La rentrée des crasses by Piti
Summary:

 

C'est un marronier de la rentrée scolaire.

 

Les profs sont-ils des nantis du système d'imposition qui rackette les honnêtes gens ?

 

Participation à l'Atelier n°15 d'Adhara, Flodalys et Tiiki

 


Categories: Contemporain, Société, Textes engagés Characters: Aucun
Avertissement: Discrimination (racisme, sexisme, homophobie, xénophobie)
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Aucun
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 839 Read: 182 Published: 01/10/2024 Updated: 01/10/2024
La rentrée des crasses by Piti
Author's Notes:

Réponse au prompt : "Un parent qui critique l'institution scolaire fait face à un parent qui a conscience des difficultés pour les enseignants."

La discrimination mentionnée en résumé concerne des propos xénophobes ou racistes (je n'arrive pas à discerner sur ce cas précis, probablement les deux).

 

"Bonjouuuuuur UNSEN-CGT, mobilisation pour plus de moyens pour l'école ! Les revendications du bon sens : moins d'élèves par classe, rénovation des salles vétustes, augmen... Oui Monsieur, on rejoint la manif' à Bastille à 14h. Augmentation des salaires et des budgets ! Mobilisation ! Bonjour Madame, UNSEN-CGT, vous n'êtes pas intéressée ? C'est pour vos enfants !"

***

Ah je vais me la faire, je vais me la faire !

Non mais elle vient vraiment de dire que ce sont des protégés du système ?!

Mais... Elle est sérieuse là ?

***

Le tract est pris et soudain la moutarde monte au nez. La fulgurance de l'instant illustre l'urgence. Comment peut-on être aussi égoïste ? Au-delà de ça, comment peut-on, par pure jalousie, refuser que d'autres voient leur salaire augmenter ? N'est-ce pas tant mieux pour eux s'ils obtiennent gain de cause ? Est-ce que cela la concerne ? Probablement que oui, et c'est là où s'arrête la litanie des questions.

L'école est publique et gratuite et est donc le fruit de la redistribution du fruit de l'impôt.

Or, Sophie, la quarantaine, chef de projet dans un grand groupe du BTP, 5436.48 euros nets sur son compte bancaire chaque mois, en concubinage avec un technicien informatique qui émarge à 3000 euros bruts hors prime et treizième mois, mère de deux enfants, estime viscéralement qu'elle paie trop d'impôts, et que l'augmentation de la paie de Madame Labutte, professeure de musique, aura une incidence économique remarquable sur la vie fiscale de son foyer.

***

Elle est vraiment en train de crier sur la prof que le programme n'est pas bouclé et que ses enfants ont des lacunes à cause d'eux ?! Est-ce qu'elle se rend compte seulement qu'elle n'a aucune compétence particulière pour mesurer le progrès et les acquis de ses gosses ? Vous remettez en question la baguette de votre boulanger, vous ?

(Bon, l'exemple est mauvais, en vérité, on peut comprendre l'exigence des Français envers cette institution nationale qu'est la baguette.)

Au pire, elle ne prend pas le tract et elle s'en va, c'est quoi ce besoin de taper une esclandre ? Et même si elle n'est pas d'accord avec le prof, pourquoi est-ce qu'elle ne lui parle pas avec un minimum de respect ? Les professeurs ne sont pas des paillassons des bons vouloirs des parents, à la fin !

***

Dans le même temps, soucieuse de la réussite scolaire de sa petite Léonie (CM2 B, classe bleue), Sophie envisage de l'inscrire dans le privé l'année suivante. Cela leur coûtera l'équivalent d'un mois de salaire de son compagnon. Ça, c'est de l'argent bien dépensé, et pour cause : elle aura la main sur le fléchage de ce que l'État lui aurait ponctionné si c'était ce gueulard de Camalerre qui était passé à la présidentielle. (Aussi, Léonie fait trois activités extrascolaires par semaine, et geint très gentiment le matin car elle est une enfant sage avant d'être une enfant fatiguée. Oh et puis elle a un portable sur lequel elle assiste passive aux immondices que la classe déverse sur Yanis à cause de son homosexualité supposée.)

Quant à Quentin, quatorze ans, quatrième de sa classe, il est déjà destiné à la Sainte Voie Scientifique. Après tout, Sophie vote consciencieusement pour tous les programmes qui détricotent le reste, l'apprentissage, l'alternance, les lycées professionnels, tout. C'est quasiment cohérent. (Ceci dit, Madame Folio, professeure de physique-chimie dans un lycée de réputation correcte, trouve que gérer sept classes de quarante élèves, prendre en compte la réforme du bac, comprendre le fonctionnement de CoursEnSup, ce n'est pas donné non plus. Alors, les heures sup non reconnues non rémunérées et les pauses méridienne qui se transforment en ateliers paperasse, elle connaît.)

***

C'est parti d'un coup, je l'ai emplafonnée.

***

"Mais vous vous croyez où, à parler comme cela à un professeur de la nation ? Au café du commerce ? C'est l'école de la République ici, pas un paradis fiscal !
- Je sais mieux que vous ce que j'ai à faire de la France, qui est mon pays, que vous.
- Xénophobe qui plus est. Félicitations. Et pour information, dans le pays d'origine de mes parents, j'aurais crevé d'avoir le droit de rentrer ici."

J'ai pensé très fort "espèce de connasse" mais, bien élevée par mes parents, je sais me tenir.

Cette abrutie me regarde comme si elle découvrait qu'une femme voilée et d'une peau de carnation différente à la sienne pouvait venir d'ailleurs que d'une ancienne colonie française (bâchée et étrangère et basanée doit-elle penser, et peut-être pense-t-elle aussi que je lui ai pris son travail, comme si elle était le centre du monde, le centre du planisphère). Raté. Mes parents sont afghans. Là-bas, on tire à vue sur les filles pour les empêcher d'aller à l'école. C'est un décompte autrement plus sanglant que son calcul d'apothicaire sur le taux marginal de sa dernière tranche d'impôts.

***

Le professeur, qui après avoir essuyé l'injure, s'était détourné pour tendre un tract à une autre mère - pourquoi que des mères, hein bah tiens, revient vers nous.

"J'ai tout filmé."

End Notes:

C'est un texte en réaction à certaines actualités qui me sortent par les yeux.

J'espère qu'on comprend bien la dualité des pensées internes (où on peut se défouler, faire une catharsis des choses) et le fait d'être tout simplement poli et respectueux en public (contrairement à ce que représente Sophie). Dans la même veine, j'espère que la distinction entre les pensées réelles de la narratrice et les pensées de Sophie que lui connaît cette même narratrice et qu'elle reprend cyniquement est bien claire.

Par exemple, dans une première version, j'avais juste écrit "une femme voilée et basanée", en faisant, je le pensais, référence à la description qu'aurait donnée Sophie de la narratrice (la réduisant donc à son origine supposée ou non et ses pratiques religieuses), je voulais le cynisme de la narratrice sur l'oeil de Sophie. Une HPFienne très observatrice m'a fait remarquer qu'on ne savait pas à ce stade du texte si c'était cynique ou une erreur involontaire de ma part, notamment de par l'utilisation du terme connoté raciste "basané" - en effet la suite du paragraphe se recentre sur ma narratrice, d'où doute.

C'était cynique. De manière générale je ne décris jamais les gens, même irl, par leur couleur de peau, et plus encore, par toute caractéristique qui pourrait leur être nuisible dans la société, sauf si je traite dudit problème de société. En tout cas, j'essaie de faire comme ça. Pour la couleur de peau, j'ai le sentiment indistinct qu'en plus, le vocabulaire dont nous disposons en français est... restreint (donc, de fait, raciste, même pour un usage involontaire).

Mais comme après tout ç'aurait tout aussi bien pu être une erreur, je vous partage quelques ressources qu'elle m'a gentimment données pour ma propre information : article de Zamane (2021), quelques pages d'un article de La Géographie (2018), et une note de l'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (2017). Merci à elle !

Je me suis amusée à changer les noms totalement inspirés du réel. J'ai aussi réutilisé la célèbre Madame Labutte, professeure de musique, d'un sketch des Inconnus déjà au sujet des difficultés de personnel et de moyens de l'institution scolaire.

Merci pour votre lecture !

Piti

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