinze ans, l’âge où les magiciens reçoivent leur magie. Presque la cour des grands.

Ici, comme a eu la gentillesse de m’expliquer Grand-père, il n’est point question de choisir son métier. Tous nécessitent des compétences différentes. Les goûts personnels, à côté de cela, comptent pour du beurre.

Une fois par an, le Conseil Général reçoit les enfants en âge de recevoir une attribution. Enfin, une formation, plutôt. Par une opération fastidieuse à laquelle je n’ai rien compris, quelqu’un mesure – devant le Conseil, qui doit être ravi de ce spectacle – l’ampleur des pouvoirs du candidat. Le Conseil lui attribue alors un métier en adéquation avec ses pouvoirs, et passe au candidat suivant.

Ce que je dis est affreusement brouillon. Désolée, vraiment. Mais le fait est que je n’ai absolument rien compris. Grand-père ne s’est pas attardé sur les explications. Pour lui, la procédure est logique, bien qu’affreusement ennuyeuse. Il faut dire à sa décharge que de voir, durant une journée entière, défiler une bande de gamins intimidés n’a rien de très réjouissant ou folichon.

Sauf que cette année…je passe, moi aussi. De cela il ne m’a rien dit, mais je crois aisément deviner que ma présence va apporter un petit peu d’intérêt, comme celle d’Ariane l’an dernier.

En parlant d’Ariane, si elle retourne vraiment le matelas comme elle a menacé de le faire, je hurle !

Et elle ne pourra pas dire qu’elle ne pouvait pas le prévoir. C’est affreusement logique, et sa formation de voyante doit bien servir à quelque chose.


- GAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARGH !


Cri d’assaut breveté à 100% Sarah Elis en colère. Elle a osé ! ELLE A OSE ! J’ai l’air maline, moi, maintenant. Le sol est dur, en plus. Ça va chauffer !

Il y a du bon, en fait, à retomber en enfance. Je peux me permettre les actes les plus puérils, personne ne peut y trouver grand-chose à redire.

C’est pour cette raison que je me permets de faire ce que jadis ma mère m’interdisait à cause de ma fragile constitution : un assaut direct sur l’ennemi personnifié par ma cousine, avec pour seule arme…mon oreiller.

Ariane paraît quelque peut décontenancée par cette attaque. Je suis pleine de surprises, elle l’ignorait ? J’ai beau ne pas encore savoir faire de magie, je suis loin d’être sans défenses. Jamais encore je n’avais tant béni le vacarme quotidien auquel se livraient mes frères, dans les temps lointains de notre enfance. J’en ai pris de la graine.

Mais manifestement, je ne suis pas la seule à avoir pareille expérience. Non seulement Ariane riposte avec dextérité, mais ma tante apparaît, pour couronner le tout, dans l’encadrement de la porte.

Je m’immobilise aussitôt, suivie en cela par ma cousine. Honnêtement, je ne sais que penser. Ma tante est très gentille, je l’aime bien, mais je ne sais jamais, quand elle dit quelque chose, si elle plaisante ou pas.

En l’occurrence…Purée, c’est pas gagné !


- J’ai deux déclarations à faire, déclare-t-elle en conservant l’impassibilité d’un masque de théâtre Nô. La première, Sarah, est que tu ferais bien de te dépêcher si tu ne veux pas arriver en retard. Je ne crois pas que ton grand-père soit ravi que tu te fasses remarquer de cette manière. La deuxième, pour vous deux les filles, c’est qu’il vaut mieux attaquer dans les jambes : ça déstabilise l’adversaire.


C’est sur ces paroles hautement philosophiques qu’elle quitte la chambre, nous laissant méditer dessus.

Ariane ouvre des yeux ronds dignes d’un poisson rouge, tandis que je lutte pour ne pas éclater de rire.

Si on m’avait dit, la première fois que j’ai rencontré ma tante, qu’elle se montrerait fine stratège en matière de bataille d’oreillers, je n’en aurais sans doute pas cru un mot. Il faut que je revoie mon jugement. L’Hendiadyn est, en fait, assez intéressant. Tout se fonde sur les apparences, certes, mais il suffit de gratter un peu le vernis pour avoir de sacrées surprises.

Bon, cela, ce n’est pas tout, mais je manque d’être en retard. Ma tante a raison, Grand-père serait furax si je me faisais remarquer d’une aussi mauvaise manière.

En plus, je n’ai pas de chance. La présentation au Conseil se fait dans l’ordre alphabétique. Si j’avais été dans les P ou R, j’aurais peut-être pu faire la grasse matinée. Etant une Elis…pas la peine de rêver.

Mon petit déjeuner occupe toute mon attention, lorsque ma tante entre en coup de vent, un écrin fauve à la main. Je manque de renverser mon café et retient de justesse un juron des plus inélégants. Ça m’échappe un peu trop, en ce moment, et Marvolo a adoré me railler sur le sujet. Il ferait bien de faire attention. Un jour viendra où j’aurais déteint sur lui, et je peux lui garantir qu’à ce moment là je ne lui ferais aucun cadeau.

Ma tante hésite un instant. Quoi, elle est encombrée par cet objet ? Mais qu’elle le pose ! Après tout, elle n’avait qu’à ne pas aller le chercher.

J’admire son manque de logique en cet instant précis. Il faut bien qu’elle se décide : elle a besoin de ce machin oui ou non ?

Manifestement, la question mérite le rassemblement d’un comité de sages. Veut-elle que je pose la question au Conseil en son nom ?

Inspiration, expiration…ah, elle me semble avoir pris sa décision maintenant. Rapide. Ça n’a pris que…quatre minutes selon ma montre.


- Damian me l’avait confié la dernière fois que je l’ai vu, dit-elle en poussant l’écrin vers moi. Il voulait que je te la donne. Je pense que le moment est venu.


Qu’est-ce donc, un harmonica ? Ne me demandez pas pourquoi j’ai dit un harmonica, c’est le premier mot qui m’est venu à l’esprit. J’aurais aussi bien pu parler de tutu rose ou de lampe de poche.

C’est avec une curiosité non feinte que j’ouvre la boîte. Je peux paraître étrange, mais je n’ai pas la moindre idée de ce qu’elle peut contenir. En même temps, j’ai à ma décharge que je ne vis en Hendiadyn (ils auraient pu l’appeler le pays de Candy, l’image véhiculée aurait été réaliste au moins. Je ne remets pas en question mon premier avis : l’image, ici, est celle d’un conte) que depuis une semaine. Je n’en ai presque rien vu. Ma tante me fait visiter la ville quand elle le peut, mais ses temps libres sont rares. Marvolo la relaie parfois, mais son travail de brigadier l’occupe énormément, et il n’y songe pas toujours. Seule pourrait demeurer Ariane, mais je peux dire sans me tromper qu’elle n’a pour moi qu’une amitié limitée. Ses amis lui paraissent autrement plus intéressants.

J’avale ma salive.

Dans ce petit écrin fauve, sur un lit de velours cramoisi, repose une baguette magique.

Je dois paraître bien insouciante, mais la franchise m’oblige à avouer que je n’ai jusqu’alors pas trop réfléchi à la magie en elle-même. Certes, elle m’entoure. Certes, elle m’imprègne. Mais je n’ai jusqu’alors vu la pratique que comme une obligation lointaine.

Ce beau temps est fini.

Il ne me faut pas une intelligence digne d’Einstein pour comprendre ce que ma tante a voulu dire : Papa avait fait le choix de vivre sans magie. A ce titre, il n’avait plus besoin de sa baguette. Il me l’a donc laissée.

Ce petit morceau de teck est mon seul héritage, son cadeau d’adieu. Il me reconnaît comme magicienne, accepte que j’entre dans ce monde qu’il a fui, mais m’intime ainsi de ne pas oublier mes racines.

Ne t’inquiètes pas, Papa…tu fais partie de moi.

Lentement, ralentie par je ne sais quelle force obscure, j’approche la main de la baguette. Lorsque j’ose enfin la toucher, je sens une onde fulgurante me traverser, et l’espace d’un instant ma vision se trouve supprimée.

Je sens…je sens mes veines se dilater. Un courant étrange parcourt tout mon corps, mettant mes sens en éveil et faisant se dresser mes cheveux sur ma tête.

Puis c’est une douce chaleur qui prend sa place. Elle ne me quitte pas, explore les moindres parcelles de mes entrailles, pour enfin se nicher au creux de ma poitrine et, lentement, diminuer.

Le courant suivant est tel que, si j’avais été debout, je serais tombée. Celui-là n’est ni chaud ni agréable. C’est un feu brûlant qui me saisit. Je sens les veines battre sur mes tempes, tandis que quelque chose d’indescriptible tambourine dans mon crâne plus efficacement qu’un percussionniste. La douleur ne cesse pas tandis qu’elle électrise mes membres. Je suis paralysée, à la merci de ce courant magique qui parcourt mes membres, pour enfin venir s’éteindre, à son tour, au creux de ma poitrine.

C’est ce que j’appelle un bad trip.


- Sarah ? Ça va ?


Hum, manifestement je n’ai pas eu un sourire radieux durant tout le temps où j’étais soumise à des sensations aussi fortes que contradictoires. Remarquez, il y avait de quoi. J’ai encore dans la bouche un petit goût âcre, qui n’a rien à voir avec celui du café.

Mais qu’est ce que c’était, nom d’un rat des champs ?


- Damian m’avait dit…mais je ne penserais pas que ça te ferait cet effet-là.


Papa lui avait dit…dit quoi ? Je n’ai aucun problème d’oreille, c’est donc elle qui n’a pas terminé sa phrase. Charmant. Je ne suis pas plus renseignée. Oh, ce n’est pas que je mets une fois encore en œuvre mon extraordinaire curiosité, mais j’aimerais tout de même savoir ce qui m’a été fait. Surtout qu’apparemment…elle était au courant…la salive doit être pour elle un bien précieux. Si tel n’avait pas été le cas, ma tante en aurait sans doute gaspillé un peu plus à m’expliquer avant de quoi il en retourne.


- On aurait dit que tu étouffais, fait judicieusement remarquer une Ariane peu préoccupée par mon sort.


Ariane Destoc, vous êtes le maillon faible, au revoir.


- Qu’est ce qui s’est passé ? je demande en reposant prudemment la baguette.

- Un processus inhabituel…il faut être bon magicien pour le mettre en œuvre. Bon magicien, et surtout très déterminé. Lorsque ton père m’a remis cette baguette, c’était pour que tu en hérites. Mais il avait également un autre but, dont il m’a informée. Vois-tu…Damian ne voulait pas retourner en Hendiadyn, quel que soit le motif pour cela. Il a donc voulu éloigner de lui la plus grande des tentations, à savoir sa magie. Sa plus grande crainte était de se trahir alors qu’il était chez les humains. Sa vie s’en serait trouvée radicalement changée, ainsi que la vôtre. Il a donc voulu vous protéger, en quelque sorte. Le moyen le plus sûr d’arriver à ses fins était de se séparer de ses pouvoirs. C’est ce qu’il a fait, les emprisonnant dans cette baguette. J’ignore pourquoi, mais il voulait que tu en hérites. Damian a gardé juste ce qu’il fallait pour être encore considéré comme magicien, et pour que le Bureau des Magiciens Décentrés ait connaissance de sa présence.


Donc…si je suis bien…je dispose à présent de deux pouvoirs, le mien et celui de mon père. Une puissance doublée.

Sans vouloir le vexer…je crois que j’aurais pu m’en passer. Je ne cherche pas à me hisser dans les plus hautes sphères. Mon but n’est pas de commander, être une tête pensante, une élite. Je veux simplement quelque chose qui me corresponde, où je pourrais réellement comprendre ce qu’est ce pays d’où viennent mes ancêtres.

Ma tante me remet également un étui doré (non, d’or, comme le précise Ariane entre deux tartines), semblable à celui que chaque magicien porte à la ceinture. Les magiciens aisés, du moins. J’en ai vu certains qui se contentent de cuir.


- Il est d’usage que pour ses quinze ans un magicien reçoive une baguette et un étui, déclare ma tante comme s’il s’agissait d’une vérité universelle. Celui-ci était celui de ta grand-mère, Elizabeth Elis-Rocré, à laquelle tu ressembles beaucoup. Grand-père a insisté pour que tu le portes.


Il m’achète avec des cadeaux de prix, peut-être ?

Oups. Huit heures trente au carillon. J’ai intérêt à faire vite.
End Notes:
un petit com pour m'encourager? ^^
Ah, la jeunesse... by Khana
Author's Notes:
merci pour les coms. c'est très gentil, je suis toujours contente quand on m'en laisse.
Je savais qu’on allait être nombreux, mais ne me doutais pas que ce serait à ce point. Certes, à l’échelle d’un pays humain, trois cent enfants de quinze ans, ce n’est pas un joli score. Remarquez, pour trois millions d’habitants, non plus.

Mais imaginez trois cent personnes dans une seule pièce. Aussi vaste soit-elle, le spectacle en demeure impressionnant.

Quel bruit, mes aïeux ! On ne s’y entend plus. Tous parlent entre eux. Ils se connaissent. On distingue aisément ceux d’Asyndète – ville de riches par excellence – des provinciaux. Ils sont vêtus à la dernière mode, parlent fêtes et manifestations, et la plupart portent déjà à la ceinture ce fin étui doré.

Et dire que je suis à leur image…

En face, les enfants des campagnes. Leur mise est moins recherchée, sans vouloir tomber dans une distinction trop stricte. Il y a de tout partout. Certains n’ont pas encore de baguettes. D’autres ont des étuis d’argent ou bronze. D’autres encore de cuir. Quelques uns, assis à l’écart, tentent de cacher un étui de bois rêche.

Au milieu, moi. Un œil peu habitué me classerait dans la catégorie des enfants d’Asyndète. J’y appartiens, après tout. C’est là que ma tante vit, et mon grand-père est la personnalité la plus respectée du royaume.

Mais je suis seule. A l’écart. J’ai conscience que dans tous ces groupes de bavards se trouvent mes futurs camarades d’école. Si j’étais motivée, désireuse de m’intégrer, je tenterais de me frayer une place dans l’un ou l’autre de ces cercles.

Mais je ne suis pas motivée. Il sera bien assez tôt pour moi de faire connaissance avec ceux de mon âge, et rien ne me garantit que ceux que je rencontrerais partageront mes bancs.

Ma tante m’a pressée pour rien, en fait. Je suis arrivée sur le coup de neuf heures, parfaitement ponctuelle. En fait, c’est le Conseil qui est en retard. Pour une raison qui m’échappe, l’intégralité des conseillers doit assister à cet ennuyeux défilé. Ils ont l’habitude. Après tout, ça se reproduit chaque année.

Ce serait trop simple si tous faisaient un effort sur eux-mêmes et acceptaient de venir sans trop rechigner. D’après ce que j’ai cru comprendre en laissant traîner une oreille sur la place, quelques conseillers ont été retenus par une affaire urgente et de la plus haute importance.

Urgente et de la plus haute importance…je suis prête à parier ma baguette que c’est faux. Grand-père aurait été averti, sinon, et je l’ai entraperçu ce matin. Il était à l’heure, lui. Peut-être que je n’y suis pas étrangère.

En attendant que ces messieurs daignent nous honorer de leur présence, les organisateurs – lesquels paraissent s’ennuyer mortellement eux aussi – ont jugé bon de nous ordonner.

J’ai déjà dit que le passage se fait par ordre alphabétique. Je suis la trente-et-unième sur la liste. J’ai donc une belle attente en perspective.

Enfin, ça, c’est ce que je croyais. Après que tous les conseillers aient été rameutés depuis les quatre coins de la ville – ce qui fut fastidieux, à croire qu’aucun n’avait compris que leur seule chance de sortir de là au plus vite était d’y rentrer rapidement – le défilé commence.

Et c’est rapide. Ariane m’a raconté ce matin comment s’était passé sa présentation, l’an dernier. Les conseillers lui ont posé quelques questions – étape facultative destinée à alléger le martyre des vénérables sages en leur permettant d’assouvir leur curiosité. Suite à cela, elle a dû se placer au centre d’un grand cercle. Un magicien a marmonné une incantation, et elle s’est retrouvée entourée d’une aura brune. Elle a donc été affectée à l’école de voyance. Le tout n’a pas duré plus de dix minutes.

Parfois, d’après les rumeurs que j’entends traîner, il arrive que le Conseil se montre bavard. L’entretien dure quinze, voire vingt minutes. Le record est d’une heure actuellement. Le tenant du titre m’est inconnu…comme la totalité des gens rassemblés dans cette pièce. Ma connaissance de l’Hendiadyn est très limitée. Je n’ai rencontré, comme magicien, que ma tante, Grand-père, et mes cousins. Maigre savoir.

Il n’empêche, je stresse. J’angoisse. Au fur et à mesure que les enfants rentrent et sortent, je vois se rapprocher pour moi l’heure fatidique. L’heure où je saurais vraiment ce que je vaux. C’est bien beau d’être d’une famille respectée. J’ai déjà un nom. Ma mission, si je l’accepte, est maintenant de me faire un prénom.

Oh misère, je crois que je divague. Me voilà bien. Déjà mes mains sont moites, déjà mes dents claquent, déjà je ronge mes ongles, alors si je n’ai même plus mon esprit pour me sauver…Sarah Elis, la petite-fille folle du directeur du Conseil… Mauvaise pub, j’en ai peur.


- Numéro vingt-cinq ! clame une voix. Cassandre Dorsay.


Mais de Cassandre point.

Elle a du culot, tout de même. Ce jour est considéré par la majorité des adolescents comme le plus important de leur vie, et voilà qu’elle clame le contraire. Joli travail, vraiment. Elle ne va pas se faire que des amis, si elle apparaît, évidement. Ce qui, à l’heure actuelle, n’est toujours pas garanti.

Je retire ce que j’ai dit.

Une onde parcourt la foule des adolescents. Je me retrouve plaquée contre un mur, et ne me donne même pas la peine cette fois-ci de retenir mon juron. Un juron humain, en plus. Si quiconque ici l’a entendu – ce qui n’est pas dit si on tient compte du brouhaha qu’a suscité l’onde – cette personne n’a rien compris. J’ai juré en espagnol, et tout ce que je peux vous dire est ce que mot n’est pas de ceux qu’on apprend aux enfants.

Malgré tout le bruit ambiant, j’entends distinctement une voix grogner. Celle de la retardataire, sans aucun doute. De ma place, je ne la vois pas. Tout ce que je peux dire, c’est que son ton n’a pas l’accent navré qu’il aurait dû prendre. Sa voix est légèrement moqueuse. Le Conseil est manifestement le cadet de ses soucis.


- Je suis désolée, dit Cassandre l’invisible. J’ai été retenue par quelque chose de plus important.


Charmant…qu’est ce qui peut bien être plus important, en ce jour, que le Conseil ? Une partie de bowling ? A-t-elle conscience qu’aujourd’hui se joue son avenir ?

Le reste de sa phrase se perd dans le brouhaha. La porte s’ouvre et se referme bien vite. Cassandre Dorsay est dans la salle, le silence revient, et l’attente reprend.

Cinq minutes…

Dix minutes…

Quinze minutes…

Vingt minutes…

Vingt-cinq minutes…

Ce n’est pas possible, elle veut battre le record ! Mais qu’est ce qu’ils ont de si important à lui demander ? Ils veulent connaître le pourquoi du comment de son retard ?

Mais ont-ils seulement conscience qu’elle n’est pas seule sur terre ? Et elle, s’en est-elle aperçue ? Pas davantage, je le crains. Si cette fille est capable d’arriver en retard, alors il est parfaitement dans ses cordes de monopoliser le Conseil autant qu’il lui plaira.

Ah ! Enfin. Combien au chronomètre ? Seulement vingt-sept minutes ? Tss, pour le record, c’est raté, et il n’y a pas de deuxième chance.

Ça lui apprendra…

Bon, l’avantage de cette histoire, c’est que je sais à présent qu’il y a une magicienne que je n’ai pas envie de connaître. Arrogance, mépris des règles, tout cela ne me convient pas. Certes, j’ai agi ainsi il y a de nombreuses années, mais j’ai mûri. Je connais la valeur du temps.

Pas elle, apparemment.

Trois quarts d’heure passent encore. J’ai des sueurs froides. L’échéance s’est considérablement raccourcie. D’un instant à l’autre, le garçon qui me précède peut sortir. D’un instant à l’autre, je peux être invitée à entrer.

Mon Dieu, que j’ai peur !

Et si on m’envoyait faire la lessive dans un coin perdu ? Quelle honte ce serait ! Ariane m’a bien renseignée, cette attribution est la pire qui peut m’arriver. Ce serait légitime que j’y aille, si on s’en tient à la juste logique. Après tout, ma mère est humaine…

J’ignore si mon ascendance étrangère peut avoir un impact sur ma magie. Probablement, même si personne ne m’en a jamais parlé. Peut-être que ce n’était que dans l’intention de ne pas m’effrayer, mais pour qui se prennent-ils donc ? Je suis grande, je suis forte, je peux supporter l’impact de pareille nouvelle.

Certes, mon corps est celui d’une fille de quinze ans, mais j’ai mûri comme si j’en avais trente ! J’en ai eu trente !

Il faudra que j’interroge ma tante. Ou Marvolo, si elle s’emmure dans un silence peu prometteur. Au pire, je questionne Grand-père. Et si personne ne veut me répondre. Oh et bien dans ce cas…c’est simple. Je repartirai !

Oh non non non non non… Non ! NON !

La porte menant à la salle du Conseil s’ouvre lentement, laissant passer le jeune garçon qui était avant moi, porteur du numéro trente.

Misère…mes mains sont moites, je sue, mes cheveux collent sur mes tempes. En un mot, je suis dans un état lamentable. Que va penser le Conseil ? Beau spectacle, vraiment ! Grand-père ne sera pas fier.

Que je suis bête…il est impossible qu’on m’envoie laver le linge à Patouilles-en-Cambrousse. J’ai deux pouvoirs… Ma tante m’a dit que Papa était puissant. Même si je ne suis bonne qu’à faire la vaisselle, peut-être que son don jouera comme contrepoids.

Merci Papa, tu as pensé à tout, vraiment.


- Numéro trente-et-un, annonce un personnage me faisant penser – malgré sa tenue – à un héraut du Moyen-Âge. Sarah Elis.


Nouveaux murmures. Allez-y, regardez, regardez bien ! Sarah Elis, la petite-fille du directeur du Conseil ! C’est bon, tout le monde a vu ? Permettez dans ce cas que je me retire…j’ai rendez-vous avec mon avenir.
End Notes:
j'ai mis le début du chapitre suivant sur gadgetauchapeau.skyrock.com! allez voir!
Duelliste? Quid? by Khana
Author's Notes:
je me vais pas parler longtemps, rassurez-vous. je dois juste vous remercier pour vos commentaires, ils sont très agréables à lire.

et je préviens aussi - en passant - que je ne publierai pas dimanche, je serais partie en week-end.

voili voilou, merci de me lire! biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
La porte se referme derrière moi en un grincement qui me paraît sinistre. Les yeux baissés, j’enfonce les ongles dans ma chair. C’est l’instant fatidique.


- Sarah Elis, annonce à nouveau une voix. Née le 2 juin 495.


Hein ? C’est quoi ce nouveau truc ? Je ne suis pas née au Moyen-Âge, autant que je sache. 495 ? Connais pas, moi.

Oh minute. Stupidité des stupidités. Décidément, j’ai encore une foule de choses à apprendre. Si à trente ans j’avais une apparence de quinze ans… Une année magique vaut deux ans humains.

Mais dans ce cas, je serais née en 990, pas en 495…

Voyons voyons…495…495…495 multiplié par deux vaut 990. Quelle est cette nouveauté, encore ? Qu’ont-ils inventé pour me pourrir davantage la vie ?

Si une année magique vaut deux années humaines…alors les deux années restantes…je ne vois qu’une seule solution : le cours du temps.

Nom d’un chien, j’espère que je me trompe, parce que ce n’est vraiment, mais vraiment pas agréable de savoir ça.

Selon mes calculs…le temps ici est deux fois moins rapide que chez les humains.

Quel imbroglio, mes aïeux ! Ce qui signifierait…alors que je ne suis ici que depuis une semaine…Un mois, par Bélénos, un mois ! Je suis absente des Etats-Unis depuis…un mois ? Par pitié, dites-moi que je rêve…

Pourquoi personne ne m’a parlé de ça, hein ? Ils devaient bien être au courant ! Pourquoi m’a-t-on tenue dans l’ignorance ? Si c’est une plaisanterie, il est inutile de dire que je la trouve fort peu à mon goût. De même si telle est la coutume locale. Deuxième cachotterie évincée de la journée. Combien m’en reste-t-il à découvrir ? Cinq ? Dix ? Vingt, peut-être ?

Oups ! J’espère que personne n’a remarqué mon monologue intérieur. Je ne veux pas passer pour une folle. Je suis déjà à la limite de l’être, pas la peine de pousser le bouchon.

Je n’aurais pas dû penser à ça. Voilà mon stress qui revient. J’ai peur de ne guère briller. Quand je tremble, je perds tous mes moyens.

Lentement, je relève les yeux…et manque de les rabaisser aussitôt.

Nom d’un squelette sans tête, ça fait peur ! Je suis dans l’arène d’un grand amphithéâtre. Assis sur les gradins, de vénérables personnages dardent sur moi leur regard perçant. Tous portent la robe pourpre des conseillers. Un vrai Parlement.

La plupart sont des hommes. Pourtant, j’aperçois quelques femmes. L’une d’elles ne prend même pas la peine de cacher sa curiosité. Certes, les autres non plus, mais venant de sa part, ç’en est presque…pas gênant, non, mais…offensant. Je ne suis pas une bête de foire !

Le plus haut gradin n’est pas occupé par des conseillers. Il devrait, pourtant, les autres paraissent serrés comme des sardines. Mais enfin, je parlais de ce plus haut gradin.

Dessus sont postés une dizaine de magiciens au garde-à-vous. Des gardes du corps ? Des vigiles ? Je voudrais bien le croire, mais non. Tous portent une robe semblable à celle de l’homme qui tente, encore maintenant, de remettre bon ordre dans tous les candidats amassés dans l’antichambre. Deux autres de ces personnages, encore, sont postés de chaque côté de la porte, dans une immobilité parfaite. Je croirais que ce sont des statues si je ne les avais vus bouger tout à l’heure.

Une robe spéciale…de toutes celles que j’ai vues jusqu’alors, elle est celle qui m’étonne le plus. J’ai mis du temps avant de comprendre de quoi il en retourne, tant elle est étrange.

Ici, comme l’a dit Marvolo, chaque corps de métier a sa couleur. Je veux bien le croire. Sauf qu’ici, il est exclu de parler de couleur.

Vous connaissez le principe du caméléon. Pour se préserver, dans la nature, il change de couleur pour prendre celle de son environnement. Et bien cette robe, c’est pareil.

Je dois être folle de regarder les vêtements des vigiles. On ne m’a pas faite entrer pour que je vous décrive par le menu tout ce que je vois.

Grand-père, enfin, Sir Elis en cet instant, doit probablement penser la même chose. J’ignore si ça s’est beaucoup vu, mais je crois que mon comportement s’est révélé digne d’un touriste. Il ne me manque plus que l’appareil photo, et ce serait parfait.

Silence de mort.

Je n’aime pas ces instants où personne ne parle, chacun attendant que l’autre commence. Mais ce n’est pas à moi de briser cette quiétude. Les organisateurs l’ont assez répété : devant le Conseil, ce n’est pas à l’invité de parler en premier.

Pas de question apparemment… Grand-père doit leur faire peur. A moins que ce ne soit ma ressemblance avec Papa qui n’offre encore de sujet d’étude. Oui, ce serait plus plausible. C’est bien la première fois que je bénis la délicatesse de ce sujet : répondre à des questions indiscrètes et non contrôlées ne m’aurait guère plu.


- Sarah Elis…reprend finalement un des magiciens à la robe bizarre posté derrière moi. Fille de Damian Elis, duelliste décédé, et d’une humaine.


Duelliste ? Bon, c’est la deuxième fois que j’entends ce mot, et je ne sais toujours pas ce qu’il signifie. Il faut vraiment que je songe à poser la question.

Enfin, pas maintenant. Je suis peut-être inculte, mais pas suicidaire.


- Veuillez demeurer immobile et fermer les yeux, mademoiselle.


Immobile et fermer les yeux…si ça leur fait plaisir. Mais qu’ils se méfient, je risque de m’endormir.

Bon, jusque là, le plan s’en est globalement tenu à celui donné par Ariane. J’ai maintenant hâte de connaître la suite.

J’adorerais voir ce qui se passe. Comment le bonhomme procède. Quelle couleur va prendre mon aura. Quelles vont être les réactions. Histoire que je sache comment réagir si je me rends ridicule.

Ah, voilà le gars de derrière qui marmonne sa formule. Je me demande, d’ailleurs, est-ce qu’on peut faire de la magie sans prononcer les mots ? Parce qu’avec ce bonhomme, il prononce tellement mal qu’on peut se poser la question.

Si jamais il rate son sortilège, il aura de mes nouvelles.

Une légère chaleur s’empare de mes membres. Elle est en tout point différente de celle qui m’a prise un peu plus tôt. Ici, point d’excès. Elle n’a pas de départ, sa source est mon corps entier.

Je peux ouvrir les yeux ? J’aimerais bien savoir à quoi je ressemble, maintenant.

Soupirs dans la salle. Quoi, où est le problème ? Je ne suis pas assez forte pour eux ? Pff, si tout se mesure par la force ici, je ne suis pas sûre que je vais m’y plaire.


- Aura variable, murmure mon grand-père. Duelliste.


Bon, cette fois-ci, j’en ai assez. C’est quoi les duellistes, nom d’un chien ?

J’ouvre les yeux, bien déterminée à poser la question. Je risque de choquer le Conseil ? C’est le cadet de mes soucis, maintenant. Oh, je sais, il y a vingt secondes j’ai pensé l’exact contraire. Mais cette fois-ci, j’en ai vraiment assez. C’est bien joli de me dire que Papa était duelliste. Ça l’est plus encore de m’annoncer que je suis faite pour exercer les mêmes fonctions.

Ce que je vois me fait ravaler mes mots.

Grand-père me regarde étrangement. Son expression est indéchiffrable, d’autant plus qu’il cache à moitié son visage de la main. Ses yeux brillent d’une étrange lueur que je ne parviens pas à déchiffrer, et fixent un point situé loin derrière moi.

Je ne saurais dire s’il est soucieux, content, ou en colère. Marvolo avait raison. Grand-père est une énigme à lui seul, bien malin celui qui réussirait à comprendre ce qui se passe dans sa tête.


- Duelliste…reprend Sir Elis. C’est une fonction difficile. Chaque année, cinq ou six adolescents seulement ont suffisamment de pouvoir pour intégrer ce corps.


Bon. Personne ne me renseigne. Tant pis, ils l’auront cherché.


- Navrée de devoir parler ainsi, je dis en tentant d’enlever à mon sourire sa touche d’insolence qui apparaît comme un parasite, mais j’ignore ce qu’est un duelliste. Souvenez-vous, j’ai grandi parmi les humains. Votre monde m’est aussi nouveau que celui des humains l’est pour vous.


Grognements presque inaudibles dans les rangs. Tiens, il y en a donc un qui ne sait pas se retenir. Pour l’impassibilité d’un sage, on repassera.

Mais j’en suis contente. Je voulais les énerver, c’est réussi. Après tout, je n’ai pas demandé à être là, moi. Je n’ai pas voulu être regardée, jaugée, examinée, plus que si je ne portais pas le nom d’Elis.

Ils l’ont cherché, mais ma curiosité est bien réelle…comme d’habitude, en fait. Non pas que mon stress se soit envolé, loin de là, mais quand quelque chose m’intéresse, je fais fi du reste.

J’aurais aimé pouvoir fumer, en cet instant. Je ne suis pas sûre que les conseillers auraient apprécié. Malheureusement, il n’y a pas de tabac, ici, et le peu de cigarettes qu’il me reste doit être sagement économisé jusqu’à ce que je sois en mesure de lancer un sortilège de duplication.

Oui, je sais, je suis bizarre de vouloir me mettre le Conseil à dos.

Mais mon but n’est pas de devenir leur ennemie – bien que je ne fasse pas grand poids et ne représente pas une menace. Mais il est temps qu’ils comprennent que je ne suis pas ma grand-mère. Je ne suis pas mon père.

Certes, je leur ressemble, certes, j’ai hérité de leur crinière blonde et de leurs yeux bleus, mais là s’arrête la ressemblance. Je peux être leur héritière, je peux porter leur baguette et étui, mais je ne suis pas eux. Contrairement à Papa qui a toujours eu un caractère conciliant – ce qui me conforte dans mon idée que sa dispute avec Grand-père devait avoir une cause profonde – je ne suis pas de ceux qui plient.

Je ne prétends pas soumettre les autres à ma volonté, je ne suis pas la reine du monde. Mais il faut au moins qu’ils comprennent que je suis une personne bien distincte et non une émule de la magie. Mon nom n’est pas tout, quoi que certains puissent penser.


- Les duellistes, dit soudain une femme installée non loin de Sir Elis, sont les magiciens les plus compétents d’Hendiadyn. Leur tâche est d’éradiquer tout semblant de rébellion ou autre, qui tenterait de porter atteinte à la structure même du pays. Ils combattent donc la Magie Noire, mais pas seulement. Les deux autres Magistraux – troisième et quatrième mondes magiques – concentrent des puissances qui ne nous sont pas données. L’Histoire a plus d’une fois prouvé que si nous ne nous tenons pas sur nos gardes, nous serions à la merci de nos voisins. C’est un travail en interne qui t’est demandé. Il est difficile et dangereux, mais tu as les pouvoirs nécessaires pour cela. Pour les autres métiers, nous n’accordons pas la possibilité de refuser. Mais les duellistes sortent du commun. Si tu refuses la formation qui t’est proposée, nous ne t’en tiendrons pas grandement rigueur. Tous les métiers s’offrent à toi, si tu fais un autre choix. Sache cependant que le travail que nous t’offrons n’est pas de ceux dont on parle. Si tu cherches gloire et respect par ce métier, alors il n’est pas fait pour toi. Si tu acceptes, personne ne devra savoir ce que tu fais vraiment, hormis ceux qui partagent tes fonctions. Mais si à un moment tu dois le révéler, toutes les portes s’ouvriront devant toi. Telle est la règle, car les duellistes nous protègent. Acceptes-tu ?


Je crois que je peux légitimement me demander si on me prend pour une demeurée. Pour quelle raison refuserais-je ? Durant les trente années passées chez les humains, le moindre danger m’était interdit, à cause de ma constitution enfantine. Maintenant que je suis normale, je devrais refuser ?

Ah, cela, non. J’ai le goût du risque, peut-être justement parce que je n’y ai jamais été confronté. Et puis ça me plaît. Ma curiosité légendaire a été mise en éveil par le discours de cette bonne femme. Je voudrais connaître les combats et le péril. Je veux combattre les menaces. Je serais probablement entrée dans l’armée si mon état de santé ne me l’avait interdit.

En plus, il me plaît d’appartenir à une élite. J’ai toujours fait partie des minorités. D’abord par ma maladie, ensuite par mon caractère à demi-humain. Maintenant qu’il m’est offert d’appartenir à la caste, puissante mais petite, des meilleurs magiciens de l’Hendiadyn, je ne vois pas ce qui me pousserait à aller chercher l’ennui ailleurs.


- J’accepte avec joie votre offre, je réponds en m’adressant à la femme qui m’avait parlé. J’espère ne jamais vous décevoir.


La bonne femme – d’âge indéterminé, le contraire m’aurait étonné – incline vaguement la tête, comme pour accepter ma réponse. Sir Elis resta figé un moment, avant de répéter le même geste.

La séance est pour moi terminée. J’ai été affectée.
End Notes:
en dernier (parce qu'il faut bien un dernier), je vous signale que j'ai mis à jour sur gadgetauchapeau.skyrock.com... si le coeur vous en dit, allez zyeuter...
Lise Amir by Khana
Author's Notes:
je sais, j'avais dit que je ne publierai pas avant dimanche mais le fait est que je m'ennuie. vraiment. je crève de chaud, et je n'ai rien à faire de mes journées.

donc je publie un petit peu en avance. je ne sais pas encore si je publierai dimanche. probablement, mais je n'en suis pas sûre. en attendant, j'ai mis une avance sur gadgetauchapeau.skyrock.com!

et MERCI POUR TOUS VOS COMMENTAIRES!

j'espère que ce chapitre correspond à vos souhaits. biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
J’ai encore du mal à y croire. Duelliste. Je serais duelliste. La plus haute fonction qui puisse être attribuée. Duelliste.

Mon père l’était. Papa. Duelliste. J’ai pris sa suite.

La fonction la plus dangereuse qui puisse se donner…celle où il ne faut pas craindre de donner sa vie. Donner sa vie ! Et pour quoi ? Pour un monde, un royaume, pour le protéger de toute attaque ! Cela en vaut-il la peine ?

Je n’ai jamais eu foi en la politique. Chez les humains, ceux qui la manient sont pourris jusqu’à la moelle. Je n’ai pas assez d’expérience de l’Hendiadyn pour juger si le cas est ici identique.

J’aurais dû réfléchir avant de promettre. Stupide goût du risque ! J’ai engagé ma vie, à présent. Certes, les serments ne sont pas tenus par magie. Je peux aller contre ma promesse, mais cela me dévaloriserait aux yeux de tous.

Du Conseil, d’abord. D’eux, je me moque bien. Si la politique est ici comme chez les humains, alors les conseillers doivent être plus soucieux de leur propre fortune que du bien de l’Etat.

De Grand-père, ensuite. Cela risque d’être plus embêtant. Je ne sais pas si je l’apprécie, je n’ai pas encore réfléchi à cette question, mais la franchise me force à avouer que je le crains. Il a le caractère bien trempé, presque autant que le mien. Bien qu’il demeure en apparence stoïque, je me doute qu’une de ses colères doit faire des ravages.

Non, vraiment, j’adorerais le comprendre…

Tant que j’y pense, la femme qui m’a parlé a mentionné…quoi déjà ? Ah oui. Les Magistraux.

Nom d’un chacal, qu’est-ce que cela encore ? Personne ne m’en a jamais parlé, ni ma tante, ni Grand-père, ni même Marvolo ou Ariane n’ont jugé utile de m’informer de cela.

L’Hendiadyn me paraît être le royaume des cachotteries, à défaut d’être celui de la magie. D’abord mon origine magique, qu’il a presque fallu extirper à ma tante. Ensuite, la baguette. Puis les pouvoirs de la baguette. Et pour parachever le tout, les duellistes. Les Magistraux, maintenant.

Je ne sais pas si vous partagez mon avis, mais je pense que cela fait un peu beaucoup.

Mais qu’à cela ne tienne. Puisqu’il est si difficile d’arracher les informations ici, alors je vais me renseigner par moi-même. Plus rien ne me retient en cette pièce, maintenant. Je suis certes assignée à demeure au Palais du Conseil jusqu’à la fin de la journée, mais rien ne m’empêche de tuer mon ennui en m’instruisant.

Je ne suis guère rat de bibliothèque, mais je suis capable de lire des heures durant pour assouvir mon insatiable curiosité.

D’après mes renseignements – et je fais confiance à Grand-père sur ce sujet-là – le Palais du Conseil disposerait d’une importante bibliothèque. Elle serait ouverte à tous, pourvu que l’érudit en quête de savoir ait plus de quinze ans.

Ça me convient parfaitement…

Dix minutes de recherches.

Quinze minutes de recherches.

Vingt minutes de recherches.

Ce palais est tout sauf bien fléché.

Quarante minutes de recherches…trois fois que je demande mon chemin…deux que je me perds…

Hourra !

Merveilleuse bibliothèque. Immense. J’ignore quelle est sa surface, mais je crois pouvoir affirmer sans me tromper que la pièce à elle seule est plus grande que la maison de ma mère, laquelle faisait une centaine de mètres carrés.

Maman…tu me manques. Que penserais-tu en cet instant ?

Les murs sont couverts de rayonnages du sol au plafond. Tous sont pleins à craquer. C’est certes un avantage, mais également un inconvénient, et de taille, j’en ai peur.

Où trouver ce que je cherche, nom d’un âne sans poils ?

Pff…alors…les Magistraux…

Tiens, certains livres n’ont pas une écriture conventionnelle. Ce sont les plus vieux, d’ailleurs. J’espère que ce que je cherche n’est pas dedans, j’aurais l’air maline à demander une traduction à quelqu’un. La petite-fille de Sir Elis ne sait pas lire ! Hum, pour la gloire, on repassera.

Vie et mœurs des animaux magiques… Histoire de l’Hendiadyn… les sortilèges de cuisine…comment on peut mettre un truc pareil dans une bibliothèque nationale ? Philosophies humaine et magique… Le monde humain…que de rayonnages, mes aïeux ! Il aurait été trop demander, je suppose, qu’ils les classent par ordre alphabétique. J’en ai encore combien à faire ?

Je retire ce que j’ai dit : j’ai trouvé !

Et j’ai de la chance : le rayonnage consacré au Magistraux fait plusieurs pieds de long, mais je suis tombée juste sur le livre qui me convient : Légende des Magistraux.

Légende, légende…sont-ils réels, oui ou non ?

Je prends le volume et m’installe sur une table, non loin d’une fille paraissant avoir mon âge. Elle tente de paraître captivée par le livre ressemblant à un dictionnaire qui est posé devant elle, mais je la soupçonne d’être cent fois plus intéressée par mon cas. En voilà au moins une qui doit savoir qui je suis.

C’est dur, la célébrité…vous ne pouvez pas savoir…

Fin des bêtises. Je suis venue pour savoir ce que sont les Magistraux, alors c’est parti.

Ah…voilà…


"L’univers est régi par quatre dimensions. La première est celle des humains, dont nous ne traiterons pas ici. Les trois autres sont les forces magiques, appelées Magistraux.

Des Magistraux, l’Hendiadyn est le plus connu et le plus vaste. Sa magie est celle d’un juste équilibre entre Magie Blanche et Magie Noire. En lui se trouve la frontière entre les deux extrêmes. Il est peuplé de magiciens, à la tête desquels se trouve un roi par nature, à qui toute la magie est soumise."


Toute la magie ? Bizarre…en ce cas, pourquoi est-il si incompétent ? Il faudra que je me renseigne. Ce bouquin est une vraie mine d’or… Bon, passons à autre chose. Ma priorité est de comprendre ce qu’a dit la bonne femme du Conseil.


"Les deux autres Magistraux incarnent les magies des extrêmes.

Luxen représente la lumière, la clarté, et la vie. Son territoire est de petite taille, mais très puissant car imprégné par la Magie Blanche. Son souverain incarne cette Magie et en a le plein emploi. La tradition veut que Luxen ait conclu avec l’Hendiadyn un pacte garantissant paix et entraide.
Luxen est peuplé en majorité par des mages blancs, maîtrisant la Magie Blanche au service du souverain. Les visites des magiciens de l’Hendiadyn sont rares sur cette terre. Cependant, plusieurs témoignages ont rapporté que Luxen dispose également dans sa population des Elfes ne maniant que la magie de leur monde. Ils sont dits Elfes Blancs."


Super. Et un danger de moins, un !


"Blakar est aussi sombre que Luxen est lumineux. Sa magie motrice est la Magie Noire, incarnée comme pour les autres Magistraux en la personne du souverain.
Blakar est à l’image de Luxen. La seule différence – de taille – est que jamais ce Magistral ne s’est allié à l’Hendiadyn. Il a toujours fait preuve d’indépendance, refusant toute proposition de paix ou de collaboration."


Magnifique. Le bouquin paraît tout de même oublier un détail, qui est que Blakar voudrait envahir ses voisins. A côté de lui, l’Hendiadyn apparaît comme étant le pays des bisounours.

Donc…si je m’en tiens aux renseignements fournis par ce livre…je suis censée devenir une émule de Wonderwoman. Espérons qu’on ne me demandera pas de me promener partout dans un maillot de bain aux couleurs du drapeau de l’Hendiadyn (si toutefois il y en a un). Ce serait…mortifiant.


- Si j’étais toi, je ne ferais pas pleine confiance à ce livre, dit soudain ma jeune voisine (je parie qu’elle fixe depuis dix minutes la même ligne de son bouquin). La Légende n’est pas impartiale, son auteur n’est jamais allé à Luxen ou Blakar. Il n’a même pas siégé au Conseil. En plus, tu tiens là une version incomplète.


Si je me prenais pour une star, je serais ravie de l’attention qu’elle me porte. Mais voilà, il y a un hic : je ne me prends pas pour une star. Chez les humains, j’avais une furieuse envie de prendre un marteau et d’assommer toutes ces personnes fières d’elles et elles.

Donc, pour raccourcir le long chemin sinueux de mes états d’âme, j’aurais préféré que cette fille me fiche la paix. Qui est-elle ? Je l’ignore. Probablement quelqu’un en quête de reconnaissance auprès d’une personne connue (si on peut me juger comme étant connue). Elle est tout sauf extraordinaire. Cheveux châtains, yeux marrons, traits ni fins ni épais, elle se fond dans le décor.

J’adorerais être dans son cas.

Bon, ça suffit, Sarah, inspire, expire. Après tout, tu ne sais pas vraiment ce que te veux cette fille…peut-être qu’elle a juste voulu te rendre service…sans contrepartie…Tu vas donc répondre bien gentiment, et faire semblant d’être aimable.

Ouche. Le dernier point est le plus difficile. Damian, mon frère, me reprochait souvent d’être un peu ours mal léché, et je dois avouer qu’il n’avait pas tort. J’en avais conscience, mais rien ne me retenait d’exprimer de manière véhémente mes protestations. Moi, hypocrite ? Il le faut bien un peu dans ce bas-monde…


- Incomplète ? Je répète en déployant mes maigres trésors d’amabilité (après tout, ce n’est pas pour rien que j’ai la réputation d’avoir un caractère de cochon…) Ce livre est épais comme un dictionnaire ! En quoi pourrait-il être incomplet ? Qu’est ce qui lui manque ?

- Ce qui lui manque, je n’en sais rien, je ne l’ai pas lu. Mais c’est évident. Enfin, ça l’est maintenant pour moi, mais je dois t’avouer que j’ai mis des années à comprendre ce que mon frère s’escrimait à m’expliquer. La version que tu tiens est édulcorée, parce qu’elle est destinée au commun des magiciens. La preuve : son écriture est conventionnelle, pas runique.


Runique ? Qu’est ce donc encore ? Non, question idiote. Ça doit être ces signes bizarres que j’ai entraperçu tout à l’heure…et qui ont continué à me narguer jusque dans le rayon.


- La Légende est un livre très intéressant pourvu qu’on s’y intéresse, continue la fille (mais elle a quel âge ? Elle est bien trop intelligente pour être aussi jeune qu’elle en a l’air !) Rares sont les magiciens communs qui désirent y fourrer leur nez, mais ça arrive. Cependant, pour éviter qu’ils ne s’effraient en apprenant certains détails étranges sur les Magistraux, la version en écriture latine a été épurée. La version complète est écrite en runes. Le runique est une ancienne écriture, celle de l’Hendiadyn avant les premières relations avec les humains. Elle n’est plus enseignée qu’à une poignée de corps de métiers : les analystes évidemment, mais également les duellistes, les voyants, et les brigadiers.


Parfait, voilà ma curiosité satisfaite…pour un temps. Les runes sont enseignées aux duellistes ? Voilà qui arrange mes affaires. Dès que j’en saurais assez – et dans pas trop longtemps j’espère – j’irais fourrer mon nez dans ce si instructif bouquin.

Bon, maintenant, passons aux reste des questions qui me taraudent depuis un moment, sans vouloir me laisser en paix.


- Sans vouloir te vexer…pourquoi m’aides-tu ? Non pas que cela me déplaise, mais…je n’ai demandé aucun soutien.

- Parce que je sais reconnaître mes pairs, réplique-t-elle.


Hein ? Ses pairs ? Quels pairs ? Elle aussi ne se trompe jamais ? Peut-être est-elle également à demi-humaine… Non, elle en sait trop pour quelqu’un qui a versé dans une autre culture.

Ses pairs…tiens, tant que j’y pense, c’est une habitude, ici, de parler par énigme ? Cachotterie-land est décidément bien rodé. Bon, je sais, cette remarque ne m’avance en rien. Comme les trois-quarts de celles que je fais, d’ailleurs.

Mais que serais-je sans mon cynisme ? Rien d’autre de quelqu’un d’ordinaire. Or je ne veux pas être ordinaire. Je veux être moi.

Je sais ce que vous pensez. Splendide page de modestie.

Je dois paraître particulièrement dubitative ou niaise – voire les deux – car mon interlocutrice éclate de rire. Cela lui vaut des regards noirs de la part du bibliothécaire, ce que je comprends tout à fait. Il n’empêche, Mademoiselle je-sais-tout-mieux-que-tout-le-monde ne se tait pas. Je ne vois pourtant pas ce que la situation a de bien drôle, mais si ça l’amuse…


- Est-ce que je me trompe en pensant que tu es venue pour le Conseil ?


Quelle grande démonstration d’intelligence. Les trois quarts des personnes actuellement au Palais sont des adolescents venus en quête d’une affectation. Il n’y avait que peu de chance que cette fille se trompe.

Tout de même…elle est futée, la petite.

Ben oui, petite. Mine de rien, je dois faire au moins dix centimètres de plus qu’elle. J’ai déjà remarqué que je suis plus grande que la moyenne. Etrange phénomène, pour les humains je suis plutôt petite.

Enfin, je parle, je parle, mais il faut relativiser : on n’est tout de même pas au pays des nains.


- Je suis venue pour la même raison, continue le petit génie sur pattes. Lorsque je suis passée, un conseiller m’a parlé des Magistraux. Je n’en connaissais pas grand-chose, et c’est pourquoi j’ai cherché à me renseigner. Tu as eu la même réaction que moi. Par conséquent…je crois pouvoir dire sans me tromper que tu as – comme moi – été choisie pour être duelliste.


Très futée, même. Cent fois trop. Elle est sûre de n’avoir que quinze ans ?

Je dois cependant me rendre à l’évidence, et faire preuve de sagesse. Enfin, apprendre la sagesse. Ça fait mal. J’ai toujours suivi mon caractère et mon esprit, même si ce qu’ils me dictaient allait à l’encontre du sens commun.

Avantage non négligeable, j’ai déjà trouvé une camarade de classe. Inconvénient de taille, j’ai intérêt à mieux jouer le jeu si je ne veux pas me faire pincer dès les premiers instants.

Le pire, c’est que je suis bête. Personne dans mon entourage ne doit savoir… Et bien si, une personne déjà le sait : Grand-père.
Marvolo...Erwan...Ariane? by Khana
Author's Notes:
que dire...merci pour vos commentaires, évidement. ils me font immensément génialement plaisir.

sinon, j'ai publié sur ce site une autre texte, "Heure quatre". ce n'est pas vraiment un policier, mais ça s'en rapproche un peu. je serais ravie de connaître votre avis dessus...

biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
Vous ne pouvez pas savoir combien je stresse. C’est affolant. Vraiment, j’ai peur. Pourtant, Lise a tout fait pour me tranquilliser. Comme vous pouvez le voir, elle a loupé. En même temps, je dois dire à sa décharge qu’elle tremble autant que moi.

Comment ça, qui est Lise ? Lise Amir ? Vous la connaissez. C’est la fille avec laquelle je viens de parler à la bibliothèque. Enfin, viens, c’est une façon de parler. Cela fait tout de même une demie-journée que nous discutons comme deux vieilles amies.

Elle est sympa, en fait. Très intelligente, mais cela n’est je crois une surprise pour personne. Je ne vais tout de même pas vous faire son panégyrique, après tout, je ne la connais que depuis peu, mais je crois que je l’aime bien.

Mais laissez-moi vous dire la raison de mon stress. J’ai compris qu’ici tout repose sur les apparences. Je pars plutôt bien lotie, alors que Lise a dû développer son esprit pour se faire remarquer.

Mais s’il n’y avait que le caractère, combien la vie serait facile ! Hélas, nous sommes bien loin de la vérité. Le paraître prime sur l’être. Plus que ce que nous sommes par notre visage ou notre nom, c’est le comportement qui supplante.

J’ai l’impression d’être en plein Roméo et Juliette, à cela près que nous sommes deux filles entre lesquelles paraît se tisser un lien d’amitié.

Quoique le mot est trop fort. Grand-père, ma tante, se moquent éperdument de la famille Amir. Ce sont des notables, mais ils ne se fréquentent que très peu. Jusqu’ici, rien ne paraît nous apparenter aux Montaigu et Capulet.

Mais…il y a toujours un mais. Celui-ci, en l’occurrence, est de taille. Je n’avais pas passé un quart d’heure avec Lise que je savais déjà que son frère était son idole. Sa référence. Son protecteur. L’exemple à suivre en tout instant.

Je n’y ai prêté qu’une attention amusée. Enfin, ça c’était au début. Je m’étais évidement présentée, je n’allais pas me cacher sous un nom d’emprunt ou demeurer anonyme. A l’entente de mon nom, Lise s’est légèrement rembrunie, sans que j’en connaisse la raison. Enfin, je dois avouer que je n’ai pas trop cherché non plus à la connaître. J’étais soulagée. Au moins, elle m’avait aidée sans connaître mon illustre ascendance.

Mais maintenant elle vient d’avouer…et ça ne me fait pas plaisir du tout. C’est – indirectement – la cause de mon stress.

Son frère, Erwan si je me souviens bien, a tout juste vingt ans. Il exerce la fonction de brigadier à Asyndète. Erwan est apparemment sans histoires ni problèmes aucun. Sauf…sauf l’épine qui s’est fichée dans mon pied.

Marvolo et lui ont reçu leur formation sur les mêmes bancs. Ages semblables, capacités semblables. Mais ils auraient pu s’ignorer, nom d’un chien !

Bien sûr, tel n’a pas été le cas. Suite à je ne sais trop quelle histoire, mon cousin et le frère adoré de Lise sont devenus…ennemis jurés.

Pour couronner le tout – ben oui, sinon la situation aurait pu être vivable – Erwan a décidé d’attendre sa chère petite sœur à la sortie. Très gentil de sa part. L’immense énorme spectaculaire problème est que je sais que mon cousin viendra également. Je le sais, il est passé ce matin pour me souhaiter bonne chance, et m’a annoncé la charmante nouvelle.

Quel bourbier ! Quel bourbier !

Il n’y a plus qu’à espérer que la rencontre – car rencontre il y aura – ne se termine pas en match de boxe.

Vous pensez que j’exagère ? Peut-être un peu. Deux brigadiers ne seraient pas fous au point de risquer de se faire mettre aux arrêts pour s’être battus. Pour ce qui est de la boxe verbale, j’en suis moins sûre.

Oh God, je crois que je vais devoir prendre parti… Pff…Roméo et Juliette, vous dis-je.

J’appréhende donc le moment où les portes s’ouvriront. Ce sera la ruée, évidement, chacun voulant dire en premier quelle affectation lui a été attribuée. Lise et moi devons être au premier rang. C’est capital si nous voulons arrêter la casse.

Mes dents claquent presque tandis que je joue des coudes pour atteindre la première ligne, Lise dans mes talons. Pour une fois que j’ai l’avantage de par mon physique, il est hors de question que je n’en profite pas. C’est la première fois que je suis plus grande que ceux de mon âge. Pas de raison, donc, pour que je me perde en « excusez-moi » et autres choses du même acabit.

Je suis sûre qu’on va assister à un splendide départ de marathon.

Cinq…quatre…trois…deux…un…

Il ne manque plus que le coup de pistolet et on se croirait aux Jeux Olympiques.

Et c’est parti ! Les portes sont ouvertes ! Attention, Mesdames et Messieurs, le premier arrivé là-bas gagne un jambon !

Je dirais bien que tous sont des gamins puérils, mais ce serait m’inclure dans le nombre. Je fonce comme un boulet de canon, traînant derrière moi une Lise un peu déboussolée. Manifestement, son intelligence hors du commun ne pensait pas être un jour confronté à la dureté de l’effort physique.

Et M…ince. Triple zut. Double crotte. Nom d’un avion en papier.


- Trop tard, soupire Lise à mes côtés.


Je retiens une nouvelle fois un juron. Il faut que je me calme. Allez, ma vieille, je crois qu’en ces funestes circonstances tu peux t’accorder une cigarette.

Je n’avais plus fumé depuis trois jours. Le goût me brûle légèrement la gorge, la fumée me pique les yeux, mais tant pis. J’ai besoin de me détendre avant le combat.

Oui, vous avez bien lu. Combat. J’exagère à peine. Certes, Marvolo et Erwan ne vont pas en venir aux mains, du moins j’espère. Mais ils sont engagés dans une joute verbale qui ne peut que mal se terminer pour l’un et l’autre.

Bizarre, tout de même. C’est Marvolo l’aîné entre nous deux. C’est à lui de se montrer responsable. Rappelez-moi j’ai quel âge ? Quinze ans, en effet. La maturité d’une humaine de trente, mais cela est mon problème personnel. Il n’est pas de mon rôle d’apprendre la maîtrise de soi à un garçon de cinq ans mon aîné ! Il est cent fois plus puérils que les magnifiques spécimens que j’ai renversés il n’y a même pas cinq minutes.

Je n’ai pas fini ma cigarette. Tant pis. J’y vais !

Marvolo et un garçon que je devine être Erwan sont face à face, engagés dans une discussion qui ne doit rien avoir d’amical. Deux gamins, vous dis-je. La place est grande, pourquoi a-t-il fallu qu’ils se retrouvent dans le même mètre carré ?

Bon, étape numéro un : de quoi parlent-ils ?


- C’est facile de dire ça, murmurait Erwan. Etre le descendant de Sir Elis épargne certains…ennuis.

- Erwan a été mis au arrêt pour trois jours après avoir incendié un entrepôt par accident, me souffle Lise de son côté.


Ouch, il me paraît être des plus habiles l’Erwan en question. Comment peut-on incendier un bâtiment par accident ? Peut-être que sa petite-amie est pompier et qu’il a voulu lui faire plaisir… A moins, solution également plausible, qu’il n’ait voulu faire un remake de je ne sais trop quel film américain. Les personnages y sont toujours maladroits.

Quoi ? Oui, je suis américaine (enfin, je l’étais), mais il n’empêche que les films de mon ancien pays me sortent par les yeux. Leurs personnages y sont tellement stupides que ça en devient ridicule.

Non, je ne citerais aucun nom, comme ça il n’y aura pas de jalousie.

Heu, revenons-en à nos moutons. Enfin, dans ce cas-ci, ce serait plutôt à mes ânes. Erwan vient de reprocher à Marvolo de jouer du piston pour s’épargner certaines réprimandes. Mouais…ce n’est pas très gentil de sa part, mais il n’est peut-être pas tombé loin de la vérité.


- Je préfère cela à faire passer mes examens par ma sœur.


Aïe, ce n’est pas gentil, ça non plus. J’ignore si Marvolo a compris qu’il sous-entend qu’Ariane est incapable d’avoir son niveau, probablement que non, mais c’est ainsi que j’ai perçu cette dernière phrase.

En plus, ce n’est pas très aimable pour Lise. Elle a beau être un petit génie, je doute qu’elle passe les examens de son frère.

Elle n’a même pas sa moustache.

Tiens, d’ailleurs, en parlant d’Erwan, je viens de remarquer quelque chose de drôle, malgré la situation : lui et Marvolo sont comme le jour et la nuit.

Marvolo est blond, presque autant de moi, et porte un léger bouc sur le menton.

Erwan, lui, a les cheveux plus noirs que la terre, plaqués en arrière, et probablement pas plus longs que ceux des militaires. Il porte une fine moustache digne des années trente.
Assez beau garçon. Il ressemble peu à sa sœur. Bizarre, mais pas impossible, après tout. Mes frères sont bien bruns, eux aussi…

Zut. Je n’étais pas censée les séparer, déjà ?


- ASSEZ !


Ouf. Merci Lise. Elle est plus réactive que moi. J’étais encore en train de songer qu’elle s’est précipité entre les deux protagonistes. Nom de Zeus, elle est tout de même loin de faire leur taille. Si on me disait qu’elle est la fille d’un nain, je le croirais sans difficulté. Je fais un mètre soixante-quinze, et elle…un mètre soixante, tout au plus.

Même moi qui suis grande pour mon âge hendiadyen, j’y regarderais à deux fois avant de m’interposer entre ces deux gamins. J’exagérerais si je disais qu’ils font une tête de plus que moi, mais enfin, vingt centimètres, ce n’est pas négligeable.

Bon, je parle, je parle, mais il me semble que l’heure n’est pas à cela. Ce serait dommage si mon cousin gâchait sa vie pour s’être rendu coupable de meurtre sur la personne de Lise Amir.


- Lise a raison, je dis en agrippant de mon mieux le bras de Marvolo (si je n’ai pas l’air idiote comme ça…) Ce que tu fais est absolument puéril.

- Navré Sarah, mais je ne crois pas que ce soit tes oignons !


Je crois que tout compte fait je vais remercier le ciel de m’avoir donné des frères aussi turbulents… Maman devait toujours les séparer lorsqu’ils étaient enfants. J’en ai pris de la graine.

Suicidaire, moi ? Certes, je m’attaque à plus gros poisson que moi, mais…tant pis. Un mauvais pressentiment me dit que je devrais dans des temps très proches voir bien pire.


- Pas mes oignons ? je réplique. PAS MES OIGNONS ? Tu te fiches de moi ? Je suis désolée, mais ce n’est déjà pas très agréable d’être regardée comme une bête curieuse partout où je passe. Tu pourrais alléger ce fardeau en te tenant à carreau ! Et au lieu de cela, tu fais quoi ? Tu te bats ! Tu te disputes pour des broutilles ! Tu n’as donc aucun sens commun ? Tu n’as donc pas remarqué que toutes tes actions sont notées et jugées ? D’accord je viens d’arriver, d’accord je ne connais pas grand-chose à ce monde, mais je sais déjà que les gens sont ici comme là d’où je viens. Tu es un descendant de Sir Elis ! Tu ne peux pas te permettre d’agir comme bon te semble, sauf si bien sûr tu veux ruiner ton avenir. En ce cas, tu me parais extrêmement bien parti.


Oups…Marvolo a bénéficié de toute ma fumée de cigarette. Tant pis. Ça lui apprendra.

Je le plante là, le laissant gober toutes les mouches du quartier. Ai-je été trop loin ? Hum, il ne me semble pas. Marvolo va m’en vouloir, mais j’espère qu’il a assez de jugeote pour comprendre que j’ai raison.

Il s’est fait enguirlander par une fille de quinze ans ? Bien fait, il n’avait qu’à ne pas se montrer aussi puéril. Mais si ça peut le consoler…j’ai dix ans de maturité de plus que lui, et un sens de l’observation assez poussé.

Il n’empêche que je me suis moi aussi donnée en spectacle. Arrivée depuis une semaine, voilà que je donne déjà matière à gratter aux journaux stupides avides de ragots. Bon, au moins, ils connaissent la couleur maintenant. Le premier qui m’embêtera aura de sérieux ennuis. Je ne suis pas Sarah Elis pour rien.

Ça, c’est encore un cadeau de Papa. Même s’il le cachait de son mieux, je devinais parfois dans ses yeux la petite lueur rebelle qui anime les miens, la même qui l’a poussée à quitter l’Hendiadyn à tout jamais. Je suis comme lui. Que les journalistes y songent, ça fera un article de plus pour leurs feuilles de chou.

Grand-père me fera des reproches, sans doute, dans le cas hypothétique où il parviendrait à s’extraire de ses sacro-saints dossiers. Il est bien gentil, son sens de l’honneur est probablement très aigu, il ne doit pas apprécier que je me donne en spectacle, mais tant pis pour lui. Il n’a qu’à être un peu plus présent.

Tout de même…si j’avais su…je serais restée. Je serais restée, uniquement pour entendre les quelques mots que Lise a perçus, issus de la bouche même de ma cousine Ariane.

Ariane… j’ignore ce qu’elle me reproche, et mon petit doigt me dit que ce ne sont certainement pas des paroles en l’air.

Mais à l’heure où je vous parle, j’ignore encore ces propos. Je ne sais même pas qu’ils ont été prononcés. Pourtant, je vais vous les rapporter tels que Lise les a entendus, car il est pour moi essentiel que vous ayez toutes les cartes en main :


- Vous avez vu ? disait ma cousine. Elle n’est qu’à moitié magicienne et se permet déjà de faire la loi. Plaignez-moi, j’ai hérité d’une prétentieuse à domicile. Dire qu’on l’a acceptée. Si j’étais Grand-père, je ne me le serais jamais permis. Qu’elle reste avec les humains, nous n’avons aucun besoin d’elle.


De la réaction de ses amis, j’en sais encore moins.

Mais n’oubliez pas : Lise ne m’a rien dit de tout cela.
End Notes:
au fait...j'ai mis le début du chapitre suivant sur gadgetauchapeau!
Insvrack... by Khana
Author's Notes:
voili voilou! merci pour tous vos commentaires! je ne serais pas là la semaine prochaine, je pars en vacances vendredi pour une semaine! à mon retour, vous aurez un bon gros chapitre, promis! merci de me lire!
Le petit bonhomme en mousse…Qui s’élance, et oh… pardon.

Oui, je sais, je chante. Très mal, d’ailleurs, mais cela est mon problème. Mon intention n’est pas de me proposer comme nouveau talent. Je ne recommencerai plus, c’est promis.

Je suis sur un tapis volant, et la franchise m’oblige à dire qu’on s’ennuie ferme.

Maa promotion compte une quinzaine d’élèves. Super. Connaissant mon caractère, je vais certainement m’en mettre la moitié à dos dès que j’ouvrirai la bouche. C’est déjà fait pour l’autre moitié.

Je vous explique : Cassandre – la retardataire au culot démesuré du passage devant le Conseil Général – fait à mon grand désespoir partie du petit groupe des heureux élus au poste de duelliste.

J’envisage sérieusement de me jeter dans le vide. C’est vrai, quoi, je n’ai pas mérité la hargne avec laquelle elle me poursuit. Lorsque les relations avec l’Hendiadyn ont commencé à se creuser, les humains – dont je faisais alors partie je vous le rappelle – ont décri ce monde comme un pays de cocagne, où chacun était à égalité.

Si on les écoutait – alors qu’aucun n’avait posé ne serais-ce qu’un demi orteil en ce pays – l’Hendiadyn serait un royaume où fleurirait bon l’égalité et la tolérance. Bisounours et mangas pour enfants. Mon œil, oui. Qu’ils viennent et leur vision s’en retrouvera radicalement changée.

On n’est pas au pays des petits lapins qui gambadent en chantant des comptines ! Loin de nous est Winnie l’ourson !

Ça me fait mal de devoir le dire, mais je suis ici une cible de choix. Si à Asyndète, dans ce monde de politiciens fiers et dignes, mon nom et mon apparence suffisent à tenir en respect, ce n’est maintenant plus le cas. Nous sommes sortis du cadre officiel.

On me l’a déjà dit, le nom ne compte plus. Nous avons été sélectionnés pour nos pouvoirs. Peu importe que nous ayons des antécédents duellistes dans la famille ou pas. Face à tout ce qu’implique cette fonction, nous sommes seuls.

Dès que l’information est tombée, les moqueries se sont déchaînées. Le groupe s’est divisé en deux parties : d’un côté les partisans de Lise, soutenant comme elle que si j’avais reçu la magie, ce n’était en aucun cas une erreur de la nature. Ils radotent les acquis familiaux, mais se moquent bien de ce que je peux ressentir. L’important, pour eux, est de sauver leur réputation afin de ne pas nuire à leur carrière future.

Et de l’autre…Cassandre et ses sbires. Quelle mégère ! Le pire est que je ne la connais même pas. Elle se base sur une réputation, des croyances millénaires, une jalousie de la faveur qui m’a été faite.

Tout cela pour quoi ? Parce que je suis à moitié humaine…


- Arrête de te faire du mouron, me murmure Lise en m’arrachant à la contemplation des nuages. Ça va se calmer, ils verront vite que tu vaux autant qu’une autre. Regarde plutôt : on arrive.


Je risque un regard vers le sol – prudemment, j’ai toujours été sujette au vertige – et demeure saisie d’étonnement.

Le tapis amorce sa descente, sans rien perdre de sa stupéfiante vitesse. Au loin, devant nous, se dessine le sol.

Nous sommes au sud du pays, bien loin de la capitale. Le soleil se fait plus rude, l’air plus sec. Ma gorge s’assèche, et mes lèvres se gercent. A plusieurs kilomètres se dessine une ville : Inguat, me dit Lise. Deuxième cité du pays. Chargée d’histoire, bien que ma nouvelle amie ne puisse me dire laquelle.

Le tapis survole une immense forêt. Les arbres font des concours de hauteurs, c’est à celui qui touchera le ciel. Une fois arrivés à la lumière, ils étendent d’immenses feuilles, toutes de verts différents, mais chargées de la même puissance signifiant que leur origine est autre qu’humaine.

Je note, au hasard, quelques clairières. L’une d’elle, aperçue le temps d’un instant fugace, me paraît plus grande que les autres. Mon insatiable curiosité veut aussitôt aller voir de plus près ce phénomène, mais le temps que j’y pense, le décor a déjà changé.

Mon estomac – pourtant peu chargé, je n’ai rien mangé ce matin – proteste avec véhémence lorsque le tapis prend un virage et commence une descente en spirale, comme s’il était pris dans un tourbillon maritime. Le vol est pourtant des plus contrôlés. Pas une fois je n’ai l’impression que le professeur, debout à l’avant du tapis, n’a plus de maîtrise sur sa trajectoire. Il chantonne à voix basse un air qui me paraît des plus vieillots. Il ne s’est pas retourné de tout le voyage. Même les chamailleries – presque le pugilat – engagées entre moi et Cassandre n’ont pu le tirer de son imitation d’une statue.

Je parie qu’il a des boules Quiès.

Zut. Dommage que je n’y ai pas pensé plus tôt. Je me serais rapidement débarrassée de Cassandre, et le problème serait résolu.

Moi, meurtrière ? Non, enfin si, mais non, pas vraiment. J’aurais rendu un grand service à l’humanité. Enfin, à l’Hendiadyn. A en entendre certains, de toute façon, c’est la même chose.

Ne faites pas attention… Je suis d’assez mauvais poil. Le problème Cassandre s’est ajouté au coup de blues auquel j’ai dû faire face ce matin. Ma famille me manque…Papa, surtout. J’ai passé une heure à sangloter dans la salle de bains, sans que quiconque ne daigne s’interroger sur la raison de mon absence prolongée.

C’est beau, la famille…quand je suis apparue, les yeux rougis, Ariane m’a suggéré de mettre du maquillage, ma tante m’a demandé si ma valise était prête, et Marvolo a grogné. Grand-père n’était pas là, évidemment. Je ne l’ai pas vu depuis des lustres. Courant d’air-man, ce type. Il est à des lieues de savoir ce que je vis. Je le soupçonne de m’en vouloir. Mon affectation, après tout, est la même que celle de Papa. C’est la plus brillante, alors que lui, il a fait quoi, déjà ? Juge, il me semble.

Hum, désolée. Vous voyez bien que mon mauvais caractère n’est pas qu’une légende. Cette Cassandre va en pâtir, si elle continue.

Le centre du tourbillon est, comme je m’en aperçois, une clairière bien plus grande que celle aperçue précédemment. Mais celle-ci, contrairement aux autres, n’est pas vue.

Les mouvements du tapis – lequel paraît se prendre pour le Titanic en train de couler – m’empêchent de voir clairement le décor de ce qui sera mon école pour trois ans.

Il n’empêche…je comprends que les aspirants aient une chance de refuser. Franchement, quand on voit la tête de l’école…comment elle s’appelle déjà ? Ah oui, Insvrack, ça ne fait pas envie.

J’hallucine ! Hey, je veux mon billet de retour ! Je veux retourner chez les humains ! Je veux une chambre bien douillette, des bâtiments solides, pas…ça !

Hum, mais il me paraît qu’à Cachotterie-land, tout choix soit définitif. Je ne peux pas revenir en arrière. Ici tu as voulu être, ici tu resteras. Super. J’ai le droit de me faire porter pâle ?

Comprenez la cause de mon dégoût : il n’y a, en cette école chargée de former la crème de la crème des défenseurs de l’Hendiadyn, qu’un seul bâtiment en dur, la bibliothèque. On est loin de la classe d’Oxford.

Visiblement, les livres sont plus importants que les élèves. Le reste n’est qu’un amas de tentes blanchâtres, qui ne paraissent pas en être à leurs premières intempéries.

Tente à droite, tente à gauche. On dirait un camp militaire ! Ça non plus, ce n’était pas compris dans le contrat. Mon Dieu, Papa est gentil de m’avoir donné sa magie pour que je connaisse la même chose que lui, mais il aurait pu mettre un avertissement avec, tout de même ! Je sais bien que j’ai toujours voulu entrer dans l’armée, mais ça me paraît beaucoup moins tentant, là…

Je savais que je n’aurais pas dû me plaindre lorsque je n’étais encore qu’une petite humaine malade…mais c’est un peu tard pour avoir de la nostalgie.

Ah, des terrains…mais terrains de quoi ? Je n’ai jamais vu ça de toute ma vie. Oui, bon, d’accord, je ne suis pas une référence. Je n’ai jamais fait de sport de ma vie, et j’ai grandi chez les humains.

Voyons voyons…tiens, c’est drôle, j’ai l’impression d’être Gulliver observant les Lilliputiens. Les gens sont tous petits, vus d’ici ! De vraies fourmis !

Nouveau virage. Je crois que je vais vomir…

Attention…atterrissage en douceur. Enfin, douceur partielle. Comment ce chauffard fait pour rester debout, nom d’une pipe ? Tout le monde s’est retrouvé propulsé dans les coins les plus insolites, et lui…reste stoïque. Je parie qu’il est impossible de lui retirer son hoquet à celui-là. Imperturbable comme une statue égyptienne.

Bon, avec tout ça, je crois que je suis partie pour les pires courbatures de ma vie. J’ai été éjectée de mon siège, ai effectué un vol plané sur une bonne moitié du tapis, et fini le nez écrabouillé contre la chaussure de Cassandre.

Magnifique. Elle a dû marcher dans du purin avant de venir. Je dois avoir le nez plus sale que jamais. En plus, sans vouloir dire du mal d’elle – enfin si, je ne l’aime pas, mais ce que je vais dire est on ne peut plus vrai – elle sent des pieds. Une vraie infection. Si je trouve un bouquin sur les sortilèges anti-transpiration, promis, je le lui offre. Même si ce n’est pas le mien, même si elle ne peut pas me supporter à cause de…vous savez.

Je veux bien être une héroïne, mais ça c’est au dessus de mes forces.

Si jamais elle ronfle, alors là, je lui arrache la langue. Le problème sera réglé…enfin, j’espère.


- Debout, espèce de feignants ! hurle soudain une petite bonne femme teigneuse au possible. Vous n’êtes pas là pour rêver ! Trois tours du terrain, et que ça saute !


Je retire ce que j’ai dit : je ne veux pas être dans l’armée. Trois tours de terrain…pas insurmontable, à première vue.

Ai-je dit que le terrain me paraît faire six kilomètres de rayon ?
End Notes:
comme d'habitude, j'ai mis gadgetauchapeau à jour! allez voir! biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
Changement à l'horizon by Khana
Author's Notes:
bonjour bonjour! me voilà de retour! merci pour tous vos commentaires, ils m'ont fait très plaisir.

le début est sur gadgetauchapeau.skyrock.com, évidement.

sinon, je voulais vous dire que je ne reviendrai pas avant trois semaines, colo oblige. il se peut que j'aie accès à internet pendant que je jouerai à la mono, mais ce n'est pas sûr. le prochain chapitre viendra donc - au pire - dans trois semaines.

voili voilou, c'est tout!

biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
Si vous me permettez une petite parenthèse…voyons ce qui se passe dans la tête de mon cousin…


J’adore le whisky. Non, je ne devrais pas dire j’adore : j’aime bien. J’aime bien le whisky, comme j’aime bien le chocolat, ma sœur, ou Sarah.

Sarah. Non, je ne veux pas y penser, ça me donnerait la migraine. Si je reprenais plutôt un petit verre…quoique c’est une mauvaise idée. Mon patron m’a dit qu’il passerait, et je ne veux pas être ivre lorsqu’il arrivera. Je l’ai rarement été, et à chaque fois les conséquences en ont été funestes.

Je vais penser plutôt à Erwan. Cet imbécile d’Erwan. Monsieur parfait. Franchement, il aurait dû rester dans son coin, j’aurais eu beaucoup moins d’ennuis, et…non, c’était une mauvaise idée aussi. Cette période est trop douloureuse pour que je puisse me permettre de m’en souvenir.

Pff…ne pas penser à Sarah, ne pas penser à Erwan, ça en revient pratiquement à la même chose. Quelle besoin avait-elle de venir fourrer son nez dans mes affaires, hein ? Et ce n’est pas parce qu’elle a la maturité d’une humaine de trente ans qu’elle doit se comporter comme telle. Elle est mineure, ici. Quinze ans. Tout à apprendre.

Quel gâchis qu’elle s’acoquine avec la fille Amir… Dire que je la prenais pour une fille bien. Maman m’avait toujours chanté les louanges de son frère, alors j’ai bêtement pensé que, parce qu’elle lui ressemble, Sarah serait comme lui.

Mais manifestement, je me suis trompé. Elle est cent fois pire.

Et zut…j’avais dit que je ne penserai pas à elle. Elle ne va pas devenir le centre du monde, tout de même. C’est déjà bien beau que Grand-père ait accepté de la reconnaître. Elle est si…bizarre, qu’à sa place, j’aurais refusé de la rencontrer.

Mais bon, je ne suis pas lui…heureusement, d’ailleurs. J’aime avoir du temps libre.

Bon, fermeture de la page Sarah. J’espère que son séjour dans son école de médecine lui aura mis du plomb dans la cervelle.

J’ai dit fermeture de la page Sarah ! Bon, ça suffit, j’en ai marre d’elle. Pensons à autre chose. Le roi. C’est cela, Marvolo, pense au roi.

Ce crétin de roi. A quoi sert-il, franchement ? Il ne sait rien faire ! Depuis des générations, les souverains vivent sans formation, dans leur palais, signent des papiers qu’ils ne lisent pas, et abandonnent toute fonction entre les mains du directeur du Conseil.

Pff…à la place de Grand-père, j’aurais déjà fait un coup d’Etat. C’est si facile…

Vous savez comment fonctionne le système politique en Hendiadyn : les villes sont gérées par des Conseils bâtis selon le modèle du Conseil Général. Au dessus d’eux se trouve le Conseil de province, et encore après le Conseil Général. Grand-père connaît personnellement chacun des membres de ces conseils, même celui de la plus petite ville. Tous l’adulent, il est si dévoué à l’intérêt du pays.

Ça se voit qu’ils ne connaissent pas l’envers du décor. De mes vingt ans d’existence, Grand-père ne s’est même pas intéressé au sixième.

Pff…M’ennuie…

Quinze heures…le chef est en retard.

Ah non. Je retire, désolé. Il est parfaitement à l’heure. Magnifique sens du timing. Il entre – sans frapper – pile au moment où l’aiguille touche le chiffre douze.

On ne lui a jamais appris les bonnes manières ?

Quoi ? Je sais, ça fait bizarre pour un garçon de donner autant d’importance à ces choses, mais Papa était le chef du protocole du Palais Royal. Il m’a inculqué une bonne partie de son savoir-faire, espérant sans doute que je prendrais sa suite.

Heureusement qu’il est mort avant d’avoir pu voir ce que je suis devenu. Il aurait été très déçu. Brigadier… Cependant, la franchise m’oblige à avouer que mon avenir n’a pas été la première chose à me venir à l’esprit lorsqu’on nous a annoncé la nouvelle. A ce moment là – j’avais treize ans et Ariane neuf – mon idée a d’abord été de tuer le monstre qui m’avait retiré mon père.

Malheureusement – quoique ça me paraisse maintenant plutôt bénéfique – le meurtrier s’est donné la mort alors qu’un duelliste s’apprêtait à lui mettre le grappin dessus. Personne ne saura jamais pourquoi il a fait ça.

Pauvre Sarah…je sais ce qu’elle vit, ce n’est vraiment pas facile. J’ai mis du temps à me remettre. Elle qui doit en plus changer d’univers…


- Destoc ! Vous m’écoutez lorsque je parle, j’espère ?


Hein ? Quoi, il me parlait ? Zut. Voilà pourquoi j’évite de trop souvent penser à Papa. Tous mes souvenirs en profitent pour remonter, et j’en ai pour des heures.

Bon, en attendant, je ne crois pas avoir fait preuve d’une vivacité à toute épreuve. Désolé patron.

Hé, mais pourquoi il porte le même bouc que moi ? Autant sur moi ça fait classe, autant sur lui…on dirait la barbichette d’une chèvre. Non, mauvaise image. En ce moment, ne me demandez pas pourquoi, je pense à un pruneau enrobé de lard. Miam.


- J’en étais sûr, reprend mon chef. Vous n’êtes pas très sérieux, Destoc. J’espère que ça vous viendra avec l’âge. Je disais que le Conseil a approuvé votre avancement.


Le Conseil ? De quoi il se mêle ? Il n’a que ça à faire ? Je croyais qu’il ne regardait les affaires des brigadiers qu’en cas de force majeure. Je ne crois pas avoir fait brûler d’entrepôt récemment…

Minute, avancement ?


- Le Conseil a jugé que votre animosité avec Monsieur Amir, de l’escouade numéro trois, pouvait grandement compromettre l’ordre au sein de la ville. La paix ne peut régner que si ses gardiens sont unis.


Ça sent le Grand-père tout craché ! Il n’y a que lui pour avoir des idées pareilles afin de faire passer ses idées personnelles. Peuh ! Il craint encore que je ne salisse mon clan par mes relations orageuses avec Erwan.


- Par conséquent, Monsieur Amir a été changé de brigade par le même décret. Il n’agira plus sur le même territoire que le vôtre. De surcroît…afin que vous compreniez que votre fonction n’est pas un simple passe-temps…vous avez été promu.


Ça, ce n’est plus du tout du Grand-père… Je ne le connais pas bien, mais j’ai l’impression qu’il préférerait mourir plutôt que de m’accorder un avancement. Heureusement qu’il demeure la loi de la majorité.


- La ville d’Oles, à l’ouest du pays, a dû organiser l’élection de son Conseil plus tôt que prévu…Vous n’ignorez pas, Destoc, que je suis originaire de cette région et y attache une grande importance. Les élections se sont déroulées le week-end dernier, et ma liste a obtenu la majorité des suffrages. Je dois siéger au Conseil local, et vous savez aussi bien que moi que cette fonction n’est pas compatible avec l’exercice d’une activité professionnelle. J’ai démissionné. Selon l’usage, mon supérieur m’a demandé de remettre une liste comprenant les noms de mes éventuels successeurs.


Ouch, s’il me raconte tout cela, c’est qu’il n’est pas fier du résultat. Je mettrais ma main à couper qu’il est contrarié. Pourquoi ai-je la vague impression que je ne figurais pas sur cette liste ?


- Je ne puis vous cacher que vous n’y étiez pas. Vous êtes à mes yeux trop jeune pour prendre pareilles fonctions. Mais Sir Elis en a décidé autrement. Afin de vous rendre davantage responsable, selon ses propres arguments, il a décidé de vous confier la deuxième escouade de la brigade d’Asyndète. Dorénavant, le chef, c’est vous.


Misère…Il aurait pu s’en passer. Je vais mettre des lustres à expliquer que je n’ai pas joué du piston. Et encore, je doute que quiconque ne me croie. Vive la crédibilité. D’un autre côté, c’est vrai que chef d’escouade à Asyndète, à l’âge de vingt ans, ce n’est pas fréquent.

Hum…Bizarre. Alors c’est Grand-père qui a voulu ? Il faut que je tire ça au clair.


Bavardages, politesses à n’en plus finir. Ennuyant au possible. Si je sais faire des courbettes, c’est loin d’être mon activité préférée.

Mais voyons le bon côté des choses : le chef me donne d’excellents tuyaux.

Blablabla, blablabla, blablabla… Pff, il est encore pire qu’Ariane. Pourtant, elle est la reine des pipelettes, quand elle s’y met. Quoiqu’elle n’ouvrait pas tellement le bec, après qu’on soit revenus du monde humain. Traumatisée, peut-être ?

Ouf ! Enfin parti. Ce n’est pas tout, moi, mais il faut que j’aille voir Grand-père. Tant pis si je le dérange. Ma question est plus importante que ses dossiers, quoiqu’il puisse penser.

J’ouvre grand la fenêtre et m’envole. J’adore voler. Ce serait même mon sport préféré, s’il n’y avait pas ces fichues limites de vitesse. Mais bon, je ne peux pas me permettre de les dépasser. Ce serait beau si un sous-chef de brigade tout neuf se faisait arrêter par un confrère pour un simple dépassement de vitesse.

La ville est impressionnante, vue d’en haut. Elle s’étend à perte de vue, ses limites disparaissent dans la brume. On distingue parfaitement les quartiers. Là la place du Trône, où sont concentrés les quatre palais. Là le quartier des affaires avec ses hôtels et ses maisons de riches, comme celle de Maman…grâce à l’héritage de Grand-mère. Ici les rues commerçantes. Ici encore une zone moins favorisée, plus large, où vit la majorité des personnes travaillant dans la ville, moi compris.

Je m’élève au dessus du niveau habituel de vol, jusqu’à atteindre les nuages. Le vent fouette mon visage et m’ébouriffe les cheveux. Voler sans entrave…voilà la liberté. Ici, au moins, personne ne juge mes actions, personne ne me compare à grand-père ou à qui que ce soit.

Attention…descente. Tiens, un oiseau. On fait la course ?

Désolé, c’était puéril. En plus, j’approche du Palais du Conseil. Une petite pirouette pour atterrir sur mes pieds, et je freine. Pas question de louper mon atterrissage. Les journalistes avides de ragots sont légion dans ce quartier, et je n’apprécierais que peu de me retrouver en première page, entouré d’un article me conseillant de prendre des leçons de vol.

Question primordiale : je passe par la fenêtre ou par la porte ? Non, soyons poli. Prenons la porte. Après tout, Grand-père est peut-être occupé avec une huile huileuse. Je ne voudrais pas blesser qui que ce fût en cassant un carreau.

Atterrissage réussi ! Je suis trop fort. Vraiment, je m’admire. Et je ne suis même pas décoiffé. Le premier qui dit encore que mes cheveux longs risquent de me déranger se prend un maléfice dans la figure.

Pratique, tout de même, d’être le descendant de Sir Elis. Je peux ignorer superbement les duellistes qui analysent chaque visiteur. Leur fonction ne me concerne pas. Ce n’est pas parce qu’ils ont plus de magie que moi que je dois forcément me coucher devant eux.

Il n’empêche, si j’étais Grand-père, je supprimerais ce métier. Le pays est en paix, aucune force maléfique ne menace quoi que ce soit, et surtout ces « élites » comme ils se plaisent à s’appeler ont la fâcheuse tendance d’avoir les chevilles enflées. Vraiment, hein. Pas qu’un peu.

Ridicule.

Alors voyons…Bureau de Grand-père. Ah, son secrétaire me dit qu’il n’y a personne. Je l’aime bien, ce type. Lui au moins ne doit pas s’ennuyer. Dire que Grand-père se décharge sur lui de la paperasserie et que pourtant il est toujours occupé…Je ne crois pas que ce pauvre secrétaire ait une vie sociale.

Je peux entrer. Super. Mon cher Papy, on va voir ce que tu as à dire pour ta défense…

Grand-père est, comme à son habitude, le nez plongé dans un énorme dossier. Punaise, ce n’est pas le petit truc. En plus, il me paraît d’être d’âge canonique, tout est écrit en runes, et le papier est jauni.

Voyons ce que c’est…zut, il a fermé avant que je ne puisse déchiffrer le titre. Il faut que je révise mes runes, je n’ai jamais été une flèche là-dessus.

Je m’installe dans un élégant fauteuil, et retiens de justesse une grimace. Toujours aussi peu confortable. Grand-père prétend qu’il les a choisis ainsi afin de retenir l’attention de ses interlocuteurs, mais je ne suis pas d’accord avec lui. Je crois qu’il s’en sert comme repoussoir, afin d’éviter au maximum les visites dérangeantes…comme la mienne.

Grand-père me regarde fixement, et déjà je sais qu’il devine la raison de ma venue. Quoi, il me connaît si bien que cela ? Mais comment il fait ? La présence est pourtant loin d’être une de ses qualités premières.

Hum, par contre, je vois qu’il a un souci. Un gros, même, puisqu’il ne parvient pas à gommer ce pli qui lui barre le front.


- Bonjour, Marvolo, me dit-il sur un ton poli qui me donne l’impression d’être chez le médecin. Que puis-je faire pour toi ?


Comme s’il ne savait pas. Bon, jouons le jeu…


- Je viens de discuter avec mon supérieur. Il m’a annoncé mon avancement.

- Toutes mes félicitations.

- Merci…Mais ce que je ne comprends pas, c’est le rôle que vous avez joué dans l’affaire. Pourquoi avoir voulu me nommer à ce poste ? Je n’ai que vingt ans, vous le savez bien. Je suis trop jeune.

- Mais tu es compétent.

- Et le piston n’a rien à voir, peut-être ?

- Tu n’as pas demandé cette place.


Il a décidé d’économiser ses mots, aujourd’hui, ou quoi ? A moins qu’il ne veuille pas montrer qu’il me cache quelque chose. Pff, l’abus de secrets d’Etat nuit à la santé. A consommer avec modération.

Hum, c’est cela, Grand-père s’est trompé avec ses fauteuils. J’ai quand même réussi à partir ailleurs. Bon, je dois retomber sur mes pieds. C’est à moi de parler, si je ne m’abuse.


- Mais je l’ai eue, je reprends, et cela parce que vous l’avez voulu. Il doit bien y avoir une raison, et je voudrais savoir laquelle. Je suis concerné, après tout. J’ai le droit de savoir. Ne me dites pas que c’est à cause de mon animosité avec Erwan Amir. Si tel était le cas, il vous aurait été facile de m’envoyer dans une autre ville. Au lieu de cela…je suis promu. Pourquoi ?


Silence. Préparation de la défense ? Pour une fois qu’il est l’accusé et non le juge…


- Je ne conteste pas, finit-il par dire lentement, le fait que ton intérêt soit légitime. Il y a en effet une raison à ta nomination, mais je ne puis t’en parler maintenant. Il est encore trop tôt. Disons juste…que je prépare le terrain pour l’avenir.


Comprendre : ce ne sont pas tes oignons, version diplomatique. Et il croit que je vais le laisser s’en tirer comme ça ? Plutôt rêver.


- Quel avenir ? Vous mijotez quelque chose, et cette chose me concerne. M’en avertir serait la moindre des choses.

- Certes, mais…je ne peux pas le dire maintenant. Il est encore trop tôt. Dans trois ans, alors tu sauras. Il sera temps. Mais pas maintenant. A présent, si j’étais toi, j’irai prendre mes dispositions pour changer de bureau. Ta prise de fonction officielle se fera la semaine prochaine, auprès du Conseil de la ville, et il faut que tu sois prêt. J’ignore si je pourrais me déplacer, mais sois assuré que ta mère viendra.


J’ai compris. L’entretien est terminé…et ma curiosité n’est toujours pas satisfaite. Saleté d’affaires d’Etat. Il ne peut y avoir que cela, comme raison. L’échéance des trois ans n’est qu’un prétexte, je le sais bien.

C’est bon, Papy, pas la peine de me jeter à la porte, je vais te laisser en tête à tête avec ton dossier.

Je prends congé, peu satisfait, mais avec une nouvelle idée en tête. Grand-père s’en est mal sorti, cette fois-ci. Dans trois ans, je le lui rappellerai…
Ariane by Khana
Author's Notes:
JE SUIS DE RETOUR! lalalalalère!

hum, oui, pardon. je suis donc là, et avec un nouveau chapitre. le début du suivant est bien entendu sur gadgetauchapeau.skyrock.com.

merciiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii de me lire!
Voyons voyons… Que se passe-t-il dans la tête d’Ariane ?


Pensez ce que vous voulez, mais les cours, ici, sont loin d’être intéressants. Certes, mon école est importante, les voyants détiennent parfois la clé de la survie du pays, tout renseignement est primordial, blablabla, et blablabla.

Il n’empêche qu’on s’ennuie. J’ai certes des cours sur les sortilèges basiques, comme dans toutes les écoles. A ceux-ci se rajoute l’enseignement des runes, qui est paraît-il essentiel pour l’interprétation des visions. Je me permets d’en douter. Personnellement, ce que je vois le plus souvent, ce sont des images. Seules les visions les plus importantes contiennent des runes, et ce n’est pas à moi que ça va arriver.

Ne partez pas, ce n’est pas fini. Il demeure encore les travaux pratiques, selon les différentes méthodes. C’est…endormant. Franchement, je me demande ce que je fais là-dedans. Peut-être que mes pouvoirs s’accordent avec cette fonction, mais pas mes goûts…

Je l’ai dit à un de mes professeurs, l’année dernière. Il m’a répondu que la magie ne pouvait se tromper, et que si ça se trouvait, j’allais recevoir des prédictions de la plus haute importance pour l’avenir de l’Hendiadyn.

Mais honnêtement…que je sois changée en tarte à la praline si telle est ma destinée.

Quoi, vous avez un problème avec les tartes à la praline ? C’est très bon, et Maman est une cuisinière extraordinaire. Si seulement ça ne faisait pas autant grossir, j’en mangerais tous les jours. En plus, ça donne des caries, et je déteste les médecins. Allez savoir pourquoi.

Hum, oui, pardon. Je disais que ma vie est loin d’être passionnante, et que je ne crois pas être destinée à un avenir hors du commun.

Ne me sortez pas le petit couplet habituel « tu as de la chance, tu es la petite-fille de Sir Elis, d’autres ont été moins favorisés… » Ça suffit de tout cela. Je m’en moque totalement.

Grand-père ? Peuh, un courant d’air ! Il se moque totalement de ce que je peux faire. Ses seuls intérêts son ses dossiers, ses dossiers, et encore ses dossiers. La légende dit qu’il aime beaucoup Maman, qu’il adorait Grand-mère et mon oncle Damian, mais c’est du pipeau. Il ment comme un chef, mais moi, je ne m’y trompe pas.

S’il les aimait tellement, jamais il ne se serait disputé avec mon oncle. Celui-ci ne serait jamais parti chez les humains, vivre hors de sa race. Grand-mère ne serait pas morte de chagrin, et surtout…il n’y aurait pas Sarah.

Sarah…Pff, Sarah, Sarah, toujours Sarah ! Franchement, au bout d’une semaine, j’avais déjà eu ma dose. C’est quoi, cette fille neurasthénique au possible ? D’accord, elle venait de perdre son père, mais ce n’est pas une raison ! Moi aussi j’ai perdu le mien, et je n’en fais pas un drame.

En plus, elle se prend pour le centre du monde. Vous pensez ! Une rareté ! Une magicienne avec un parent humain ! Elle ne devrait pas en être si fière, ce n’est vraiment pas une gloire. Si les enfants hybrides sont le plus souvent humains, ce n’est pas pour rien.

Mais elle a eu des pouvoirs quand même. Tout le monde s’en extasie, sans voir ce que c’est vraiment : une erreur de la nature. Sinon, elle serait bien à sa taille, assise derrière sa machine chérie à faire des calculs idiots, et j’aurais la paix.

Si seulement elle était discrète ! Mais non, il faut que mademoiselle fasse son intéressante. Tout ça parce que là où elle aurait dû rester, elle avait trente ans. Trente ans ! Une vieille dame, pour les humains !

Elle croit que ça lui donne de la maturité. Mais qu’elle ouvre les yeux ! Elle ne connaît rien à mon monde, elle a tout à apprendre ! Qu’elle se taise, alors ! Qu’elle arrête de tout jauger d’un œil critique. Je devine sans peine ce qu’elle pense : elle compare. « Là-bas, c’était mieux » ; « là-bas, on peut choisir son métier » ; « là-bas, on fonctionne comme ça »

Mais on n’est pas là-bas ! Si ça lui plaît tellement, elle n’avait qu’à y rester, voilà. Je me serais bien passée de l’avoir dans les pattes. Ici on a des pouvoirs, et la magie n’est pas la même pour tous. Un jardinier ne peut faire le travail d’un brigadier, et vice-versa.

Elle était à peine arrivée qu’immédiatement, elle est devenue le centre du monde. Elle ressemble tellement à mon oncle ! Elle est le portrait craché de Grand-mère ! Et alors ?

Tout le monde a perdu la tête. Maman la considère maintenant comme sa fille. Quelle décadence ! Marvolo s’est mis en tête de lui donner tous les renseignements possibles et imaginables sur l’Hendiadyn. Super, lorsqu’elle repartira tout rapporter à son ONU, il sera bien attrapé. Qu’est ce que vous croyez ? Je me suis renseignée. Les humains sont les rois de l’espionnage. C’est ce qui est dit dans les livres, et je fais plus confiance à plusieurs ouvrages qu’à une gamine insupportable.

Et Grand-père…c’est le bouquet ! Lui qui s’est à peine déplacé pour mes quinze ans, voilà qu’il vient au moins une fois par semaine pour la voir ! Vraiment, je ne comprends pas. Il devrait la détester, après tout, elle est à l’image de mon oncle.

En plus, elle a un caractère de cochon.

Pff, je perds mon temps. Penser à cette pimbêche ne pourra rien m’apporter de bon. Il vaut mieux que je travaille.

Voyons cette boule de cristal…il y a dedans…des volutes de fumée. Super. Voilà qui m’avance. Tout ce que j’ai vu, pour l’instant, c’est qu’il fera de l’orage cette nuit. Heureusement que mon professeur n’est pas dans les parages, il me sortirait encore sa phrase culte « ouvrez votre esprit et laissez les mystères de l’avenir vous toucher ».

Mystères de l’avenir…sur ce point-là, au moins, on est d’accord.

Laissez-moi vous expliquer : une prédiction n’est pas absolue. Ou si peu.

Certaines représentent un avenir qui, à coup sûr, n’arrivera pas. Ça peut paraître inutile à première vue, mais est en fait de la première nécessité. En abandonnant les espoirs de voir pareil avenir se réaliser, on ouvre la voie à d’autres options.

D’autres sont les visions conditionnelles. Elles peuvent se réaliser, si et seulement si les conditions sont remplies pour cela. Ainsi, certaines décrivent un avenir, le plus souvent déprimant, qui est celui qui se réalisera si personne ne réagit…ou s’y au contraire on tente d’y parer.

Pour terminer demeure la vision la plus rare et la plus étrange…je n’en ai jamais eu, et j’espère bien que ça ne m’arrivera jamais. Il peut arriver que quelqu’un ressente un désir si fort, que quel qu’en soit le sujet, un voyant en ait une prédiction. Mais il faut vraiment que la personne d’origine soit tenace. Ce n’est arrivé, je crois, qu’une seule fois dans l’Histoire de l’Hendiadyn. Un voyant avait prévu son invasion par le roi de Blakar…il a averti le Conseil, mais personne ne l’a écouté. Je crois que vous devinez la suite.

Parfois, encore, l’avenir vu est celui qui arrivera quoi qu’il se passe. Mais ce ne sont généralement que des visions de routine, comme pour mon orage.

Le problème, avec tout cela, c’est que personne n’est en mesure de prévoir, du premier coup, à quelle catégorie appartient la vision. Est-elle conditionnelle ? Est-elle négative ? Est-elle impérative ? Est-ce de la lecture d’esprit ? Généralement, on se situe au contexte pour deviner. Mais parfois, ça ne suffit pas. Il faut alors faire un impressionnant travail de recherche parmi les visions déjà effectuées par les autres voyants, parfois jusqu’au début des archives. Et elles sont énormes, vous pouvez en croire mon expérience.

Mais si nous ne trouvons rien…Nous sommes réduits à attendre passivement une autre vision qui, peut-être, pourra nous renseigner.

Zut, voilà le professeur qui s’approche. Concentrons-nous…

Je n’avais jamais remarqué que la fumée ressemble à celle qui sort des cigarettes de Sarah… Beurk. Quelle saleté. Encore un point en sa défaveur.

Heu, oui, j’avais dit concentration. En apparence, du moins.

Humph…

Ouch. C’est quoi ce truc ? Intéressant. Voyons voir…

Un X, non, un crochet… une croix, peut-être. Quoiqu’il y ait quelque chose qui ressemble à un rond…

Ah. Une rune. Super. Une rune ancienne, apparemment, elle est simple. A moins que… oulà, c’est de mauvaise augure, ça. Je ne suis pas analyste runique, mais je connais ce que je vois. Sauf erreur de ma part, c’est une rune ancienne modifiée.

Evidement, il fallait que ça tombe sur moi. Ce sujet n’est pas encore à l’étude, je sais juste qu’il concerne les titres anciens. Magnifique. L’Hendiadyn regorge de nobles ou approchant dont les origines remontent au déluge. A commencer par les membres du Conseil Général. Leur accession au siège leur donne automatiquement un titre nobiliaire, non transmissible, je crois. Et puis il y a le roi. Sans compter les directeurs des Conseils provinciaux. Je crois même que quelques magiciens ont encore un titre de ce genre qu’ils ont hérité de leurs ancêtres. Ne me demandez pas comment ça s’est fait, je l’ignore.

Pour vous faire une idée, un bon quart de l’Hendiadyn est concerné.

Bon, ma malchance continue. Qu’est-ce donc encore ? Peut-être que ça va me renseigner.

Pff, c’est flou. Cent fois trop flou. Je ne vois pratiquement rien. Hum…vision hypothétique, peut-être ? Ou un avenir sûr très lointain…à moins qu’il ne soit non daté. Génial.

Alors, qu’est ce que je vois… Punaise, je dois avoir l’air maline à coller le nez à ma boule de cristal. Je dois ressembler à une taupe myope. Tant pis. Ce n’est pas de ma faute, mais plutôt celle du…de l’hologramme.

Hum…un personnage. Femme ou homme ? Je n’en sais rien, ses cheveux sont cachés par un drôle de chapeau cylindrique. Bizarre. Qui peut se promener avec un truc pareil ? C’est rond, jaune, avec deux petites queues derrières. Pas très joli, si vous voulez mon avis.

Cheveux blonds, visage invisible…robe blanche. Joli. Mais je suis incapable de dire s’il s’agit d’une robe de sorcier unisexe ou bien d’une robe longue, comme celles que Maman porte parfois lorsqu’elle est invitée à un gala du gratin.

Crotte. C’est fini.

J’hésite. Je le dis ou pas ? D’un côté, ça peut être important, mais de l’autre…c’est tellement flou que je ne vois guère ce qu’on pourrait en faire. Personne ne serait intéressé par pareil fouillis.

J’ai encore des choses à apprendre.

Enfin, ce n’est pas une raison pour que j’arrête de suivre l’affaire. Ma vision est recopiée, et j’espère bien avoir une suite un jour. On verra… pour une fois qu’il m’arrive quelque chose d’intéressant…
Examen by Khana
Magnifique. Vraiment Magnifique. Insvrack, haut lieu du sadisme professoral.

Que les cours soient durs, je comprends. Que personne ne nous fasse de cadeau, je comprends. Qu’on nous oblige à dormir sous des tentes froides, je comprends.

Mais là…c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Merci, Papa, vraiment ! Merci du cadeau ! Sauf ton respect, j’aurais pu m’en passer. Un petit poste dans une brigade m’aurait amplement suffit. Même la médecine, ma couverture, aurait été parfaite ! Mais pourquoi m’infliger ça ? Tu aurais pu te le garder, ton pouvoir !

Vous ne connaissez pas encore la nouvelle lubie des enseignants. Enfin, elle n’est pas vraiment nouvelle, puisqu’il paraît que c’est une tradition chez eux. Merci Cassandre de m’avoir renseignée, avant de souligner si gentiment que je suis un cancre.

Une semaine seule dans la nature ! Agréable perspective, n’est-il pas ? Cela fait deux mois que je suis ici. Bientôt, tous les élèves seront renvoyés chez eux pour les vacances de la fête nationale. Nous ne savons encore presque rien.

Mais pourtant…un examen ! Survivre dans la forêt, ils appellent cela un examen ! En plus, ce n’est pas comme si les bois étaient exempts de tout danger. Il y traîne d’étranges créatures, certaines avides de chair fraîche. Je connais, en théorie, quelques sorts pour m’en prémunir.

En théorie. Car comme dans tous les bons romans…il y a un mais. Sauf que ce n’est pas un roman. C’est ma vie qui est en jeu ! C’est moi qui risque ma peau !

Sont-ils vraiment tous inconscients, ici ? J’ai beau avoir deux pouvoirs au lieu d’un, je n’en demeure pas moins un cancre. J’ignore si cela est dû ou pas à mon origine humaine, mais il n’empêche que je suis la reine des quiches.

Au bout de deux mois, normalement, les élèves doivent être en mesure de lancer les premiers sorts de protection personnelle mineure. Eloigner les bestioles, se protéger du froid, trouver de la nourriture, et autres choses du même acabit.

Sans oublier le vol, évidement. C’est la première compétence enseignée aux élèves. Celle qui nous servira toute notre vie. Le moyen de déplacement le plus sûr. Plus rapide que la marche. Peu fatiguant.

Vraiment, voler, c’est le rêve…quand on y arrive. Je suis la seule de ma promotion à ne pas encore y parvenir. Cassandre ne me ménage pas ses quolibets à ce sujet. Sa théorie s’en retrouve confirmée : je suis à moitié humaine, donc inférieure. Lise ne peut même pas me défendre, car les arguments de cette pimbêche sont malheureusement parfaitement vérifiés.

Magnifique. En attendant, je suis dans les ennuis jusqu’au cou. Si je ne parviens pas à voler d’ici mon retour, je suis bonne pour rester là-bas pendant les vacances. Deux semaines toute seule…j’aimerai autant que ça ne m’arrive pas.

Le pire, c’est que je sens la magie. Elle bouillonne, assez fortement, même, appelle à sortir, mais je n’ai toujours pas réussi à ouvrir les vannes. Malgré ma baguette, malgré tous mes efforts, je la sens demeurer encore et toujours nichée au creux de ma poitrine.

Ma plus grande réussite a été, jusqu’ici, un sort anti-cafard. Le pire, c’est que j’ai été punie pour l’avoir lancé. Ce n’est pourtant pas de ma faute si c’est la seule formule qui m’est revenue lorsque Cassandre s’est encore attaquée à moi.

Et dire que le jeu n’en valait même pas la chandelle. Les effets ont été pratiquement nuls. Il est vrai que Cassandre est loin de faire la même taille qu’un cafard. Qu’importe, j’ai été punie tout de même. « Si les duellistes ne sont pas unis, la brèche est ouverte pour le mal », disent mes professeurs. Mais comment peuvent-ils parler d’union avec pareille peste ? Elle ne fait aucun effort. D’accord, moi non plus, mais c’est bien pour lui rendre la pareille.

Nous avons été punies en même temps. Heureusement que elle aussi a reçu une retenue, sinon je ne me serais pas privée de hurler à l’injustice. Mais j’aurais autant apprécié qu’elle ne soit pas comme moi astreinte au rangement de la bibliothèque.

C’est à ce moment là que j’ai commencé à considérer les livres comme d’excellentes armes offensives.

Mais voyons le bon côté des choses. C’est cela, il faut positiver. En rangeant les bouquins, j’ai remarqué une version complète de la Légende des Magistraux. Vous savez, ce livre que j’ai consulté le jour de mon affectation. Cette version-là est écrite en runes, et j’ai eu du mal à déchiffrer le titre. Mais enfin, elle est là. C’est toujours bon à savoir.

Désolée, je vous ai infligé mes ruminations perpétuelles. Mais je m’ennuie. Cinq jours que je suis dans cette forêt. Cinq !

Heureusement qu’il n’est pas prévu au programme que je reste plus longtemps, sinon j’aurais de bonnes raisons de craindre pour ma santé.

Certes, je suis en mesure de trouver de quoi me nourrir. Les sortilèges de détection alimentaire sont si basiques que même moi je parviens à les manier. Mais enfin, ces compétences ne vont tout de même pas bien loin.

J’emploie l’essentiel de mes journées à m’entraîner, lorsque je ne voyage pas.

Quoi ? Il fallait bien que ce séjour forestier ait un but. Je vous l’accorde, celui-ci n’est peut-être pas des plus captivants, mais un apprenti duelliste d’un trimestre ne peut pas faire le poids face à un magicien accompli, quelle que soit sa fonction. Moi à plus forte raison.

Les professeurs ont donc inventé un parcours. Les apprentis disposent de cinq jours pour traverser la forêt, selon un axe si compliqué que je préfère ne pas vous l’exposer. C’est un trajet parfaitement anodin pour quiconque sait voler, mais je suis bien évidement hors du commun, et cela pas dans le bon sens vous pouvez me croire.

En plus, je maîtrise à peine le sortilège de boussole. Trois fois sur quatre, le Nord devient l’Est. Je suis obligée de me repérer aux étoiles, et mine de rien, ce n’est pas facile.

Le ciel est assez couvert. Certes, c’est la saison qui le veut, mais ça n’arrange pas mes affaires. Je ne vois rien la nuit, et à plus forte raison pendant la journée. Splendide. Avec cela, je ne serais guère étonnée si dans deux jours je me trouve à l’opposé de mon point d’arrivée.

Ira-t-on me rechercher ? Je l’ignore. Je sais que les professeurs surveillent les progrès des élèves au moyen de visualisations. Mais savoir s’ils s’inquiètent de leur sort, c’est une autre histoire. Nous avons les cartes en main pour survivre, après tout. A nous de nous débrouiller.

Peut-être qu’ils feront une exception pour Grand-père… quoique. Quoique. J’ai de quoi me poser la question.

C’est vrai, quoi, jamais la description de Marvolo ne s’est trouvée plus vérifiée qu’en ce trimestre. Pas une nouvelle. Rien. Nada. J’écris rarement à ma tante, ce que je vis n’est pas pour ses oreilles. J’ai essayé de correspondre avec Grand-père, mais j’aurais été chanceuse s’il m’avait envoyé ne serais-ce qu’un billet de quelques lignes.

C’est quoi cet ancêtre de pacotille ? Un jour il me dit qu’il aimait mon père, un autre il se montre aussi froid et distant que si j’étais une tache de boue sur ses chaussures. Duelliste est pourtant loin d’être un métier déshonorant.

Il doit m’en vouloir. Je l’ai bien senti lors de ma comparution au Conseil, Grand-père n’apprécie pas mon affectation. Il aurait voulu que je suive ses traces, peut-être. A moins – ce qui serait tout aussi plausible – qu’il ne craigne que les duellistes ne se retournent contre les autorités politiques.

C’est en effet le risque. J’ai longtemps réfléchi au pourquoi du comment de cette caste, et il m’est apparu que pour peu que leur chef soit épris de pouvoir, les duellistes seraient parfaitement en mesure de mettre l’Hendiadyn à feu et à sang. Certes, il demeure l’incarnation du Royaume en la personne du roi, mais quel danger peut bien représenter un magicien non formé ?

Je suis prête à parier mes cigarettes que Sir Elis s’est fait la même réflexion. Il se montre distant avec moi, de crainte que je ne l’espionne pour le compte d’une obscure tractation, probablement. Seigneur, s’il savait ! Personne dans ce métier ne me prête plus d’attention qu’on en donnerait à une chaise. Certes, je suis une Elis, mais je demeure avant tout l’apprentie la moins douée que l’Hendiadyn ait jamais porté.

Saleté de préjugés. Certes, ma condition à demi humaine peut rendre ma maîtrise de la magie plus difficile, mais personne dans le clan des anti-humains ne se donne la peine de voir au-delà des apparences. Personne ne voit que si la pratique me fait défaut, je suis une championne en théorie. Je suis la meilleure de ma classe de runes, et je peux me repérer par les étoiles sans me tromper.

Ha. Les étoiles. Justement. Nous y revoilà. Il faut que je me bouge un peu. Cela fait bien cinq minutes que j’entends des grondements sourds, et je ne suis pas sûre qu’ils me plaisent.

Bon, allez, fini la dépression. Refaisons un petit essai. Qui ne tente rien n’a rien. Tel était le dicton favori de Maman lorsqu’elle me forçait à consulter cinq médecins à la suite afin de guérir ce qui était alors ma maladie.

Maman…non, il ne faut pas que j’y songe. Pas maintenant. Dans deux jours, je pourrais pleurer. Mais l’heure n’est pas à cela.

Je ferme les yeux et essaie de me détendre. Je parviens sans aucun mal à saisir le feu qui me brûle le cœur. L’extirper est moins facile. Il résiste, le bougre ! Alors écoute-moi bien, mon coco, si tu ne te bouges pas, si tu ne m’obéis pas, il est fort probable que je meurs. Je sais, tu n’en as rien à faire de moi, mais si je disparais toi aussi. Alors tu vas me faire le plaisir de m’obéir une bonne fois pour toute, ou sinon nous allons y laisser tous les deux notre peau.

Magnifique. Je crois avoir un grain. Qui d’autre se parlerait à soi-même ? Heureusement que je n’ai pas parlé à vois haute, sinon je serais bonne pour l’hôpital. Malgré ma couverture de médecin, je pourrais vous assurer que je n’aurais pas la place derrière le billard.


- Brùjula este, je murmure sans grande conviction.


Je n’ai jamais cru au miracle. S’ils existaient, il y aurait longtemps que Cassandre aurait disparu de la surface du globe. Pourtant, ici, force est pour moi de revoir mes certitudes.

Alors que je n’ai jamais réussi qu’à produire un maigre petit jet anti-cafards, ou bien à détecter de maigres racines, je sens le feu qui parcourt les entrailles. Il me brûle, certes, mais pas autant qu’au jour où j’ai saisi cette baguette pour la première fois.

La magie se soumet. Aussi bizarre que cela puisse être, je la crois douée d’une volonté propre. Jusqu’alors, elle s’était contentée de me considérer comme une résidence de passage, plus que comme une détentrice. Ma part humaine ne faisait rien pour l’encourager à m’obéir, et le don que j’ai reçu de mon père ne voyait en moi qu’une voleuse, une usurpatrice, et appuyait de tout son poids pour m’empêcher de la contrôler.

Mais je crois l’avoir rappelée à la dure réalité. Elle avait besoin d’être matée, comme une adolescente. Nos deux sorts sont liés, qu’elle le veuille ou non. Me laisser dans l’abandon, c’est courir à sa propre perte.

La magie a beau rivaliser d’entêtement avec moi, elle n’en est pas moins raisonnable. Le suicide ne me paraît pas être à son goût. Ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Si je doute qu’elle ne tentera pas encore de me mettre des bâtons dans les roues – et puis, qui sait, mon origine humaine peut si ça se trouve réellement être à l’origine d’une aussi mauvaise maîtrise – au moins suis-je assurée de ne pas mourir à cause de sa trop mauvaise volonté.

Tout mon être se tourne sans que je ne le lui ait demandé dans une direction encore non explorée. Bon, au moins une bonne chose de faite. Les instructions professorales ont été claires : pour me retrouver, je dois toujours aller à l’est. Je crois que j’ai sacrément dévié de ma route. Je ne serais guère étonnée si je ne récoltais qu’une piètre note.

Il n’empêche, j’espère que ces dignes professeurs ont vu ça. Ce serait dommage qu’ils aient manqué pareille scène. Pour une fois que je fais honneur à mon nom, j’espère que leur avis à mon égard en a été changé. Je suis capable de maîtriser la magie, et il serait temps que ces immondes crétins comprennent que je ne suis pas une Elis pour rien.

Si quelque chose est en mesure de me résister, alors je ne l’ai pas encore rencontrée.


Les grondements continuent. Nom d’une pipe, ça en devient inquiétant. Quel genre de bête peut me considérer comme un déjeuner potentiel ? Quoique pas si potentiel, je le crains.

Hey ! Je n’ai pas envie de me retrouver dans le ventre de je ne sais trop quelle créature ! Je suis jeune, j’ai encore de quoi vivre ! Ma magie vient juste de m’obéir, et il faudrait que je périsse dans le ventre de je ne sais quelle boule de poils ? Ile ne faut pas rêver ! Désolée, ma chère Cassandre, mais je ne crois pas que ma fin soit aussi proche.

Honnêtement, malgré toute ma curiosité, je n’ai pas la moindre envie de savoir quelle bestiole veut me déguster en guise de dessert. Ce n’est peut-être pas très courageux – je suis caractérielle, têtue, mais pas héroïque – mais j’estime que c’est le moment ou jamais de prendre la fuite.

Si seulement je savais voler… Mais bon, malgré mon petit coup d’il y a vingt secondes, je ne crois pas que l’heure soit à cela. La priorité, pour l’instant, est que je me sauve la peau.

Je commence à courir en direction de l’est. Tout compte fait, je comprends pourquoi un de nos professeurs prenait un malin plaisir à regarder – assis – le footing du matin. Six tours de terrain. Croyez-moi, c’est épuisant. Personne n’en a jusque là vu l’utilité, surtout que pour tous, le vol remplace facilement la course.

Maintenant, je n’irai pas jusqu’à sanctifier le sadique intersidéral qui nous sert de professeur de sport, mais je comprends ses raisons. Le footing m’a rendu plus endurante, bien que je ne sois guère une flèche.

Hum…endurante, endurante…la bestiole l’est aussi, apparemment. En plus, elle est rapide, et sans doute docteur ès chasse à l’Homme.

Elle va me croquer…si je n’accélère pas, elle va me croquer…

Coup d’œil derrière moi.

Je ne connais pas cette créature, et je dois avouer que c’est bien mon dernier souci en cet instant. Ce que je voudrais, moi, c’est lui faire comprendre une bonne fois pour toute que JE NE SUIS PAS UN DEJEUNER !

Oui, bon, manifestement cette bestiole est insensible à la détresse humaine.

Dommage.

Tiens, une rivière…je me demande, est-ce qu’elle craint l’eau ? Peut-être que oui, peut-être que non. De plus, rien ne me dit qu’il ne se trouve pas dans cette eau un péril bien plus grand que le…truc qui me poursuit.

Un crocodile, peut-être ?

Hum…si l’eau est froide, je suis bonne pour un rhume.

Au moins, il n’y aura pas de crocodiles.

Des piranhas, alors.

Non, c’est aussi frileux qu’un croco.

Bon, fin des palabres. Il faut que je me décide. La rivière est trop large pour être traversée par un saut, je ne sais pas voler, et le monstre claque de plus en plus souvent des mâchoires.

Vous croyez que si je lui parle de Sir Elis, il renoncera ?

Question idiote, ce n’est qu’une boule de poils sans cervelle.

Attention…un, deux, tro…

OUILLE ! Nom d’un crétin des Alpes-tchouk tchouk nougat-marchand de tapis-boit sans soif-volatile mal plumé !

AÏE ! Je crois que je suis dans une très mauvaise situation.

Pour information, si vous n’avez pas compris, je n’ai pas réussi à plonger. La bestiole m’a fortement mordu la cheville, et s’applique à présent à me traîner loin de cette rivière qui a failli lui ravir son déjeuner.

Saleté de futur gibier. Bien entendu, je ne connais aucun sortilège capable de l’en éloigner, et quand bien même je connaîtrais la formule, rien ne me dit que la magie condescendrait à m’obéir.

Quelle capricieuse.

Si seulement j’avais un moyen de me défendre ! Mais rien, vraiment rien. Toute branche est hors de ma portée. De surcroît, la bestiole me tire si vite, elle me tient si fort, que je n’ai guère d’espoir de pouvoir m’échapper.

Vous qui me lisez, sachez que mes fleurs préférées sont les lys, et que je voudrais en avoir chaque semaine un bouquet sur ma tombe. Je veux être enterrée aux côtés de mon père, auprès de la seule personne qui m’ait un peu comprise.

Ouch…ça fait mal. Contrairement à toute attente, la magie bouillonne en moi. Mon esprit refuse de réagir à pareille torture, alors elle prend sa place.

Cela compris, le pourquoi du comment m’échappe totalement. Je suis dans la totale incapacité de dire par quel miracle cette branche a atterri dans ma main, ni d’où me vient cette hargne avec laquelle je fracasse la tête de cette pauvre bestiole.

Oh, je ne la tue pas. Je n’aime pas tuer les animaux. Celui-ci, après tout, ne suivait que son instinct, même s’il m’était fort désagréable.

Il n’empêche que la boule de poils est fortement sonnée. Elle a l’ai si hagard que je me demande si je ne lui ai pas enlevé deux ou trois paquets de neurones.

Tant pis. Elle l’a voulu. Quand on cherche Sarah Elis, on la trouve. Ce n’est pas parce que ma magie est plus têtue que tous les ânes du monde que je demeure sans défense.

Il n’empêche, toute médaille à son revers. La magie m’a bien défendue, certes, mais j’ai maintenant un mal de tête tel qu’il me semble qu’une armée de tambours joue avec entrain dans mon crâne. Mais qu’ils aillent faire leur concert ailleurs ! Ce n’est pas moi qui vais les applaudir.

C’est donc avec peine que je dégage ma cheville ensanglantée et me relève. Magnifique. Dire que je suis censée faire des études de médecine. Malheureusement, le travail sur la couverture n’est pas censé être approfondi avant un mois pour le moins. Je ne connais que quelques sortilèges mineurs, comme la guérison d’égratignures.

Bien loin de mon cas, donc. Si la bête n’a pas touché l’os, elle n’en a pas moins fortement entaillé mes muscles.

Le léger essai que je fais pour m’appuyer sur mon pied n’est que peu concluant. La douleur qui me prend est telle que je manque d’en hurler, et retombe sur le sol.

Magnifique. Vraiment…super. Merveilleux. Extraordinaire. Je ne peux plus marcher, et le vol n’est pas à placer sur la liste de mes capacités. Je sens un zéro qui se pointe…

La douleur de ma tête ne s’est pas calmée, loin de là. Enfin, vu sous un certain angle, si. Ce n’est plus ma tête qui me maltraite, mais mes tempes. Le derrière de mes oreilles, en vérité. Là – j’ignore pour quelle raison – me prend une incroyable brûlure. Pour peu, je croirais que ma chair se consume. Je ne sais quel est ce phénomène, mais le mal se vrille dans mon crâne et atteint mon cerveau avec plus de force qu’une perceuse. Super Mario fait du bricolage, on dirait.

Mais que vient-il faire ici ? Vous pouvez m’expliquer ? Pourquoi je parle de ce nain en salopette ? Lui et moi n’avons jamais été intimes, pourtant. Ça ne paraît pas le repousser, et il s’invite dans mon crâne sans que je ne l’ai mandé.

Je crois que je divague un peu…

Instinctivement – comme si ça pouvait diminuer la douleur – je porte la main à mes oreilles. Sous mes doigts se révèle deux légères boursouflures – en symétrie parfaite – qui ne manque pas de m’alarmer. On dirait un de ces affreux films de science-fiction, où les méchants soumettent les gentils en leur implantant je-ne-sais-quoi dans la cervelle.

Si quiconque connaît un film de ce genre, j’en suis navrée. La SF n’a jamais été mon truc, je m’en moque sans jamais avoir vu ne serais-ce qu’une seconde de ces navets.

Il n’empêche, j’ai bien l’impression que je viens d’atterrir dans un autre monde.

Hahaha. Reprend-toi, Sarah, voilà que tu fais de l’humour sans t’en rendre compte. Tu es dans un autre monde. Cachotterie-land, tu te souviens ? Là où chaque information doit être dûment gagnée. Le pays des fous, les dingues de pouvoir, les rois du silence. Et tu es un des leurs.

Bon, ces marques sont bien intéressantes, mais j’espère n’offenser aucun grand médecin quel qu’il soit en cessant de leur prêter l’attention particulière qu’elles méritent. La bestiole s’est réveillée, hélas. Si elle ne comprend pas encore où elle est, ça ne va pas tarder.

Et je ne peux pas marcher.

Je crois qu’il ne me reste qu’une seule solution…

Magie, si tu m’abandonnes, je t’enferme dans un scarabée.

Tiens, mais d’ailleurs, c’est à ça que ressemble la bestiole…un énorme scarabée avec des dents pointues comme des crocs de fauve…

Un rêve d’amateur d’insectes.

Quoique…il bave de partout, ce n’est pas très ragoûtant. Peut-être que la cause en est seulement le fait qu’il est assommé, mais ce n’est pas pour autant que je vais vouloir lancer une nouvelle mode avec cet immonde chose que la bestiole me met dessus.

Oui, bon, je sais, je dois partir. La créature se réveille de plus en plus, et je suis sûre que son petit séjour au pays des rêves lui a ouvert l’appétit. Malheureusement pour moi, je suis le seul morceau de viande – ou en tout cas le plus savoureux – à des kilomètres à la ronde.

C’est le moment ou jamais de réussir ce que j’ai toujours échoué à faire. Sinon, je meurs.


- Vuelo.


Tel est le mot qui sort de ma gorge tandis que j’appelle une nouvelle fois ma magie. J’ai un petit espoir de réussir, mais bien léger cependant. Le sortilège de boussole paraît être du petit-lait en comparaison du vol.

Pourtant – à croire qu’aujourd’hui est la journée de tous les miracles – je sens mon corps s’élever, doucement mais sûrement, comme s’il devenait plus léger qu’une plume.

Non, je ne serais tout de même pas en train de…réussir ? Je peux voler maintenant ? Je rattrape mon retard ? Pff, ma magie est une vraie trouillarde. S’il suffit de la menacer, alors j’ai trouvé le truc.

Je n’irai pas jusqu’à dire fastoche – après tout, cette magie me paraît être des plus récalcitrantes – mais ce serait légitime.

Bon, ce n’est pas tout, mais il faut que je rentre. Note ou pas, timing ou pas, ma cheville est en sang, et je ne voudrais pas avoir échappé d’aussi peu à la mort pour périr ensuite d’une obscure infection à cause de la bave de la créature. Non, je pars pour Insvrack.

Il n’empêche…je suis un génie. Je vole. J’ai lancé un sort. Cassandre n’a qu’à bien se tenir !
POV Sir Elis by Khana
Author's Notes:
merci pour les coms! petite dédicace spéciale à Boursouflette...
- Les apprentis d’Insvrack viennent de quitter l’école, Sir, me dit mon secrétaire. Ils arriveront ce soir.


Je ne prends pas la peine de répondre et esquisse à peine un geste pour le remercier. Si je me tiens informé de la progression des apprentis duellistes, je préfère autant que personne ne sache pourquoi. Mieux vaut qu’ils supposent que mes raisons ne sont que purement politiques.


- D’importantes nouvelles ? je demande seulement. Les apprentis ont-ils le niveau requis à leur stade ?

- Globalement, Sir, si ce n’est que…


Je me disais aussi…rien ne peut fonctionner correctement en ce bas-monde, il faut toujours qu’il y ait un problème.

Comme si ceux du royaume ne me suffisaient pas.


- Quoi donc ? Un incident entre deux élèves ? Ce n’est pas de mon ressort.

- Il m’a été signalé que l’apprenti portant le numéro deux a été blessé lors de son examen, et qu’il ne peut plus marcher.

- En quoi cela me concerne-t-il ?


Pff…Apparences, apparences, tout n’est qu’apparences… Je comprends fort bien, pourtant, que Judith ait jugé utile de m’informer de la chose. Elle est la seule à connaître mon intérêt, et j’espère bien qu’elle le demeurera toujours. Comme si je n’avais pas assez d’ennuis, il serait bien beau qu’on m’accuse de favoritisme !


- Je l’ignore, Sir, mais le message disait également que ce même apprenti a connu quelques difficultés dans la maîtrise magique. Madame Joly suggère seulement que peut-être…il serait possible…de revoir l’affectation de cet apprenti.


Hum…ça m’arrangerait bien, en effet. Dommage que l’Etat aille si mal.


- Vous savez aussi bien que moi, Walter, je murmure sans quitter mon impassibilité de statue, que la situation actuelle nous interdit de faire la moindre concession. Nous avons besoin de nos duellistes. Cet apprenti devra travailler deux fois plus, voilà tout. Avez-vous terminé ?


Pour toute réponse, mon secrétaire – le dénommé Walter si vous n’avez pas compris – se retire, me laissant seul avec mes dossiers.

La logique et le sens du devoir voudraient que je me plonge aussitôt dans les immenses rapports qui me sont arrivés ce matin. Mais personne ne me regarde. Mon bureau est l’endroit le plus sûr au monde. Judith, la chef des duellistes, admise à siéger au Conseil, l’a elle-même enveloppé des meilleurs sortilèges.

Hum…elle est bien gentille de me proposer de mettre Sarah à un poste moins dangereux, mais je ne refais jamais deux fois les mêmes erreurs. Il y a longtemps, déjà, j’ai voulu préserver Damian du danger qui le guettait à chaque instant. Il l’a très mal pris. Sarah me paraît avoir hélas hérité de son sale caractère. Magnifique cadeau.

Dommage, vraiment. En ces temps troublés, plus que jamais j’aurais voulu la mettre en sécurité. Il me suffit de savoir que le mage noir – dont personne n’avait eu de nouvelles depuis des lustres – voit soudainement l’Hendiadyn comme un gigantesque terrain de jeu. Préserver Sarah est une tâche dont je me serais bien passée.

On peut me prendre pour quelqu’un de froid. C’est en effet le cas. J’accorde un soin infini au pays. S’il tient encore debout, c’est grâce à moi. J’ai croisé tant de monde dans ma carrière, tant de criminels, tant d’hypocrites, que je sais mieux que personne que la confiance ne s’accorde pas à la légère.

C’est d’ailleurs pour cela que personne n’a la mienne. Enfin, pas totalement. Judith est bien gentille, très compétente, mais elle n’a jamais eu de famille. Elle ne sait pas quelle souffrance la perte successive de deux êtres chers peut générer.

Marthe ? Je l’aime beaucoup, elle est désormais mon seul enfant. Cependant, malgré son rôle d’architecte militaire – lequel est des plus importants en ce moment – elle est incapable de comprendre les tourments que me donnent les affaires du pays.

Walter…mine de rien, c’est un crétin. Il est excellent pour exécuter les ordres, et totalement nul pour prendre la moindre initiative. En plus, sa langue est plus pendue que celle d’un perroquet, et je suis fatigué de devoir sans cesse poser des sorts de secrets sur la moindre chose.

Le roi ? Un incapable. Il ne sait rien à rien. Un hobereau de vingt-cinq ans ! Il a bénéficié d’une jeunesse des plus dorées, et aux dernières nouvelles il s’est découvert une passion pour le bowling. Dire qu’il ne regarde jamais les textes en signant. Je pourrais faire facilement un coup d’Etat, il ne s’en apercevrait qu’une fois le mal fait.

Mais il incarne, hélas, et à ce titre je suis obligé de composer avec lui.

Il n’y avait qu’Elizabeth qui ait toute ma confiance. Elizabeth…ma femme. Pendant plus de soixante ans, elle m’a accompagné. Elle a porté avec moi mes peines, mes joies, mes douleurs. Ensemble, nous avons traversé les ans. Elle me suivait de son sourire, tempérait mes colères de sa voix douce, me conseillait sans qu’il n’y paraisse.

Elizabeth…la seule que j’ai pu protéger.

C’est curieux, tout de même. Eliza, Damian, Sarah… Tous le même visage. La même chevelure blonde et lourde. Les mêmes yeux bleus.

Tous le même métier. Eliza était une grande magicienne. Sa puissance l’avait faite duelliste. Mais pour moi, pour mon rang, elle y a renoncé. Elle a accepté de cesser de courir le monde, de pister le mal, de débusquer les mages. Elle s’est fixée, et a consacré toute son existence à devenir Lady Elis, la perfection à l’état pur.

Heureusement – je ne remercierais jamais assez le ciel pour cela – ici s’arrête la ressemblance. Eliza était plus douce que les nuages. Personne ne pouvait lui ôter son sourire. Jamais sa voix ne s’élevait.

Damian n’a pas hérité de cela. Depuis son plus jeune âge, il a fait preuve d’un tempérament de feu. Le mien, je crois. Et pauvre de moi…Sarah a le même.

Sarah…ainsi elle s’est blessée. J’espère que c’est sans gravité. Quoiqu’ils puissent penser, rien ne compte plus pour moi que la sécurité de ma famille.

Si seulement elle n’avait pas un aussi mauvais caractère…
End Notes:
le début du chapitre suivant est sur gadgetauchapeau, bien sûr...
Come-back by Khana
Merci mon Dieu, cet affreux examen est terminé ! J’ai bien cru que j’allais y mourir.

Imaginez un peu la tête des profs ! Je suis arrivée avec un jour d’avance, la cheville en sang, à moitié déshydratée, et plus fatiguée qu’un vampire à jeun.

Si mes souvenirs sont bons, je me suis lamentablement écrabouillée sur le sol devant toute ma promotion. Cassandre a rigolé, imitée par ses sbires. Lise a hurlé et a commencé à proférer les pires des insanités.

Je n’en connaissais même pas la moitié. Il faut qu’elle me les apprenne.

Enfin, je n’en étais pas moins satisfaite. Certes, ma note était bien peu digne d’éloges, certes, mon atterrissage demandait révision, mais j’avais volé. C’était mon premier vol, et à la réflexion, je le trouve tout à fait correct. A la réflexion, parce que sur l’instant, j’étais plutôt occupée à rendre tripes et boyaux sur les chaussures de la vénérée duelliste membre du Conseil.

Je crois que je suis fichée… Et alors ? Je n’ai aucune gêne devant ce qui s’est passé. C’était mon premier vol, point à la ligne. Il n’est guère étonnant que mon corps proteste avec véhémence. Tant pis si c’est une huile qui en fait les frais. C’est même plutôt mieux. Il est temps que les grands de ce monde comprennent que leurs pouvoirs ne les rendent pas divins, et qu’ils sont comme les autres soumis aux aléas de la vie quotidienne.

Grand-père dans le tas, bien sûr. Lui plus que tout autre, peut-être, quoique le roi soit pas mal non plus. Je parie que ni l’un ni l’autre ne connaît la tête d’une facture. Et si je leur en envoyais un paquet, rien que pour voir leur tête ? Non, mauvaise idée. Ce monde est si excessif parfois que je pourrais être considérée comme la plus grande des criminelles suite à cela, toute Elis que je puisse être.

Revenons-en au vol. Je sais que ma tante jugerait ma performance à peine acceptable, et Marvolo encore moins. Enfin, lui, c’est un cas à part. Je l’ai déjà vu voler, et la moindre des choses à dire est qu’il ne fait pas cela comme tout le monde.

Quand il est dans les airs, on le croirait dans son élément. Il s’élève, plonge, virevolte, comme s’il avait fait cela toute sa vie. Les nuages ne lui sont pas une barrière, quelle que soit sa hauteur il parvient à exécuter les figures les plus impressionnantes et dangereuses.

Quel frimeur.

En plus, c’est un horrible gamin. Il a tout de même vingt ans, et se comporte face à…zut, comment il s’appelle déjà ? Face à…Erwan, trouvé ! Comme s’il avait encore quinze ans de moins. Remarque, l’autre non plus est pas mal dans le genre.

Je me demande ce qui s’est passé entre eux pour qu’ils se cherchent toujours des noises. L’Hendiadyn est assez grand pour que chacun ait son territoire, non ?

Enfin, passons. Je ne suis tout de même pas responsable de ces deux abrutis.

Heureusement que Lise ne m’entend pas, elle m’en voudrait à mort de ne pas considérer son frère comme un dieu vivant.

Mais je la crois bien loin de ces considérations. Tous les examens sont passés. J’ai eu la plus mauvaise note de pratique, évidement, et Cassandre a bien ri. Un de ces jours, je vais la transformer en chair à pâté, comme cela j’aurais des vacances.

Hum, désolée. Nous avons à présent deux semaines de vacances. Du pur repos. J’en ai bien besoin. La magie m’épuise. Il semble paraître que ma nature à moitié humaine, non contente de retenir la magie autant qu’elle le pouvait, ait également décidé de me rendre aussi endurante qu’un ver de terre. Non pas que je me fatigue facilement, non. Mais je suis dans état d’épuisement continuel.

Peut-être que Cassandre en est un peu la cause. Elle gravite constamment autour de moi, pour des raisons qui me sont jusqu’alors inconnues. Je n’échappe pas à ses habituelles railleries sur mon infériorité, mais si seulement il n’y avait que cela ! Non, le pire, c’est que sa présence me donne une migraine affreuse. C’est à croire qu’elle me jette des sorts en catimini.

Remarquez, venant de sa part, ce ne serait pas très étonnant.

Enfin…j’aurais deux semaines de répit. Lise ne sera pas loin, et Cassandre…au diable. J’espère, du moins. Personne ne sait où habite cette charmante personne, et je ne suis pas pressée de le savoir – une fois n’est pas coutume.

En parlant de migraine – même s’il n’y a presque aucun rapport – j’ai toujours ces marques derrières les oreilles. Bien malin qui trouvera comment elles sont arrivées là. Ce n’est pas de la crasse, j’ai vérifié. Pourtant, on s’y croirait presque.

J’ai observé des petites boursouflures par un savant jeu de miroirs. Elles sont bien anodines. Qu’est-ce donc, mis à part deux petits triangles noirs ? Ils ne me font pas mal, et mes cheveux les cachent sans peine.

Rien dans les livres d’Insvrack ne m’a renseignée dessus, et j’ai bien regardé autour de moi (même si je me suis ainsi une nouvelle fois fait passer pour une dingue). Je suis la seule à en avoir. Aucun de mes professeurs n’arbore de si charmants stigmates. Evidement, aucun n’est aussi tarte que moi. Sur le plan de la pratique magique, en tout cas, parce que pour le reste…

Je ne dirai rien, mes propos pourraient être mal interprétés. Enfin…tout de même… J’ai matière à penser.

Zut, j’ai dit que je me taisais.

Passons à autre chose. Ces vacances tombent pour moi à point nommé. Je ne crois pas vous l’avoir dit – après tout, je ne vais pas vous raconter ma vie par le menu – mais j’ai vu durant mon petit séjour forestier bien plus que l’affreuse boule de poils qui m’a mordue.

Je crois…je crois que c’était le deuxième jour. J’avais suffisamment marché pour être au cœur de la forêt. Je ne savais plus où était Insvrack, j’avais perdu tout repère.

Au hasard de mes pérégrinations, je suis tombée sur une clairière ma foi fort intéressante. C’est peut-être même la seule chose qui ait rendu mon excursion digne d’être faite – ma victoire sur la magie mise à part, cela s’entend.

J’avais déjà remarqué le jour de mon arrivée – le même où j’ai appris que Cassandre pue des pieds – plusieurs petites trouées dans la forêt. Il n’y avait rien d’extraordinaire à cela. Après tout, pareil phénomène n’est pas anodin. Seulement, j’espère que vous m’accorderez qu’il est plus rare que ces clairières…aient été habitées.

Je n’y ai croisé personne. Encore heureux, d’ailleurs, sinon j’aurais pris mes jambes à mon cou dans un total manque de bravoure. Non, ce que j’ai vu, ce sont des ruines.

De petites ruines, à peine de la taille d’un pavillon de banlieue américaine. Je ne sais presque rien de l’architecture, qu’elle soit magique ou humaine. Mon arrivée en Hendiadyn n’est même pas vieille de six mois, et les premiers bâtiments dignes d’observation aux Etats-Unis datent de l’époque coloniale. Mais je me souviens avoir voyagé, une fois…en Angleterre.

Je ne dirais pas que cet événement fut le point central de ma vie d’humaine, mais j’y ai appris suffisamment de choses pour avoir un point de comparaison quant à ces ruines.

Ce que j’ai vu m’a fait penser à un de ces vieux châteaux qu’on peut admirer en haut d’une colline. Bâtis avec d’immenses blocs de pierre, ils traversent les siècles, tandis que nos bâtiments actuels s’effondrent après le premier souffle de vent. Mais je ne suis pas là pour discourir d’un sujet que je maîtrise mal. Lise pourrait tourner en rond pendant deux heures et cependant réussir à faire croire que la chose n’a plus de secrets pour elle, mais je suis loin d’avoir son aisance.

Enfin, pour l’instant, je n’ai pas trouvé un seul sujet qu’elle ne connaisse pas sur le bout des doigts…

Hum, passons. Vous savez déjà que mon amie est un dictionnaire vivant.

Les ruines avaient clairement la forme d’une tour ronde. Sans doutes avait-elle été haute, mais il n’en subsistait qu’un vague étage. L’Hendiadyn vivait déjà à l’époque où les scientifiques mettent la naissance de la Terre, ce ne serait guère étonnant que le seul responsable de la destruction de ce bâtiment soit le temps.

Oui, Lise a tenté de combler mes lacunes.

J’ai passé la nuit dans le rez-de-chaussée de cette tour, à l’abri de toute bestiole malfaisante. Le chauffage laissait à désirer, je grelottais. Bien sûr, les vénérés professeurs n’ont pas saisi l’utilité d’une couverture. Ç’aurait été trop beau.

Comment, je critique encore ? Désolée. Vraiment, ça m’échappe. Il n’empêche, si ça ne tenait qu’à moi, il y aurait longtemps que j’aurais réformé ce haut lieu de torture qu’est Insvrack…alors que je n’y suis entrée qu’il y a trois mois.

Enfin, j’ai donc passé la nuit dans ces ruines. Au petit matin, rien ne s’était écroulé sur ma tête, et j’ai pu admirer – façon de parler – le charme – toujours à prendre au deuxième degré – de l’endroit.

J’aurais dû lever la tête plus tôt. Tel était mon devoir. Mais bon, entre obligation et exécution, il y a tout un monde.

Je crois que dans un autre contexte, cette phrase serait magnifique pour faire de l’humour. Hum, désolée.

Sur le plafond était peint un signe presque cabalistique. Tout simple, d’un noir reluisant malgré les ans, et sans doute ensorcelé.

Rien qu’à le voir, je tremblais d’effroi. Je voyais danser les flammes. Un mage en robe noire admirait un bûcher, et riait de toutes ses dents, tandis que de ses mains partait le feu tuant des centaines d’innocents. D’étranges créatures, aux nez et oreilles pointues, s’inclinaient devant la toute puissance du maître. La terreur régnait parmi les magiciens, tandis que les conquérants étaient en liesse devant la destruction.

Ce n’était pas une vision. Enfin, je l’espère. Je crois plutôt – grâce à mon cours sur la protection magique par anticipation – qu’il s’agissait là d’une menace. Le magicien entrant ici savait qu’il devait obéir, quoi qu’il se passe, aux maîtres de la tour. S’il refusait, il risquait de subir le même sort que les personnes imaginaires entrevues. Faire peur en montrant le pire…tel était le principe.

Le signe était une rune. Je ne suis qu’une novice, mais je la connaissais. Sa présence ici aurait pu paraître déplacée, mais après ce que je venais de voir, plus rien ne m’étonnait.

La rune de Blakar.

Pourquoi était-elle là ? Tout le mystère réside en ce point. Lise pourrait probablement me répondre, elle connaît l’Histoire de l’Hendiadyn mieux que tous les livres du monde. Cependant, je ne lui ai rien dit de cela. Elle se serait inquiétée, et je crois lui avoir déjà fourni sa dose de sensations fortes pour le moment.

De plus, il est hors de question que, parce que je ressens quelques difficultés, je me laisse materner, même par une amie. Maintenant que je peux agir et être en adéquation avec mon âge, je tiens à être responsable de ce que je fais. Ma maturité superflue ne m’a pas abandonnée tandis que je retombais presque en enfance.

Moi, embêtante et râleuse au possible ? Fort probable, en effet. Et après ?

Ma mission est donc, si je l’accepte, de découvrir le pourquoi du comment de ce bâtiment.


- Hey ! Debout les morts ! On arrive. Tu vas réussir à atterrir ?


Oh mais j’atterris déjà…dans le monde réel en tout cas. J’étais si perdue dans mes pensées que je voyais à peine défiler la terre en dessous de nous. Comment ai-je fait pour ne pas dévier de ma course ? Nouveau mystère au compteur. J’étais si pensive que je n’aurais rien remarqué…même si j’étais partie en Alaska.

Tout de même, la question de Lise n’est pas bête. Je ne peux toujours pas marcher, la bestiole a très bien fait son travail. Je suis contrainte de me déplacer d’un point à un autre en volant, même sous la douche ou aux toilettes. Ça fait très paresseux, mais je respecte à la lettre les indications du médecin : ne pas poser le pied au sol avant un mois.

Mais il faut voir le côté positif des choses : Cassandre ne peut plus dire que je ne sais pas voler…

En attendant, je ne sais pas qui va m’attendre à la gare volante, ni comment je vais faire pour me poser sur un pied sans m’écrabouiller lamentablement.


- Je m’appuierai sur toi, je déclare avec un grand sourire.


Lise se renfrogne, et j’éclate de rire. Elle est si petite que je l’écraserai, et je doute que se transformer en compote fasse partie de ses ambitions. J’en profite pour enlever le bandage que m’avait imposé le médecin à la main droite.

Il faut savoir, tout de même, que je suis incapable de jeter un sort de feu. Pourtant, allez savoir pourquoi, j’ai réussi à récolter une jolie petite brûlure sur la main – uniquement la droite. Grand mystère de l’humanité : comment ai-je fait pour obtenir cette charmante blessure ?

Toute trace a disparu à présent. Inutile d’inquiéter davantage ma tante avec ça.

Silence.


- Je crois…dit soudain Lise en fixant le sol, que tu n’auras pas cette peine.


Je regarde à mon tour. En effet…mais je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer.

Comment Marvolo a-t-il fait pour savoir que je suis dans un état physique lamentable ? Parce que là, franchement, il y a de quoi se poser des questions. Mon cher cousin monte vers le groupe, sans pour une fois daigner faire une démonstration de pirouettes ou autres choses du même acabit.

Il est contrarié d’être ici…et moi de le voir. Mes camarades – Cassandre en tête – seraient fichus de croire qu’il est chargé de me chaperonner. Pff…gaminerie de chez gaminerie.

Qu’on vienne me chercher, encore, je comprends. Mais qu’il monte jusqu’ici…pas de doute, les magazines seront ravis. Je vais encore avoir le rôle de la sale gamine, et Marvolo celui du baby-sitter.

Franchement…puisque ni lui ni moi ne voulons de cela (du moins je l’espère sinon je l’étrangle à mains nues)…que fait-il ici ?

Il aurait tout de même pu m’attendre au sol…


- Tu fais quoi ?


Bon, je vous l’accorde, c’est assez abrupt et mal léché. Ça tombe bien, je suis l’un et l’autre. Mais s’il voulait que je me montre digne du plus cérémonieux des protocoles, il n’avait qu’à pas pointer le bout de son nez dans mes nuages.


- Bonjour à toi aussi.


Et d’un salto, un ! Je me disais, aussi, que devant un public aussi indulgent, il ne résisterait pas longtemps à l’envie de frimer.

Il a tenu une minute et deux secondes.


- Oh mille pardons, cousin vénéré, je réplique en tentant maladroitement de faire une révérence (ce qui est pratiquement impossible dans les airs). Je réitère ma question : quelle est la raison de ta présence ?

- Un ordre ancestral. Grand-père m’a chargé de te conduire chez un médecin.


Pardon ? Je ne rêve pas ? Pincez-moi ?

Il faut croire que non.

Alors ça c’est le bouquet ! Grand-père n’a pas daigné se préoccuper de moi une seule fois depuis mon entrée à l’école, et même avant ! Il se contrefiche de mon existence. Je suis même prête à parier que si je ne ressemblais pas tant à Grand-mère, il ignorerait royalement mon cas comme il le fait pour Ariane. Je suis trop petite encore pour être à son service, alors en quoi puis-je lui être utile mis à part…en rien ?

Et il exige que je voie un médecin… Mon Dieu, je crois qu’il a perdu la boule.

Si seulement il s’était déplacé lui-même ! Mais non ! Même pas ! Ce serait lui coûter un trop grand effort, probablement ! Il doit mourir de honte rien qu’à l’idée d’être vu une seule seconde en compagnie d’une fille…à moitié humaine.

Pitié, ne me dites pas que lui aussi croit ces stupidités à propos de l’ascendance ! Je parie qu’il a pris ses renseignements. En tant que tête pensante du pays, il doit savoir tout ce qui est digne de faire couler de l’encre.

La réalité de l’infériorité des magiciens à moitié humains se révèle en moi… Il a dû l’apprendre… Seigneur, je donnerai cher pour savoir ce que les journaux ont raconté pendant mon absence.

Je parie que je nuis à sa si importante réputation. Quoi, les sondages le font baisser dans l’estime de la population magique ? Oh, mais qu’il se tranquillise, je n’ai pas la moindre intention de saper sa carrière. Qu’il aille au diable ! Je n’ai pas besoin de lui pour vivre. Papa a bien pu, je l’ai moi-même fait pendant trente années humaines, je ne vois pas pourquoi la tendance s’inverserait maintenant.

Non, c’est décidé, je ne suivrais pas mon crétin de cousin.
To the doctor's by Khana
Author's Notes:
le début du chapitre suivant est sur gadgetauchapeau.skyrock.com! si vous êtes intéressés, n'hésitez pas à y aller! j'ai mis quelques images pour vous aider à structurer vos idées!

biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
Je l’aurais suivi, finalement…

Je hais les médecins. Leurs royaumes sentent les médicaments à plein nez, ça me fait tousser. Et dire que c’est cela que je devrais être…Médecin… Eurk, mieux vaut ne pas y penser.

Marvolo a je-ne-sais trop comment réussi à me traîner ici. Je ne serais guère étonnée s’il m’avait jeté un sort pour que j’évite de trop protester. Des hurlements auraient attiré les journalistes comme des mouches sur un pot de miel.

Je trépigne sur mon siège et décolle d’un mètre environ. Même pas fait exprès, mais tant pis. Il n’y a personne dans la salle d’attente. Evidement, à cette heure-ci, les trois quarts des gens vont chercher leur chère progéniture aux différentes gares aériennes. Je parie que je suis la seule écervelée à avoir réussi à me faire mordre par une bestiole pendant ses premiers mois d’école. Même les vétérinaires ne subissent pas pareille torture.

Enfin, eux, au moins, n’ont pas une famille qui se souvient d’eux au mauvais moment.


- Sarah, atterris, s’il te plaît, soupire Marvolo sans lever le nez de son magazine. Il n’y en a plus pour longtemps.


Parle pour toi, andouille. Ça se voit que ce n’est pas toi qui es dans ma position.

Et puis franchement, tante Marthe a usé tellement de salive pour me rappeler que je suis redevenue une enfant, que je crois que le message est bien passé. Moi, une gamine ? Très bien. Alors je peux légitimement me conduire comme telle. La magie m’apparaît comme un nouveau jouet, difficile à manier certes, mais ô combien intéressant.

Lui aussi a dû en passer par ce stade, je suppose. C’est le cas de tous les jeunes magiciens lorsqu’ils acquièrent leurs pouvoirs. Je donnerais cher pour le voir faire mumuse avec sa baguette lorsqu’il avait mon âge. Il faudra que j’en parle à tante Marthe. Je suis sûre qu’elle pourra me raconter quelques anecdotes croustillantes.

Gros blanc. Sa revue est vraiment très intéressante. Mon cousin serait-il un asocial ?


- Au fait…reprend-t-il finalement. Comment t’es-tu fait ça ?


Asocial, ai-je dit ? Apparemment pas tant que ça…Jour de fête sur terre, Marvolo a levé le nez. Inutile de t’inquiéter choupinou. Ce n’est pas parce que je n’ai pas daigné réintégrer ma chaise que je vais me perdre dans un grand élan de liberté et m’enfuir par la fenêtre.

Il n’empêche, j’ai vu son coup d’œil vers ladite fenêtre…qui mériterait bien un coup de chiffon d’ailleurs. Les femmes de ménage n’existent pas ici ou quoi ?

On en avait une, à la maison. Enfin, chez mes parents, je veux dire. Une véritable flemmarde. C’est à peine si elle vidait les poubelles, et j’ai plus d’une fois dû prendre le balai moi-même pour dépoussiérer ou chasser une araignée trop envahissante.

Fin de ma page de vie. J’ai désormais pour credo de ne plus penser à ma vie humaine. Sinon, je risque de fondre en larmes.

D’ailleurs, ça vient déjà. Pitié, non ! Vous avez un mouchoir ?

Revenons-en à sa question, ça me changera les idées. Si je lui dis que je me promenais dans la forêt, vous pensez qu’il me croirait ? Probablement que non… Pourtant, ce n’est pas très éloigné de la vérité.

Oh, mais je sais ! J’ai une question d’enfer à lui poser ! Puisqu’il me fait perdre le temps que je voulais employer en de précieuses recherches, il va être mon encyclopédie…

Et qu’il ne me déçoive pas. En bon frimeur, il s’est plusieurs fois vanté de connaître sur le bout des doigts l’histoire de l’Hendiadyn. On va voir ça…


- L’école…est à côté d’une forêt, je hasarde timidement afin d’en dire le moins possible. La saison doit être peu propice à la recherche de nourriture pour ces bêtes-là. J’étais au mauvais endroit au mauvais moment…

- Manque de chance. L’école des brigadiers voisinait aussi un bois, mais je n’y ai rencontré quoi que ce soit.


Attendez, il n’essaierait pas de me faire croire qu’il était sage, par hasard ? Je le connais…Il croit vraiment que je vais gober un truc pareil ? Il suffit de le voir face à Erwan pour comprendre qu’aucun des deux n’était un enfant de chœur ! C’est moi, la jeune petite magicienne à moitié humaine, qui devient indisciplinée ? Seigneur, c’est le monde à l’envers.

Une minute…il a abandonné sa revue ! Elle est abandonnée sur la table ! Alléluia !


- En parlant de forêt, je reprends avec autant de précautions que si je maniais du plutonium, j’ai discuté avec quelques élèves plus âgés…Ils m’ont dit qu’elle possède plusieurs clairières, lesquelles contiennent des…ruines. Il y avait cela aussi, près de ton école ?


Regard dubitatif de la part de mon cousin. Oui, je sais, j’ai été aussi habile qu’une baleine. Mais bon, je crois que ça passera. Il n’a aucun moyen de vérifier ce que je dis…du moins j’espère.

Qu’on n’aille pas me reprocher ma maladresse, hein ! Je suis loin d’être une politicienne, et ce n’est pas le voisinage de Grand-père qui va m’enseigner la délicatesse.


- Possible, admet-il au bout d’un nouveau silence. Je ne suis jamais allé aussi loin. Pourquoi cette question ?

- Ben…pour être honnête…je dois paraître provinciale à demander cela, mais j’ignore pour quelle raison des bâtiments auraient pu être construits au milieu de nulle part en Hendiadyn. Même si les magiciens peuvent voler…c’est un endroit…beaucoup trop excentré.


Soupir numéro deux. Quoi, je l’épuise ? Et bien tant pis ! J’ai bien l’intention de continuer, jusqu’à ce qu’il crache le morceau. Désolée, mon cher Marvolo. Si tu voulais t’épargner tant d’ennuis, tu n’avais qu’à te taire. Maintenant, le sort t’a désigné comme celui que je devais interroger…Dommage qu’Ariane ne te l’ai pas prédit…

Héhé, j’ai vu le coup d’œil inquiet vers la porte. Le docteur ne paraît pas décidé à te sauver la mise…Allez, parle.


- C’est…une vieille page d’histoire de l’Hendiadyn, finit-il par dire à contrecœur. Ton amie Amir ne t’en a pas parlé ?


Elle aurait dû ?


- Elle aurait dû ?


J’adore dire le fond de ma pensée.


- Je croyais que…enfin, elle est très cultivée…mais là n’est pas le sujet. Tu veux vraiment savoir ?

- Oui.


Sinon je n’aurais pas posé la question…


- Très bien. Après tout, tu es une magicienne, et tu as le droit de connaître l’Histoire de ton pays. Mais ne tiens pas tout ce que je vais dire pour argent comptant. Ça remonte à si longtemps que personne n’est vraiment sûr de la réalité de ces faits… Il y a plus de cinq mille ans, Blakar a envahi l’Hendiadyn. Sa domination a duré plusieurs centaines d’années…personne ne pouvait résister, tant le pouvoir de la Magie Noire était fort. Le roi de l’Hendiadyn, ancêtre du souverain actuel, était prisonnier d’une fonction factice. Il ne pouvait agir. Un jour, alors que la veille les Elfes Noirs étaient resplendissants de force, Blakar perdit toute sa puissance. Les soldats ennemis se replièrent dans leur monde, et plus personne ne les vit.

- Et en quoi ça concerne ces ruines ?

- J’y viens. Ils sont partis, certes, mais en laissant quelques…souvenirs. Durant toutes les années où avait duré cette domination, ils ont construits plusieurs bâtiments. La plupart étaient placés aux portes des écoles, afin de surveiller la formation des jeunes magiciens et prévenir tout risque de rébellion. Lors de la débâcle, les magiciens ont traqué sans relâche ces postes…je ne suis pas sûr que tous aient été trouvés encore à ce jour, ils étaient si nombreux que personne ne pouvait les compter. Ceux qui ont été découverts ont été détruits jusqu’à la dernière trace. Les autres ont je pense dû périr par l’érosion. Ai-je répondu à ta question ?


Waw. Il ne racontait pas des salades, alors. Marvolo est vraiment calé en Histoire. Je l’ai sous-estimé. Mon cher cousin, daigne accepter toutes mes excuses…mentales.

Donc, si je comprends bien, les ruines que j’ai vues seraient les vestiges d’un de ces postes. Probablement qu’il n’a jamais été trouvé, sinon la rune ensorcelée n’aurait pas survécu au temps.

C’est charmant. Et il y en a beaucoup d’autres, comme cela ? Un bon paquet, si j’en crois les dires de Marvolo. Super. Je suis prête à parier une carotte que la forêt d’Insvrack en recèle plus d’un.

Tout de même, un point me dérange…Blakar était puissant et ces postes demeuraient sans protection ? Bande d’inconséquents ! Les magiciens de l’Hendiadyn sont loin d’être des anges pour certains. Il suffit de voir Cassandre pour se faire une idée.

Zut, raté. Dire que je ne voulais pas que cette peste me gâche mes vacances. Même quand elle est absente elle a encore le moyen de se rappeler à mon bon souvenir.


- Tu disais que Blakar était puissant, je reprends, mais alors…comment cela se fait-il que ces postes n’aient pas été protégés ? La Magie Noire…aurait pu…les prévenir de l’emprise du temps et de la destruction par les magiciens.

- Les Elfes Noirs étaient loin d’être stupides, soupire mon cousin (je crois que je le désespère avec ma curiosité perpétuellement inassouvie) Bien sûr qu’ils ont jeté des sortilèges de protection, mais leur puissance a baissé en flèche avec la débâcle. Ils n’ont pas disparu pour autant, aucun Elfe n’est revenu pour les annuler. Aujourd’hui, encore, il est recommandé de ne pas trop s’approcher de ces bâtiments…ceux qui y sont allés sont revenus blessés, ou à moitié fous. Il n’est pas bon de trop fricoter avec la Magie Noire, tu sais. Les conséquences peuvent être terrifiantes, et personne ne peut les contrer.


Glups. Je crois que je viens de comprendre d’où me viennent ces marques derrières les oreilles… Nom d’un chien, j’espère que je ne vais pas devenir folle à cause de cela !

J’hésite. Dois-je en parler ou non à un médecin ? Après tout, si je deviens folle, il serait dommage que mon cas ne les laisse perplexes. Mais d’un autre côté…si j’avoue avoir mis les pieds là-dedans…je risque fort de m’en faire donner sur les doigts… Ça nuirait grandement à la réputation familiale…

C’est dur la célébrité…


- Dis-moi Sarah, demande brutalement Marvolo que je croyais retourné dans son magazine, tu n’es tout de même pas…allée…dans un de ces endroits, j’espère ?


Heu…voyons voir…je crois que si. Il y a donc de fortes probabilités pour que j’aie bientôt une folle envie de danser la samba dans un tutu vert à pois violets.


- Non, bien sûr ! je réplique sur un ton presque offensé. C’était…de la curiosité. J’écoute ce qui se dit autour de moi, mais je suis loin de tout comprendre. Ça répond à ta question ?

- Monsieur Destoc et Miss Elis ? Le docteur va vous recevoir.


Sauvée par le gong…ou presque.
Vision by Khana
Author's Notes:
désolée, j'avais fait une erreur de manipulation. ce chapitre était celui d'une de mes fanfictions. en tout cas, celui-ci est le bon! j'ai mis la suite sur gadgetauchapeau.skyrock.com, si vous voulez. biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
Je dors du sommeil du juste…

Quoique peut-on vraiment parler de sommeil ? Lorsque je suis entrée à l’école de voyance, on m’a mille et mille fois rabâché que jamais ma vie ne serait celle du commun des mortels.

Il est dans la nature de chacun de dormir pour se reposer. Même les vampires, même les Elfes, même les plus terrifiants des monstres, ont besoin de dormir. Nous devons reprendre de l’énergie, pour que la vie puisse continuer à suivre son cours.

Attention, prenez garde : je ne dis pas que les voyants cessent de suivre le cours naturel des choses au profit de leur seule fonction. Seulement, nous ne sommes pas ordinaires.

Les visions peuvent nous visiter à chaque instant. Pour ce métier, point d’horaires ni de retraites. Quand bien même nous tenterions de toutes nos forces d’y échapper, la magie des événements nous rattraperait. Notre aura est si…parfaite qu’elle ne peut que s’accrocher à nous. Suffisamment de magie pour que nous puissions voir, mais point trop non plus. Un voyant trop puissant risquerait d’entrer dans ce qu’il voit, et demeurer à jamais prisonnier de ses rêves…ça c’est déjà vu.

Nous savons provoquer les visions, nous pouvons tenter de les éviter, mais parfois notre vigilance ne suffit pas. Chaque vision est unique. Elle peut nous toucher n’importe quand, lorsqu’elle arrive, et de n’importe quelle manière.

La boule de cristal ? Ce n’est qu’un instrument… Elle favorise la venue des visions, les attire, mais son usage n’est pas indispensable.

J’ai déjà lu dans le feu, la glace, l’eau, l’air. J’ai vu l’avenir et le passé dans les rondins d’un arbre. J’ai déjà scruté les nuages. Mais jamais de rêves.

Enfin, jusqu’à aujourd’hui.

Je me doutais qu’à force de chercher un complément à la rune mystérieuse que j’ai entrevue – et dont moi seule connaît encore l’existence – je finirais par aboutir. Ma vision était trop…incomplète. Je devais savoir. Si cette prédiction m’avait trouvée moi et moi seule, c’est bien qu’elle était spéciale. Importante, peut-être. Mais avant de communiquer ce que j’ai vu, je dois creuser le problème.

Révéler le contenu de ma vision alors qu’il est encore incertain m’exposerait aux railleries. Je suis jeune encore. Mes dix-sept ans viennent de passer, et je ne suis qu’élève. Ce n’est rien auprès des centaines d’années d’expérience des vénérables débris du Conseil.

En plus, Grand-père a toujours fait si peu de cas de moi que je ne serais pas surprise qu’il réfute mes théories uniquement parce que je suis moi. Non, je dois avoir du solide, du concret.

Quand je serais prête, ils reconnaîtront que je ne suis pas aussi insignifiante qu’il y paraît. Je ne suis pas que le pâle reflet de mon ancêtre, que diable ! J’ai une place en Hendiadyn, et je peux déjà dire qu’elle sera grande.

Moi, ambitieuse ? Et après ? Je dois bien me distinguer. Je suis fille de la noblesse, et pourtant personne ne prête plus d’attention à moi que si j’étais en carton. Elle est mignonne la petite Destoc ! Sois bien gentille et reste là pendant qu’on discute entre grands. Va-t-en, Ariane, tu me gênes dans mon travail.

Au moins, ce n’est pas une chose que ma pimbêche de cousine risque de connaître. Les médecins sont si facilement reconnus…Ils sauvent des vies…Ce sont les moteurs de l’avenir.

Les voyants, eux, sont de pauvres gens à moitié tarés. C’est bien connu. Ils voient ce que personne d’autre ne voit, donc ce sont des menteurs. Il est si facile de ne pas croire ce qu’on ne peut vérifier…

Cela fait des années que je mâche ma rancœur. Mais ça va bientôt prendre fin. L’année prochaine, je serais majeure. Je pourrais voler de mes propres ailes. Oh, pas pour faire le mal, non. Papa – le seul qui m’accordait de l’importance – servait l’Hendiadyn, et j’ai bien l’intention de suivre son exemple. Mais je sauverais le monde par mes visions.

Les autres seront bien dépités en voyant ce qui leur a glissé entre les doigts.

Mais passons. Je ne suis pas là pour râler, bien que ce soit mon sport favori.

Je dors…alors que j’erre dans le merveilleux pays des rêves, tout repos cesse soudain. Je n’ouvre pas les yeux. Mon état n’est ni l’éveil ni le sommeil, mais je suis en situation d’approche. La vision est près de moi. Elle hésite. Doit-elle venir ? Doit-elle renoncer, malgré tous mes appels ?

Elle vient, finalement. Elle s’empare de moi, et je vois enfin ce que j’attendais.

Hein ? Mais…Il fait quoi, là ? Hey, dégage, je ne t’ai pas demandé d’entraver mes visions !

Oh Seigneur…je crains que ce ne soit pas une intrusion parasite. Il est là, et bien là. J’ignore pourquoi je le vois, mais il est là.

Marvolo…mon frère.

Oh non ! Tout pour sortir d’ici sur-le-champ ! Je ne veux plus voir une seule seconde de cet avenir affreux. Mon frère…mort…sur un champ de ruines…la ville en ruines. Misère de misère, cela signifie donc que je vais le perdre ?

Et dire que je ne peux même pas le prévenir…il ne me croirait pas…Nom d’un chien, que faire ?

Non ! Je me trompais ! Il se relève. Dieu soit loué, tout espoir n’est donc pas perdu.

Mais…c’est bizarre…il a quelque chose sur le front. Qu’est-ce encore ? Je n’ai jamais vu ça.

Pff, encore une rune. Décidément, ça ne s’arrêtera jamais. Et ancienne, en plus. Bien sûr, tout aurait été trop facile. Puisque je prends les pires des calamités, il faut que je voie les seules runes que personne ne m’a appris à déchiffrer. Pratique comme tout.

Que ne faut-il pas faire pour un peu de reconnaissance ! Je crois que la bibliothèque du Palais du Conseil recevra prochainement ma visite. Ha, je sais. Quand je révélerai ma vision, je ne leur donnerai pas la traduction, na. Ils n’auront qu’à chercher tous seuls, ça les occupera.

En attendant, je ne sais toujours pas si cette vision a un lien avec la précédente.

Je retire. Revoilà X avec le cylindre aux deux queues. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais moi, oui. Si vous voulez mon avis – après tout, il ne peut être que de la première importance – c’est ridicule au plus haut point.

En plus, je ne comprends pas ce qu’est ce rond bizarre. Un seau ? Un bol ? Un chapeau ? Une couronne ? Je pencherai plutôt pour la dernière solution. A défaut d’avoir la réponse, c’est ce que je vais dire désormais. Une couronne. Vu tous les cailloux qu’il y a sur sa robe, je suis prête à parier qu’Anonyme n’est pas pauvre.

Anonyme…Splendide. Je ne vois toujours pas si c’est un garçon ou une fille. Peut-être qu’il me faudrait des lunettes. Oui, je devrais le demander. Peut-être que Maman daignera lever le nez de ses plans, alors, et m’emmener chez l’ophtalmo.

Tiens, le film continue…

Hé, mais que fait mon frère à côté d’Inconnu ? Hey, pas touche ! Ne lui fais rien, d’accord ?

Mais qu’est ce qu’ils font sur un balcon ? Il y a un feu d’artifice prévu au programme ? Hey, Marvolo, sors de là tout de suite ! Evite de fréquenter les gens pas net !

Hé, ho ! Je veux rester là, moi ! Je veux savoir ce qui se passe après ! Mon frère est concerné, j’ai tout de même le droit de savoir, non ?

Désespérant. Le film est arrivé à terme. Je m’éveille, en sueur bien évidement, et avec la mémoire parfaitement fraîche.

Oui, les visions ne sont pas de tout repos…je suis aussi épuisée que si j’avais fait la bringue trois jours et trois nuits. Vraiment, je donnerai cher pour avoir une autre fonction. Tout, n’importe quoi, sauf lessiveuse. J’appartiens à la crème de la société, je ne veux pas déchoir.

Mais je suis voyante…une dingue en perpétuelle ébullition… Charmant, vraiment.

Qu’est ce que je disais, déjà, avant d’être éveillée ? Ah oui. Marvolo. Le risque. Dois-je le lui dire ? J’hésite…d’un côté, il a le droit de savoir…

Toutefois…si on considère le caractère hautement aléatoire que peuvent avoir ces visions, il y a de fortes chances pour qu’il ne soit pas réellement en danger de mort. Son…décès, que j’ai entrevu, peut avoir une valeur purement symbolique. Oui. C’est sûrement ça. Rien n’est absolu dans les visions. Ce qui est vu peut cacher autre chose. Il faut tout décrypter…

Un vrai travail de duelliste. Mais bien sûr, ces prétentieux ne veuillent pas user de leur précieux temps à s’abîmer le dos sur nos productions. Ils seraient bien placés, pourtant, et leur existence se justifierait.

Mais non, vous pensez, ils sont trop importants pour s’abaisser à une chose de ce genre. C’est donc pour cette raison qu’existent les analystes.

Et si j’en consultais un ? Sont-ils liés au secret professionnel ? Quoique non, mauvaise idée. Je n’ai aucune confiance en ceux qui travaillent pour l’école de voyance. De petits jeunots sans expérience ! Evidement, personne n’aurait l’idée de penser qu’il peut ici se faire des visions de la plus grande importance.

Je suis un cas à part, alors. Désolée mes petits, mais je crois que ce que je vois est cent fois trop important pour vous. Les rêves de mort sont rarement anodins.

Si je demande à un analyste privé…il risquerait de se garder toute la gloire. Ma gloire ! Ce serait lui qui recevrait la médaille, lui qui serait porté aux nues ! Et moi ? Oubliée, comme d’habitude…

Non, je crois que le mieux, c’est de décrypter ça moi-même.

Nom d’un chien, il faut que je fasse vite. Ce serait grave si, par ma négligence, je mettais Marvolo en danger. Je me le reprocherais longtemps, et Maman me renierait à jamais. Non, vraiment, ce serait la dernière des bêtises à faire.

En attendant, mon cher frère, tout ce que je puis faire est de t’exhorter à la prudence. Je n’ai pas eu d’indicateur temporel, j’ignore donc de combien de temps je dispose, mais par pitié, fais attention ! Et n’utilise pas ton métier comme excuse, hein. Sois prudent. Vraiment.

Donc évite d’approcher Sarah. Elle a un petit côté bizarre. J’ai vu, elle a un tatouage. Comme si ça pouvait l’aider à s’intégrer…n’importe quoi. Personne de normalement constitué n’acceptera jamais une fille humaine à moitié. Elle n’aurait jamais dû avoir sa magie.

Mais cela je l’ai déjà dit. Sarah a donc un tatouage. Enfin, deux plutôt. Ils sont affreusement mal placés, et ridiculement petits. Des triangles derrières les oreilles ! Hideux au possible.

Elle n’a que ça à faire pendant ses congés ? Décidément, c’est bien humain, aussi. Au lieu de travailler, elle s’amuse. Elle dépense le peu d’argent de poche que lui donne Maman (bien que ledit argent irait cent fois mieux dans mon porte-monnaie) en des tatouages stupides qu’elle s’évertue à cacher.

Evidemment, elle les cache mal. On ne pouvait guère s’attendre à mieux venant de la part d’une fille qui aurait mieux fait de rester là où elle est née ! Et puis franchement, ça sert à quoi de se faire tatouer si c’est ensuite pour ne pas le montrer ?

En plus, ce n’est pas comme si elle était brillante. Je suis allée fouiller dans ses affaires, un jour où elle était sortie – peut-être pour se faire faire de nouvelles décorations à dissimuler soigneusement. J’ai vu son bulletin. Purée ! La moindre des choses qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas une flèche en pratique.

Ça confirme donc une nouvelle fois ma théorie. Cette petite crétine – suffisamment stupide pour se faire mordre par n’importe quoi – n’a réussi à voler qu’il y a moins d’un mois. Et encore, je suis prête à parier que nécessité faisait loi.

J’ai donc une nouvelle fois raison. La magie n’a rien à faire dans le corps d’un humain. Enfin, d’accord, presque humain, mais pour moi humain quand même. Sa mère l’est bien, et ses frères aussi…

Bon, ça suffit. Je ne dois pas faire de fixation sur cette bécasse. Elle ne le mérite pas. Je me demande ce que dirait Grand-père s’il savait qu’elle a un tatouage. Oui, ce serait un truc à caser dans une conversation. Oh, je ne me fais pas d’illusion. Ce ne sera pas avant six mois au moins, je vois si peu le vénérable ancêtre… Mais je suis sûre qu’il sera ravi. Je lui dirai en face, et en présence de Sarah. Je veux voir leur tête à tous les deux…

Ce sera splendide.
Remember by Khana
Author's Notes:
désolée, ce chapitre est moche. par contre, le suivant l'est pas si mal. j'ai mis le début sur gadgetauchapeau.skyrock.com! biiiiiiiiiiiiiiiz!
Bizarre, toute cette histoire…

Je relis les notes que j’ai prises après le retour du cabinet du médecin. Enfin, les souvenirs que j’en ai. Il faut dire que j’ai eu de quoi penser, après ce si fascinant récit.

Nous étions dans le vénérable cabinet médical. Marvolo regrettait l’absence de sa revue, le docteur se mordait la langue pour ne pas être trop bavard, et je m’ennuyais ferme. Mais vraiment, hein. Quinze mouches sont passées devant la fenêtre pendant que le médecin examinait mon pied. Il y avait soixante-sept livres sur les étagères, dont quinze rédigés en runes. Le poisson a fait trois cent tours de son bocal dans le sens des aiguilles d’une montre, et seulement deux en sens inverse.

Charmante rencontre, donc.

Le docteur écrivait, me laissant admirer la brillance de la lumière se reflétant sur son crâne. Je me demande, d’ailleurs, si le fait qu’il soit chauve relève d’un sortilège, d’une fantaisie, ou d’une erreur du coiffeur. Il n’est pas si vieux, ce serait étonnant que la nature ait déjà fait son œuvre…

En plus, Grand-père, ancêtre parmi les ancêtres, a tous ses cheveux. Heureusement qu’il ne les laisse pas pousser comme Marvolo, sinon ce serait pathétique. Mais enfin, il en a. Pas comme ce médecin. Ce qui me ramène donc à ma question première : pourquoi est-il chauve ?

Oui, bon, désolée. Je sais que là n’est pas la question. Le vénérable docteur écrivait donc lorsqu’est entré…je vous le donne en mille…Grand-père. En personne.

Sans dossier. Sans secrétaire. Sans solliciteurs de tous poils.

Sans frapper, aussi. Tss, on ne lui a donc jamais appris les bonnes manières ? Quand on occupe une place comme la sienne, savoir faire des ronds de jambe est primordial, sous peine de perdre toute sa crédibilité. Les gens sont si susceptibles…

Pour une fois, il ne portait pas sa robe pourpre. Tiens donc, il ne sortait donc pas du Conseil ? Aurait-il décidé de partir à l’exploration du monde extérieur ?

Le médecin en a sursauté. Il faut dire à sa décharge que mon vénérable ancêtre n’est pas de la plus grande des délicatesses. En plus, il en impose naturellement. Sa fonction pourrait être technicien de surface qu’on lui obéirait plus qu’au roi.

Je me demande…hum, je suis prête à parier ce que vous voudrez que Papa a hérité du mauvais caractère de Grand-père. Ce serait plausible avec le peu que je sais de leur altercation. Ils n’ont probablement pas pu s’entendre…parce qu’ils se ressemblaient trop. Chez les animaux, il ne peut y avoir deux mâles dominants dans le même clan.

Ici, c’est presque le même schéma…et je sens, cher Papy, que nous risquons de fort mal nous entendre. Tu es borné, je suis plus têtue qu’une mule. J’ai la jeunesse, tu as le pouvoir. Qui gagnera ?

Les paris sont ouverts.


- Je vous serais gré, docteur, dit la célébrité qui me tient lieu de tuteur, de me donner un compte-rendu précis de vos conclusions.


Et bien…si avec ça il ne fait pas peur… Pff, je crains qu’il n’y ait guère que moi pour oser lui dire d’aller se faire voir quand il le faut. Et encore, je n’ai jamais testé. Si ça se trouve, ce n’est que pur orgueil de ma part.


- Je…et bien…Miss Elis souffre de multiples déchirures musculaires…elle a manifestement été mordue par un animal sauvage. Heu…j’ai lu les conclusions du médecin qu’elle a consulté suite à cet accident et…je les trouve parfaitement satisfaisantes. Miss Elis ne doit marcher sous aucun prétexte durant encore un mois. Je me permets cependant d’ajouter que du fait de son…ascendance…particulière, elle peut être moins résistante que le commun des magiciens… Et qu’elle a un grand besoin de repos.


Hum. Ce n’est pas une nouveauté, votre honneur. Cela, je le savais déjà. Mais je ne regrette rien pour autant. Si la magie a décidé, malgré ses habitudes, de prendre possession de moi et de me mener la vie dure, ce n’est pas parce qu’elle en avait envie. Même s’il y a un prix à payer. Même si je dois me démener pour lui faire entendre raison.

Heureusement que je suis têtue.

Il n’existerait pas un monde à mon échelle par hasard ? Un monde pour asociaux ? Je suis trop puissante pour les humains, et trop fragile pour les magiciens. J’exige d’être remboursée !


- Marvolo ? reprend mon cher Grand-père après un temps de silence. Porte Sarah sur le chemin du retour, s’il te plaît. Ce n’est plus de mon âge.


Pff, depuis quand il se considère comme un papy ? Je ne dis pas qu’il ne l’est pas, seulement…je crois que le mot « retraite » n’a aucun sens à ses yeux.

Enfin bref. Toujours est-il que j’ai dû supporter l’humiliation de ma vie tandis que mon cousin me trimballait comme un paquet. Ça l’ennuyait autant que moi, je le voyais bien. Marvolo fixait tantôt le ciel avec un air d’envie, tantôt sa montre.

Jolie montre, d’ailleurs. Jolie, mais très guindée. Pas de doute, mon cousin – malgré ses dehors sérieux et honnêtes – est atteint par le même virus du milieu dans lequel nous évoluons : la prétention.

Quoi, je parle pour ne rien dire ? Peut-être. Enfin, toujours est-il que Marvolo a une Rolex…

Mais je disais que je relis mes notes. Nous étions à peine arrivés que je me suis envolée vers ma chambre. Là, enfermée à quadruple tour, j’ai pu mettre au point ce que je savais.

Récapitulons donc : l’Hendiadyn est une ancienne colonie de Blakar. Ils étaient incapables de vivre en copains et Luxen s’est dégonflé.

Bande de gamins…quoique je pourrais dire la même chose de la politique humaine. Mais laissons cela tranquille. Il y a d’autres priorités que critiquer.

Je risque de devenir folle. Remarquez, ça a peut-être déjà commencé. Oui, je dois être totalement timbrée. Les marques derrières mes oreilles en sont la preuve : la Magie Noire m’a touchée.

Ai-je encore un peu de santé mentale ? Si on considère que le fait que je sache que je suis folle est une marque de lucidité, alors je pense qu’il est possible de penser que je peux me mêler à la population magique sans trop éveiller les soupçons. Quand on remarquera enfin mon mal, je serais devenue si dingo que je parlerai aux plantes.

Aucun risque que j’ai des ennuis, les fous sont à ménager.

En tout cas, sans vouloir vexer le très vénérable médecin, je ne suis pas aussi fragile que j’en ai l’air. D’après Marvolo, la dinguerie apparaîtrait rapidement, quelques heures à peine après la contamination.

Moi…plusieurs jours ensuite…je suis aussi lucide que peut l’être une future pensionnaire d’asile.

Je ne fais vraiment rien comme tout le monde…
Retourner chez soi by Khana
Author's Notes:
bonjour! merci de me lire! grâce à vous, le roman est le plus lu du site, et je trouve ça génial. ça donne une vraie valeur à ce que j'écris, et j'adore. le début du prochain chapitre est disponible sur gadgetauchapeau.skyrock.com.

biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!






Youpi. Joie sur Terre. Faisons la fête.

…ou pas. L’heure est venue de retourner à Insvrack.

Ce n’est pas que je n’aime pas cette école, non…dans le cas contraire, j’aurais déjà trouvé le moyen de fuguer. Non, les enseignements sont intéressants. Je m’y retrouve assez bien dans ce fouillis de connaissance.

Mais à Insvrack…il y a la pratique de la magie. Je n’ai pas pu travailler pendant les vacances. Exécuter des sortilèges militaires aurait éveillé les soupçons. Grand-père aurait pu tenter de m’arranger le truc, mais il se fiche de moi comme de sa première tétine.

Résultat, j’ai attrapé la migraine au bout de deux jours à force de m’enfermer dans ma chambre. J’ai préféré renoncer.

Pour résumer…je me suis mortellement ennuyée. Marvolo était toujours au travail, Ariane plongée dans d’énormes bouquins, ma tante fourrée Dieu sait où, et Grand-père dans son bureau.

Même Lise ne m’était d’aucun secours ! Sur les deux semaines que nous avons passées dans la capitale, elle a consacré plus des trois quarts de son temps à bouder comme une gamine.

Oh, ce n’était pas à cause de moi. Au contraire, j’étais la seule compagnie bienvenue. Je connais donc les moindres détails de l’affaire, et je suis mieux placée que personne pour la trouver…stupide et ridicule.

Figurez-vous, chers lecteurs, que cet Erwan avec lequel elle me casse les oreilles jour et nuit – son frère, si vous n’avez pas suivi – a été muté à l’autre bout du pays. Malheureusement pour moi, Lise l’adore, et n’a pas manqué, une semaine durant, de pester contre ce changement d’attribution qui n’était pas prévu au programme.

J’aime beaucoup Lise. C’est regrettable ce qui lui arrive. Mais enfin…il semblerait, pour une fois, que sa légendaire intelligence lui ait fait défaut. Cet avancement est bien la fin de nos ennuis.

Enfin, de ceux d’Erwan et de Marvolo, en tout cas.

Puisque Lise défend si ardemment son frère, on pourrait croire que je fais de même avec Marvolo. Rassurez-vous, ce n’est pas le cas. Mon cousin est cent fois trop frimeur à mon goût. Dès qu’un journaliste ou une fille est dans les parages, il faut qu’il déballe son arsenal de saltos et autres trucs sensés impressionner…

Le pire, c’est que certains se laissent prendre au jeu. J’ose espérer, tout de même, que la noix n’est pas entièrement pourrie.

En tout cas, entre les deux, moi, je suis la Suisse. Cette dispute, si elle doit avoir des causes profondes pour perdurer ainsi, n’en est pas moins ridicule. Surtout à leurs âges.

Erwan ne me paraît pas méchant. Il faut dire aussi que je l’ai à peine vu. Crétin, il doit l’être, puisque ça lui arrive de souffler sur les braises.

Et d’incendier un entrepôt, aussi. Mais cela est encore autre chose.

En tout cas, je refuse d’être pour l’un ou l’autre parti. Ménager la chèvre et le chou m’apparaît encore être la meilleure des solutions. Ainsi, je me garantis toujours le soutien de ma famille – si on peut appeler famille cette bande d’absentéistes – et garde l’amitié de Lise.

Mais je disais avant de me perdre de nouveau dans mes pensées que je n’ai pas la moindre envie de retourner à Insvrack.

Pourquoi ? Oh, ce n’est pas la folie qui commence ses ravages, soyez-en rassurés. Au contraire, je considère ce dégoût pour mon école comme une preuve d’excellente santé mentale.

Mais à Insvrack…il y a Cassandre.

Je sais. Je critique l’animosité entre Erwan et Marvolo, et en même temps déplore l’existence de mon ennemie. L’Hendiadyn commence un peu à déteindre, j’en ai l’impression. Si la cachotterie ne m’a pas encore trop atteinte, au moins suis-je bonne pour la contradiction.

Mais Cassandre…ben, c’est Cassandre. Je crois que ce simple mot devrait suffire à tout expliquer.

Je ne l’ai pas vue pendant ma semaine de congé, et Dieu m’en préserve. Au moins étais-je à l’abri de ses sarcasmes. Ce n’est pas tant leur motif – qui, après tout, n’est pas si injustifié que cela – qui m’importune, mais plutôt ce que représente cette forme de racisme. Quoi, l’Hendiadyn, pays de l’égalité ? C’est bien une phrase d’humain ! Les magiciens acceptent certes les différences, mais uniquement dans la mesure où elles sont dictées par la magie qui est en eux depuis des millénaires. Nul ne peut prévoir les caprices de la magie. Si le roi avait les pouvoirs d’un jardinier – ce qui est peut-être le cas, d’ailleurs, tellement il est inactif – personne ne lui en tiendrait rigueur…

Mais moi, je suis une erreur de la nature. Celle qui n’aurait jamais au grand jamais dû avoir la magie. L’Hendiadyn ne devrait représenter pour moi qu’un Eldorado inaccessible.

Et voilà que j’y suis…

Avant de nous séparer, Cassandre m’a lancé une phrase qui m’a touchée en plein cœur : « retourne chez ta mère et reste-y, là est ta place ».

Seigneur, si elle savait… Je meurs d’envie de retourner là-bas ! Maman me manque. New-York aussi ! Et même…même mes frères…

Mais que je sois ici ou là-bas, je ne serais pas à ma place. Une magicienne n’a rien à faire chez les humains, et une descendante d’humains ne devrait pas vivre chez les magiciens.

J’ai envie de creuser un trou et de m’y enterrer…à tout jamais…

En tout cas, c’est ce que je ressens en ce moment. Je suis à la gare aérienne, cigarette en main. Dernier réconfort avant le calvaire ? C’est un peu ça…

Lise ne supporte pas l’odeur, aussi est-elle allée plus loin. J’ai l’air maline, maintenant. Solitaire, asociale, nommez-moi comme vous voulez, je m’en moque. Les magiciens me traitent comme une paria parce que ma mère est humaine. Puisqu’ils se font forts de me rappeler mon ascendance qu’ils jugent souillée, j’estime qu’ils n’ont aucun droit de protester sur l’emploi du tabac.

Tabac qu’il faut que je rachète, d’ailleurs. Je sais qu’il existe une liste au bureau de transfert extra-mondial. Si on le demande et moyennant une assez forte somme, les magiciens en poste dans ce monde hostile peuvent acheter ce que nous voulons.

Je reçois peu d’argent de poche, aussi est-ce pour cela que j’économise comme un écossais. Mais je touche au but. Bientôt, j’aurais de nouveaux paquets…

Non ! N’essayez même pas de me parler de mon argent humain. Tante Marthe l’a certes fait transférer en Hendiadyn, mais je n’ai aucun droit d’y toucher jusqu’à ma nouvelle majorité, soit dix-huit ans.

J’ai vraiment l’impression d’être un bébé. Cela faisait plus de deux ans que j’étais autonome lorsqu’ils sont venus me chercher. Je connais bien la valeur de l’argent. Je suivais même les cours de la bourse. Ce n’est pas comme certaines personnes de ma connaissance… Enfin bref. Je n’ai pas le droit de critiquer. Dans le milieu où j’ai atterri, l’argent est maître. Il serait mauvais pour mon image que je passe outre.

Par pitié, n’interprétez pas mal mes derniers mots. Oui, je dois me soucier de mon image, mais ce n’est pas pour autant que je suis devenue une parfaite émule du paradis de l’orgueil. J’ai juste les pieds sur terre. Si les apparences vont contre moi, pas d’avenir possible…

Je ne veux même pas entendre le mot « contradictoire ». Je sais, mon avenir est destiné à être celui de la dissimulation et de la cachotterie. Mais si je serais agent interne la nuit, en plein jour, je serais médecin. Tante Marthe m’a clairement fait comprendre, un jour où elle était par miracle présente, que je me devais de briller. Le nom d’Elis est destiné à périr, mais autant que cela se fasse avec panache.

Désolée encore pour cette petite incartade. J’ai les nerfs vraiment en pelote, en ce moment, et je suis navrée que vous en fassiez les frais.

Admettez-moi au moins, pour ma défense, que j’ai des circonstances atténuantes : l’affreuse bande de Cassandre est dans mon champ de vision.

Sans la crétine de service, d’ailleurs. Chouette. On ne pourrait pas partir sans elle ? Honnêtement, la vie à Insvrack s’en trouverait grandement améliorée…


- Comment ? dit un garçon que j’ai jugé, juge, et jugerai toujours comme un crétin fini. Tu es encore là ? Tu n’es pas retourné chez toi ? Pauvre fille…il faut vraiment que tu comprennes que ta place n’est pas ici.


C’est vraiment un imbécile. Même Cassandre ne fait pas d’attaques aussi abruptes. Elle, au moins, sait appuyer là où ça fait mal. Ce type, lui, soliloque et sait à peine parler. Malgré tout son venin, je reste de marbre.

Pour peu, je lui viendrais en aide. C’est vrai, quoi, un méchant qui ne sait pas être méchant, c’est contre-nature, et lui qui déteste tant cela…

Je ne prends pas la peine de répliquer à ce fils à papa et lâche un gros nuage de fumée. Mon dessein était de le lui envoyer dans la figure, mais le sort – ou plutôt le vent – en a décidé autrement.

Une légère brise se lève, et la fumée se retourne contre moi. Je n’en ai rien à faire. Ou plutôt si : j’inspire à pleins poumons cette odeur qui, si je puis m’en passer, ne m’apparaît pas moins agréable. Le garçon en face de moi prend un air dégoûté et part embêter quelqu’un d’autre.

Je ricane légèrement. Bon débarras.

Quoique…je viens de penser à un truc. Non, tout compte fait, ce n’est pas la peine de rire. Je dirais même qu’il est possible que je doive pleurer.

Le vent a soulevé mes cheveux, et vous savez comme moi qu’en dessous se cachent les preuves de ma bêtise.

Zut.

Non, réfléchissons. Inutile de se construire un scénario catastrophe. Si ça se trouve, personne ne les a vues…

Si jamais, par le plus grand des hasards, quelqu’un a remarqué ces petits machins, quel est le pourcentage de chance pour que cette personne sache ce qu’elles signifient ?

0,000000000000000000001%, n’est-ce pas ? Dites-moi que je ne me trompe pas…

Enfin, je parle, mais je n’ai même pas regardé derrière moi…

Il n’empêche, j’aurai dû me coller contre un mur.

En tout cas, je commence à devenir une bonne élève de Cachotterie-Land, même si c’est loin de me réjouir.



Oh my God. OMG comme diraient certains.

Cassandre est là, finalement.

Son expression n’est pas de celle que j’appellerais indéchiffrables, non. Elle est juste…ambiguë. Par contre, je crois pouvoir dire sans me tromper qu’elle a vu…et qu’elle sait. Elle sait ce que signifient les marques que j’arbore.

Hum…Ce n’est pas plus mal, après tout. Si si ! En fait, il suffit d’être logique.

Cassandre n’a qu’un but dans la vie : me casser les pieds. Si elle m’appréciait, ou du moins ne voulait pas me nuire, elle aurait sans tarder alerté un médecin. Cependant, puisqu’elle se délecte de la moindre de mes bêtises, je crois pouvoir affirmer qu’elle prendra un plaisir sadique à suivre les progrès de ma décadence…en direct.

Faire courir le bruit serait comme revendre la place de cinéma qu’on vient d’acheter : chercher à manquer le spectacle.

Donc j’ai la paix.

Nous nous toisons, mais elle n’enlève pas pour autant son imbécile de sourire satisfait qu’elle arborait lorsque je l’ai vue.

Il est hors de question que je perde mon temps à me chamailler avec cette idiote. Si le temps de santé mentale qui me reste est compté, autant l’employer à ne faire que des choses utiles.

Je m’envole pour rejoindre Lise. Lorsque j’atterris, Cassandre sourit toujours.
Bad news by Khana
Author's Notes:
coucou! merci de me lire! ce roman est le plus lu du site actuellement, et ça me fait vraiment chaud au coeur de voir ça. voici donc un nouveau chapitre, avec en scène notre ronchon préférée! le début du suivant est sur gadgetauchapeau.skyrock.com, si vous êtes intéressés.

biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
Je vous prie de bien vouloir m’excuser pour ce saut de quelques mois. Ce n’est pas de ma faute, mais rien ne m’est arrivé.

Rien qui sorte de l’ordinaire, du moins. Cassandre est chaque jour de plus en plus infecte, la magie fait de la résistance, et les marques de mes oreilles sont toujours là.

Le plus étrange est que j’ai toujours ma santé mentale. Enfin, peut-être qu’en fait je suis déjà folle, mais en ce cas il serait normal que la folie me paraisse naturelle, et un esprit équilibré m’apparaisse fou…

Non, vraiment, rien à signaler. RAS, pour reprendre une expression humaine. Mais bon, il faut que je parle. Je vais donc satisfaire à votre curiosité…

Hier, je suis rentrée de mon examen de survie. Mes professeurs ont eu la gentillesse de me donner tout pile 10. Je ne l’avais pas mérité, pourtant. Mes sortilèges étaient loin d’être brillants.

Enfin, j’ai validé mon année. C’est toujours ça de gagné.

Je disais…qu’il n’y avait rien à signaler. Je me trompais, apparemment. Le plus grand avantage d’Insvrack doit probablement être que nous sommes informés des moindres remous dans le pays en temps réel.

Grand-père m’a paru soucieux la dernière fois que je l’ai vu, il y a deux mois. Enfin, je veux dire, plus soucieux que d’habitude. Diriger un pays à la place d’un roi incapable n’est naturellement pas une activité faite pour se détendre, mais je dois avouer que cette fois-ci, il était vraiment inquiet.

Me croiriez-vous si je vous disais que c’est depuis ce jour que j’épluche consciencieusement les moindres rapports sur l’activité intérieure du pays qui sont transmis à Insvrack ?

Certes, lorsque je vivais aux Etats-Unis, je me penchais avec intérêt sur la vie politique. Je n’appartenais à aucun parti. En fait, je n’avais aucune idée précise. Le commandement n’est pas mon fort, et je me gardais bien de lui courir après.

Mais je m’intéressais à ce qui se passait. Les journaux ne disaient pas la moitié des événements, je le sais, mais il était toujours intéressant de connaître leur point de vue. Pour moi, les hommes politiques n’ont toujours été qu’une bande de gamins pourris. Ils agissent en fonction de leurs propres intérêts, pas pour le bien du pays. Certains pourront trouver cette réaction un peu excessive, mais permettez-moi de dire que les journaux font cent fois pire. Un jour ils encensent un personnage, le lendemain ils le traînent dans la boue. Si je ne suis pas une as de ce milieu, au moins, je garde le même avis.

« Il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis. » Je sais, oui ! Attendez au moins que j’ai terminé. Je vous préviens tout de même que ça ne va pas être facile, je suis assez fatiguée.

Justement, la politique de l’Hendiadyn, dûment menée par Grand-père, me paraît très différente de tout ce que j’ai entrevu jusqu’alors.

Grand-père n’est pas parfait. C’est juste. Néanmoins, il faut admettre qu’il est avisé, et excellent dirigeant. Ce n’est pas pour rien qu’il occupe ce poste depuis plus de dix ans.

Lorsqu’une vérité doit être dite, il la dit. Rien ne l’empêche de donner le fond de sa pensée. Les méandres du savoir-vivre et de la diplomatie ne lui sont pas étrangers, mais Grand-père a poussé leur maîtrise jusqu’à son paroxysme. Personne ne sait ce qu’il pense, mais ses paroles sont si implacables qu’elles ne peuvent que transmettre la vérité.

Mais lorsqu’une chose doit être tue…lorsqu’elle est trop grave, trop secrète encore, il serait capable d’emporter ce secret jusqu’à la mort. C’est un comportement louable dans le fond, merveilleux témoignage de maîtrise politique. Cependant, dans l’absolu, je ne peux que l’en blâmer.

Cachotterie-Land, hein ? Et on voudrait nous faire croire que tout va bien ! Pourtant, d’après le rapport que j’ai devant les yeux, une crise se profile. Elle est profonde déjà. Depuis combien de temps a-t-elle débuté ? Trois mois ? Six mois ? Un an ?

La situation est grave. Très grave, même, et c’est à ce titre que j’estime qu’elle aurait dû être révélée au plus tôt. Dire que la population demeurait insouciante…moi y compris…que Marvolo se livrait à ses gamineries…alors qu’il se passait…ça !

Oui, tout compte fait, il y a quelque chose à signaler.

L’Hendiadyn s’avance vers l’événement le plus marquant de son Histoire depuis le renversement de la domination de Blakar.

Intéressant. J’ai fait une transition sans même le vouloir. Car c’est bien avec Blakar que commence toute l’affaire. On croyait ce monde endormi. Privé de chef, ou entre les mains d’une personne insignifiante. Mais manifestement, ce n’est plus le cas.

Le chef, le meneur, le roi devrais-je dire, le roi du Magistral, menace de revenir. Il sait que la magie des postes est toujours présente, et entend bien la relever. Maître de la Magie Noire, il veut de nouveau asseoir sa domination sur l’Hendiadyn.

L’invasion a déjà commencé.

Ce serait facile de la repousser si seulement…si seulement nous en avions le moyen. Le Maître Noir n’a pas envoyé grand-chose. Un dragon, tout au plus. Ces créatures ne relèvent pas que de la légende, hélas. Personne ne l’a vu, mais ses cris et ses empreintes ont suffi à l’identifier. D’après le rapport, il loge au sud du pays, sur une île située au milieu d’une rivière chaude. Il se dissimule dans les vapeurs. Pour l’instant, il ne fait rien. Attente d’ordres ? Peut-être. Le Conseil n’a pas daigné nous en communiquer davantage.

Mais il est là. Il hurle. Il gronde. Jamais encore il n’a osé traverser la rivière. Mais ce n’est qu’une question de temps. C’est indéniable. Personne ne le voit, donc personne ne peut l’attaquer. Et si seulement nous réussissions à avoir l’avantage, il faudrait encore savoir le faire sortir. Le secret de l’ouverture des portes de passage vers Blakar a disparu avec la fin de l’invasion. Si encore certains savent où elles se trouvent, personne n’est en mesure de les actionner.


- C’est affreux…murmure Lise à côté de moi.


Oui, c’est affreux. C’est affreux de se savoir en danger. Mais il faut relativiser : peut-être que les duellistes tueront rapidement la bête, et que Blakar renoncera.

Bon, je vous accorde que la probabilité pour que ce souhait s’exauce est de moins d’un pourcent. Je dirais, même… 0,000000000000000000000001%. Mais bon, l’espoir fait vivre.

Nom d’un chien, je suis vraiment épuisée. Je n’ai pas l’habitude de me fier aux adages. En fait, je n’y crois pas du tout. Les empereurs chinois croyaient dur comme fer qu’en buvant certaines mixtures ils deviendraient immortels. Aux dernières nouvelles, aucun n’a fait son come-back.

Pas de doute, ce dicton est des plus stupides. Si j’avais été réveillée, jamais je n’aurais sorti ça.

Peut-être que c’est la folie qui commence…


- Tu ne te rends pas compte, soupire Lise. C’est épouvantable, ce qui se passe. L’Hendiadyn va être le théâtre de grands changements. Il y aura des morts ! Un affrontement entre notre royaume et Blakar est inévitable, trop de choses sont restées en suspens.

- Tu me parais considérer ça comme une espèce de fin du monde, je réplique en tirant une bouffée de ma cigarette.


Cassandre décampe aussitôt. YES ! Bon débarras. Pratique, le tabac. Dommage que je ne doive pas trop en consommer. C’est un excellent repoussoir à Cassandre.

C’est marrant, elle a les cheveux noirs avec des mèches blanches…j’avais jamais remarqué… Et dire qu’elle se payait de ma tête parce que je suis trop blonde à son goût. Elle peut parler !


- Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne pense pas que ce sera une fin du monde. Du moins, pas totale. Il faut jouer cartes sur table. Blakar et l’Hendiadyn ne peuvent vivre en paix l’un à côté de l’autre. L’un des deux doit disparaître.

- Pourvu que ce soit Blakar.

- Pourvu que ce soit Blakar… mais il y a autre chose qui m’ennuie.


Ah. Lise est ennuyée par quelque chose. C’est embêtant. Sa légendaire intelligence ne lui a jusque là jamais fait défaut. Mais si elle est ennuyée…je crains qu’elle ne se laisse trop facilement distraire par ce qui la tarabuste.

Son raisonnement pourrait s’en trouver faussé. Ce serait fort dommage. Lise – et je ne dis pas cela uniquement parce qu’elle est mon amie – a toujours la vision la plus juste des événements.

Elle ira loin… Ariane appellerait ça « une amitié à cultiver », c'est-à-dire qu’il vaut mieux se lier d’amitié avec elle afin de pouvoir grimper au mieux dans l’échelle sociale, par un solide piston.

Si elle savait combien je m’en moque. Ce milieu crevant d’ambition n’est vraiment pas mon truc. En plus, si je voulais un piston, j’ai déjà Grand-père sous la main. Il l’a bien fait jouer pour Marvolo, pourquoi pas moi ?

Bien sûr, le principal intéressé nie tout en bloc. C’est cela, oui… Gamin superficiel. Comme le milieu dans lequel nous évoluons, d’ailleurs.


- C’est grave. Si, comme je le pense, une grande confrontation se prépare, l’Hendiadyn ne va pas user ses duellistes pour se débarrasser d’un dragon, aussi gros soit-il. Non. Le Conseil enverra des brigadiers. J’en mettrais ma main à couper. Ils n’ont pas saisi l’importance de la situation.

- Ou essayent d’économiser les forces à notre disposition, je dis en étouffant un bâillement.


Ce n’est pas qu’elle m’ennuie, mais je meurs d’envie d’aller dormir…


- Impossible. Tu sais, Sarah, je crois que tu donnes à l’Hendiadyn une perfection qu’il n’a pas. Tu dis que rien n’est comparable avec le monde humain, mais je n’en suis pas si sûre. Le Royaume est aussi pourri que n’importe lequel des Etats de la Terre. J’ai beaucoup de respect pour Sir Elis, il fait bien son travail, mais il est bien le seul bon élément, et un homme demeure un homme ! Personne ne peut déplacer une montagne seul, mais l’union fait la force. Ton grand-père est la seule tête pensante valable du Conseil. En admettant qu’il ait comprit quel est le danger, il ne peut agir seul face aux veaux du Conseil. S’il est minoritaire dans un vote, il doit s’incliner.

- Tu oublies Madame Joly, je reprends. Elle n’est pas bête, et c’est une duelliste.

- Certes, mais en ce cas ça ne fera jamais que deux. Deux sur plus de cinquante… Non, crois-moi, le Conseil n’a pas compris. Il va envoyer les brigadiers d’Inguat régler ça en deux coups de cuillère à pot. Ce sont ceux de la ville la plus proche.

- Et tu crains qu’ils ne réussissent pas ?

- Ce n’est pas cela… Erwan est dans la brigade d’Inguat ! Si ça se trouve, il risque déjà sa vie en cet instant, et je ne peux rien faire pour l’aider ! Je risque de le perdre !


Bon, cette fois-ci, elle en a les larmes aux yeux.

Pauvre Lise… J’ai beau critiquer son frère dès que j’en ai l’occasion – dans ma tête, sinon elle me tuerait – je ne peux que l’envier. Moi, dans ma famille, du fait de ma maladie, j’étais…à part. Jamais mes frères n’ont plus tenu à moi au dessus du minimum syndical.

Il faut que je cesse d’y penser. Je l’ai déjà dit, je crois, songer à ma famille demeurée chez les humains ne peut rien m’apporter que des larmes, pour l’instant. Mes frères m’ont presque rejetée lorsque je suis partie, et même si ma mère m’aime, elle demeure seule dans son camp… Régie par la loi du silence, désormais… S’il y a bien une chose que j’ai hérité d’elle, c’est son manque de goût pour la domination.

Je serre Lise dans mes bras. J’aimerais faire quelque chose pour elle. Maintenant, évidement, c’est impossible. On me répète si souvent que je suis une enfant que je commence à oublier le sens de l’initiative.

Attendez une minute…je crois que j’ai une idée…


- Tu sais quoi ? je murmure à mon amie. Il y a peut-être un moyen de s’assurer qu’il va bien.


Lise me regarde d’un air interrogatif. J’ai un énorme sourire. En temps normal, elle réprimerait mon idée. Seulement, là, il s’agit de son frère, et je la sais capable de braver les règlements pour lui.
Inguat by Khana
Author's Notes:
coucou! merci de me lire! voici le nouveau chapitre! la suite est sur gadetauchapeau.skyrock.com, si vous voulez! biiiiiiiiiz!
Voilà donc la fameuse ville d’Inguat… Vous voulez mon avis sur la chose ? C’est laid. Très laid. Inguat n’a pas le charme d’Asyndète.

Si je devais trouver un point de comparaison, alors je dirais que la ville est comme celles des mauvais films d’horreur. Lorsque tout va mal, lorsqu’on pense qu’il n’y a plus d’espoir, tout apparaît aussi triste qu’ici.

Les maisons s’empilent sans grâce. Tout est gris et morne. Même les robes, qui ne m’apparaissent pas plus grandes que des grains de poussière, ne parviennent pas à mettre un peu de couleur. Il n’y a aucune lumière. Les rayons du soleil, qui éclairent la capitale d’un éclat doux mais puissant, sont retenus par d’épais nuages de vapeur.

J’ignore quelle est l’ambiance de la ville – après tout, je ne fais que la survoler – mais je pense pouvoir dire sans me tromper qu’une animation comme celle d’Asyndète – même si tout dans la capitale est factice – ne doit pas se retrouver ici. Pas de joyeuses conversations. Pas de brusques éclats de rire. Pas de fêtes.

Il fait chaud. Je transpire sous ma robe noire d’élève, et la poussière se colle à mon visage moite. La vapeur de la rivière ne me fait aucune grâce.

Je plains Erwan. Je le connais à peine, mais je ne souhaiterais même pas à mon pire ennemi de vivre là-dedans. Ville d’horreur. Pour peu, je me croirais en enfer.

Enfer…hum, voilà qui me ramène à la réalité. Il est facile, même pour un idiot, de comprendre pourquoi le maître de Blakar a choisi cet endroit pour démarrer son invasion. Sans doute doit-il s’y sentir un peu chez lui.

Les environs ne valent guère mieux. Les arbres, l’herbe, les plantes, font grises mines. Pour peu, je me croirais au dessus d’une usine. C’est un endroit où seuls les fous et les suicidaires voudraient aller.

Je n’appartiens à aucun de ces groupes, Dieu m’en préserve. Pourtant, je sais, il faut que j’entre là. Que je m’approche. Cette ville de désolation est la seule à pouvoir m’apporter les réponses que je cherche.

C’est l’heure de rentrer. Congés d’été. Les élèves, les professeurs, retournent dans leurs foyers pour deux longs mois. Deux mois de repos. Deux mois où Insvrack ne connaîtra plus le remous des combats, les élèves surchargés de travail, les courses sur le domaine. Seul un vieux gardien demeure. L’emplacement de l’école est secret. Qui pourrait se douter que le fleuron de la sécurité de l’Hendiadyn est formé dans un endroit si reculé et dangereux ?

Lise vole à mes côtés. Son corps est là, mais je sens son esprit parti…ailleurs. Elle est inquiète. Malgré le petit plan que nous avons savamment monté ensemble, où elle a un rôle à jouer évidement, elle craint pour la vie de son frère.

Je n’ai pas osé lui dire ce qui me brûle la langue : si Erwan avait été tué, ou ne serais-ce que blessé, ses parents en auraient été avertis, et Lise aurait reçu un courrier. Mais bon, j’ai préféré me taire. Mon amie m’aurait fait un exposé en trois parties neuf sous-parties sur les difficultés de transmissions du courrier entre Insvrack et le reste de l’Hendiadyn, dans quel que sens que ce fût.

Ce n’est pas que je m’en moque, mais enfin…savoir ce qu’elle aurait dit ne me serait d’aucune utilité. Je ne reçois aucune lettre, de toute manière. Ah si. Pardon.

Hier, j’ai reçu une carte. D’anniversaire. Ma tante ne m’a pas oubliée, et s’est débrouillée pour passer par-dessus les systèmes de contrôle d’entrée du courrier dans les écoles.

Pour votre gouverne, sachez que j’ai seize ans depuis deux jours. Tante Marthe, qui ne m’a pourtant pas adressé une seule lettre pendant toute mon année, a eu la gentillesse de se souvenir de la date. Elle est bien la seule. Bon, Lise le savait, c’est vrai. Mais le reste de ma famille, nada !

Grand-père ? Il aurait préféré mourir que se faire rappeler qu’il vieillit. J’ai déjà dû lui donner trois rides de plus en apparaissant de manière aussi inopinée l’an dernier.

Marvolo ? Il est gentil, toujours très poli, mais je ne suis pas sûr qu’il fasse très grand cas de moi. Je ne dois lui apparaître que comme une enfant.

Ariane ? Sait-elle seulement que j’existe ?

Ma…famille humaine ? Seigneur, c’est difficile, tout de même, d’y penser. Comme à chaque fois, mon cœur se brise rien qu’à l’évocation de ma mère. Seule au milieu de mes frères. Ils m’ont probablement oubliée. Je suis un relent du passé, le souvenir qu’on voudrait oublier. Que reste-t-il de moi ? Un acte de naissance…l’attestation de transfert en Hendiadyn…quelques affaires…des photos, peut-être. Non, désormais, Maman ne peut plus penser à moi. Je suis une étrangère. Ce serait trahir sa famille.

Ne me dites pas que je suis défaitiste ! C’est obligé que les choses se passent ainsi. Dès qu’ils ont connu la vérité…sur moi…mes frères n’ont plus eu le même regard. Pour eux, j’avais déjà changé de monde. Je n’étais plus leur sœur.

Edward parlait de changer de nom. Tommy a vaguement grogné sans un regard pour moi. Seul Damian paraissait vouloir dire quelque chose, mais je me doute bien que ça n’aurait pas été agréable à entendre. Il m’a toujours considérée comme une enfant. Qu’est ce que cela changeait ? Nos relations n’ont jamais été chaleureuses, et il avait déjà parcouru depuis longtemps le chemin sur lequel Tommy et Edward venaient de s’engager.

Eleanor doit être devenue Madame Elis maintenant. Elle doit s’appliquer à donner à la famille une image respectable, afin d’effacer cette tare venue par Papa.

Misère…mes larmes coulent maintenant. Ce ne sont pas les poussières qui me font pleurer. Je savais que je n’aurais jamais dû penser à mes parents. A Maman. C’est trop douloureux…de savoir…de penser…que je ne suis qu’une étrangère.

Même ici…je ne crois pas avoir été totalement acceptée. Je ne suis qu’à moitié magicienne, et personne ne l’a oublié. Même ceux qui ont l’esprit ouvert, comme Lise, ma tante, Marvolo, ou certains de mes professeurs. Ils excusent mes erreurs, les lavent d’un sourire. Intérieurement, j’en suis sûre, ils pensent que la faute n’est pas mienne. C’est au dessus de mes forces. Je suis à moitié humaine, après tout…

Ils pensent que je ne le sais pas, mais je le lis dans leurs yeux. Je n’en dis rien. Après tout, ils se montrent conciliants, pourquoi ne le serais-je pas ?

Non, vraiment, penser à ma famille ne me réussit pas. Je broie du noir, peut-être à raison, certes, mais je dois savoir me montrer forte. A Insvrack, il nous a plusieurs fois été répété que nous devions mettre nos chagrins et colères de côté, et n’agir que la tête froide.

Or, là, il faut que j’agisse.


- Hey ! Sarah ! Arrête de rêver ! C’est le moment !


Arrêter de rêver ? Mon Dieu, elle en a de bonnes ! Qui était dans les nuages depuis le décollage ? Sans jeu de mots, hein. C’est bien elle, il me semble.

Je lui ai promis que je l’aiderai à avoir des nouvelles de son frère. Puisque je ne puis me réconcilier avec ma famille, autant l’aider à être heureuse dans la sienne.


- Tu peux commencer le numéro, je murmure. Je suis prête.


Enfin, pas vraiment, mais c’est le moment ou jamais.

Insensiblement, je m’écarte d’elle et me dirige vers une des extrémités du groupe. Joie des joies, Cassandre n’y est pas. Vraiment la situation idéale. Le cirque peut commencer…même s’il s’agit plus d’une opération de commando que d’un spectacle.


- Oh, vous avez vu le bel oiseau ? Il est super rare ! Attendez, je vais l’attraper !


Hum…le but est atteint, mais l’exécution malhabile. Décidément, Lise est plus intellectuelle que pratique. Il faudra pourtant qu’elle progresse dans ce dernier domaine si elle veut espérer une bonne place.

Je vous jure, ce n’est pas mon mauvais caractère qui dit cela ! Je pensais juste que…enfin…elle aurait pu attendre qu’un oiseau passe pour lancer son cri.

Stupidité. A cette altitude, rares sont les piafs. Décidément, notre entourage est bien crédule… Je veux bien que l’intelligence de Lise soit universellement reconnue, mais ce n’est pas une excuse pour se départir de son esprit critique.

Enfin, la voilà qui part à la poursuite d’un volatile imaginaire. Un professeur se lance aussitôt à sa poursuite, sous l’œil amusé et curieux des autres élèves. Aucun ne remarque la diversion. Et c’est censé être observateur ! Voyez où est tombé le monde…

Personne ne me regarde. Insensiblement, je m’éloigne. De quelques mètres d’abord, puis de plus en plus. Toujours aucune réaction. Je compte donc si peu que cela pour eux ? Charmant… Moi qui tentais d’être aimable, je n’ai plus aucune raison de l’être maintenant.

Cassandre tourne la tête, et nos regards se croisent. Je suis loin, aussi je ne vois pas bien. Cependant, il me paraît lire…de la colère ? dans ses yeux. Elle serre les poings. Mon incartade lui déplaît.

Vraiment ? Tant mieux, j’ose dire. Après tout, ce n’était pas le but premier, mais si fuguer peut la faire tourner en bourrique, alors je suis prête à recommencer.

Si quelqu’un devait me voir, il vaut mieux que ce soit elle et pas une autre personne. Ne paraissez pas étonnés, je sais ce que je dis. Cassandre me hait. Si je mets ma vie en danger, ou bien si je commets une faute digne des annales, elle ne donnera pas l’alerte. Rien ne lui plaît plus que me voir souffrir. Sans doute pense-t-elle que je risque ma vie. Mais ça ne la dérange pas.

Monstre, va.

Oh, mais tant que j’y pense, c’est bien de cela qu’il est indirectement question : d’un affreux monstre. Je dois vérifier qu’Erwan va bien.

Pourquoi moi ? Pourquoi moi et pas Lise, alors que mes capacités magiques et intellectuelles sont loin de valoir les miennes ? C’est fort simple. Parce que je suis une Elis…

La famille Amir, pour aussi opulente qu’elle soit, se sortirait bien mal de pareil scandale. Moi…pas.

Je sais que c’est risqué. En fait, il y a deux solutions : l’une, c’est que les journaux s’emparent de l’affaire avec appétit et en fassent leur chou gras. Après avoir tartiné plusieurs pages sur ma blessure à la cheville – si on les écoutait j’aurais tenté de m’enfuir de l’Hendiadyn – ils se jetteraient avec avidité sur ce scandale, le premier qui touche les Elis depuis des lustres.

Mais je n’y crois pas. Grand-père a de l’argent. Beaucoup d’argent. Payer ne lui serait pas un problème. Retenir la somme de mes maigres biens non plus, d’ailleurs. C’est un point que j’aurais mieux fait de ne pas négliger avant de me lancer là-dedans, maintenant que j’y pense.

Enfin, je ne pense pas que l’affaire s’ébruitera. Tout demeurera secret. Ce que je m’apprête à faire est interdit, mais la peur d’un scandale empêchera quiconque de me punir, du moins pénalement. Dans la sphère privée, c’est autre chose…quoique Grand-père est tellement occupé que je ne pense pas pouvoir lui faire confiance pour ça.

J’ai envie d’aventure. Personne ne fait attention à moi plus que nécessaire. J’ai été installée, en arrivant ici, dans un carcan qui m’oppresse. Cet univers-là n’est pas le mien. Même si ce n’est que pour quelques heures, je veux retourner à celle que j’étais jadis. Une fille libre…

Le temps passe, sur le cadran de ma montre. Une demi-heure, déjà. Mon départ a dû être remarqué. Peut-être qu’un professeur est parti à ma poursuite. Selon quel cap ? Cassandre a peut-être vendu la mèche, tout compte fait…

Ce n’est vraiment pas le moment pour moi de me faire prendre. J’ai promis à Lise, à la fois par désir d’aventure et de liberté, et par amitié. J’aurais l’air fine, si j’étais rattrapée avant d’être allée au bout de ma mission.

Et si je me faisais renvoyer ? Grand-père me viendrait certainement en aide… Mais s’il ne le fait pas ? Etrange pour moi de le dire, mais je ne veux pas quitter Insvrack. Mes difficultés n’ont pas changé. Je suis toujours aussi cancre dans la pratique magique que Lise est intelligente. Mais je me sens bien à l’école. Pas complète, je n’irais pas jusque là. Après tout, ma place n’est pas vraiment ici, de même qu’elle n’est pas chez les humains.

Mais je marche sur les traces de Papa, et c’est ce qui compte à mes yeux. En me donnant son pouvoir, l’ajoutant au mien, il a voulu que je vienne ici. Quelles étaient ses motivations ? Je l’ignore, mais le résultat est là. Par égard pour mon père, je dois rester.

Si jamais…Insvrack…décidait, tout de même, de m’expulser… Ce ne serait vraiment pas dans leur intérêt. J’ai remarqué, en observant le monde dans lequel on m’a jetée, que je vis dans une société privilégiée. Cela n’est pas en soi une nouvelle. Mon univers est celui de l’argent roi et du culte des traditions.

Cette société diffère bien peu de son équivalent humain. Soyez différent et vous serez rejeté. Peut-être pas officiellement, mais dans le fond ce sera le cas. Nulle gentillesse ici. C’est un combat, un combat d’argent, un combat de puissance. Nulle pitié.

Alors je m’abaisserai à leur niveau. Insvrack devra bien réfléchir avant de me jeter dehors. Après tout, je suis censée appartenir à cette société cruelle. Par pure vengeance, je n’aurais aucun scrupule à tout révéler…

Moi méchante ? Peut-être bien. Mais j’aurais fait justice. Ils auront brisé ma vie, alors j’aurais brisé la leur. C’est cela, la pensée de mon milieu. Si je n’écoutais que mon cœur, je serais partie pleurer dans mon coin.

Mais là, ce ne sera pas le cas. Je commettrais un dernier acte, celui qui leur fera craindre d’avoir créé un nouveau monstre. Et puis je disparaîtrais. Pas loin, sauf pour eux.

Cessons de penser à cela. Ce domaine m’appartient, et je ferais mieux de ne pas me bâtir des films d’horreur. De plus, rien ne me dit que, le cas échéant, je serais capable d’agir comme j’ai prévu de le faire.

Inguat m’apparaît. Vu de près, c’est encore plus laid. Heureusement que je ne suis pas là pour le tourisme, sinon je m’ennuierais plus que le Roi dans son palais.

J’ai une visite à faire.
Dragon by Khana
Author's Notes:
petit chapitre...pas très intéressant... mais important pour la suite. Sarah est pas douée, on le savait déjà.

enfin, dans le chapitre suivant elle va faire pire.

merci de me lire! la suite est sur gadgetauchapeau, si vous voulez!

biiiiiiiiiiiiiiiiiz!
J’exécute un bond sur le côté et pousse un nouveau juron.

Sale bête !

Et saleté de sens de l’orientation qu’est le mien. C’est vrai, quoi ! Je volais au dessus des nuages. J’ai cru me diriger vers le centre des brigadiers d’Inguat. Pas du tout ! Gaffeuse comme je le suis, j’ai réussi à faire ce que même un duelliste aguerri se refuse à exécuter : rendre visite au lézard géant.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si seulement la bestiole ne me paraissait pas très désireuse de me prendre pour bifteck. En cet instant plus que jamais, alors que j’esquive un coup de queue qui m’aurait transformée en crêpe, je maudis ma malchance.

C’est vrai, quoi, admettez que je peux me plaindre. Je ne sais si ça tient à mes rapports conflictuels avec la magie, à mes origines humaines, ou bien au hasard, mais il me semble que tous les animaux m’apprécient, spécialement les carnivores.

Je ne suis pas un gros lard, pourtant ! J’étais déjà maigre en arrivant en Hendiadyn. Ajoutez à cela Insvrack et son terrain de six kilomètres de rayon, suivi de cent pompes, cinquante tractions, et autant d’abdos. En l’espace d’un an, je me suis transformée en musclor. C’est laid, inutile, et en plus je dois le cacher pour éviter de hurler sur les toits ma véritable formation.

Alors j’ai une question : à quoi pareille torture physique peut bien servir ? On nous parle toujours de dysfonctionnement magique. Mon œil ! Aucune force n’est assez puissante pour retenir toute la magie.

Faux, répondrait Lise. Tant que l’impossible n’est pas prouvé, personne ne peut croire en son impossibilité. Phrase profonde du jour, méditez dessus et après je ramasse les copies.

Mais en attendant, moi je dis que sport ou pas, ça chauffe pour mes fesses !

Nouveau coup de queue, nouvelle esquive. J’ai ma baguette dans la main, mais c’est plus inutile qu’un maillot de bain à un esquimau. Quel sort pourrait traverser la carapace de pareil monstre ?

Je ne suis déjà pas sûre qu’un duelliste confirmé arriverait à venir au bout de pareil mastodonte, alors moi… Et zut !

Il a vraiment failli m’avoir cette fois-ci. Je m’en tire, mais j’ai tout de même une estafilade sur la joue. Super. On dirait que je reviens de la guerre, maintenant. Bientôt on va me prendre pour un ancien combattant, et j’aurais droit à une maison de retraite dorée, avec infirmières au décolleté plongeant, et sorties pour les commémorations. Peut-être même qu’on me donnera, en prime, une brochette de décorations dignes de celle d’un général russe.

Avouez, tout de même, que si je pouvais choisir entre ça et être punie, je préférerais…être punie. Au moins, on s’intéresserait à moi. Je veux bien manger ma casquette si Grand-père ou tante Marthe ne fais ne serais-ce que me parler du « malencontreux incident ».

La vie de riche n’est vraiment pas enviable. Je comprends que Marvolo soit aussi excentrique et Ariane aussi ronchon. Personne n’a jamais vraiment dû s’occuper d’eux. Mais enfin, abandon ou pas, ce n’est pas une raison pour qu’Ariane me regarde comme étant le malheur incarné.

Saut en arrière. Je retire ce que j’ai dit précédemment. Le sport à Insvrack sert bien à quelque chose…dans cette situation. Mais sans vouloir les vexer, je crois tout de même être la seule étudiante à être allée chercher les ennuis auprès d’un dragon affamé.

Ne me dites pas que je n’ai qu’à voler. Ce n’est pas si simple. Je l’aurais déjà fait avant, qu’est ce que vous croyez ! Incompétente, certes je le suis, mais pas stupide. Mais si je vole, la bête aussi, et je n’ai guère envie de me transformer en proie facile.

Bon, en même temps, vu la taille du mastodonte, je risque de ne pas être plus nourrissante qu’un Apéricube. La bébête ferait bien d’y songer avant de me croquer.

En attendant, me voilà obligée de jouer à cache-cache avec un dragon de la taille d’une montagne. Enfin, ça, je le présume, sans plus. Celui qui a envoyé cette boule d’écailles a bien choisi son coin. Toute l’île est enveloppée par les vapeurs. Depuis une heure que j’y suis, je n’ai encore aperçu du Croquemitaine qu’une queue aussi pourpre que la robe de Sir Elis au Conseil, et quelques empreintes.

Bizarres, d’ailleurs, ces empreintes. Je me demande…quelque chose cloche, c’est certain, mais ce n’est ni le lieu ni l’heure d’y songer. De toute manière, ça me prendrait tellement de temps que je serais croquée avant d’avoir trouvé la réponse.

Si seulement je savais où est la berge… Peut-être qu’en me jetant à l’eau, je serais sauve. Le monstre serait bien capable de nager, mais en ce cas, pourquoi ne l’a-t-il pas fait avant ?

Peut-être qu’il a peur de l’eau… Remarquez, ce serait logique. Les dragons crachent le feu, du moins dans les légendes, et leur haleine de bouc est une arme des plus redoutables. Vous avez bien de la chance de ne pas la sentir ! Nom d’un chien, ça empeste ! Je ne serais pas étonnée si cette puanteur était plus efficace que tout le feu du monde. Elle me prend à la gorge, me saisit, m’étouffe.

Pardonnez-moi d’être aussi commune, mais si ce monstre pète, je perds tous mes moyens.

En y songeant deux minutes, ce serait une excellente arme de guerre. Vaincre l’ennemi par la puanteur…voilà quelque chose qui peut difficilement se contrer. Je doute que le plus puissant des sortilèges désodorisants réussisse à venir à bout des effluves émis par la sale bête.

Tout de même, je me demande… Mais qu’est ce qu’il fait là ?

Je me baisse brusquement. Milles sabords, ce n’est vraiment pas passé loin, cette fois-ci. Quelqu’un va-t-il enfin remarquer que le dragon a trouvé un nouveau jouet ? S’ils sont tous en train de faire des paris, en sécurité, je vous promets que je vais les faire payer… Je n’ai pas osé le dire à Lise, mais pour moi tous les brigadiers d’Inguat sont des ânes. Sinon, pourquoi les envoyer dans le coin le plus moche de Cachotterie-Land ?

Si jamais je meurs par leur faute, je reviendrai les hanter jusqu’à la fin de leurs jours.

Difficilement, je rampe jusqu’à un rocher. Bon, peut-être que la bestiole sera assez bécasse pour ne pas me chercher ici. J’ignore si elle a un flair développé, mais ça sent tellement mauvais qu’une bouse de vache serait à côté le plus délicat des parfums.

…et zut. Je me disais bien que quelque chose me piquait.

Toute ma manche gauche est déchirée. Le long de mon bras s’étend une large coupure, assez profonde me semble-t-il, mais qui n’a pas atteint l’os.

Notez cette nouvelle tare. Je suis blessée, Gravement même, diront probablement les médecins si je survis jusque là, et voilà que je ne sens rien. Ou presque. Un vague picotement, et encore… c’est à peine plus dérangeant qu’une piqûre de moustique.

Si ça se trouve, c’est peut-être le début de la folie… Peut-être que la Magie Noire ne s’emploie pas à détraquer mon esprit, mais mon corps…

…Ce qui expliquerait également pourquoi j’ai autant volé de travers.

De toute manière, avec moi, tout est de travers. La seule chose bonne qui pourrait m’arriver en ce moment est que le dragon ne s’intéresse pas à moi. Il grogne, mais sur quelque chose d’autre, peut-être. Un ver de terre, qui sait.

…Mince.

C’est ce que je disais, mon corps est détraqué. Mon bras ne me fait aucun mal, mais les marques de mes oreilles, elles, s’enflamment. Ma respiration se bloque sans mon invitation. Je ne dirais pas que je souffre, non, mais quelque chose m’accapare toute entière.

L’espace d’un instant, j’oublie l’endroit où je suis. J’oublie qui je suis. J’oublie ma fonction, ma famille, mon passé. Je vois sans regarder, j’entends sans écouter. Mais je sens…un danger.

Est-ce de l’instinct ? Non, trop précis. Une vision ? Pourtant, mes yeux reçoivent toujours les mêmes images, bien que je ne saurais les décrire. Des taches de couleur qui s’agitent, c’est tout ce que je perçois.

En revanche…un territoire…une terre, appelle son maître. Il est là, presque prêt. Il ne tient plus qu’à lui d’entrer en scène. Qu’attend-t-il donc ? Sait-il, seulement ?

Il faut qu’il sache. Sa terre a besoin de lui. Le danger se fait plus pressant. L’étau se resserre chaque jour, il faut faire vite.

Quelqu’un est parti le chercher… Une femme… Elle est proche de lui, prête à éveiller en lui cette force nouvelle qui soulèvera des montagnes. Elle s’y emploie à chaque heure… C’est la meilleure, elle y arrivera. Mais dans combien de temps ?


- Sarah ! Sarah ! Réveille-toi, bon sang !


Brusque atterrissage. Je suis toute en sueur. Mes cheveux collent à mes tempes, et mon cœur bat plus vite que je ne l’en aurais cru capable.

J’ai une question : c’était quoi ça ?

Ce qui vient de se passer, hein. Vous vous en doutez. Le reste, je parviens à le comprendre, encore qu’il demeure quelques zones d’ombre.

D’une, je ne suis plus sur l’île, mais dans une pièce toute blanche.

De deux, ma main est guérie.

De trois, Erwan Amir est penché sur moi, et vient de me gifler.
Se réveiller by Khana
Seigneur…mais que s’est-il passé ? Comment suis-je arrivée ici ? On m’a couchée dans un lit, probablement dans l’hôpital local. Je ne me souviens…le dragon m’a attaquée…je me suis coupée…et j’ai ressenti cette drôle de sensation. J’ignore ce que c’était, mais enfin…

Je crois pouvoir dire, sans me tromper, que c’est une chose à classer top secret dans mon esprit. Tant que je n’en parle pas, personne ne saura. Tante Marthe me l’a dit lorsque nous nous sommes rencontrées pour la première fois : seuls peuvent lire dans les esprits des magiciens étrangers à ce monde.

Ça, c’est fait… Je n’ai plus qu’à surveiller mes fréquentations.

De toute façon, vu ce que je suis, pas grand monde veut être vu en ma compagnie…

Seigneur, mais qu’est ce que je dis ? Qu’est ce que je pense, plutôt ? Serais-ce les ravages de la folie ? Je ne suis pas si démunie… J’ai Lise, et quelques élèves d’Insvrack…ma tante, aussi, même si elle est plutôt hors concours. Marvolo se fiche de mon ascendance comme de son premier hochet, et Grand-père, s’il pense quelque chose, ne le montre pas.

Erwan, aussi, n’a pas trop de difficultés. La preuve, il est à côté de moi.

A côté de moi ? Et j’ai loupé ça ? Si Lise le savait, je ne ferais pas long feu.

Voyons tout de même le point positif… Je l’ai trouvé…

…Et il m’a giflée. D’accord, j’étais évanouie. Mais comprenez que ce n’est pas très agréable d’être réveillée par quelqu’un qui vous met sa main dans la figure.

C’est moi, ou je suis rabat-joie ?


- Recommence et tu crèves, je grogne d’une voix enrouée.


Super. J’ai une voix de corbeau. Bientôt je serais sur ma branche avec un camembert.

…quoique la fable ne dise pas de quel type de fromage il s’agit. Si ça se trouve, c’était un roquefort. Ou un comté. Un reblochon. Du beaufort. De la tomme. Du munster. Maroilles. Gruyère.

Il vaut mieux que je m’arrête là, je crois. La France comptabilise plus de trois cent fromages, 462 si ma mémoire est bonne. Je ne vais pas tous vous les citer.

Pourtant, c’est un de mes plats préférés.

Enfin, revenons-en à ma santé. Je vais me méfier des renards pour un temps.

Soupir. Manifestement, mes mots ne vont pas m’introduire dans ses bonnes grâces. S’il était n’importe qui, je m’en ficherais, mais…enfin, non, rectifions : je m’en fiche. Seulement, Lise m’en voudrait si je le criais sur les toits.

Je n’ai pas envie qu’Erwan me considère comme la huitième merveille du monde, bien loin s’en faut. Il ne doit déjà pas me voir d’un très bon œil, étant la cousine de son ennemi. J’aimerais croire qu’il sait faire la différence entre moi et Marvolo, mais leur querelle est si stupide qu’on ne sait jamais. Enfin, mes relations avec Lise ne seraient pas simplifiées par le fait que son frère me choisisse comme bouc émissaire, ou quoi que ce soit de ce genre-là. Je la critique parfois, mais je n’ai pas envie de la perdre.

Bon, pour l’entrée en matière, c’est raté. Essayons de paraître normale…

Je sens le fiasco à plein nez, pas vous ?


- Tu devrais plutôt me remercier d’être en vie, rétorque Erwan d’un air pincé.


Oh, je l’ai vexé ? Pauvre petit chou… Je m’en excuserais, si j’étais désolée. Cependant, voyez-vous… je n’ai pas la moindre envie de céder à un attardé pyromane. S’il veut des excuses, il peut toujours courir. J’ai un caractère de cochon, et il faut m’accepter avec. Lise y est bien parvenue, pourquoi pas lui ?

J’ai beau paraître folle – ce qui serait légitime, souvenez-vous – je n’en ai pas moins mentionné un détail.

Gros comme le soleil, je vous l’accorde, mais un détail tout de même.


- A quel titre devrais-je te remercier ? je croasse une nouvelle fois.


Hey, j’ai vu ! J’ai vu qu’il se mord la lèvre pour ne pas rire ! C’est bon, je suis dans un état lamentable, pas la peine d’en faire un plat !


- Oh, et puis zut, je grogne sans lui laisser le temps de répondre. Va rigoler ailleurs.


Haussement de sourcils. Ha, il ne s’y attendait pas ! Cool… Et bien oui, mon cher Monsieur Amir Junior, je suis un cas clinique, et après ? Ça te pose un problème ?

Silence. Restera, restera pas ?


- T’es un sacré numéro, finit-il par souffler. Lise me l’avait dit, mais je ne soupçonnais pas que ce serait à ce point.

- Ah ? Et quel numéro à ton avis ?


Ne me demandez pas pourquoi j’ai répondu ça, je n’en sais fichtre rien. Peut-être que c’est la folie qui commence. Quoiqu’elle m’ait épargnée depuis si longtemps que je commence à douter de sa réalité.

Ou bien je me suis pris un coup sur la tête. C’est encore plus plausible.

Nouveau haussement de sourcil. Bien… Je devrais faire attention, ou il aura peur. Ce serait dommage…

Dommage pour sa réputation, du moins. Un adulte qui tremble devant une adolescente… Mineure, donc irresponsable… Facile à interner aussi, mais je suis un tel cauchemar sur pattes que je doute que quiconque parvienne à me supporter si je décide de pourrir la vie du monde.


- Tu ne me demandes pas comment tu es arrivée là ? réplique-t-il en éludant ma dernière bêtise.

- Comment je suis arrivée là ?


Soupir. Hinhin, je crois qu’il commence à être désespéré. Un petit conseil, Erwan, n’essaye pas de me comprendre. C’est comme vouloir arracher plus de deux phrases à Grand-père : c’est trop compliqué.


- Quoi ? je reprends sur un ton innocent. Tu m’as demandé de te poser la question, non ?

- Oui mais…avoue que tu ne me facilite pas la tâche. Je suis là pour te tenir compagnie, et accessoirement t’empêcher de prendre la poudre d’escampette avant l’arrivée de ton tuteur ou un de tes professeurs. Vu ton bagou, je crains de craquer avant toi.


Et bien craque. Ça m’amusera. Quoique non, tout compte fait. Evite ça. Lise t’adore et puis…tu as une bonne tête.


- Vu mon état, je croasse une nouvelle fois, ce serait difficile que je m’en aille.

- Mieux vaut prévenir que guérir…répond l’Erwan en question sur un ton énigmatique avant de poursuivre : Lise m’a dit que tu es assez imprévisible. De tous ceux qui sont ici, je suis peut-être celui qui te connaît le mieux. Ce n’est pas grand-chose, je te l’accorde, mais les lettres de ma sœur m’ont donné de quoi me préparer.

- Dois-je comprendre que Lise raconte ma vie par le menu ?


Avouez qu’il y a de quoi avoir quelques doutes…


- Pas vraiment…mais elle tient à toi, et tu es très surprenante, même pour une…

- Gosse de riches ?

- Disons ça comme ça. Je pensais que tu serais aussi excentrique que ton cousin, mais manifestement, tu es encore pire.


Ouch, l’insulte !


- Sympa…je grogne entre mes dents.

- Ce n’était pas méchant. Je tiens Marvolo pour un imbécile – sans vouloir te vexer – mais je n’ai jamais dit que tu en es une… Tu es surprenante, pas méchante.

- Je préfère ça. Pourquoi t’entends-tu aussi mal avec mon cousin ?


Une ombre passe sur son visage. Zut, je crains d’avoir réveillé de mauvais souvenirs. C’est fort probable, même. Souvenez-vous, je me trompe rarement, surtout en cette matière.

J’ai l’impression d’être une psy… Je n’ai plus qu’à dire « et qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ? » et je suis bonne pour avoir mon diplôme.


- Hum…grommelle Erwan après un temps de silence. Je préfèrerai garder cela pour moi, si ça ne te dérange pas.


Heeeeeeeeuuuuuuuuu… Si, ça me dérange. Et puis zut. Après tout, je le saurais bien tôt ou tard. Nul secret n’est gardé éternellement.


- Qui est ton tuteur ? demande-t-il finalement.

- Grand-père.


Là, il grince des dents. Ventre-saint-gris, ce type est un livre ouvert ! Tout passe sur son visage ! Il n’est vraiment pas doué pour cacher ses pensées…


- Ouch…je te souhaite bon courage, alors.

- Pourquoi ?

- Parce que d’une, tu n’étais pas censée te trouver dans les environs d’Inguat, et de deux, tu n’aurais pas dû non plus aller à la rencontre de ce monstre.

- Problème d’orientation.

- Même. Tu es la petite-fille et la pupille de Sir Elis. Pareille incartade…j’espère que les journalistes ne vont pas trop s’y intéresser. Pour l’heure, la brigade d’Inguat, son Conseil, et les quelques médecins informés de ta présence ici font tout pour étouffer l’affaire. Avec un peu de chance, tu échapperas même à un interrogatoire salé.

- Ce qui ne répond toujours pas à ma question.

- Je sais. Ce que je voulais dire, c’est que ce à quoi tu échappes maintenant risque fort de se répercuter sur ta vie familiale.

- Rien compris.

- Tu verras assez tôt… Essaye de te lever, pour voir ?


Prudemment, je pose un pied au sol. Aucun problème.

Le deuxième. Toujours rien.

Je me lève. Pas de mal de tête, pas de nausée.

Erwan me tend ma baguette et son étui, que je m’empresse de remettre à leur place. Il paraît inquiet, brusquement. J’ai loupé quelque chose ?


- Je vais envoyer un message à Lise, murmure-t-il en se dirigeant vers la porte. Bonne chance.


Je n’ai pas le temps de lui demander pourquoi ce souhait. Alors que la porte s’ouvre, je vois entrer la personne que j’aurais voulu le plus au monde éviter en cet instant : Grand-père.
Meeting Sir Elis by Khana
Author's Notes:
bonjour à tous! (si vous êtes encore là)

désolée pour cette interruption. j'étais en période d'examens, et j'ai mieux fait d'arrêter d'écrire pour préférer réviser.

enfin...voilà la suite des aventures de Sarah. Pour résumer, Sarah Elis avait trente ans et vivait à New-York. elle était atteinte d'une maladie qui lui donnait moitié moins que son âge réel.
à l'enterrement de son père, elle découvre qu'elle a une tante, des cousins, et un grand-père, vivant dans le monde magique d'Hendiadyn.
Sarah est la seule magicienne de sa famille. elle a grandi suivant le rythme des années hendiadiennes, et a donc quinze ans.
arrivée dans ce monde étrange, Sarah découvre que son grand-père gouverne, le roi étant incroyablement incompétent. Sir Elis est directeur du Conseil, titre éminement prestigieux. il est veuf et s'est disputé avec son fils unique.
lors d'une cérémonie dans la capitale, Sarah se voit attribuer le poste de duelliste, ce qui équivaut aux services secrets. en effet, elle a des dons magiques assez étendus, et son père lui a légué sa baguette, dans laquelle il avait renfermé ses propres pouvoirs.
Sarah entre donc à Insvrack comme apprentie duelliste. elle fait la connaissance de Lise, qui devient son amie proche, et de Cassandre, jeune fille insolente et méprisant Sarah pour son ascendance à moitié humaine.
du fait de cette ascendance, Sarah maîtrise mal la magie
lors d'un examen en forêt, Sarah découvre des ruines étranges. peu de temps après, elle découvre des marques noires derrières ses oreilles. après quelques recherches, il lui apparaît qu'elle a pénétré dans un ancien bâtiment servant aux forces maléfiques qui ont jadis gouverné l'Hendiadyn.
apparaissent trois mondes magiques: l'Hendiadyn représente un équilibre entre Luxen, la magie blanche, et Blakar, la magie noire.
à cause de ces marques, Sarah est destinée à devenir folle. cependant, alors que les effets de la magie noire sur son organisme auraient dû être rapides, elle n'en ressent pas les dégâts.
Sarah découvre peu à peu que l'Hendiadyn est régi par la puissance magique, déterminant le métier, et que tout paraît être un secret devant être conquis de haute lutte.
dans le même temps, la cousine de Sarah, apprentie voyante, fait plusieurs visions d'une possible grande importance, comprenant des runes incompréhensibles, son frère, et un personnage dont elle ne voit pas le visage.
Lise, son amie, a un grand frère, Erwan, ennemi pour raisons obscures du cousin de Sarah. les deux hommes exercent le même métier, mais si le cousin de Sarah est basé à la capitale, Erwan est en poste dans une région soumise à d'importants troubles magiques dus à la magie noire.
Lise s'inquiète pour son frère. pour la rassurer, à la fin de l'année, Sarah s'échappe du cortège qui devait la ramener à la capitale, et part dans la ville où est basé Erwan.
mais elle se trompe de direction, et atterrit juste sur l'île où un dragon issu de la magie noire s'est installé, ne pouvant aller plus loin.
Erwan la retrouve alors qu'elle était évanouie suite à un étrange maux de tête. Sir Elis se déplace personnellement pour réprimander sa petite fille.

voilà, j'espère avoir suffisement résumé. maintenant, je reprends mes publications hebdomadaires (tous les dimanches ou lundis, tout dépend de mes disponibilités)

biiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
Lecture by Khana
Author's Notes:
bonjour!

je suis désolée pour le retard, mais le chapitre n'était pas tout à fait terminé. je viens de reprendre la fac, donc je préfère y aller doucement.

merci pour vos commentaires, ils m'encouragent beaucoup. je suis contente que ce roman vous plaise.

fin du bavardage. je ne juge pas ce chapitre parfait, bien loin de là. mais il contient le début d'un élément-clé pour le reste de l'affaire.

j'ai mis le début du chapitre suivant sur gadetauchapeau.skyrock.com!

biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
J’ai essayé de le semer. Erwan, je veux dire. J’ai essayé, mais ça a raté.

Il m’a collé aux basques jusque devant la maison de tante Marthe. Le pire, c’est qu’il y est encore. Bon, il ne s’occupe pas de moi, c’est déjà ça. Mais Lise m’attendait. Elle était si contente de revoir son frère qu’elle a aussitôt commencé à lui raconter sa vie sans trop se préoccuper de mon cas.

Ça m’arrange à moitié, d’ailleurs. Sous un certain angle, c’est bien, parce que je ne veux vraiment pas raconter ma dispute avec Grand-père. Je ne pense pas que quiconque comprendrait. Ariane le pourrait peut-être, à la limite, mais il faudrait avant ça qu’elle oublie cinq secondes de me détester.

Enfin, me détester…j’exagère. Nous ne sommes pas les meilleures amies du monde, mais elle n’est pas non plus ma pire ennemie, la place est déjà prise pour cela.

Ce qui m’embête, par contre, c’est que j’aurais beaucoup apprécié disposer des connaissances de Lise en matière de…faune.

Oh, ne vous inquiétez pas. Le jour où je voudrais étudier les petits oiseaux et les taupes, alors la folie aura vraiment fait des ravages. Mais tout de même, il faut que je fasse quelques recherches.

Je regrette qu’Insvrack ne nous ait pas encore enseigné cette matière. Ainsi, je pourrais peut-être comprendre pourquoi tout ce qui a quatre pattes me considère comme un bifteck, et accessoirement quel est le problème qui me tord l’esprit.

Ce n’est qu’un pressentiment. Quelque chose cloche, mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. C’est affreusement frustrant. Si vous voulez une comparaison, je dirais que c’est comme regarder la vitrine d’une pâtisserie sans avoir d’argent, ou bien faire le ménage à la place de quelqu’un d’autre.

…ce qui serait une explication plausible à l’inactivité constante des femmes de ménages. Elles demeurent inactives pour ne pas se détruire à cause d’une trop grande frustration.

Enfin, passons…il doit bien en avoir qui font leur travail, le tout, c’est de savoir les trouver.

J’ai dit que je passais à autre chose. Désolée. Quand une idée me poursuit, il m’est difficile de m’en départir…ce qui me ramène à mon problème.

Tante Marthe va bientôt craquer, je le sens. D’ici moins de cinq minutes, elle va envoyer Erwan et Lise se raconter leurs affaires familiales ailleurs. Je ne protesterai pas. Marvolo est invité à venir dîner ce soir, et ce serait plus que bien s’il évitait de se battre avec son ennemi de toujours…ou pas, d’ailleurs. Après tout, je ne sais toujours pas ce qui les oppose tous les deux. Il faudra que je cuisine mon cousin. Si ça se trouve, Marvolo a piqué la copine d’Erwan…ou l’inverse…

Mais ce sont leurs oignons.

Tante Marthe compte aussi sur Grand-père, ce soir. Moi, non, et il y a plus de 99.99% des chances pour que mon souhait se réalise. Neuf fois sur dix, Grand-père décommande, pour le peu que j’ai pu en voir.

J’espère qu’il ne va pas brusquement se décider à me pourrir la vie et apparaître quand il ne le faut pas. Pour l’heure, ce serait bien si…il me fichait la paix.


- Au fait, Sarah, dit soudain ma tante en assassinant Erwan du regard, ton grand-père t’a-t-il dit pourquoi il ne te raccompagnait pas en personne ?


Heu… Il aurait eu du mal, je l’ai à peine laissé placer trois mots. Mais si j’avoue ça à tante Marthe, elle risque de ne pas trop apprécier. Eludons…


- Quelques détails à régler, je suppose, je dis en tirant une dernière bouffée de ma cigarette. Je ne sais rien de plus. Vous avez des ouvrages sur l’étude de la faune, ici ?


Héhé, elle ouvre des yeux plus ronds que ceux d’un poisson. Marrant…


- L’étude de la faune ? répète-t-elle. Va voir dans la bibliothèque. Pourquoi cette question ?

- Problème de dragon.


Je ne savais pas qu’elle pouvait être plus étonnée qu’elle ne l’est déjà. Oui, un problème de dragon. Et après ? Ce n’est pas la fin du monde, non ?

Qu’elle suppose ce qu’elle veut. J’imagine qu’elle doit penser qu’après mon altercation avec un représentant de cette charmante race, je veux apprendre à me défendre contre ce genre de charmante bébête. C’est faux, mais peu importe.

Non, quelque chose m’embête avec le monstre qui a failli me croquer, et je voudrais poser des mots sur ce qui m’intrigue.


- Dragon ? Tu n’es pas allée voir le monstre près d’Inguat, j’espère.


Heu…si. Mais la version officielle, c’est que je me suis perdue en volant, et qu’Erwan m’a repêchée par hasard dans Inguat. Tante Marthe a avalé ça sans sourciller. Ariane a vaguement grogné. Marvolo, s’il vient à la savoir, ne sera pas dupe, je le crains.

De toute façon, ces deux zigotos se détestent tellement que je suis sûre que cette affaire ressortira un jour ou l’autre dans leurs altercations. Personnellement, je ne suis pas pressée. Leurs disputes sont leurs disputes, je ne veux pas y être mêlée. Libre à eux de se prendre pour des enfants.


- Je ne suis pas allée jusque là, je dis avec mon sourire numéro un (celui de l’hypocrite parfaite de Cachotterie-Land). Mais j’en ai entendu parler. Et comme je ne suis pas d’ici…

- J’ai peur que nos dragons ne te paraissent bien méchants à côté de ceux des contes que tu connais, dit soudain Ariane sur le ton boudeur qui lui est habituel. Notre monde n’est pas celui de l’innocence. Tu risques d’avoir un grand choc…


Hahaha. Très drôle. Humour débordant. Nom d’une pipe, si elle savait… Mon métier est cent fois plus dangereux que le sien. Si seulement j’étais en mesure de lui en parler, elle cesserait de se ficher de moi.


- Ariane… je soupire. J’ai peut-être grandi dans un autre univers que celui-ci, mais ce que tu dis peux également s’adapter à toi. Chez les humains, tu serais anormale, car magicienne. Tu vieillirais peu… et les machines te paraîtraient monstrueuses et incontrôlable avec un simple sortilège. Rien que comme exemple, prends donc les fusées. Ce sont de vrais monstres, qui te feraient peur. Elles sont si puissantes qu’elles emmènent les Hommes dans les étoiles. Il y en avait une, d’ailleurs, qui s’appelait Ariane.


Silence. YES ! Lui aurais-je coupé la chique ? Pourtant, je n’ai pas dit grand-chose, juste la vérité. C’est toujours bon, en tout cas. Je ne suis pas sûre qu’elle avait déjà pensé que les reproches lourds qu’elle doit me faire en secret valent également pour elle dans ce qu’elle nomme « mon » monde.


- Les filles, dit brusquement tante Marthe, cessez donc cette discussion qui ne mène à rien. Sarah, il est vrai qu’un dragon ne doit ressembler à rien de ce que tu connais. Ariane, songe que la Terre te paraît aussi étrangère que l’Hendiadyn l’était à Sarah. Maintenant, que chacune fasse ce qu’elle a à faire.


Et elle, en tout cas, je sais ce qu’elle a à faire…jeter Erwan et Lise dehors. Moi, un livre m’attend.

Croyez-moi ou pas, mais je n’avais encore jamais mis les pieds dans la bibliothèque de la maison. Je savais qu’elle est au rez-de-chaussée, à côté du salon, mais ma connaissance s’arrêtait là.

Maintenant que j’y suis, je n’ai qu’un mot à dire : sidérant.

Je crois avoir déjà dit que je ne suis pas un rat de bibliothèque. Cependant, une fois qu’un sujet m’intéresse, je n’interromps pas mes recherches jusqu’à ce que ma curiosité soit satisfaite. Là, je risque d’en avoir pour longtemps.

Imaginez : à droite, les livres en runes. Trois rayonnages du sol au plafond.

A gauche, les livres en langue courante : cinq rayonnages. Encore pire. Je sais que c’est dans cette direction que je dois diriger mes recherches, mais c’est bien les seuls indices que j’ai en ma possession.

Puisque Grand-père a tellement d’argent, il ferait bien d’engager un bibliothécaire. Ou tante Marthe. Peu importe qui prend l’initiative, pourvu que le résultat soit là. En attendant, moi, je suis perdue au milieu du royaume de la poussière.

Si seulement je connaissais un sortilège pour me renseigner, ça m’avancerait bien.

Mais je n’en connais pas… Trop quiche pour cela, dirait Ariane. Trop petite, penserait mon cousin. Moi, je pense juste que Madame Joly, notre très éminente directrice et membre du Conseil n’a simplement pas pensé que quelques sorts utilitaires nous feraient le plus grand bien.

Faudra que je demande un bouquin à ma tante là-dessus. Ou que je fouille dans ses affaires.

Moi, voleuse ? Non…enfin, si, un peu, mais si vous avez grandi comme moi avec trois frères se croyant supérieurs à vous, alors vous comprenez ce dont je veux parler. Sous prétexte de me surveiller, ils piquaient toutes mes affaires. Combien de journaux intimes ai-je ainsi dû protéger ?

Enfin bref, on s’en moque. Tout cela pour dire que je risque de paraître un peu louche si je demande un livre de sortilèges d’usage courant à ma tante, sachant que la médecine n’est pas la mer à boire et que je devrais avoir le temps de travailler ça.

…devrait. Mais comme vous le savez, j’étudie mes futures fonctions ET la médecine. En cumulant les deux ça fait…une monstruosité. Les duellistes sont peut-être promis aux plus hautes fonctions de l’Intelligence Service de l’Hendiadyn, mais leurs cinq années d’études sont un calvaire digne de l’Ivy League.

Je n’ai jamais demandé à être aussi surchargée… L’informatique ne dépassait pas outre mesure mes capacités. Rester assise derrière un bureau toute la journée était parfait pour moi.

Pourquoi m’astreindre à pareil régime ? J’aurais dû renoncer, l’an passé. On m’avait laissé le choix. Pourquoi ai-je accepté ? J’étais jeune…je voulais ma revanche… Maintenant j’ai mûri. Je sais que ce monde est aussi pourri que ne l’était celui que j’ai quitté.

Tout ce que je peux espérer, c’est obtenir un jour une place dans un Conseil local…ou national…je suis dans un monde pourri par les considérations nobiliaires. Autant jouer dessus, il œuvrera ainsi à sa propre destruction.

Première étape pour cela : me faire remarquer. En bien, tout de même. Et si…et si je collaborai ? Grand-père a clairement laissé entendre que c’était hors de question, mais me voyez-vous obéir ? Pour ce que je lui ai déjà dit, de toute manière… Le rencontrer est comme une prise de sang. On sait que ça va mal se passer, sur le coup on ressent une brève douleur, et ensuite on voit que ce n’était pas si terrible…

Oui, maintenant que je l’ai fait une fois, je pourrais recommencer à renvoyer Grand-père. Il ne reviendra pas de sitôt, de toute façon. Pas avec mon discours. Affreux, mais véridique.

L’avantage de tout cela est que j’ai du temps pour fouiner. Je suis la seule à avoir approché la bête d’aussi près. Je me serais volontiers passé de cet honneur, vous savez que tout carnivore m’envisage comme repas. Même les rongeurs me détestent.

Comme je l’ai déjà dit, quelque chose ne colle pas. Je serais bien incapable de dire quoi, malheureusement. Mais je sens…la magie demeure un enchevêtrement de logique, ce n’est pas parce qu’elle est surnaturelle qu’elle n’est pas régie par des règles strictes.

Mais ici, une règle n’a pas été respectée. Reste à savoir laquelle… Et c’est pour cela que je suis ici. Ensuite, je pourrais envisager mon avenir la tête froide.

Tout de même, quand je me vois dans cette bibliothèque…c’est pas gagné. Tiens, et si je mettais un peu de bazar, rien que pour embêter le monde ?

Non, mauvaise idée. Tante Marthe serait obligée de ranger, et tout me désigne comme coupable. Je ne tiens pas à me mettre à dos la seule ici qui prête un peu attention à moi.

Poupoupoupidou…pou ! Dragons… Voyons… Règles de circulation aérienne… mouais. Faudra que je lise, un jour.
Comment avoir un joli balcon…intéressant, mais je n’en ai pas grand-chose à faire. A New-York, j’étais incapable de garder en vie une plante verte plus d’une semaine. Le plastique, c’est bien.

Sortilèges d’architecture militaire… Enseigner : mode d’emploi… Défense contre les forces du mal ? Harry Potter est venu jusqu’ici ? Intéressant de comparer les deux univers.

Des romans…

Ah ! YEEEEEEEEEEEEEEEEEEES ! Trouvé !

Ouais, bon, d’accord. C’est tout de même un énorme pavé digne d’un dictionnaire. Je l’avais bien dit : pour savoir quelque chose, il faut presque leur arracher les mots de la bouche.

Comment je vais faire pour trouver ce qui m’intéresse, là dedans ? Je l’ai dit, ce n’est qu’une impression diffuse. Je ne sais pas ce que je cherche. Une seule chose est sûre : cette bestiole n’est pas normale.

Si je comprends bien, j’ai plus qu’à tout lire…

C’est parti ! Sommaire : Introduction…cent pages ? Mais ça va pas ?

Je sens que ça va être dur…
End Notes:
je ne sais pas pour vous, mais moi je trouve que Sarah a un caractère de cochon.
Révélation by Khana
Author's Notes:
bonjour bonjour! désolée pour le retard, j'ai été un peu déprimée, et ce n'est guère propice à l'écriture...du moins de ce roman.

je travaille actuellement sur le chapitre suivant. je mettrais le début sur gadgetauchapeau.skyrock.com dans la semaine, alors gardez un oeil dessus.

je crois que c'est tout...j'aime bien ce chapitre, perso. biiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
Ma Grandeur a daigné vous faire grâce de cette ennuyeuse lecture. Considérez cela comme une faveur.

Hum. Désolée. Vous pouvez le constater, je ne suis pas dans mon état normal. Ce fichu monde me tape sur les nerfs, et pas qu’un peu.

Comprenez que j’en ai marre : j’ai dû lire TOUT le bouquin sur les dragons épais comme un dictionnaire, et bien sûr, je n’ai trouvé le renseignement qui m’intéressait qu’A LA FIN !

Je déteste l’Hendiadyn et son fonctionnement pourri. Je déteste Grand-père et sa bibliothèque. Je déteste Erwan qui m’a collé aux basques. Je déteste ce dragon. Je déteste ce bouquin, je déteste ma baguette, je déteste…

Tout. Je déteste tout dans ce monde de brutes.

Vous voulez peut-être connaître le fruit de mes conclusions. Ne vous inquiétez pas, ça va venir. D’abord, il faut que j’envisage un autre ennui.

J’ai beau avoir fait la gaffe de ma vie (quoique j’en ferais probablement d’autres, je crois que je les attire), j’en ai quand même trouvé un élément primordial, ou du moins important, pour la suite.

Mais à qui en parler ? Madame Joly, la directrice d’Insvrack ? C’est à peine si je sais à quoi elle ressemble. De toute façon, elle ne prêterait aucune attention à ma pauvre petite personne. J’ai beau être une Elis, on m’a assez répété que les noms ne sont rien pour que je sache que ce n’est en aucun cas une clé pour ouvrir des portes.

…ce serait peut-être même un verrou. Vu comment Grand-père doit être en rogne après moi – la preuve, il n’est pas apparu depuis une semaine – il serait possible qu’il veuille me punir en m’empêchant d’agir à ma guise.

A ma tante ? Elle prête attention à moi parce que je suis la fille de son frère, mais sa réflexion ne va pas plus loin. Je ne pense pas qu’elle soupçonne que je puisse m’intéresser aux sujets politiques ou militaires. Pour elle, je suis une adolescente, et m’occupe de sujets d’adolescente.

Seize ans…j’ai seize ans. Je ne peux pas blâmer ma tante de raisonner ainsi, chacun fait de même. Pas Grand-père, c’est vrai. Mais lui, c’est un cas à part. Je ne sais quel problème il avait avec Papa, mais il me traite comme si je connaissais tout de l’affaire et reprenait le flambeau.

…mais remarquez, je ne peux pas non plus aller le voir lui. Il m’enverrait paître. La durée de son contentieux avec Papa démontre parfaitement combien il a la rancune tenace. Je parie qu’il m’en veut encore pour la dernière fois. Il y a huit jours en fait.

Entre parenthèses, on peut dire la même chose de mon côté. Que je le croise et je change de direction.

Mais ça n’arrivera pas. Il m’évite.

J’en reviens à mon problème : à qui en parler ? Madame Joly : exclue. Tante Marthe : exclue. Grand-père : exclu. Lise ? Elle a beau être intelligente et avoir une mémoire hors du commun, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure des solutions. Elle n’a jamais que mon âge, après tout. Exclue aussi.

Erwan, peut-être ? Après tout, c’est lui qui m’a sauvée à Inguat. Il sait que je me suis frottée au dragon…mais je ne le connais pas tellement que cela. Qu’est-il ? Rien. Juste le frère de mon amie et l’ennemi juré de mon cousin.

…MON COUSIN ! Voilà ma solution…j’espère. Il est chef d’escouade à la brigade…et j’espère suffisamment dans les bonnes grâces de Grand-père pour lui parler de ce que je sais sans me nommer. Je l’aime bien…espérons qu’il m’apprécie assez pour parler pour moi.

Est-il à la maison actuellement ? Je sais qu’il vient souvent ici, mais il a un logement de fonction à côté des bâtiments de la Brigade. C’est là qu’il habite. Il ne faut pas oublier qu’il n’est pas en congé, contrairement à moi.

J’ai l’impression de retourner au collège… Ne dites pas que j’exagère, voyez le temps qui séparait mes trente ans de l’école. C’est une éternité…

Enfin bref… to be or not to be, that is the question… toubib or not toubib… Ne me demandez pas pourquoi je dis cela, je n’en ai aucune idée… Mettez-vous plutôt à ma place : mon cousin est le seul à pouvoir transmettre en haut lieu quelque chose que j’aurais préféré garder loin de ses oreilles, tout cela à cause de ma situation qui me handicape toujours et encore.

Avant, j’étais trop petite, personne ne me prenait au sérieux. Maintenant, je suis trop jeune. Et quoi d’autre ? Ah oui. Ma future fonction m’impose de raconter à tout mon entourage que je suis en école de médecine ! Peuh ! Ma connaissance médicale se limite aux pansements.

Pour ne pas me faciliter la tâche, Marvolo est curieux. Il va poser des questions. Il est vrai que dans sa tête, je ne dois pas être la première personne à laquelle je dois m’adresser pour une question d’intérêt public…

Fichu monde à la noix.

Coups à la porte. Quoi donc, quelqu’un se soucie de ma présence ? C’est une première. Je pensais que mon existence n’avait aucun intérêt aux yeux des dignes occupants de cette maison.

Alors…prenons nos précautions… Affaires scolaires ? Rangées. Notes prises sur le bouquin ? Rangées. Je crois que c’est bon…

Re-coup. Du calme ! Un peu de patience n’a jamais fait de mal dans la vie…


- Sarah ? Je sais que t’es là…


Hey ! J’ai de la chance ! Il est là ! C’est lui que je veux voir ! YOUPI ! Alléluia ! Si je ne risquais pas de me faire emmener d’urgence à l’asile (souvenez-vous que ça me guette) j’esquisserais bien un pas de danse.


- Entre, je réponds à mon cousin.


Tâchons de paraître nonchalante… Sans perdre d’élégance, j’ai remarqué qu’il y tient. Enfin bref, là n’est pas la question. Installée dans mon fauteuil de bureau, les jambes croisées avec autant de grâce dont je suis capable, j’allume une cigarette en regardant mon cousin entrer.

Marvolo s’installe dans le divan et me regarde fixement. Je ne sais pas ce qu’il me veut, mais il est clair qu’il a quelque chose à dire.

Ce monde est affreusement mondain. Avant d’en arriver au cœur du sujet, il faut faire d’interminables ronds de jambe, enchaîner banalités et mots polis. Marvolo, en digne fils de chef du protocole, y attache une immense importance. Moi, je m’en moque.

Malheureusement, j’ai besoin de lui, et il me faut prendre ses manières pour espérer tirer quelque chose de lui.

Famille de malheur. Que ce soit chez les humains ou ici, je n’ai nulle part ma place.

Qui va commencer ? Attention, je suis très forte à la baston de regards. Même s’il m’en coûte, je dois remercier Cassandre pour cela. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis livrée à ce jeu-là avec elle…


- Maman m’a envoyé vérifier que tu ne te destines pas à la vie d’ermite, dit finalement mon cousin.


J’ai gagné ! Il a craqué en premier !

Hum, pardon. Lui ne devait pas prendre cela comme un jeu, mais rassembler ses idées.


- Je lisais, je réponds en montrant le bouquin épais comme un dictionnaire.

- C’est digeste ?

- Tout dépend des chapitres… Le début est très fastidieux, mais la fin m’a grandement intéressée.


Vois la perche ! Pitié, vois la perche ! Qu’on n’y passe pas des heures !

Silence. Serait-il incapable de rebondir ?


- Chacun ses centres d’intérêts, finit par sortir Marvolo. Tu es en congé, tu peux t’y consacrer comme il te plaît. La bibliothèque de la maison regorge de richesses. Sinon, le Palais du Conseil a le meilleur fond documentaire qui soit.


Et les couloirs les moins bien fléchés. Je m’en souviens.


- C’est loin, je soupire.


Pour entrer dans le vif du sujet, c’est raté.


- Dix minutes en volant, ce n’est pas la fin du monde. Grand-père voudrait que tu passes, d’ailleurs.


Ha ! Voilà pourquoi il est venu… Grand-père se sert de lui comme messager… Hermès, hibou, courrier, tout ce que vous voulez. Mais il n’ose pas me parler en face…ou du moins pas sans préparation. Marvolo doit tâter le terrain…

J’ai l’impression d’être le vilain petit canard dans cette famille.


- En quel honneur le veut-il ? je demande en tirant une bouffée de ma cigarette. C’est un homme occupé…il a mieux à faire.


Et moi aussi. De toute manière, il m’a dit en face qu’il n’a pas le temps de prêter attention à ma petite personne. Alors je ne vais pas lui imposer ma présence.


- Il veut te parler. Vous vous êtes disputés, à ce qu’il paraît.


Conversation privée, alors ? Je pensais que rien de ce qui s’est dit entre Grand-père et moi ne devait sortir de la pièce ! Mon œil ! Il s’est bien fichu de moi, oui !

Remarquez, il ne me l’avait pas non plus expressément promis…


- Qui te l’a dit ?

- Lui-même. J’ai dû lui arracher les mots de la bouche, mais je voulais savoir. Quand Grand-père veut que l’un de nous se montre dans son bureau du Conseil Général, ce n’est jamais par sympathie.

- Les gens doivent voir qu’il n’en néglige pas sa famille…je murmure.

- C’est probablement un des buts de la manœuvre, même s’il s’agit surtout d’entretenir les apparences. Je ne pense pas me tromper en disant qu’il ne fait pas très attention à toi ?


Enfonce le clou, je ne dirais rien…


- Je suis aussi passé par là, rajoute-t-il devant mon manque de coopération.


…ou pas. Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, comme disent les Français. En Chine, on dit « il ne faut pas qu’une porte soit de chêne et l’autre de paille ». C’est du pareil au même…

N’oublions pas, cher cousin, que tu as auprès de toi une personne qui m’a été retirée : une mère. La mienne a déjà pris deux ans. Elle doit avoir tourné la page, sachant que je ne reviendrais peut-être jamais. Damian doit avoir épousé Eleanor, peut-être ont-ils déjà un enfant.

Et moi, j’ai seize ans…


- C’est pour cela que tu viens ? je finis par lâcher. Grand-père t’a demandé de venir me prêcher la bonne parole ?

- Du tout. Je te l’ai dit, il m’a juste demandé de te dire de passer le voir. Pour le reste, c’est un bon questionnement et quelques déductions. Je sais que Grand-père est ton tuteur. Quand j’étais enfant, j’ai perdu mon père. J’ai alors espéré un petit peu plus d’attention de la part de Grand-père, qui n’était alors que Conseiller général. Mais rien…alors que j’en aurais eu besoin, et Ariane aussi. Maman a presque dû se débrouiller toute seule pour tenir le choc. On ne peut pas reprocher à Grand-père d’être trop collant…


Je ne dirais pas cela. Moi je pense plutôt qu’il se rappelle son devoir, mais par sursauts de lucidité qui arrivent comme un cheveu sur la soupe. Il est absent, alors chacun s’est arrangé sans lui. Il ne faut pas en attendre davantage…


- En revanche, continue mon cousin sans se laisser désarmer par mon silence, je sais qu’il nous aime tous. Tu n’échappes pas à la règle. Souviens-toi qu’il m’a demandé de t’emmener chez le médecin lorsqu’il le fallait, et qu’il y est lui-même venu. Ensuite, tu t’es perdue la semaine dernière, et il est venu te chercher en personne.


Ah oui, parlons-en de cela ! S’il a daigné bouger sa majestueuse personne, c’est parce que j’avais fourré mon nez dans un secret d’Etat. Enfin, pas vraiment, chacun sait qu’un dragon hante une île à Inguat. Mais je suis la seule à l’avoir vu…

Minute… Je crois que j’ai enfin trouvé comment embrayer sur ce qui m’intéresse… Soulagement intersidéral. Si je peux enfin cracher le morceau et remettre l’affaire entre ses mains, je ne dirais plus jamais de mal de l’Hendiadyn.

…oui, bon, d’accord. Ça, c’est peut-être un peu trop demander. Enfin, je tâcherais de me calmer. Ce serait déjà une bonne action.

Un…deux…trois…j’y vais !


- Crois-moi, je dis, ce n’était pas par inquiétude.

- Qu’est ce que tu en sais ?

- J’avais fait une bêtise. Et si Grand-père n’est pas apparu jusqu’à présent…c’est qu’il sait très bien que tout ce que je lui ai dit est vrai.


Ma vieille Sarah, ce que tu viens de faire n’est pas de la dernière malignité. Marvolo va s’intéresser à ce que tu as dit, pas ce que tu as fait…et malheureusement, il faut que je lui avoue.


- J’ai cru comprendre, réplique mon cousin, que tu lui avais fait certains reproches.


Qu’est ce que je disais ? N’importe quelle personne normalement constituée se serait intéressée au deuxième élément apparaissant dans la phrase, rejetant ainsi le premier en arrière-plan.

Je sais, ce que je baragouine n’est pas clair. Oubliez alors. Ce n’était pas d’une importance primordiale. Je crois plutôt que Lise a déteint sur moi.


- Et je t’en félicite, continue-t-il. C’est une chose que je n’avais jamais osé faire, et j’imagine que tu n’as pas dû mettre de gants pour qu’il le prenne de cette façon. En revanche…tu as dit que tu as fait une bêtise.


Je l’adore ce type. Il va exactement où je veux qu’il aille, malgré tous les détours qu’il peut faire. Maintenant, c’est à moi de jouer.


- Maman est au courant ? reprend-t-il.

- Non. Elle n’a eu droit qu’à la version plus…légère des faits.

- Celle où tu as fait une erreur de vol pour te retrouver dans le centre d’Inguat ?


J’opine du chef. Il vaut mieux que ma tante persiste à croire cela. Elle fait de son mieux pour me traiter comme un de ses enfants, et même si cela se fait avec un succès mitigé, je refuse de l’inquiéter davantage.


- Et quelle est la vérité ?


Attention, le brigadier est de retour ! Si j’avais commis un crime, il n’hésiterait pas à me coffrer.


- Je…je me suis vraiment perdue, je mens en triturant une de mes mèches de cheveux. En revanche…je n’ai pas atterri dans la ville.


Silence. Marvolo a le front barré d’un pli, signe d’une intense concentration. Il est sceptique. Comment une enfant aussi innocente que moi pourrait-elle faire une bêtise justifiant le déplacement en personne de Sir Elis ?

Dommage que je doive couper court à toutes ses illusions sur la générosité de Grand-père…


- Je suis allée…sur l’île. Là où il y a le dragon. Et je l’ai vu.

- QUOI ?


Ha, ça t’en bouche un coin, mon petit père, non ? Je ne suis pas aussi sage qu’il y paraît…


- J’ai vu le dragon, je répète.

- Mais t’es totalement malade ! Ma parole, mais faudrait presque t’enfermer ! Te rends-tu compte du risque que tu as pris ? Non, évidement ! Ce n’est pourtant pas bien compliqué de suivre un professeur ! Et ne me dis pas que le vent était fort, il ne souffle pratiquement jamais là-bas. C’est à croire que tu l’as fait exprès ! Et comment tu t’en es sortie, hein ? Combien de brigades ont dû se déplacer pour une petite inconsciente ?


Zut. Je n’avais pas prévu qu’il soit aussi furax. Ça ne me facilite pas la tâche, ça. Enfoiré… Surtout qu’il est totalement dans le panneau…


- Aucune ! je réponds avec autant de verve que n’en avais son monologue. C’est Erwan qui est venu me chercher.


Enfin, c’est ce qu’il m’a dit. J’étais dans les pommes, alors je ne me suis aperçue de rien. C’est lui qui m’en a parlé, lorsque nous revenions vers Asyndète. Si je le crois, alors il était en mission de reconnaissance avec trois collègues. Lui montait la garde, lorsqu’il m’a vue tomber non loin. Alors il est accouru…


- Erwan ? Attends, tu parles d’Amir ? Tu parles ! Il est tellement incapable qu’il a réussi à mettre le feu à l’entrepôt qu’il surveillait !


Merci, je le savais. Lise m’en avais informée, vous savez, et Marvolo prend un malin plaisir à le rappeler sitôt que le nom d’Erwan est prononcé.


- Là n’est pas la question ! je reprends en hurlant presque. Il était là, il m’a récupérée. Point. Fin de l’histoire. Mais je demeure la seule à avoir vu la bête.

- Qu’est ce que tu en sais ?

- J’en sais que j’ai remarqué quelque chose dont personne encore n’a parlé ! Ça aurait sauté aux yeux de n’importe quel magicien natif d’ici, mais pas aux miens ! Je ne suis arrivée que l’an dernier, tu te souviens. Alors j’ai vérifié, et tiré mes conclusions.

- Et cette chose, c’est ?


Roulement de tambour…Il n’y a pas à dire, ça valait la peine de m’enguirlander avec lui. Il ne peut même pas s’approprier toute la gloire, puisque je suis la seule à avoir vu…


- Le dragon est rouge, je lâche tout-à-trac.


Silence. Ça t’en bouche un coin, mon petit ?


- Impossible, lâche-t-il enfin. Les dragons sont noirs ou blancs.

- Je sais. Noirs pour ceux de Blakar, blancs pour ceux de Luxen. Mais ce n’est pas le cas de celui-ci.


Re-silence. Je crois que ça monte au cerveau… Alléluia !


- Le Conseil croit que l’invasion est le fait de Blakar…je commence.

- Mais si ce dragon n’est ni noir ni blanc…continue Marvolo.

- C’est qu’il est le fruit d’une puissance externe.


Troisième silence. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve que cette conversation est aussi trouée qu’un gruyère.


- Un hybride, reprend mon cousin. C’est bien pensé… En as-tu parlé à Grand-père ?


Hinhin… Il m’a bien regardée ? MOI, en parler à Grand-père ? Je croyais pourtant qu’il savait que lui et moi sommes fâchés…


- Je…je viens de le découvrir, je dis finalement. Et puis tu sais…

- Ah oui, soupire-t-il. C’est vrai. Il n’a pas apprécié ce que tu lui as dit. Je suppose que tu ne veux pas non plus aller le voir à son bureau ?

- Ça ne pourrait que mal finir. Alors je me suis dit…

- Tu t’es dit que je pourrais faire le boulot à ta place.


Bravo Einstein.


- Ça marche. Mais attends-toi à ce que des scientifiques viennent t’interroger. Je n’ai pas l’intention de cacher ton rôle dans cette affaire.


Ni moi de le taire. Qu’ils viennent donc ! Je les attends de pied ferme…
Menaces by Khana
Author's Notes:
salut! ça fait un bail, hein? j'ai honte, mais j'ai eu la crise de la page blanche pendant un bon moment. désolée, donc. vous ne m'en voulez pas, hein? hein? dites moi que non...

*mode chat potté off* voilà, c'était la bêtise du jour. le chapitre ici n'est pas très intéressant en apparence, mais dans le fond, il a son importance.

d'ailleurs, j'ai une question pour vous: est-ce qu'on voit la coupure? je veux dire, en fait, que je m'étais arrêtée à un tiers du chapitre avant de recommencer à écrire un mois plus tard. on voit la différence, ou pas? je n'arrive pas à le voir...

merci de me lire! (si vous êtes toujours là)
- Je ne comprends pas ton goût pour ces trucs, dit Lise en fronçant le nez.


Je souris et ne répond rien. Personne ici ne voit l’intérêt du tabac. Je ne le leur demande pas, d’ailleurs. Ce n’est pas dans leur culture, mais c’est inscrit dans la mienne. Qu’ils critiquent s’ils le veulent, mais je garde ma liberté de fumer.

Ne me parlez pas des dangers pour la santé. Je les connais. J’étais une fumeuse assidue, il y a encore un an, mais mon arrivée en Hendiadyn a changé la donne. Lorsque je veux un cartouche de cigarettes, je dois passer commande auprès des magiciens en poste chez les humains.

Ils ont l’habitude, maintenant… Encore que ce monde étrange commence à me contaminer. Il me reste des cigarettes, mais je commence à me convertir à la pipe. C’est plus rare, et beaucoup plus drôle. J’attends beaucoup de la réaction d’Ariane en voyant cela. J’aime bien la provoquer. Mais ce n’est pas méchant…

Passons aux choses sérieuses. Ce qui me blesse, c’est que pas un membre de ma famille n’a songé qu’ils pouvaient par ce biais communiquer avec moi… Je ne suis plus rien, alors, pour eux ? Soit… Je les oublierai aussi…

…Enfin bref…il faut que j’évite d’y penser, ça me fait pleurer. Je reviens à ce que je disais. Le tabac ne m’est pas nécessaire. C’est un plaisir, certes, mais dont je pourrais aisément me passer.

A tous ceux qui lisent mes péripéties, vous n’êtes probablement pas dans ma situation. Le tabac fait des ravages. Prenez garde.

Voilà, vous êtes avertis. A présent, je reprends le cours de ma petite existence.


- Confort de l’existence, je murmure en tirant une bouffée. J’avais l’habitude là-bas…

- Alors retourne-y.


Devinez à qui appartient cette si poétique interruption ? Inutile de vous le dire, vous comprenez comme moi que Cassandre se trouve une nouvelle fois là où elle ne devrait pas.

Parfois, j’ai des envies de meurtre…


- Et ma main, tu sais où elle va retourner ? gronde Lise.


Moi je sais…Dans sa figure ! C’est vrai que nous en mourrons toutes les deux d’envie. Cassandre n’est pas censée vivre à Asyndète, plutôt loin, même, il me semble. Non pas que je cherche à tout prix à le savoir, vous savez que je me moque de cette fille comme de mes premières chaussettes. Mais la nature m’a dotée – je ne sais si je dois la louer ou la blâmer – d’oreilles qui traînent…et pas qu’un peu.

Bref, tout cela pour dire que j’ai appris que Cassandre ne vit pas à Asyndète, située dans le nord du pays, mais plutôt au sud. Je suis au pôle nord, et elle en Antarctique. Alors je me demande… QU’EST-CE QU’ELLE FAIT ICI ?

Elle me suit ou quoi ? C’est vrai, zut, il y a de quoi se demander ! Elle n’en a pas assez de m’embêter toute l’année ? J’ai dû la supporter pendant un an, et dois encore en attendre deux avant d’espérer ne plus voir sa tête de fouineuse. J’espérais avoir au moins un peu de repos pendant un petit mois de congé !

Manifestement, j’ai rêvé…

J’adorerais lui ficher ma main dans la figure.


- Si c’est bien l’endroit auquel je pense, répond Cassandre avec son habituel sourire sarcastique, ce sera à tes risques et périls…


C’est une menace, ça, non ? Elle veut dire quoi, au juste ? Qu’elle se vengera ? Très mauvaise idée de dire cela… Je m’entends mal avec le simulacre de famille qu’il me reste en ce bas monde, mais elle ne le sait pas… Pour chacun au dehors – sauf pour Lise, encore que… – les Elis-Destoc forment une famille unie que rien ne peut séparer.

Moi, je dirais plutôt que rien ne peut nous rassembler… Enfin, là n’est pas le problème. Mon grand-père est directeur du Conseil Général, mon cousin est brigadier, ce serait une mauvaise idée que de s’en prendre à moi ou quiconque me touche de près…

Je me suis bien adaptée à Cachotterie-Land, non ?


- Tu ferais pire ? réplique Lise en haussant un sourcil.


Connaissant l’ordinateur qu’elle a dans le crâne, elle a déjà dû envisager tous les risques et conséquences que pareil geste générerait, pesé le pour et le contre, et décidé qu’elle pouvait la narguer sans problème.


- J’utiliserai des moyens dont même tes bouquins n’osent pas parler.


Elle se rend compte de ce qu’elle raconte, là ? Si jamais quelque chose de bizarre se passe autour d’elle, je n’hésiterai pas à tout lui imputer. Cassandre ne m’a jamais fait de cadeau, je ne vois pas pourquoi je lui accorderai cette grâce.

Elle ne sait pas combien je peux être rancunière…et elle n’a pas fini d’entendre parler de moi, si c’est vraiment ce qu’elle cherche, même si personnellement j’ai d’autres chats à fouetter que lui casser les pieds.


- Et lesquels ? reprend Lise avant que j’ai pu ouvrir le bec pour dire quelque chose. Tu es toute seule…et nous sommes deux.


Cassandre sourit légèrement. Mais ce n’est pas moi qu’elle regarde, ni même le visage triomphant de Lise. Non, au lieu de cela, elle fixe un point derrière moi, manifestement satisfaite de ce qu’elle voit.

C’est étrange, ordinairement, elle aurait répondu quelque chose du genre « un et demi », trouvant ainsi une nouvelle occasion de me faire sentir à quel point mon contrôle magique laisse à désirer. Mais là…aurait-elle trouvé mieux ? Mieux qu’une réplique bien sentie ?





…Ah oui. En effet. Le spectacle à venir doit la réjouir au plus haut point. Grand-père s’approche de notre petit groupe, et il ne paraît pas chercher des truffes.

Si vous croyez qu’elle va s’en aller pour me laisser enguirlander toute seule, vous vous fourrez le bras dans l’œil. Au contraire, Cassandre s’installe dans un coin et se prépare à assister à ce qui doit lui paraître un plaisant spectacle.

…pour peu elle se prendrait un café…


- Vous êtes peut-être deux, dit-elle avec un sourire sadique, mais ce n’est pas moi qui vais avoir des ennuis…


Et elle va jubiler en me voyant en prendre plein la poire. Sadisme est son deuxième prénom, vous le saviez.


- Sarah ! beugle mon grand-père alors qu’il n’est même pas à vingt mètres. Viens ici immédiatement !


Et puis quoi encore ? Je ne suis pas un chien, autant que je sache. J’ai le droit de décider de mes actions… Je ne suis pas à Insvrack, rien ne m’oblige à obéir…

Par contre, il faut que je demeure en forme. Et si j’allais faire un footing ?


- Trouillarde, ricane Cassandre.


C’est pas vrai… Un jour je vais lui ficher un bonne paire de baffes, ça me soulagera…


- Sarah ! reprend Grand-père sur un ton plus calme. Reviens, il faut que je te parle.


Cours toujours.


- On a déjà eu cette discussion, je soupire.


Et il vaudrait mieux pour lui de ne pas la rejouer. Nous ne sommes plus en public, là. Cassandre est là, Lise aussi, et il y a du monde dans les rues. Il suffit qu’une personne parle aux journaux pour que l’image du grand Sir Elis soit détruite à jamais. Il en perdrait son rang…sa place…son existence.


- Je ne viens pas pour cela, réplique-t-il sur un ton calme qui m’étonne de sa part. Je voudrais te parler en privé.


Youpi… évidement. J’aurais dû m’y attendre. Le message que j’ai confié à Marvolo. J’avais oublié. Ça doit être la folie qui commence.

A moins que Cassandre ne déteigne… C’est vrai, quoi, elle doit avoir un grain. Si je suis son raisonnement, elle est capable de mettre en œuvre des moyens introuvables dans le commun de la magie de l’Hendiadyn.

Pourquoi pas Blakar, tant qu’on y est ?


- Bon retour chez toi, ricane-t-elle tandis que j’emboîte le pas à Grand-père.


Meurtre…meurtre…


- N’y prêtes pas attention, murmure Grand-père avec douceur. Il y a des idiots partout.

- Parle pour toi, je grogne entre mes dents.

- Sarah, reprend-t-il avec lassitude, je veux bien essayer de faire des efforts, mais tu dois y mettre un peu du tien. De toute manière, là n’est pas le débat.


Il m’entraîne dans un bâtiment au hasard, et murmure un sortilège. Un dôme transparent s’étend au-dessus de moi, et la moindre des choses que je peux dire, c’est que ce n’est pas du tout rassurant…

Pour info, je connais ce sortilège. Il est prévu au programme de la troisième année d’étude à Insvrack, la dernière avant les deux ans d’apprentissage sur le terrain. Pour écourter la définition, ô combien fastidieuse, ce sortilège a l’immense fonction, aussi avantageuse qu’embêtante, de cacher la discussion aux yeux et aux oreilles de tous. Personne ne peut nous voir, personne ne peut nous entendre. Je pourrais me prendre le savon de ma vie, personne ne sera au courant, et l’honneur de Sir Elis sera sauf…


Silence. Ça va devenir une habitude ?


- Marvolo m’a parlé ce matin, commence brusquement Grand-père.


Magnifique ! Ça tombe bien, c’est ce que je lui avais demandé ! C’est fou comment les choses se passent… Non mais franchement, n’a-t-il rien de mieux à faire que de dire les évidences ? Ce n’est pas que rester dans moins d’un mètre carré avec lui me répugne, après tout, je l’aime beaucoup, mais il est tellement distant que je me permets de vouloir éviter sa compagnie.

Faire des efforts…faire des efforts… Mon œil ! Tout ça, c’est des clous ! Si je n’avais pas fait une déduction – évidente, comme toutes les déductions – mais néanmoins utile, il ne se mettrait pas soudainement à chercher ma compagnie !


- Tu vas répondre, oui ou non ? reprend-t-il sur un ton plus colérique.


Le plus intéressant, avec lui, c’est qu’il est beaucoup moins stoïque qu’il en a l’apparence… Je parie qu’il puise dans toutes ses réserves de patience pendant son travail de Chef du Conseil. Forcément, c’est sa famille qui trinque ensuite. Quand il se souvient qu’elle existe…


- Que voulez-vous que je dise ? je réplique en allumant une cigarette.


Na ! Qu’il ne veut pas que cette discussion tombe dans les oreilles de quiconque, soit. C’est compréhensible. Mais je n’apprécie pas l’idée d’être prisonnière d’un sortilège que je n’ai pas encore appris à lever. Il devra donc le faire lui-même, et cela dès que l’air sera devenu suffisamment irrespirable.


- Ecoutez, je reprends après avoir lâché une bouffée. Je ne vois vraiment pas où est le problème dans cette histoire… La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, je n’avais qu’une vague impression, rien de suffisamment probant pour vous en faire part. Ensuite, je venais de découvrir cela lorsque vous avez envoyé Marvolo auprès de moi. J’avais encore assez en tête ce qui s’est passé à Inguat pour vouloir vous en parler par moi-même. Marvolo a une fonction, et suffisamment de connaissances pour corroborer mes dires. Ensuite, ce sont vos oignons. Ou vous me croyez, ou vous ne me croyez pas. Moi je sais ce que j’ai vu, et j’ai pensé que ça pourrait vous intéresser…


…je sais ce que vous pensez. Je suis assez odieuse. C’est vrai. Mais il y a pire. J’ai juste pensé que cette information ne pouvait rester mon secret. A présent, je ne vais pas le déranger plus. Grand-père peut retourner à son cher travail. Je n’ai pas besoin de lui, ni quiconque du simulacre de famille que nous formons.


- Je peux partir ? je demande sur un ton innocent.


Sans mot dire, Grand-père lève le sort, et je m’éloigne. Peut-être a-t-il compris, peut-être qu’au contraire, il ne sait rien. Ce ne sont pas mes affaires. J’ai fait ce que je devais. Mon existence tourne autour d’une autre personne que lui. Il l’a voulu, il devrait en être content !

Je vis dans un monde peuplé de glaçons…
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Author's Notes:
un nouveau chapitre, et un petit mot rapide pour vous dire que bientôt sera mis en ligne un nouvel OS de ma faible plume. il s'appelle "A Music for a Death" je l'avais écrit pour un concours d'écriture.

d'ailleurs, à ce sujet, j'ai un truc à dire. à ceux qui aiment écrire, qui aiment être lus, n'hésitez pas! participez! ces concours d'amateurs sont faits pour que chacun tente sa chance!
J’ai une grande nouvelle ! La plus étonnante, la plus grande, la meilleure, la dernière, la plus fraîche, la plus somptueuse, celle qui fera de vous LA personne au courant de tout !

…vous ne devinez pas ? Non ? Il est certain que c’est un fait suffisamment rare pour qu’on ne s’y attende pas.

Alors voilà…je ne fume plus.

Enfin, plus la cigarette, du moins. J’ai basculé d’un autre côté, étrange pour une femme peut-être, mais je suis tellement en décalage avec l’environnement où j’évolue que je n’y prête maintenant plus attention. Ça m’amuse, même. Puisque les gens me perçoivent comme différente, je leur donne ce qu’ils veulent voir.

Alors voilà : à présent, je fume la pipe.

Amusant, non ? J’ai failli hurler de rire quand Ariane a froncé son petit nez de précieuse à l’odeur, demandant ce qu’était cette « chose ». Mais ne vous méprenez pas, je suis toujours capable de cesser de fumer des jours, voire des semaines durant. C’est juste un plaisir.

Croyez-moi, là, j’en aurais bien besoin… Pour information, sachez que je suis de retour en classe. Je n’aurais jamais dû dire cela un jour, sachant combien mes études me sont difficiles, mais je suis heureuse d’être de retour.

Pour commencer, Lise et moi ne nous quittons plus. Je la voyais régulièrement, pendant les vacances, mais elle a une famille, et après plusieurs mois de séparation, il était logique qu’elle préfère leur compagnie à la mienne.

Ensuite, moi, je me suis ennuyée comme un rat mort durant la totalité de mon congé. Je ne plaisante pas, c’est vrai. Tante Marthe m’a un peu fait visiter la ville, mais son métier d’architecte militaire ne lui accorde que peu de répit. Avec les troubles latents, il est vrai, on n’est jamais trop prudent.

Grand-père ? Il me boude ! Notre altercation lui a fait comprendre que le monde tourne sans lui ! Je ne dirais pas que j’apprécie la situation, après tout, j’aime beaucoup mon ancêtre, quoi qu’il fasse, mais elle ne révèle pas moins la triste vérité : je ne compte pas à ses yeux…

Mais alors, à ceux de qui ? Je n’ai revu Marvolo que rarement depuis notre discussion, et nous avons à peine échangé trois mots. Quant à Ariane… C’était déjà beau qu’elle vienne dormir chez sa mère. Son record de présence a été deux jours sans discontinuer, un miracle ! C’est à cette occasion qu’elle a mis en cause le bien-fondé de ma pipe, d’ailleurs. J’ai répliqué en lui envoyant une énorme bouffée à vingt centimètres de la tête. Ça lui apprendra…je ne sais pas quels griefs elle a contre moi, mais je sens qu’elle ne m’aime pas.

Attention, je suis très rancunière…

Enfin, peu importe. Pour l’instant, j’ai autre chose à faire. Je disais que je suis de retour à Insvrack. C’est le milieu de l’été. Les cours, dispensés à l’extérieur, sont encore plaisant à cette période de l’année.

Mais enfin, tout de même… Vous avez lu Harry Potter ? C’est probable. Vous voyez, les cours d’Histoire de la Magie ? Aucun élève ne peut résister au climat soporifique qui hante ces leçons. Et bien ici, c’est pareil…

Pourtant, les fantômes n’existent pas. Le professeur ne flotte pas au dessus du sol, et je peux vous jurer sur tout ce qu’il y a de plus sacré qu’il est matériel. Suffisamment en tout cas pour taper sur son bureau lorsque nous nous endormons tous.

La leçon du jour pourrait être intéressante, pourtant ! D’un point de vue historique, l’intérêt est même certain. Après, j’ignore en quoi c’est censé me servir dans mon métier. J’appartiens – enfin, j’appartiendrai bientôt – à l’équivalent magique de la CIA, voire des Services Secrets. En quoi connaître l’histoire de la magie nous avance-t-il ? Honnêtement, à rien…


- Calme-toi, me souffle Lise à côté de moi. Tu pourras fumer après…


Je n’ai pas le cœur de lui dire qu’elle se trompe. Je n’ai pas envie de fumer pour l’instant. Oh, je le pourrais, mais…non. Pas envie. Cassandre ne dit rien, en ce moment, ça enlève une part au jeu. Beaucoup moins drôle…

Qu’est ce que je m’ennuie… Bah, quitte à faire passer le temps un peu moins lentement, je vais vous expliquer de quoi il en retourne. Vous vous ennuierez probablement moins que moi, et vous aurez gagné la connaissance d’une pratique millénaire qui n’a plus cours aujourd’hui.

Connexion, ça vous parle, comme mot ? Oubliez la connexion internet, ce n’est pas ça le sujet. Encore qu’il est possible de faire un certain lien… Oui, on va faire comme ça. Si vous voulez, la connexion internet permet de relier les ordinateurs du monde entier par le biais de la toile.

Dans le monde magique, pas d’internet, bien évidement. Même pas d’ordinateurs, d’ailleurs. Ni de télévisions, et encore moins de téléphones. Stylos, et poste magique.

Je parlais des ordinateurs. Moi qui ne pouvais vivre sans il y a seulement deux ans, j’en suis totalement purgée à présent. Enfin, là n’est pas le thème. Nous sommes en Hendiadyn, royaume par excellence de la magie, mais les connexions existent bel et bien.

Parlons Histoire, voulez-vous ? Au commencement de la Magie, créée par un moyen tellement compliqué que je n’y ai rien compris, les magiciens étaient divisés en différents clans, aujourd’hui disparus, mais dont nous conservons encore trace dans les grandes familles de l’Hendiadyn. S’il avait vécu trois mille ans auparavant, Grand-père aurait été chef de clan…passons.

Au commencement, donc, il y a environ dix mille ans, alors que la Terre était peuplée de charmants dinosaures prêts à croquer tout ce qui bouge, s’est installé entre les chefs de clans un lien leur permettant de s’unir, et de ce qui deviendra ensuite l’Hendiadyn.

Un lien mental. Etrange, je sais. Un poil choquant, même. Vous imaginez, vous, que vos collègues, pourtant à des milliers de kilomètres de vous, sachent quand vous vous curez le nez ?

Heureusement, la magie, dans sa grande magnanimité, a prévu cette éventualité (encore que le curage de nez ne devait sûrement pas lui être venu à l’esprit, si on peut considérer qu’elle a un esprit). Le lien est contrôlé. Il ne se lie que selon la volonté des concernés, comme si vous frappiez à une porte avant d’entrer.

Ensuite, le principe s’est modifié. Les clans se sont unis. Le plus puissant en a pris la tête, et cela pour l’intérêt de tous. L’Hendiadyn est donc né, et aussi étrange que cela puisse paraître, le roi Pyrrhus, souverain inutile au possible, descend du fondateur de l’Hendiadyn.

Mais je disais que les clans se sont unis. A compter de ce moment, la connexion n’était plus utile, et relevait davantage du gadget que d’autre chose. Alors, le principe a changé. De moyen politique, il est devenu lien d’affection. C’est guimauve au possible, et plus inutile qu’une râpe à fromage dans une arène aux lions.

La connexion liait les esprits des couples les plus aimants. Les autres…tant pis pour eux. Mais la nature est ce qu’elle est, et les magiciens n’échappent pas à la règle. Il y a un droit à l’erreur… Le divorce, pour aussi tragique qu’il puisse être, est malheureusement une réalité, et vous me suivez depuis à présent assez longtemps pour savoir que l’Hendiadyn n’échappe pas à la règle. Si vous vous croyez au monde des bisounours, je me ferais un plaisir de vous mener à la sortie.

Rien n’est éternel, tout est éphémère. C’est le cas pour la magie. Les connexions sont nées. Elles ont évolué. A présent, elles ne sont plus.

Fin de l’histoire. Et bon débarras, si vous voulez mon avis.

Et pourtant, je dois subir un cours pareil…


- C’est une pitié que des gens pareils soient ici… grogne Cassandre non loin.


Gagné, c’est encore pour ma poire. Honnêtement, elle ne se foule pas trop. Pas l’ombre d’un renouvellement à l’horizon… Quand ce n’est pas mon origine humaine qu’elle critique, c’est mon comportement. Remarquez, là, je ne vais pas l’ignorer…je m’ennuie, je vous le dit !


- Tu n’écoutes pas plus, je grogne en dessinant un smiley des plus artistiques sur la pulpe de mes doigts.

- Je peux, moi.


C’est ça…et vu comment elle insiste sur le dernier mot, je dois sûrement comprendre le message caché. En effet, il est enregistré…mais je ne vois pas pourquoi je m’y conformerais.


- Parce que tu as la science infuse, évidemment, je réplique en poursuivant mon dessin.

- Je n’irais pas jusque là, mais il est certain que certaines choses me sont connues, alors que tu ne soupçonnes même pas leur existence.

- Comme ?

- Si je te le dis, ce ne sera plus un privilège… Mieux vaut découvrir les choses par soi-même, c’est préférable au niveau de l’expérience.


Ça aussi, je l’ai déjà entendu… Dans un livre ! Les théoriciens de la magie défendent cette méthode, beaucoup plus que l’assimilation directe de notions sans aucun moyen de comprendre le pourquoi du comment.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ça fait tout de même la deuxième fois que Cassandre insinue – comme c’est charmant – qu’elle a en son pouvoir des moyens hors du commun. Je n’en crois pas un mot, mais imaginez un instant que ce soit vrai…elle m’a toujours eue dans le collimateur, alors pour peu qu’elle s’énerve un brin…

Je suis en première ligne.


- Toutefois, continue Cassandre sur un ton digne d’un salon de thé, je ne suis pas d’accord avec le cours.

- La ferme, siffle Lise.

- Jolie répartie, Amir. Je ferais appel à toi la prochaine fois que j’aurais besoin de clouer le bec de quelqu’un.

- Tu ne sais rien de plus, je rajoute.

- Pareil, Elis, ça tu l’as déjà dit. C’est pitoyable comme réponse. Le cours est bon, je ne le conteste pas, il a juste le défaut de ne pas s’ouvrir sur les cultures voisines.


C’est elle qui dit ça ? Elle ? Elle qui ne voit en moi qu’une erreur de la nature à cause de mes origines ? Ha, elle est magnifique celle-là ! Dommage que je n’ai pas de caméra, j’aurais filmé ! Cassandre Dorsay se contredit elle-même ! Alléluia !


- Calme ta joie, Elis, reprend-t-elle en demeurant parfaitement stoïque. Je ne parlais pas des humains. Les connexions ne peuvent les atteindre, puisqu’ils n’ont aucune magie en eux. Je pensais à Blakar et Luxen.

- Les Magistraux ? s’exclame Lise. Tu retardes. Blakar a disparu avant nos naissances. Quant à Luxen, nul n’en a vu un représentant depuis près de vingt ans. Déjà qu’ils étaient rares…

- Tu ne vois pas l’air, est-ce pourtant qu’il n’existe pas ? Les deux autres Magistraux sont là. Ils ont chacun une histoire propre, laquelle fait qu’actuellement on ne voit ni l’un ni l’autre. Tu as dit que Blakar a disparu, c’est faux. Il n’y a pas de magie suffisamment puissante pour détruire un territoire. Le royaume est encore présent, mais actuellement en sommeil. Quant à Luxen, c’est encore une autre question. L’Hendiadyn est le juste milieu entre ces deux extrêmes, ce qui explique pourquoi il fonctionne mieux.


…Là, je confirme, ça commence à devenir vraiment étrange. Si je ne la connaissais pas, j’aurais même peur. Mais Cassandre Dorsay parle beaucoup, et agit peu. Ses sous-entendus sont très évocateurs, mais je ne pense pas qu’elle ira plus loin.

N’est-ce pas ?
Traduire sans s'apprécier by Khana
Promis, j’ai pas fait exprès ! Enfin si, peut-être un peu, mais je plaide non-coupable ! Il ne se passe rien ! Rien de rien ! Ma vie est d’une monotonie sans borne !

J’ai achevé mon semestre à Inguat. Semestre trois, pour parler en langage universitaire. Premier semestre de deuxième année. La magie me répond, avec difficulté, mais je commence à la mater dans le domaine du raisonnable.

Ma seule bêtise a été d’enflammer un buisson, un jour. Enfin, il paraît que c’est moi. Je ne sais pas comment j’ai fait, parole d’Elis. J’étais à côté du buisson…je travaillais un sortilège offensif…et avant que j’ai pu dire quoi que ce soit l’air était enfumé, et un professeur plutôt en colère m’a sommée de venir récurer le soir-même les dalles de la bibliothèque.

Bien sûr, Cassandre en a beaucoup ri. Enfin, ensuite, un peu moins.

Comprenez qu’une punition est censée être une sanction. Pour ma part, ça n’a pas vraiment été le cas. Je me suis découvert en cet instant un grand talent pour hurler, et la résonnance de la salle était telle que je n’ai pas pu m’empêcher d’en profiter.

Bizarrement, j’ai récuré plus vite. Alors, comme il me restait une demi-heure, j’ai parcouru quelques pages de la Légende des Magistraux. J’ai découvert l’an dernier que la bibliothèque d’Insvrack en possède un exemplaire non censuré. En runes, donc. L’écriture ancienne. Je ne suis pas une lumière en la matière, contrairement à Marvolo qui a déjà prouvé son grand talent là-dedans.

Dire qu’en Europe ils apprennent le latin… Enfin bref. J’ai donc, au prix de multiples efforts qui devraient être interdits par la loi tant ils sont conséquents, enrichi ma culture historique. Je vous en parlerai un autre jour. Les cours d’histoire, c’est bien un moment, mais j’en ai personnellement eu ma dose au bout de deux minutes. Je ne veux pas vous infliger la même torture.

…pour ceux qui se poseraient la question, non, je ne cherche pas à concurrencer Lise. Elle a déjà lu la moitié de la bibliothèque, recensé toutes les plantes d’Insvrack, et actuellement se documente sur l’ascendance du roi. Je me demande à quoi elle ne peut pas s’intéresser. Remarquez, nous avons de fort intéressantes conversations en comparant le régime américain et la royauté locale.

Enfin, là n’est pas le sujet. Je dois travailler, moi. J’ai un examen écrit à mon retour, et une semaine de congé pour travailler trois mois de cours– sachant, je vous le rappelle, que les douze mois magiques sont chacun composés de quarante jours environ. Donc, près de cent-vingt jours de leçons d’Histoire de la Magie.

J’ai envie d’être vulgaire…c’est tellement pas encourageant… en plus, il faut que je me remette à songer à ces connexions stupides qui ne me serviront à rien…

Enfin, ce n’est pas la rune qui me posera le plus de problèmes. Elle est ancienne. Simpliste, même. Cela, au moins, démontre bien des origines remontant à la nuit des temps. Si la connexion était une personne, ce serait une momie. Ou peut-être même de la poussière…

C’est glauque, j’en ai conscience. Mais vous savez, je commence à devenir folle, alors pitié, ne me demandez pas des miracles ! Il est déjà bien beau que je sois encore d’une santé mentale appréciable. Pour peu, je douterais des dires de Marvolo. Cela fait un an, maintenant.

Remarquez, j’ai de quoi aussi remettre en cause les déclarations du médecin que j’avais consulté. Il m’avait annoncé un mois au moins de rémission. Deux semaines plus tard, je pouvais marcher sans encombre. J’ai encore une cicatrice, assez grossière et pas très jolie à voir, mais c’est bien mieux que ce que j’espérais. Pour une fois que je suis solide, je ne vais pas m’en plaindre, ce serait le comble.

Par contre, cela, je ne le dirais pas. Cela longtemps que je n’en ai pas parlé, mais je n’ai pas oublié : ici, tout est secret. Alors, je m’adapte…

Pour information, même Lise ne sait pas. C’est une excellente amie pour moi, mais je crains que si je lui dis la vérité elle ne cherche à me faire interner pour mon propre bien. Et là, je suis désolée, mais c’est vraiment la dernière chose que je veux…

Hum hum…c’est dingue, j’ai une étonnante capacité à faire ce que je ne dois pas faire… des digressions, si vous préférez. Des parenthèses. Je voulais vous parler d’un sujet, et je me suis lancée sur un autre totalement différent…

Les aléas de la pensée, probablement. Je vais essayer de faire attention. Après tout, j’ai conscience que mon discours est d’un fouillis innommable, et ce n’est pas du plus grand des conforts pour vous.

Revenons donc à nos moutons : mon travail.

J’ai investi la table de la salle à manger de la maison de tante Marthe, au prix d’une énorme bataille. Je me serais bien dispensée de la livrer s’il n’y avait pas malheureusement non loin de ce lieu la bibliothèque, où je fais des voyages fréquents.

Lorsque je suis arrivée dans la salle à manger, Ariane était déjà là. Elle m’a dédié un regard distrait, sans même remarquer que je n’avais pas ma pipe. Cela, encore, je le tolère. Le préfère, même. Seulement, j’aurais vingt fois plus aimé qu’elle daigne pousser la pyramide de livres qu’elle a elle-même installée.

J’ai combattu vaillamment. Millimètre par millimètre, j’ai fait tomber une pile, puis deux, et j’ai obtenu suffisamment de place pour poser mes affaires. Ariane a grogné de manière sourde, avant d’envahir une chaise de ses affaires.

Pauvre chaise… supporter le poids du Dictionnaire des runes de prophéties…ouvrage en vingt-quatre volumes… si c’est pas complet, ça…

Je n’aimerais pas transporter ça sur mon dos…

Alors…commençons par le commencement. La terre magique est apparue il y a quatre milliards d’années, par la confrontation des forces de la nature terrestre avec la magie, présente de manière naturelle dans les zones éloignées de l’espace. C’est peut-être faux, je n’en sais rien, c’est le bouquin qui le dit. Celui qui l’a écrit n’a j’espère pas poussé le vice jusqu’à alléguer sans preuve…


- Hey !


Okay… Grande nouvelle, Ariane me parle. D’habitude, nos relations n’excèdent pas le bonjour/au revoir. Il y a un progrès. Après, j’apprécierais fortement qu’elle ne me lance pas une boulette de papier pour obtenir mon attention.

Pour la peine, je ne vais pas répondre…


- Sarah ! Je te parle !


C’est mieux… pas terrible quand même, mais vu combien Ariane est hautaine, qu’elle se conduise de cette façon est déjà une réussite. Je vais donc lui répondre…avec la féroce promesse qu’un jour, elle tâtera de sa médecine.

Je peux être mauvaise, moi aussi…


- Ouiiiiiiiiiiii ? je demande sur un ton hypocrite à souhait.

- C’est quoi cette rune ?


Ah… Une page de mon cours. Elle a dû s’échapper lorsque la pile de mes cours d’Histoire de la Magie s’est écroulée sur son cahier. C’est sympa de l’avoir ramassé, mais j’aimerais autant qu’elle n’y ait pas fourré son nez. Je n’écris pas le nom de mon école sur mes feuilles, je ne suis pas encore folle à ce point, mais il paraît évident que l’Histoire de la Magie ne doit pas être le domaine de prédilection des médecins…

…ni celui des duellistes. Bien sûr. Alors pourquoi dois-je me gaver de ces immondices ?

Vous voyez, quand je m’énerve, je n’arrive plus à rien.

Enfin…de quoi s’agit-il… Je veux bien faire un effort, puisqu’Ariane en a elle-même fait un…même si ce n’est pas celui de chercher dans son dictionnaire.

…Ah. Oui. Sujet peu important, mais si ça l’amuse, pourquoi pas…


- Les connexions, je soupire en mettant les pieds sur la table.

- Ça ? Pas logique…



Moi Tarzan, toi Jane ! Quel langage évolué…


- Un problème ? je m’enquiers sans quitter mon ton hypocrite de politicienne.


Je n’ai pas encore le talent de Grand-père. Lui arrive à faire croire qu’un sujet tel que le lavage des chaussettes est du plus grand intérêt. Moi, j’ai moins de talent…

Ariane soupire, et lève la tête vers moi. Elle paraît lasse et fatiguée. Personnellement, je me moque de sa santé, mais je sais bien ce que cela signifie. Elle est voyante, et ses visions peuvent intervenir à n’importe quelle occasion.


- Une vision retorse, réplique-t-elle. Apparemment, la rune des connexions est dedans. Mais ça ne veut rien dire…

- Que dit ta vision ?


Elle hésite un moment, et se mord la lèvre. Attention, tu vas abîmer ton rouge…


- Je sais garder un secret, tu sais.

- Et bien…j’ai vu Marvolo.


Son frère ? Je veux savoir ! Si jamais il y a quoi que ce soit de compromettant dans sa vision, je le poursuis avec ça durant vingt ans au moins ! Pour une fois que je pourrais avoir un avantage…


- Et alors ? je reprends. Il était avec une fille dans une situation compromettante ?


Je sais qu’il n’est pas comme ça. Marvolo est quelqu’un de sérieux sur ce plan, mais il est tellement narcissique – il adore se faire prendre en photo – que personne ne le voit au premier abord…

Il faut le connaître, quoi. Même moi, alors qu’il est loin d’être mon meilleur ami, je le sais.

Le plus plausible, donc, serait qu’il soit en train de déclarer son amour à son reflet. C’est sans doute ça, d’ailleurs. La connexion le lie à sa propre image. Logique pour un narcissique…


- Non, réplique Ariane sans oser ne serait-ce que l’ombre d’un sourire (ce serait trop lui demander). C’est…c’est bizarre. Il était lié à cette rune, mais en même temps…il risque de mourir.


Ah. Oui, en effet, ce n’est pas drôle. Mais je ne suis pas stupide toute de même. Je sais qu’une vision est conditionnelle. De toute manière, les connexions ont disparu. A en croire Cassandre, elles sont encore d’actualité dans Blakar et Luxen. J’en doute, surtout qu’elle n’a aucun mandat pour parler ainsi. Personne n’a mis les pieds dans ces Magistraux depuis près de vingt ans.

Enfin, là, Ariane me fait pitié. Je ne suis ni voyante ni psychologue, mais je vois qu’elle s’inquiète pour son frère. C’est naturel… Mes frères à moi devaient également agir de la sorte, je pense, mais ils avaient tellement honte de ma maladie qu’aucun ne l’a montré.

C’est triste… J’aimerais savoir ce qu’ils deviennent, mais…je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure des issues. Sept ans se sont déjà écoulés pour eux… Ils sont passés à autre chose…

Et zut. J’ai encore réussi à détourner totalement ma pensée. Pas malin. Il faut que je m’occupe du cas d’Ariane.


- Les connexions ont disparu depuis des millénaires, je dis en allumant ma pipe (ben oui, faut pas trop m’en demander). Si aucune n’a lieu, alors toute ta vision sera caduque, je me trompe ?

- Rien ne dit qu’il va en recevoir une, réplique ma cousine sur le ton méprisant que je lui connais. Il a seulement un rapport avec elles.

- Préviens-le de s’en éloigner, ainsi il sera sauvé.

- De qui vous parlez ?


Glups. Il fait quoi, là, lui ? C’est vrai, il devrait être à la brigade, à cette heure-ci ! Enfin, au moins, il n’a pas entendu toute la conversation. Ce serait idiot de l’inquiéter pour rien.

En plus, je déteste devoir fournir des explications. J’aurais laissé Ariane de débrouiller toute seule. Elle ne m’aime pas, alors je ne vois pas pourquoi je me mettrais en frais pour elle.

Le seul problème, c’est que si elle plonge, je suis dans la même panade.


- C’est sans importance, réplique Ariane avec un mensonge flagrant. Pourquoi es-tu ici ?

- Grand-père veut me parler, et il estime que le faire ici est plus discret qu’au Palais du Conseil.


Ça dépend pour qui…les murs ne sont pas très épais, autant que je sache, et je suis curieuse comme une vieille femme.

En plus, j’ai débuté l’apprentissage de la destruction des sortilèges anti-intrusifs… Je ne dois pas perdre une occasion de m’entraîner, vous comprenez…

Première étape, nécessaire pour tout bon duelliste sous couverture : paraître inoffensif…


- L’occasion ne justifie pas que tu te coupes les cheveux ? je demande avec un sourire mesquin.

- Ne te moque pas ! Ils sont très bien comme ça. J’ai un charme fou avec.

- Tu serais très bien aussi avec la boule à zéro.

- Sale gosse.


Sur ces paroles pleines de bon sens, il me plante ici et gravit l’escalier d’un pas majestueux. J’admets qu’il a de la classe quand il se tient comme ça. Mais ses cheveux…

Et si je les coupais ?
L'habitude se prend vite by Khana
Le parquet grince un peu… Malheureusement, n’étant pas élève en menuiserie, je n’ai aucun moyen de le réparer. Le travail sur la discrétion est prévu pour le trimestre prochain, et là encore, je prévois d’avoir la grâce d’un éléphant.

Cassandre a malheureusement raison, la plupart du temps, et Ariane jubilerait en apprenant la nouvelle. J’ai toujours un temps de retard. Le médecin d’Insvrack prétend que mon origine humaine freine la magie, ce qui expliquerait que lancer un sort consume en moi plus d’énergie que pour n’importe qui.

Peut-être. Mais en ce cas, je suis la preuve vivante qu’on peut surmonter ses difficultés. A moitié humaine, d’accord, mauvaise élève, d’accord, mais je n’en réussis pas moins à poursuivre mon cursus. J’ai obtenu ma première année avec 10,0001, peut-être, mais je l’ai eue, et cela au moins mérite des applaudissements.

Enfin, comme je n’ai reçu rien de personne, je préfère me taire. Qu’ils ne s’étonnent pas, un jour, si je perds contact avec eux ou si je retourne parmi les humains, comme l’avait fait Papa. Là-bas, au moins, mes connaissances magiques pourraient être un atout.

Je tends l’oreille et perçois la voix calme et posée de Grand-père. Sir Elis, devrais-je dire plutôt. Pour convoquer Marvolo en grand secret à la maison, il doit être dans le cadre de ses fonctions. S’il voulait lui faire une remarque sur la taille de ses cheveux, il n’aurait eu aucun scrupule à le faire en public.

Lui est dans ses fonctions…et moi dans les miennes, on va dire. Je dois toujours me tenir au fait de l’actualité politique, qu’elle soit officielle ou secrète. Alors j’utilise les moyens qui me sont donnés… Pour une fois qu’être la petite-fille d’une huile peut être un atout, je ne vois pas pourquoi je me priverais de faire usage de ma situation.


- Maintenant que nous avons dit les mots d’usage, reprit soudainement mon cousin, puis-je savoir ce qui vous a inspiré de me convoquer ?

- Patrocle Kerster, réplique Sir Elis. Sais-tu ce qu’il est devenu ?


C’est qui ce type ? Un méchant monsieur pas beau, je m’en doute, mais de quel genre ? Ben Laden ou Clyde ? Valmont ou Bel-Ami ?

Peut-être que c’est simplement un camarade d’école de Marvolo qui a des ennuis… On ne sait jamais, avec le Conseil, et Sir Elis est encore pire. Sa tête est une forteresse bien gardée. Essayez de savoir ce qu’il pense, et vous gagnerez un sacré mal de crâne. J’ai essayé, au commencement de mon séjour ici. Depuis j’ai renoncé…

Toutes les possibilités sont donc ouvertes.


- Vous êtes le premier à prononcer son nom depuis son renvoi, dit Marvolo. Puis-je demander pour quelle raison ?

- Monsieur Amir prétend l’avoir vu à Inguat.


Reniflement dédaigneux. Évidemment, il ne fallait guère s’attendre à autre chose. S’ils ne se croisent plus depuis la mutation d’Erwan, ça ne change rien au fait qu’ils se détestent tellement que ç’en est presque théâtral.

En tout cas, qui que soit ce Patrocle Kerster, il est sacrément pas malin. Insvrack est à part, bien sûr, mais il faut le vouloir pour se faire renvoyer d’une école. Parce qu’il ne peut s’agir que de cela.


- Possible, reprend mon cousin après un silence, possible. Mais Amir n’est pas une référence.

- Il connaît Monsieur Kerster aussi bien que toi, pourtant.

- Patrocle n’a pas refait surface depuis des lustres. Il a dû changer entre temps. De toute manière, je ne vois pas en quoi ce fait est intéressant.


Moi non plus… Que le Kerster en question ait ouvert une crêperie bretonne ou soit clochard, il n’y a rien de susceptible d’intéresser le directeur du Conseil Général.


- Depuis l’incident où Sarah a été mêlée de l’an dernier, le dragon fait l’objet d’une surveillance accrue par la brigade d’Inguat. Il m’a plusieurs fois été rapporté qu’un homme s’approchait de la bête, mais il n’avait jusque là pas été reconnu. C’est Monsieur Amir, lors d’un tour de garde, qui l’a aperçu et identifié.


…je comprends mieux. Mais il n’empêche, cette famille est sacrément mal lunée. Grand-père a pour fonction de fourrer son nez dans tout et n’importe quoi, Ariane voit la mort de son frère, Marvolo connaît quelqu’un parmi les rangs ennemis, et moi j’avance à grand pas vers la folie après une incursion dans un bâtiment imprégné de magie noire.

Il n’y a que tante Marthe qui échappe un peu à la règle. Et encore, son mari a été tué par un fou dangereux. Que de joie dans ce monde…


- Patrocle n’irait pas jusque là, reprend Marvolo.


C’est marrant, J’ai pas l’impression qu’il croit ce qu’il dit. Le cousin est piètre menteur, alors. C’est bon à savoir. Dans le cas hypothétique où j’aurais envisagé de lui confier un secret, je peux d’ores et déjà abandonner le projet.


- Il peut être dangereux, continue Sir Elis. Rappelle-toi, il l’a déjà prouvé.

- Nous étions jeunes, alors ! Je n’étais moi-même pas un saint, alors ne lui demandez pas d’être parfait ! Chacun peut faire des erreurs…

- Des erreurs, oui, mais refuser d’évoluer, c’est à mes yeux impardonnable. La brigade n’a pas encore découvert ce qu’il trame, mais je peux t’assurer que ce n’est pas pour le bien de l’Hendiadyn. Le seul fait, déjà, qu’il puisse approcher une bête cherchant à nuire au Royaume est déjà suspect.


C’est le moins qu’on puisse dire, oui. Prétendre le contraire reviendrait à fraterniser avec un terroriste prêt à faire sauter sa bombe.


- Et en quoi puis-je être utile au Royaume ?

- Renseigne-toi. Vous étiez dans la même école. Il doit bien y avoir une amicale des anciens, ou quelque chose du même genre. Peut-être que quelqu’un a gardé de ses nouvelles. Je veux que tu retrouves sa trace.

- Adressez-vous à quelqu’un d’autre. Au regard de ce qui s’est passé, ce serait suspect venant de ma part que de vouloir reprendre contact avec lui.

- Au contraire. Tu le connaissais bien, et il serait légitime que tu veuilles tirer un trait sur le passé. Après tout, ton comportement n’a plus donné lieu à critique depuis la mutation de Monsieur Amir. Tu es plus mûr à présent.


Heu… Peut-être, mais je ne garantis pas le calme si jamais il se retrouve dans la même salle qu’Erwan. Or, ça arrivera bien. Ils ont tous deux le don de se trouver, même au milieu d’une foule. C’est à croire qu’un radar s’est implanté dans leur crâne.


- Mais s’il a disparu ? reprend Marvolo.

- S’il a disparu…alors nos soupçons seront fondés. Kerster aura rejoint les forces noires. Malgré ce que tu m’as rapporté, il est fort probable que Blakar y soit lié. La Magie Noire peut faire des choses terribles, y compris changer la nature profonde d’un être.


Minute… ce que Marvolo lui a rapporté ? Je rêve ! Aux dernières nouvelles, c’est bien moi qui ai vu le dragon ! Moi et non lui ! Je veux bien sacrifier ma gloire pour l’Hendiadyn, mais il est hors de question que Grand-père oublie mon rôle ! Je ne suis déjà pas brillante au naturel, alors je ne vais pas passer pour une incapable, quand même !

Pour une fois que j’ai une quelconque utilité…


- Il doit être enfantin pour un mage noir de changer la couleur naturelle d’un animal, reprend Grand-père sans même rectifier son propos. Dans le meilleur des cas, Kerster en est un. Au pire…

- Au pire ?

- Au pire c’est le Maître, et l’Hendiadyn avance vers la pire guerre qu’il a jamais connue depuis la libération.


Héhé…hùhù…encourageante perspective, vous en conviendrez. Si seulement c’était un petit plaisantin, voilà qui me plairait…

Je ne me fais pas d’illusions. Rien ne sera réglé en deux coups de cuiller à pot. L’affaire va s’éterniser sur plusieurs années. Une guerre humaine peut durer plus de quarante ans, parfois, alors à l’échelle magique, cela peut bien prendre quoi…cent, deux cent ans ?

Je serais en plein cœur du conflit. Ma génération n’a pas de chance, elle devra combattre. Et d’ici à ce que j’y perde la vie…
Où avoir un accident peut être bon by Khana
Author's Notes:
juste une petite note en coup de vent. j'ai écrit la suite de Quatre Mondes très récemment. le prénom de Lise Amir est devenu Alice, et je n'ai pas actuellement le temps de changer les occurences. promis, je le ferais dès que possible!
Je me masse le nez en enchaînant les jurons. En espagnol, toujours. Je crois l’avoir déjà dit, mais il est préférable, à mon niveau, d’être vulgaire dans une langue que peu ici comprennent.

Enfin, ici, là n’est pas la raison, de fait. L’habitude a été prise, mais je ne pense pas que des journalistes puissent se dissimuler dans les placards de la maison.

Heureusement, d’ailleurs. Ils m’auraient surprise à écouter à la porte, et auraient été aux premières loges pour me voir fort élégamment prendre la porte dans le nez lorsque Marvolo l’a ouverte.

Bon, Grand-père ne va pas apprécier que j’aie espionné. Tant pis pour lui. Vu la profondeur de nos non-relations, je crois pouvoir dire sans aucune honte que son avis ne me fait ni chaud ni froid.

Quant à Marvolo… Il est sympathique, d’accord, mais je le connais trop mal pour réellement me soucier de son avis.

D’ailleurs, en parlant du loup…


- Je peux savoir ce que tu faisais derrière la porte ? demande-t-il en levant un sourcil.


Vous voyez, l’expression « décidément… » ? C’est exactement celle-ci.


- J’écoutais la conversation, répond ma bouche.


…Hein ? Nom d’un chien à lunettes en tutu vert ! Ça y est, je commence réellement à ne plus avoir toute ma tête. J’ai mes propres règles médicales, et l’échéance n’a qu’été retardée… Avoir une ascendance humaine n’est vraiment pas un cadeau.

Cela dit, je ne remettrais pas en cause le choix marital de mon père. Lui et Maman formaient un couple très aimant. Ils s’étaient bien choisis… Moi, si je veux qu’on me regarde ainsi, un jour, j’ai encore du chemin à faire.

Première des priorités : Marvolo. Il est juste devant moi.


- Tu écoutais ? reprend-t-il sur un ton surpris. La curiosité est un vilain défaut, personne ne te l’a appris ?


Oh si, mais ça remonte à tellement longtemps que Mathusalem a eu le temps de mourir trois fois depuis. J’ai près de 36 ans pour les humains, mon vieux ! Je ne suis plus vraiment une enfant…


- Mieux vaut garder ses défauts, je réplique. Sinon, à force de les annuler, on atteint un niveau proche de la perfection, ce qui est mortellement ennuyeux.

- Alors ce ne serait pas la perfection, puisqu’elle doit être d’un intérêt sans cesse renouvelé.

- Seuls les défauts peuvent parvenir à ce résultat. Donc la perfection n’existe pas…


CQFD. Je peux donc continuer à énerver l’Hendiadyn entier. De toute manière, ma simple existence est sujette à débat. Autant dire que j’ai le conflit dans les veines.


- …et on revient au sujet premier. Je ne te savais pas philosophe.


Ni moi pour lui. A côté de son métier de brigadier, en fait, il me paraît en avoir lourd dans la caboche. Ce n’est pas l’image qu’il donne en public, pourtant. Ni dans ses disputes avec Erwan, d’ailleurs.

Tout compte fait, il gagne à être connu, ce type…


- Quand on s’ennuie, il faut bien s’occuper.

- Et c’est pour cette raison que tu écoutes aux portes, je suppose ?

- Je ne fais que m’informer à la source.

- Et tu as de la chance que ce soit moi qui t’ait renversée plutôt que Grand-père. Il est assez contrarié, et tu te serais prise un sacré savon. Ça va, ton nez ?

- Pour le nez, j’ai connu pire. Quant à Grand-père, il me prend déjà pour une multirécidiviste, alors une fois de plus ou une de moins…


Si jamais un jour je suis envoyée en prison, je suis prête à parier qu’il ne déplacera pas une fois sa précieuse personne pour me venir en aide. Pourtant, dans pareil cas, je serais prête à mettre ma fierté de côté.

Hum, bref. Là n’est pas le principal.

Ah non, pardon, dernière digression. Ne voyez pas une énième erreur faite à Insvrack dans mon histoire de nez, hein. On ne sait jamais, j’ai tellement d’ennuis de tous genres que j’aurais aussi pu me casser l’organe de Cyrano en atterrissant. Non, là, j’ai simplement reçu une balle de baseball dans l’appendice lorsque j’avais vingt-deux années humaines. Ça a fait mal, je peux vous l’assurer.


- Il est certain, reprend Marvolo en descendant vers la pièce servant de pharmacie, que ton comportement ne doit pas y être étranger. Tu es en pleine crise d’adolescence, il me semble.


Pardon ? Crise d’adolescence ? J’en ai déjà faite une chez les humains, lorsque j’ai eu dix-huit ans ! Déjà que je dois refaire un cursus, ne me dites pas que en plus je dois recommencer mon adolescence ! Cachotterie-Land est une belle arnaque…


- Faut pas exagérer, je grogne. Je n’apprécie juste pas d’être négligeable.

- On est toujours négligeable pour quelqu’un, mais permets-moi de te dire que tu ne l’es pas pour Grand-père. Je t’ai dit, il me semble, qu’il est une énigme. Sa fonction l’occupe beaucoup, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne t’aime pas… Bien au contraire, je pense que tu es sa préférée.


Il a une drôle de manière de le montrer, alors. S’il m’apprécie tellement que cela, il a qu’à être plus présent, d’abord. Ce sera un bon début.


- Il sait aimer quelqu’un ? je demande avec une moue dubitative.

- Autant qu’il dissimule, c'est-à-dire énormément. Je n’ai pas de détails, ensuite. Ce que je sais, je l’ai déduit par moi-même.


C’est officiel, Marvolo a raté sa vocation de psychologue. Il n’est pas nul en la matière… Mais Grand-père est un cas à part, je ne pense pas que les règles conventionnelles peuvent s’appliquer sur lui.


- Qui est Patrocle Kerster ? je demande de tout go.


Regard méfiant. Zut. Il ne va pas me livrer son secret comme ça, je le sens. Quelle solution choisir ? Chantage ? Persuasion ? Fouillage ? Mélange des trois ? Attention, j’ai de la ressource…


- C’est une vieille affaire, soupire mon cousin en me tendant une pommade destinée à amoindrir le splendide hématome qui commence à fleurir sur mon nez.

- Pas si vieille que cela, puisqu’elle refait surface.

- Ça remonte au temps de mes études, il y a près de six ans. Rien de bien important. T’as pas mis de pommade là.


Ce disant, il pose un doigt sur ma joue, à des kilomètres de mon nez. Le pire, c’est que le miroir me dit qu’il a raison. Ce n’est pas le petit bleu que j’ai là… Mais il faut positiver : je n’ai jamais eu la peau très colorée, c’est l’occasion de changer.

Minute…Marvolo ne viendrait pas, par hasard, d’essayer de changer de sujet, là ? Si, c’est bien ce qui me semblait…


- Ne parle pas d’autre chose, je grogne.

- Dommage, ça a failli marcher.

- C’était bien essayé. Donc, Patrocle Kerster… Ça ne se situerait pas au même moment que le début de ta querelle avec Erwan ?

- Parle pas de ce raté, grimace mon cousin en réponse, il ne le mérite pas.

- Moi je le trouve sympa…


Ouais, enfin, j’ai échangé quelques mots avec lui sans m’énerver, quoi. Si Erwan était vraiment aussi stupide que M arvolo veut le faire croire, il m’aurait traitée comme une pestiférée à cause de mon lien de parenté. Or, il s’est montré tout à fait potable…

Enfin, ça ne change rien au fait que la majorité de ce que je sais de lui, c’est Alice – partiale par excellence – qui me l’a appris…


- Il est très doué pour cacher son jeu. Tu sais que la plupart de nos romans sont humains, ici ?


J’en avais remarqué un certain nombre, en effet…mais je ne vois pas vraiment ce que cela vient faire dans la conversation…


- Tu dois connaître Rebecca de Daphné du Maurier, reprend-t-il devant mon silence éloquent. Je l’ai lu dans le cadre de l’école de premier apprentissage, un équivalent de vos primaire et collège. A un moment, Max de Winter dit que sa première femme savait très bien duper tout le monde. Erwan est comme elle.


Je connais Rebecca, oui… Mais assimiler Erwan à ladite Rebecca, je trouve ça un peu fort, tout de même. Elle était mauvaise dans le fond. Je ne crois pas à cela, pour Erwan. Il sait aimer, son lien avec sa sœur en est la preuve.


- T’exagères un peu, je murmure.

- Il est impossible de juger sans connaître toute l’histoire, dit-il en réponse en étalant un peu de pommade ayant échappé à mes doigts sur mon nez anesthésié.

- Il ne tient qu’à toi de me la raconter. Donc, ça a un lien avec Erwan, oui ou non ?

- Plutôt oui que non. Mais aujourd’hui est une autre histoire.

- Vous étiez amis ?

- Je ne me suis jamais entendu avec Amir.


Une réponse contraire aurait fleuré bon le canular, aussi. Au moins, sans être experte en détection de mensonges, je sais que mon cousin est honnête à mon égard.


- Alors ils s’étaient ligués contre toi ?

- C’est plus compliqué que cela… Etre de la lignée de Sir Elis m’a plus apporté d’ennuis que d’avantages.


C’est drôle, ça me rappelle quelqu’un…


- Explique.

- Le nom de Destoc était déjà assez connu en Hendiadyn. Sans être aussi illustre que celui d’Elis, il était assez présent dans les esprits. Mon père était chef du protocole au Palais Royal, poste assez glorieux, et surtout très bien rémunéré. Son décès, deux ans plus tôt, avait fait beaucoup de remous.

- Quel rapport ?

- Il m’était impossible de cacher mon lien de parenté avec Sir Elis. Bien sûr, il y a eu des opportunistes… Tu as dû connaître cela, je pense. A quinze ans, être entouré par des lèche-bottes, n’est pas propice pour faire un tri.


Hum…non, je n’ai pas connu cette situation. D’une, Insvrack est à part. De deux, ma condition à moitié humaine en repousse plus d’un. Comme si mon sang était taché par cela. C’est assez ridicule, mais ça en dit long sur la culture locale.


- Et alors ? je reprends pour l’encourager à continuer.

- Patrocle Kerster était un des rares à ne pas me traiter comme cela. Nous sommes devenus amis. Et puis Amir a commencé à faire parler de lui… Si moi j’avais le nom, lui, paraissait pouvoir aller loin. Un sacré baratineur, lui aussi. Patrocle Kerster était un opportuniste, alors il a changé de camp. Ensemble, ils se sont acharnés à faire de ma vie un enfer. Depuis, je me suis juré de ne plus me laisser effacer, et de briller, quel qu’en soit le moyen.


Ça explique sa tendance frimeuse… Donc, au naturel, il n’est pas narcissique. Mais je donnerais cher pour connaître la version d’Erwan… Elle est probablement différente. Si en prime je réussis à obtenir celle de Kerster, alors je pourrais penser avoir construit une représentation objective des faits.

Autant abandonner tout de suite. Avec ce que j’ai entendu dans le bureau de Grand-père, je n’ai pas vraiment envie d’approcher de Kerster.

Il n’empêche, je viens de m’en rendre compte… C’est presque un roman, son truc… Le pauvre héros, brimé par ses camarades… Il s’est fait un serment… Et un jour, chacun comprendra quelle est sa juste valeur.

Pour peu, je lui conseillerais d’écrire un bouquin… Mais c’est la réalité, hélas, pas une fiction.


- Et quel est le rapport avec son implication dans le dragon ?

- Aucun j’espère. Patrocle a été renvoyé de l’école des brigadiers au milieu de sa troisième année pour avoir mis en danger la ville d’Oles lors d’une manœuvre. Je ne sais pas ce qui s’est passé au moment des faits, j’étais à l’infirmerie avec la grippe. Mais je sais qu’il est rancunier. Il avait une forte idée de lui-même, et le fait qu’il ait rejoint Blakar, comme le pense Grand-père, par pur esprit de revanche pour avoir ainsi été mis au ban de la société n’est malheureusement pas impossible.


Oui, mais il y a un mais. Un mais dont je ne parlerai à personne. Vu comment ma précédente découverte a été considérée, je préfère ne pas faire part de celle-ci. De plus, il y a suffisamment de chercheurs et personnes du même acabit gravitant dans les hautes sphères pour faire exactement la même découverte que moi. Après tout, ce sont des spécialistes, moi non.

Je sais ce que j’ai vu. Le dragon est rouge. Il ne peut donc venir de Blakar. Certes, la Magie Noire peut être assez forte pour changer la nature profonde d’une chose ou d’un être, mais si Kerster est un magicien de l’Hendiadyn, je doute qu’il dispose de cette puissance.

C’est idiot de le dire, mais en ce cas, Kerster ne peut être un mage, et encore moins le Maître. D’après ce que je sais, la Magie Noire ne s’apprend pas, elle s’obtient. Par transfert de pouvoirs comme l’a fait mon père, ou bien encore par vampirisation.

Je ne m’y connais pas bien en vampires, mais si vous voulez mon avis, la dernière solution est la pire. Le vampire nouvellement créé perd ses pouvoirs de magiciens au profit de la Magie Noire, et cela sans aucune possibilité de retour, contrairement au cas du transfert de pouvoirs.

Ce sont les armes parfaites… Et une raison de plus de penser que Blakar n’est en rien mêlé à cette affaire. Sinon, il en aurait déjà envoyés semer la terreur.

Oui, ça n’a aucun sens…
Affronter le roi by Khana
- Si je comprends bien, je récapitule sur un ton posé, Sarah t’a raconté qu’Ariane lui avait dit qu’elle t’a vu en vision. Dans cette prédiction, tu meurs, puis tu ressuscites, et tu es lié au vieux principe des connexions par la présence d’une rune. J’ai bien tout saisi ?

- Parfaitement, réplique Marvolo en face de moi.


Ma mission est de mener l’Etat. Cependant, je dois également garder un œil sur ma famille. Et voilà à présent qu’il faut que je mélange les deux !

Je me suis accoutumé à ne pas avoir une famille commune. Cette situation s’est installée il y a près de vingt ans, lors du départ de Damian pour le monde des humains. Elle a franchi un nouveau cap avec l’arrivée de Sarah. A présent, voilà une autre étape.

La confusion avec les affaires internes. D’après ce qu’Ariane a dit à Sarah (elles ont donc enfin réussi à s’entendre), propos que Sarah a ensuite rapportés à Marvolo, tous pensent qu’il ne peut s’agir que d’un lien indirect.

Il est vrai que ce serait le plus…logique, dirons-nous. Vous connaissez aussi bien que moi l’histoire des connexions, comment elles sont apparues, ont vécu, puis disparu. Nul n’en a plus profité – ou été victime, tout dépend des points de vue – depuis plus de mille ans. Certains vieux magiciens sont encore fils de connectés, mais les principaux concernés sont morts depuis déjà plusieurs siècles.

Cependant…je sais, pour totaliser quand même plus de trente ans à la direction du Conseil, que les visions présentent rarement des liens indirects. Les analystes préféreraient se faire tuer plutôt que de l’avouer, et mieux vaut que je ne remette pas en cause leurs compétences. Une des raisons pour lesquelles je demeure à ce poste est que personne n’a quoi que ce soit à me reprocher.

Le respect de l’autre est la clé.

Mais cette vision… Ariane ne l’a pas signalée, j’ignore pour quelle raison. J’espère que ce n’est pas à cause d’une de ces chamailleries puériles dont elle a le secret. Son caractère n’est pas des plus faciles. Incomparable à celui de Sarah, c’est certain, bien que l’un et l’autre soit un cas à lui tout seul.

Pour résumer, dans mes petits-enfants, seul Marvolo a un caractère convenablement conciliant.

Ce n’est vraiment pas me faciliter la vie… Je fais déjà de mon mieux pour m’occuper de chacun d’eux, mais s’ils commencent à fourrer leur nez là où il ne faut pas, ce sera rapidement l’enfer. Chaque parcelle de mon temps est minutée, et je ne peux que remercier Marthe de prendre sur elle une partie du travail, surtout par rapport à Sarah.

Pour reprendre le fil premier de ma pensée, mon expérience me dicterait, plutôt, que nous avançons vers une résurgence des connexions, au lieu d’un lien très diffus comme le diraient les analystes. Soit. Après tout, si elles ont disparu, c’est faute de réunion des conditions suffisantes. Rien n’empêche qu’un couple réussisse à nouveau à les totaliser…


- La vision dit-elle autre chose ? je dis en me massant les tempes. Un nom, un indice ?

- Je n’ai pas interrogé Ariane, mais s’il s’agit d’un lien indirect, je ne vois pas…

- Il ne faut pas partir de ce principe. Le caractère aléatoire des visions laisse une grande possibilité d’interprétation. Tu diras à ta sœur que je passerai lui parler demain. Sa vision peut être importante.


…même si j’aimerais autant ne pas me montrer chez ma fille uniquement pour des raisons politiques. D’accord, la maison m’appartient en théorie, et j’y ai un bureau, mais je vis actuellement dans mon appartement de fonction. C’est difficile à dire, mais mieux vaut que je ne sois pas trop proche des enfants…

D’accord, ils sont grands, mais Ariane et Sarah sont encore mineures, et Marvolo vient d’obtenir ses vingt-deux ans. Quand on sait que la longévité moyenne d’un magicien – s’il reçoit les soins médicaux adéquats comme il s’entend – est de quatre cent ans, alors ils sont vraiment jeunes.

Oui, cela est préférable… Je suis passé, quelques fois, chez Marthe. Sarah n’était jamais là. Ça me fait mal d’y penser, mais je crois qu’elle m’évite. Elle est aussi rancunière que son père, et je crains qu’elle ait encore à l’esprit notre altercation précédente.

Il faut dire, aussi, que je n’ai pas eu la réaction appropriée. Après qu’elle m’ait inondé de reproches – pas tous injustifiés, hélas – j’ai eu le pire réflexe de ma vie : diminuer encore mes visites.

Peut-être que je devais mettre les choses au point, comprendre sa vision, trouver une solution. Mais j’ai pris trop de temps. Sarah a ruminé sa colère, et je ne dois à présent encore moins lui apparaître comme une figure sympathique.

C’est dommage… Pourtant, j’agis pour sa sécurité ! Je sais qu’à chaque instant, aux quatre coins du Royaume, des insatisfaits de ma manière de diriger préméditent ma mort. Judith les fait surveiller de près, comme il appartient à son travail, et cela est nécessaire. Je ne peux me permettre de paraître trop proche des enfants… Marthe le sait, d’ailleurs. Elle sait qu’une des raisons pour laquelle je prends mes distances est que je veux les éloigner au maximum du danger qui plane sans cesse au-dessus de moi.

Mais essayez d’expliquer ça ! A seize et dix-sept ans, on ne comprend pas ! Ce sont les pires âges…

Pourtant, s’ils savaient, tous… Lentement mais sûrement, je prépare leur avenir. Aucun ne sera jeté seul. Chaque note scolaire des filles m’est aussitôt rapporté – Sarah s’est d’ailleurs révélée être une spécialiste du bavardage en cours – et je m’informe des moindres dossiers pris en main par Marvolo.

Demain sera un autre jour. J’ai déjà pris mes dispositions pour que Sarah soit surveillée après son entrée dans la vie active. J’ai peur que si je révèle ma protection, elle ne réagisse comme son père, et rompe tout contact. Elle serait même capable de retourner chez les humains… J’ai déjà perdu mon fils, je ne veux pas qu’elle disparaisse à son tour.

Ariane sera placée à Asyndète, à la fin de l’année. Là où je pourrais la voir, et prendre la juste mesure de son importance. Elle sera grande, j’en suis certain. La vision qui vient de m’être rapportée en est déjà un indice. Si elle a rêvé de l’issue de l’Hendiadyn – issue peu encourageante, c’est vrai – alors elle ne peut se contenter d’un simple poste de consultante en avenir.


- Grand-père, reprend brusquement Marvolo. Allez-vous me dire pourquoi ai-je obtenu mon avancement, l’an dernier ?


La moindre des choses à dire, c’est qu’il ne perd pas le nord, lui. Mais il est encore trop tôt pour qu’il sache.


- Si ma mémoire est bonne, je réplique, je t’avais dit que je le ferais trois ans plus tard. Un et demi est déjà passé. Dans exactement la même durée, tu sauras de quoi il en retourne. Autre chose ?

- Sarah est au courant pour Patrocle.


Hein ? J’espère ne rien laisser paraître, mais il m’enlève les mots de la bouche. Sarah sait que Kerster est en voie de devenir l’ennemi public numéro un… Mais comment elle a fait ?

Incapable de rester en place… Voilà qui ne me facilite pas la tâche ! Comment protéger quelqu’un qui fait tout pour attirer les ennuis ?


- Comment s’y est-elle prise ? je soupire.

- Elle écoutait derrière la porte. Elle l’a d’ailleurs reçue dans le nez lorsque j’ai ouvert.


Le nez, ce n’est pas grave. Ça se soigne bien. Les onguents magiques font des merveilles. Mais Judith va m’entendre… Si elle apprend aux élèves à lever les sortilèges de protection des diplomates, où va le monde ? Certes, il entre dans le cadre de leurs fonctions de savoir accéder aux plus grands secrets, mais ils doivent demeurer des exécutants. Pas des têtes pensantes.

Manifestement, Sarah n’a pas très bien assimilé cette notion. C’est étrange, j’ai l’impression de retrouver en elle à la fois son père, caractère affreusement froid et cynique, parfois tempétueux, mais également sa grand-mère, Elizabeth, plus indépendante qu’un animal solitaire, et capable de fermeté sans hausser le ton.

Avec pareil bagage, comment bien la comprendre ? Si elle continue sur ce chemin, elle ira loin, au moins jusqu’à un Conseil régional. Mais en attendant, je vois dans son avancée plus d’inconvénients que d’avantages. Elle n’est qu’élève, ce combat n’est pas le sien.

D’ailleurs, ça me rappelle… Je n’ai pas encore parlé à Ariane, mais rien ne m’empêche de déjà prendre mes dispositions. Si l’Hendiadyn va vers une guerre, il a besoin de soutien.


- Tâche d’éviter le sujet à l’avenir, je reprends. Pour l’heure, je dois parler au Roi. N’oublie pas d’avertir ta sœur et ta mère de ma visite. Et dis à Sarah que j’aimerais également profiter de sa compagnie.


Je hais perdre mon temps, mais je dois avouer que jouer aux échecs face à Sarah est une occupation plaisante. Il y a un an, encore, elle ne savait que ce que Damian lui avait appris, et il était piètre joueur. A présent, elle a affûté son talent auprès d’Ariane, suffisamment bonne pour me battre sept fois sur huit. Elle est pourtant loin d’être professionnelle, et je suis encore pire. Mais je suis en mesure de disputer de fort intéressantes parties face à Sarah.

Les échecs sont un jeu intéressant. Ils demandent une stratégie qui est loin d’être à la portée de tout le monde. Il faut savoir calculer, prévoir au moins trois coups à l’avance, anticiper le jeu de l’adversaire…

C’est très formateur.

Marvolo parti, j’endosse ma robe pourpre de Conseiller. Elle inspire le respect, mais je dois avouer qu’elle relève à mon goût plus du déguisement que d’autre chose. Ce n’est pas l’apparence, qui compte, mais les résultats. Les résultats probants.

Les gens me saluent tandis que je circule dans les couloirs du Palais du Conseil. Celui-ci est relié par un souterrain au Palais Royal. Cela peut paraître inutile au premier abord, le Roi n’ayant aucune utilité, mais il appartient à ma fonction de l’informer de l’actualité du Royaume. De plus, peu de gens le savent, mais la fonction ne peut être supprimée. C’est compliqué, et je ne suis pas d’humeur à en parler maintenant.

Sa mère, qui l’a précédé, est morte il y a quatre ans maintenant, suite à un accident magique. Elle me recevait au milieu de ses bouquets de fleurs, assise au piano, en cuisine, et même une fois en train de bêcher son potager. Nombre d’actes signés de sa main comportent une tache de terre ou de sauce tomate.

Un jour, je vous expliquerai pourquoi son paraphe est nécessaire. Cela relève à la fois de la fiction juridique – connue même chez les humains – et de la nécessité magique. Assez intéressant à étudier, mais ce n’est pas le moment.

Le roi – Pyrrhus de Véran, quatrième du nom, pour être précis – est dans la bibliothèque, me dit-on. J’y vais sans me presser. C’est sa pièce de prédilection, il paraît qu’il y va même pendant la nuit.

Peu importe. Ce n’est pas comme s’il avait quelque chose de plus intéressant à faire. Inaugurer des écoles, parfois, et encore. Il a moins de trente ans, et une apparence tellement juvénile qu’il est difficile de le prendre au sérieux.

Au regard de son rôle, de toute manière, ce n’est pas une perte.


- Sir Elis ! s’exclame le Roi comme s’il était surpris de ma venue – qu’on lui a pourtant annoncée. Je ne m’attendais pas à vous voir avant mardi.


Il est penché sur un énorme volume au titre compliqué. Cela, au moins, n’est pas un reproche qui peut lui être adressé. Sa Majesté est très cultivée. Elle n’a reçue aucune formation pratique de magie, tout au plus quelques sortilèges mineurs, mais au niveau intellectuel, elle peut être considérée comme brillante.


- Le mardi est mon jour de visite habituel, je rétorque sur un ton des plus civils, mais vous savez, Majesté, qu’aucun texte ne m’interdit de me présenter ici à d’autres occasions.

- Et heureusement, d’ailleurs. Je suis toujours intéressé par ce que vous avez à m’apprendre. Quelle nouveauté aujourd’hui ?

- Une affaire assez délicate.


Voilà qui l’intéresse, à présent. Je le connais mal, mais il me semble que le Roi prend un grand plaisir à assister en témoin aux remous du monde politique. Je ne serais pas surpris s’il comptait les points en secret. Mais cela importe peu.

Je n’ai fait que dire la vérité. Si tous les cinq ans, depuis trente ans maintenant, les conseils régionaux m’élisent comme directeur du Conseil Général pour que je dirige le Royaume, le Roi n’en a pas moins certaines capacités relevant plus du gadget que de la réelle nécessité.

Pour commencer, il incarne. Je ne sais trop comment cela s’est produit, mais toujours est-il que l’Hendiadyn, contrairement à ce que pense la majorité des magiciens, n’est pas la terre sur laquelle nous vivons. L’Hendiadyn, c’est le Roi. Il ne peut mourir sans héritier, et sa présence sur le trône est garante de la survie de notre monde.

Je ne nommerai pas certains pouvoirs inusités depuis plus de quatre mille ans. Il découle de l’incarnation une chose fondamentale, la seule réellement importante dans cet univers.

Le Roi peut entrer en contact avec les autres Magistraux.


- Auriez-vous besoin que j’agisse ? demande-t-il avec une surprise feinte.


S’il n’avait son rang, il serait doué en politique. Il en a l’esprit et le talent d’acteur. Ce serait un partenaire intéressant…


- Vous savez ce qui se prépare, Majesté.

- Une guerre, en effet. Vous m’en avez averti il y a de cela plusieurs mois. Mais je n’ai pas en mémoire qu’il relève de mes fonctions que j’y joue un rôle. C’est vous qui gouvernez, il me semble.

- Certes, mais le cas est grave. Nous soupçonnons fortement Blakar de vouloir reprendre l’ascendant qu’il avait sur l’Hendiadyn il y a quatre mille ans. Ce serait intolérable, aussi devons-nous combattre. Nous avons besoin de soutien.

- Ce qui signifie ?

- Bien qu’il soit notre allié, je ne peux moi-même entrer en contact avec Luxen. C’est à vous de le faire. Vous êtes en capacité d’adresser un message au souverain. Rappelez-lui l’alliance conclue. Il doit se tenir prêt.


J’ose espérer que la guerre n’émergera pas avant plusieurs années. Nous devons nous préparer, mais déjà, il faut surveiller les arrières. La Magie Blanche est fondamentalement différente de la Noire. Si l’Hendiadyn fait contrepoids, les deux autres Magies, elles s’opposent.


- Si je comprends bien, reprend-t-il après un silence, vous attendez de moi que j’entre en contact, comme je sais que j’en ai le pouvoir, avec le Maître de Luxen, alors même que nul n’a eu de nouvelle d’eux depuis plus de vingt ans.


C’est cela en effet. Peu évident, j’en conviens. Mais je ne peux le faire moi-même, et cette prise de contact est d’une nécessité absolue. Autrement, l’Hendiadyn se trouvera en une très mauvaise posture…
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